L'office du juge



Paris, Palais du Luxembourg les 29 et 30 septembre 2006

TROISIÈME PARTIE : TRANCHER

Présidence :
M. Guy CANIVET, Premier président de la Cour de cassation et
M. Yves GAUDEMET, Professeur de droit public, Université de Paris II Panthéon-Assas

Présidence et introduction de M. Guy CANIVET, Premier président de la Cour de cassation

Je commencerai par des propos de remerciements au Sénat et aux organisateurs de ce colloque d'avoir invité une délégation substantielle de la Cour de cassation puisque j'ai le plaisir de me trouver à côté du Président de la Chambre sociale pour parler de ce qui est au coeur de notre métier, c'est-à-dire, juger. Nous sommes donc dans la phase où il s'agit de prendre une décision qui se traduit après deux autres moments : ceux de l'interprétation et de l'apaisement.

Trancher le litige est l'obligation fondamentale du juge, celle qui est rappelée par la Loi. Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit. Donc le terme est en lui-même un terme légal. Et pour autant, si on veut essayer de lui donner du sens, comme disent les sémiologues, il faut essayer de le restituer dans les oppositions que le concept verbal de trancher peut contenir. En ce qui me concerne, j'en vois trois qui sont toujours autour d'un concept verbal : trancher c'est agir, décider et construire.

Trancher c'est agir. D'emblée, il faut se situer dans une opposition entre d'une part, la force et l'autorité de la décision, et d'autre part, l'intérêt des parties qui va être plus ou moins satisfait. Autrement dit, on est entre les deux symboles de la justice qui sont le glaive et la balance, le glaive symbole de l'autorité, de l'autorité de l'Etat, de l'autorité du droit, et la balance, symbole de l'équité. On est à ce moment particulier du procès où il faut essayer de trouver la solution qui soit le plus près possible de l'intérêt des parties et qui offre la meilleure satisfaction de leurs intérêts respectifs dans la solution du litige qui les oppose. Le Premier Président Drey remarquait que le tranchant du droit n'était pas toujours très adapté à la meilleure solution possible du litige. C'est donc opposer l'application du droit, c'est-à-dire ce qu'est le sens de l'autorité, de la norme dans une situation particulière, et l'intérêt des parties qui est de trouver la meilleure solution possible.

Trancher, c'est décider. Je me réfèrerai encore à ce que disait le Premier Président Drey qui faisait du juge un décideur, autrement dit quelqu'un qui agit dans le lien social pour trouver une solution, en quelque sorte un service rendu à la collectivité pour dénouer ce qui était une opposition entre des personnes ou des intérêts. Alors quels sont les paramètres de cette décision ? Je le disais en commençant : le texte dit. Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit. Et pourtant le litige se tranche t-il seulement au regard des règles de droit ? Qu'est-ce que l'on va faire rentrer en quelque sorte dans les paramètres de la décision ? Y a-t-il uniquement du droit et du raisonnement juridique, ou bien rencontrons-nous d'autres considérations, des considérations sociales, des considérations économiques, des considérations culturelles. C'est toute l'opposition qu'il y a entre ce que les uns considèrent comme le droit auto-suffisant dans la solution du litige ou bien des solutions juridiques qui vont être nourries d'autres considérations. Est-ce qu'il faut s'en tenir à un raisonnement logique, l'application d'une règle de droit à une situation de faits ? Pour commencer à répondre, le Président Genevois nous parlera de la méthode de raisonnement du Conseil d'Etat. Où dans la décision de justice, va-t-on faire entrer d'autres modes de raisonnement avec des concepts plus flous et des raisonnements qui sont moins fondés sur un principe purement syllogistique ? Et là encore dans les déterminants de la décision, est-ce que l'on va considérer que tous les déterminants annoncés par le juge, que ce soit le droit, l'économie, le social, le culturel qui fait le motif de sa décision, sont bien ceux qui constituent la décision ? Ou bien, doit-on considérer qu'il y a des motifs cachés, masqués ? C'est ce que vous appelez les influences sur la solution du litige qui peuvent être des influences pas nécessairement condamnables d'ailleurs, mais que le juge va trouver dans sa propre culture, dans sa personnalité. La question est de savoir comment il va intégrer cela dans le processus du jugement et comment, en dépit de ces influences, il doit trancher d'une manière neutre et objective.

Enfin, pour terminer, trancher c'est construire. C'est l'opposition entre le fait de séparer des intérêts et d'anticiper sur l'avenir. Séparer des intérêts : trancher c'est séparer entre le vrai et le faux, le juste et l'injuste, l'exact et l'inexact, tout ce qui s'oppose en quelque sorte dans le raisonnement des parties, dans la position respective des parties. Et trancher, c'est effectivement séparer tous ces concepts, ces principes, mais aussi trancher c'est anticiper, c'est-à-dire reconstruire le lien individuel ou le lien social, c'est anticipé d'abord sur l'exécution de la décision. Que ferons les parties de la décision du juge, comment réintroduiront-elles les relations à partir de cette solution ? En matière pénale, c'est rétablir le lien social brisé par l'infraction et en tout cas, anticiper sur un avenir qui permettra soit au rapport individuel, soit aux rapports sociaux de se poursuivre après la perturbation qu'a constituée le litige. Voilà simplement ce que je voulais dire en introduction de ce colloque. Je laisse immédiatement la parole au Président Genevois.

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