RENCONTRES SÉNATORIALES DE LA JUSTICE



Palais du Luxembourg - Mardi 8 juin 2004

PREMIÈRE TABLE RONDE
LE JUGE ET L'EXIGENCE D'EXCELLENCE

Débats animés par :

M. Maurice Peyrot ,

Vice-Président de l'Association de la Presse Judiciaire

Avec la participation de :

M. Michel Dreyfus-Schmidt ,

Sénateur du Territoire de Belfort, vice-président honoraire du Sénat

M. Christian Cointat ,

Sénateur des Français de l'Etranger, rapporteur pour avis de la Commission des lois du budget de la justice

Mme Natalie Fricero ,

Professeur de droit à la faculté de Nice, membre de la Commission de réflexion sur l'éthique dans la magistrature

M. Jean-Paul Sudre ,

Substitut général près la Cour d'Appel de Nancy, membre du Conseil Supérieur de la Magistrature

M. Christian Raysseguier ,

Inspecteur Général des Services Judiciaires

M. Patrice Davost ,

Directeur des Services Judiciaires

Mme Annie Zamponi ,

Chargée de Mission auprès du sous-directeur de l'organisation judiciaire et de la programmation

M. François Falletti ,

Procureur Général près la Cour d'Appel de Lyon

et le témoignage de :

M. Jean-Marc Juilhard,

Sénateur du Puy-de-Dôme

M. François Zocchetto,

Sénateur de la Mayenne

M. Maurice PEYROT , Vice-Président de l'Association de la Presse Judiciaire -

Monsieur le Président, je vous remercie. A l'instant, vous m'avez rassuré, car j'ai cru à un moment que j'étais dans un débat que je connaissais mieux. Nous ne parlerons pas de la presse aujourd'hui, hélas, quoique, si certains veulent en parler à un certain moment, pourquoi pas ?

Bonjour à tous. Je ne suis ni magistrat, ni élu. Je vais malgré tout tenter de ne pas vous gâcher votre matinée et de vous permettre de suivre le programme qui a été prévu pour ces secondes rencontres. Ce programme paraît très chargé, mais, avant d'entrer dans la discussion, nous allons respecter la tradition et le but de ces rencontres sénatoriales en écoutant deux sénateurs qui vont nous faire part de leur sentiment après un stage en juridiction.

Nous commençons par M. Jean-Marc Juilhard, du Puy-de-Dôme, qui est allé à Colmar. Je lui donne la parole.

Témoignages des sénateurs

M. Jean-Marc JUILHARD , sénateur du Puy-de-Dôme -

Monsieur le Président, madame et messieurs, mesdames et messieurs les représentants de juridictions, je m'associe aux propos du président pour vous accueillir dans ce Sénat qui nous est cher et pour dire combien, pour ma part, j'ai été heureux de participer à ces Rencontres sénatoriales de la justice.

A ce titre, je remercie le président Poncelet d'avoir instauré ce type de rencontres qui, pour des sénateurs qui, comme moi, ne sont pas formés véritablement au droit, sont d'un très grand intérêt.

S'agissant de mon "immersion" - c'est le terme -, j'étais donc à Colmar, au tribunal de grande instance, les 6 et 7 avril, où j'ai été chaleureusement accueilli par Mme la Présidente, Sonia Garrigue, et par M. le Procureur, Pascal Schultz, ici présents, que je salue tout aussi chaleureusement.

Dès le premier jour, j'ai pris contact, grâce à eux, avec le tribunal et son fonctionnement dyarchique qui ne semble pas poser de problème majeur (bien que...). J'ai appris ce qu'était la magistrature du parquet, l'action publique, et la magistrature du siège qui tranche les litiges. J'ai eu aussi, par la greffière en chef, une présentation des fonctionnaires du tribunal et du budget du tribunal, budget insuffisant, comme le rappelait le président tout à l'heure, mais qui n'a pas été l'essentiel de nos débats.

A la fin de cette présentation et de cette visite de locaux, qui commencent à être un peu exigus (je regarde M. le Procureur et Mme la Présidente en le disant, puisque c'est un thème que nous avons évoqué), le cri du coeur de tous les magistrats, qui a été le fil conducteur de ces trois jours, a été de me dire : « Arrêtez de légiférer sur la justice ; aidez-nous plutôt à toiletter les lois existantes pour que nous puissions fonctionner dans de meilleures conditions ». Les juges de proximité, auxquels faisait référence tout à l'heure le président Poncelet, ont bien entendu été évoqués à peu près tous les jours et dans toutes les juridictions.

J'ai pu assister ensuite à une partie de la conférence mensuelle, présidée par Mme Bensussan.

En Alsace Moselle, il n'y a pas de tribunal de commerce. J'ai pu constater, à l'audience de la chambre commerciale, que le partenariat entre la présidente, Mme Palpacuer, et les juges professionnels élus par leurs pairs était un système intéressant. Je sais qu'il a suscité des avis divers et variés, mais ce que j'ai pu y voir m'a semblé intéressant.

Ma deuxième journée m'a permis de connaître le juge aux affaires familiales, et un substitut, Mme Christine Charras qui traite d'affaires de violences, violences sexuelles, de moeurs et de drogue.

J'ai également évoqué avec M. le Bâtonnier le fonctionnement du barreau et le partenariat avec le tribunal de grande instance, nous avons évoqué notamment les problèmes d'emploi que connaît actuellement l'Alsace, les délocalisations et restructurations d'emplois et, bien entendu, les difficultés qu'elles suscitent.

La journée s'est terminée dans le bureau de Pierre Wagner, juge d'instruction, qui, après m'avoir décrit sa fonction et l'autonomie qu'elle comporte, m'a fait part de ses inquiétudes quant à l'avenir de la charge de juge d'instruction. Je ne vous apprends rien, mais il était bon de le préciser.

Le dernier jour, j'ai suivi une audience correctionnelle sous la présidence d'Alain Hahn, au cours de laquelle ont notamment été évoquées des affaires d'escroquerie financière et une affaire de violence sur un enfant de moins de trois mois qui était, pour moi qui ne suis pas de la partie, assez poignante. Je comprends les difficultés des juges en la matière et de leur nécessaire courage.

Enfin, avec Mme Pascale Blind, présidente du tribunal pour enfants, j'ai pu assister à une audience sur un problème de garde et de placement d'enfants en famille d'accueil à la suite de la séparation des parents. Mais nous avons évoqué surtout le projet de décentralisation. La crainte exprimée sur ce projet, qualifié de remise en cause des fondements de la justice des mineurs me semble mériter toute notre attention de législateur.

A l'issue de ces trois jours, un débriefing en présence de Mme la Présidente, de M. le premier Président de la Cour d'appel, de M. le Procureur général, de M. le Procureur et de l'ensemble des magistrats a permis de faire une petite synthèse des principales préoccupations de mes interlocuteurs :

- l'excès de texte -je n'y reviens pas- que j'ai résumé par la formule « l'excès de loi tue la loi » ;

- la crainte à venir de la décentralisation, en ce qui concerne l'expérimentation envisagée dans le domaine de la justice des mineurs ;

- les particularités positives du droit local : le livre foncier et l'échevinage à la chambre commerciale, qui m'avait paru intéressant et qui est ce partenariat étroit entre un magistrat et des juges professionnels élus par leurs pairs.

J'ai loué - et je le refais volontiers aujourd'hui - la qualité de l'accueil qui m'a été réservé, qui a été chaleureux, comme je l'ai dit, mais aussi studieux et qui m'a permis de mieux connaître les choses. Si M. le Président Poncelet me le permet, j'aurai l'occasion de refaire ce type d'expérience. Le tribunal est une vraie ruche, en tout cas celui de Colmar, et j'y ai trouvé des magistrats passionnés par leur fonction, rigoureux et humains, un aspect auquel vous avez fait référence, Monsieur le Président.

Ils sont inquiets des excès de textes (pardonnez-moi de le répéter, mais c'est le fil conducteur, comme je l'ai indiqué tout à l'heure) qui compliquent au lieu de simplifier le quotidien au détriment de l'efficacité.

Le tribunal de grande instance de Colmar est un tribunal moyen (ce sont les magistrats qui me l'ont dit) où règne une ambiance sereine (c'est moi qui le dis), familiale et efficace que je suis heureux d'avoir partagée pendant trois jours.

(Applaudissements.)

M. Maurice PEYROT -

Je vous remercie de cet exposé très complet.

M. François Zocchetto, vous êtes de la Mayenne et vous n'avez pas choisi la facilité puisque vous êtes allé à la Cour de Cassation.

M. François ZOCCHETTO , sénateur de la Mayenne -

Ayant participé, avec un certain nombre de mes collègues de la commission des lois, à des modifications plus que substantielles du processus judiciaire dans les derniers mois (je veux parler de la loi dite "Perben 2"), la solution de facilité était peut-être, pour moi, d'aller justement à la Cour de Cassation, parce qu'on aurait pu penser que c'était un lieu plus protégé par rapport aux reproches que ne manqueraient pas de faire les magistrats, souvent à juste titre, par rapport au travail du législateur.

En fait, je considère que j'ai eu beaucoup de chance et je tiens à remercier le président du Sénat, le premier président de la Cour de Cassation et le procureur-général, qui sont ici présents, d'avoir monté ce stage. Il semble que c'était la première fois qu'un sénateur faisait un stage à la Cour de Cassation, où j'ai appris beaucoup de choses.

Il est inutile de vous dire que j'ai été reçu vraiment très chaleureusement, et je modère mes termes en le disant. Les magistrats ont fait preuve d'une très grande disponibilité, ils n'ont pas compté leur temps vis-à-vis de moi et j'ai pu comprendre un peu mieux ce qui, pour le commun des mortels mais aussi pour le législateur, apparaît souvent difficile à comprendre : le mode de fonctionnement de la Cour de Cassation.

C'est un lieu unique, il n'y a pas beaucoup de personnes qui peuvent le fréquenter et il est parfois difficile de comprendre comment cela fonctionne.

Au-delà de toute une série d'entretiens, j'ai pu participer à des audiences diverses de la chambre criminelle et de la chambre commerciale. J'ai également eu des entretiens avec le premier avocat général, que je remercie et qui est ici présent, j'ai assisté à des conférences de mise en état entre le président de chambre et le doyen, et j'ai pu visiter un service dont je ne soupçonnais pas l'importance et l'organisation : le service de la documentation et des études.

J'en viens à quelques impressions sur ces trois jours de stage.

Premièrement, il m'a semblé qu'il y avait un réel esprit d'équipe à la Cour de Cassation, plutôt qu'un esprit de corps, entre le premier président, les présidents de chambre et les conseillers rapporteurs, dont le recrutement m'est apparu plus diversifié que je ne l'imaginais, avec notamment des générations différentes de magistrats qui participaient à l'élaboration des décisions. Tous ces magistrats forment une réelle équipe, me semble-t-il, et j'ai pu mesurer leur volonté d'avoir le moins de divergences possible dans les décisions qui sont rendues.

J'ai été très intéressé de constater qu'à l'audience de la chambre criminelle, on a le souci de ne pas rendre des décisions divergentes afin que la lisibilité des décisions de la Cour de Cassation, et donc le droit en France, puissent être compréhensibles. Il est vrai que, lorsque la chambre criminelle rend une décision dans un sens et la chambre commerciale ou la chambre sociale dans un autre, cela peut être difficile à suivre. On note donc ce souci de rendre les décisions plus lisibles et donc plus homogènes.

Ma deuxième impression a concerné le processus d'élaboration de la décision. J'ai été frappé de constater que tous les conseillers rapporteurs, mais aussi les autres conseillers, quel que soit leur grade ou leur ancienneté, ont un droit à la parole qui me paraît identique. Certes, une décision doit être élaborée selon la règle de la majorité, avec un processus de vote, mais il y a ce souci que la décision soit comprise et acceptée et j'ai pu mesurer à quel point les magistrats prenaient le temps d'étudier complètement tous les contours du problème qui était posé et de donner une décision complètement acceptée. Cela me paraît important pour cette juridiction qu'est la Cour de Cassation.

Troisièmement, j'ai vraiment été impressionné par le centre d'étude et de documentation qui concerne tous les magistrats de France. On m'a en effet expliqué que ce merveilleux outil informatique de documentation et de collecte de l'information était destiné à alimenter tous les tribunaux de France et tous les magistrats. Cela m'a paru être une fonction importante de la Cour de Cassation.

Je dois vous dire que lorsqu'on m'avait dit que, dans le stage, il était prévu de passer une demi-journée au centre d'étude et de documentation, je m'étais demandé si c'était vraiment bien utile, en pensant que j'essaierais de mettre cela en fin de parcours et que je n'aurais peut-être pas le temps d'y aller. Cela aurait été une grave erreur car cette fonction importante de la Cour de Cassation qui consiste à diffuser partout l'information est aujourd'hui pleinement assumée.

J'ajoute qu'en tant que législateurs, nous sommes intéressés par des sujets différents qui sont parfois d'actualité et que j'ai pu aussi me documenter sur le fonctionnement interne de la Cour au regard du rôle du parquet général et en parler à mes confrères en rentrant. C'est en effet une situation particulière qui nous intéresse, nous aussi, en tant que législateurs.

Il me reste à conclure. Vous avez compris que je suis totalement enthousiasmé. Mon problème, c'est que d'autres collègues sénateurs voudront certainement aller à la Cour de Cassation et que je ne sais donc pas si je pourrai m'y rendre à nouveau. En tout cas, je n'ai qu'un seul souhait : pouvoir y retourner.

(Applaudissements.)

* * *

M. Maurice PEYROT -

Merci. Nous allons commencer nos travaux.

Tout à l'heure, Monsieur Poncelet, mieux que je ne pourrai jamais le faire, a posé les grandes questions qui vont être évoquées aujourd'hui, la première étant résumée par une formule peut-être un peu excessive : le contrôle du juge.

I. UNE EXIGENCE ACCRUE DE RIGUEUR

Il est bien certain qu'il y a eu une évolution. Il y a fort longtemps, le juge était la puissance divine, ce qui était assez commode, dans la mesure où ses décisions ne se discutaient pas. Et puis, un jour, Dieu a quitté les prétoires, on s'est peut-être posé alors quelques problèmes et, par une curieuse boucle de l'histoire, on s'est tourné vers le juge comme on se tournait vers Dieu : il a fallu qu'il fasse tout, qu'il décide tout, qu'il tranche tout, qu'il punisse et même qu'il console. On lui a tout demandé.

Cela a même pris une forme extrêmement aiguë qui a alerté un grand personnage, M. Pierre Dray, alors premier président de la Cour de Cassation, qui disait le 8 janvier 1990, dans cet avertissement à ses collègues : « A la tentation du juge dieu, seul apte à tout savoir et à tout faire, il faut résister ». Hélas, la pression semblait trop forte ; son avertissement n'a été entendu ni par le public, ni, peut-être, par certains magistrats, et une conduite étrange s'est produite, des deux côtés d'ailleurs.

Est-ce ce nouveau rôle ou le comportement individuel de certains rares magistrats qui a fragilisé le juge ? Toujours est-il que l'idée d'un contrôle (encore une fois, je n'aime pas beaucoup ce mot), d'un encadrement ou d'une connaissance de ce qu'il peut faire ou ne peut pas faire a fait son chemin. Désormais, chacun est conscient que la procédure et les voies de recours ne suffisent plus pour protéger le justiciable et que l'exigence de qualité du travail du juge est maintenant une forte demande du corps social, des élus et même, de plus en plus, de certains magistrats.

Comment exercer ce contrôle entendu dans le sens théorique du mot, sur quelle base et à partir de quelles règles déontologiques ? Quel rôle faut-il donner à la hiérarchie ? Comment contrôler le juge tout en préservant rigoureusement son indépendance ? Nous examinerons tous ces éléments avant d'examiner, dans une deuxième partie, un aspect plus technique : celui du contrôle des fonds accordés à l'institution judiciaire.

Comme vous le constatez, les sujets sont assez denses. Aussi, pour le bon ordre de nos débats et pour encourager la rapidité et la spontanéité des échanges, je demanderai à chacun, à la table comme dans la salle, de faire leurs interventions et de poser leurs questions de la manière la plus courte possible, quitte à reprendre plusieurs fois la parole. Je pense que cela peut permettre un dialogue plus ouvert que des interventions magistrales.

La première question qui nous occupe concerne donc la règle déontologique. Jusqu'à quel point faut-il la définir ? Pendant longtemps, les devoirs et obligations des magistrats se sont définis par l'énumération d'une série de grands principes. Est-ce suffisant ? Le CSM et la Commission Cabanes se sont penchés sur cette question et ils ont, pour certains, élargi la notion de règles déontologiques tout en précisant certains points.

Concernant la jurisprudence du CSM, où en sommes-nous, monsieur Sudre ?

A. LA RÈGLE DÉONTOLOGIQUE

M. Jean-Paul SUDRE , substitut général près la Cour d'Appel de Nancy, membre du Conseil Supérieur de la Magistrature -

Le sujet que vous avez présenté est d'une telle densité que le pari lancé aux participants d'être bref sera difficile à tenir.

Le premier point de cette table ronde porte, d'une part, sur l'état de la jurisprudence disciplinaire du Conseil supérieur de la Magistrature et, d'autre part, sur la situation de la réflexion du Conseil.

En ce qui concerne tout d'abord la jurisprudence du Conseil supérieur, organe disciplinaire des magistrats placé sous le contrôle du Conseil d'Etat, l'évolution a été très claire et très nette. Pendant très longtemps, le Conseil supérieur, dans ses décisions, n'a fait que mettre en exergue la gravité des faits constatés, après quoi, dans un travail présenté comme casuistique, le Conseil supérieur a qualifié les faits de manière suffisamment précise pour élaborer toute une série de principes directeurs de comportement à visée éthique et déontologique.

Ces principes ont couvert tout le champ d'intervention du magistrat, qu'il s'agisse des missions judiciaires (indépendance, respect de la loi, impartialité, diligence) ou du comportement personnel du magistrat (intégrité, loyauté et dignité).

Si ce catalogue de principes directeurs extrêmement précis couvre l'ensemble du comportement du magistrat, deux domaines lui échappent quand même, dont le premier fera partie d'une autre étape de notre débat mais qui est très important : l'appréciation de l'activité juridictionnelle, qui relève exclusivement de l'usage des voies de recours. C'est un point fondamental que je ne développerai pas maintenant car je pense que nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de cette matinée.

Le deuxième point qui échappe à cette appréciation, c'est la vie privée du magistrat, avec la limite que lorsque celle-ci déborde sur l'image du magistrat et de l'institution judiciaire, le Conseil supérieur de la magistrature peut retenir l'existence d'une faute disciplinaire.

La jurisprudence disciplinaire du Conseil supérieur a aussi deux impératifs : l'image du juge et la qualité de la justice, non pas dans l'intérêt du magistrat mais dans celui du justiciable, cela étant dit en traçant très rapidement les grands axes de cette jurisprudence.

Le résultat principal de ce travail a été l'élaboration de véritables principes directeurs de comportement. Cette élaboration a conduit tout naturellement le Conseil supérieur, lorsqu'il a été amené à contribuer à la réflexion actuelle sur la déontologie, à se poser deux questions : d'une part, la question de la nécessité ou non d'un code de déontologie et, d'autre part, la nécessité ou non de modifier le serment, deux questions parmi celles qui ont également été abordées par la Commission Cabannes.

Cette réflexion figure dans un document du Conseil supérieur de la magistrature du 2 octobre 2003, que vous connaissez et qui a été communiqué à la Commission Cabannes au cours de ses travaux, document dans lequel, sur le premier point, le Conseil supérieur a estimé que le catalogue de principes directeurs qui existe était suffisamment précis pour qu'il ne soit pas nécessaire de créer un code de déontologie. L'existence d'un tel code, qui fait aujourd'hui l'objet d'une réflexion intéressante non seulement en France, mais aussi à l'étranger, peut présenter quelques difficultés, notamment lorsque le code est soit trop vague soit trop précis, au point d'être rapidement dépassé par l'évolution de la situation.

Le Conseil a donc considéré qu'il n'était pas nécessaire de créer un code de déontologie et qu'il valait mieux - il y a beaucoup insisté - assurer une réelle diffusion d'un catalogue détaillé des principes directeurs de sa jurisprudence assorti de l'ensemble des textes applicables en la matière.

Quant à la deuxième question, qui porte sur la modification ou non du serment, le Conseil supérieur a considéré qu'il n'était pas nécessaire, en l'état actuel des choses, de le modifier pour les raisons suivantes.

Premièrement, il a estimé que, s'il s'agit d'augmenter la lisibilité et l'accessibilité des principes, les textes actuels assortis d'un recueil des principes directeurs couvrent le champ des besoins.

Deuxièmement, le Conseil a considéré qu'il n'y avait pas lieu de modifier le fond actuel des textes.

Troisièmement, même s'il est vrai qu'on peut s'interroger sur la forme de l'actuel serment, l'ensemble des devoirs des magistrats ne peut pas se limiter aux seuls textes de la loi organique et ne peut se comprendre et s'illustrer qu'à partir de la jurisprudence développée du Conseil supérieur et du Conseil d'Etat.

Le Conseil a donc conclu à l'absence de nécessité de modifier le serment.

Voilà ce que je peux vous dire sur la première question que vous m'avez posée.

M. Maurice PEYROT -

Vous venez de parler du serment, sur lequel la Commission Cabannes a un avis particulier. Je donne la parole à Mme Fricero sur ce point.

Mme Natalie FRICERO , professeur de droit à la faculté de Nice, membre de la commission de réflexion sur l'éthique dans la magistrature -

Avant d'aborder le serment, je voudrais, en quelques mots, définir la problématique plus générale de la réflexion sur la déontologie et retracer les objectifs que la Commission entendait réaliser.

Une réflexion générale sur la déontologie avait d'abord pour objectif de rétablir la confiance qu'une partie des justiciables avait perdue dans l'autorité judiciaire. Certaines enquêtes révèlent effectivement que, pour une partie de l'opinion, les juges ne sont pas toujours placés dans une situation de responsabilité qui est à la mesure des pouvoirs nouveaux qui leur sont accordés.

Dans les nouvelles démocraties - on le sait -, dans le cadre de la réflexion déontologique, un affichage très fort et une détermination très nette des valeurs professionnelles est un gage de sécurité juridique, de performance et d'égalité entre les citoyens.

Le deuxième objectif était de consolider, par la réflexion déontologique, la légitimité du juge. Le justiciable et le juge sont liés par un pacte démocratique et le juge ne peut imposer le respect des valeurs démocratiques au citoyen que dans la mesure où il les respecte lui-même et où il le montre. Je me réfère ici à la théorie des apparences de la Cour européenne des droits de l'homme.

Le troisième objectif était, par la réflexion déontologique, de mettre l'accent sur le renforcement de l'indépendance des juges et, en même temps, sur la nécessaire protection des magistrats. La Commission Cabanes a estimé effectivement que la réflexion déontologique ne devait pas concerner seulement les devoirs et obligations renforcés des juges, mais également leurs droits et la nécessaire protection et garantie d'indépendance qui doivent entourer toutes les obligations déontologiques.

Dans ce contexte, la Commission a proposé la rédaction d'un nouveau serment. Contrairement à la position qui avait été affichée par le Conseil supérieur de la magistrature, cette proposition d'un nouveau serment répondait à deux idées force pour la Commission Cabannes.

La première est la lisibilité et la cohérence du système déontologique. En l'état actuel de la législation, l'ordonnance du 22 décembre 1958 définit des obligations déontologiques dans le serment et reprend certaines obligations dans l'article 10 du statut de la magistrature, après quoi la faute disciplinaire résulte d'une autre définition qui est celle de l'article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958.

En termes de lisibilité et de cohérence, il est apparu à la Commission que la définition de la faute disciplinaire devait correspondre à la définition des obligations déontologiques et que proposer une nouvelle définition du serment et faire de la violation de l'une des obligations contenues dans le serment la définition de la faute disciplinaire permettait d'assurer à l'ensemble du système une cohérence plus importante, une vraie cohérence, alors qu'aujourd'hui, il existe une dualité peu compréhensible puisque les mêmes termes ne se retrouvent pas dans la définition de la faute disciplinaire et dans celle des obligations issues du serment.

S'agissant du contenu du serment, qui correspond à la définition d'une nouvelle éthique, la suppression du terme "religieusement", en ce qui concerne le secret des délibérations, permettait de mettre en harmonie le serment des magistrats avec le principe de laïcité qui a été réaffirmé par la loi dans le domaine de l'enseignement.

Quant aux autres termes, je ne voudrais pas ici, compte tenu de l'impératif de célérité qui est le mien dans cette présentation, revenir sur la totalité des termes du serment, mais je vais prendre quand même quelques exemples.

En ce qui concerne le terme d'impartialité, tout le monde est d'accord sur le caractère incontesté et incontestable de cette exigence, mais on doit constater à la lecture du dispositif français interne que ni l'ordonnance de 1958 portant statut de la magistrature, ni les textes du Code de procédure civile ou du Code de procédure pénale sur la récusation ne se réfèrent au terme d'impartialité.

Bien entendu, cela ne signifie pas que l'exigence d'impartialité ne soit pas, premièrement, respectée par les juges et, deuxièmement, sanctionnée par le Conseil supérieur de la magistrature. On retrouve d'ailleurs ce terme expressément formulé dans certaines sanctions. Pour autant, dans la mesure où c'est une exigence consubstantielle à la fonction de justice, il paraît tout de même surprenant pour l'esprit qu'elle ne figure pas de manière expresse dans une obligation déontologique du juge.

C'est la raison pour laquelle, à titre essentiel, la Commission Cabannes avait proposé de l'insérer dans le serment.

Sur d'autres aspects, il s'agissait évidemment de faire cesser certaines difficultés d'interprétation relatives à certains termes du serment, et je me réfère notamment au respect du secret professionnel. Dans le serment actuel, le juge jure de garder religieusement le secret des délibérations. Or la commission Cabannes a estimé que l'unité du corps imposait que ce serment soit prêté de façon indifférenciée par les magistrats du siège et les magistrats du parquet, pour lesquels il paraît un peu paradoxal de garder religieusement le secret des délibérations.

Le secret professionnel est une obligation déontologique qui pèse sur de très nombreuses professions (les médecins, les avocats) et on imagine mal qu'un juge puisse s'exonérer de ce secret professionnel.

Voilà quelques éléments que je souhaitais apporter, sachant que nous pourrons revenir ultérieurement sur les différents termes du serment.

Pour terminer, je voudrais dire quelques mots, afin d'essayer de montrer la cohérence de la réflexion de la Commission Cabannes, sur la cohabitation entre la déontologie et la discipline, ce qui soulève évidemment, de manière indirecte, la problématique d'un code de déontologie.

La commission a été ainsi confrontée au problème de l'existence d'un code de déontologie et elle a choisi d'exclure son existence, parce que sa portée juridique dans le système normatif français lui paraissait problématique. Elle a donc estimé qu'il n'était pas possible, dans leur contenu, de dissocier les normes éthiques ou déontologiques et les normes disciplinaires. Elle a décidé d'énoncer ces normes déontologiques dans le serment et d'en faire en même temps les normes disciplinaires sanctionnées par le Conseil supérieur de la magistrature, puisque la violation du serment constitue la faute disciplinaire.

En revanche, la commission a estimé qu'une distinction entre la déontologie, l'éthique appliquée et la discipline était essentielle en ce qui concerne les sanctions proposées. En ce sens, elle a considéré que les difficultés déontologiques consistaient parfois en des difficultés para ou infra disciplinaires. Autrement dit, elle a proposé un certain nombre de mesures destinées à faire face à des comportements problématiques en termes de déontologie, mais en dehors du domaine disciplinaire. Par conséquent, la distinction entre la déontologie et la discipline se retrouve non pas dans la définition du contenu des valeurs professionnelles, mais dans les mesures de détection et de prévention qui peuvent se situer dans un champ para disciplinaire et qui constituent à la fois la traduction de la protection des magistrats et la réponse à des besoins individuels et à des désarrois déontologiques ponctuels de certains magistrats.

Voilà, pour l'essentiel, tout en ayant conscience qu'en résumant, je deviens parfois caricaturale, les résultats de la réflexion de la Commission Cabannes.

(Applaudissements.)

M. Maurice PEYROT -

Merci beaucoup. A ce stade y a-t-il quelques interventions dans la salle ? Pas encore ? Très bien. Nous y reviendrons donc tout à l'heure.

En ce qui concerne les problèmes que pose parfois l'installation des règles déontologiques, je souhaite attirer votre attention sur la compatibilité qu'il peut y avoir entre le devoir de réserve et la liberté d'expression. Qu'en pensez-vous, monsieur Dreyfus-Schmidt ?

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT , sénateur du Territoire de Belfort, vice-président honoraire du Sénat -

Je comprends que le temps est précieux, mais je voudrais quand même très rapidement dire à M. le Président du Sénat, que, vu apparemment le manque d'imagination de beaucoup de nos collègues, il serait bon de faire des stages dans les Caisses primaires de sécurité sociale, dans les hôpitaux, dans les cabinets des psychothérapeutes, dans les cabinets ministériels, etc. C'est une suggestion que je fais... (Rires.)

Cela étant dit, je suis très impressionné par la qualité de l'auditoire, comme j'ai d'ailleurs été impressionné par la qualité des membres de la Commission Cabannes.

Je dois dire que j'ai été un peu choqué par le fait que le garde des Sceaux demande à une commission entièrement nommée par lui de réfléchir à un sujet donné plutôt que de suggérer aux membres de la majorité gouvernementale de réfléchir dans les commissions des lois à tel ou tel sujet, notamment à celui-ci.

En effet, Clemenceau disait : « Le Sénat, c'est la réflexion », mais, en la matière, ce n'est pas le Sénat, comme vous le voyez, ni l'Assemblée nationale, mais une commission, étant entendu que les parlementaires n'ont même pas reçu automatiquement, puisque la distribution est maintenant limitée, les rapports de cette Commission Cabannes.

J'ai lu avec intérêt ce qui a été proposé par cette commission, de même que ce qui a été dit par le Conseil supérieur de la magistrature, qui s'est estimé compétent pour y réfléchir, et je crois qu'il a bien fait parce que cela le concerne effectivement. J'ai lu avec intérêt que cette commission a découvert que, pour rentrer à l'Ecole nationale de la magistrature, on ne demandait que le B2 et non pas le B1 et qu'il faut donc maintenant demander le B1. Il était important de réfléchir à cela.

Quant à la nécessité de faire une commission d'éthique au Conseil supérieur de la magistrature, je suis convaincu qu'il y a lieu de réformer le Conseil supérieur de la magistrature, et tout le monde a été d'accord sur un texte qui, malheureusement, n'a jamais été soumis au Congrès de Versailles. Il n'est jamais trop tard pour bien faire, sans doute, et, monsieur le Président, vous pourriez peut-être le suggérer au président de la République... (Rires.)

Cela étant dit, j'ai lu qu'il y avait beaucoup d'absents dans cette Commission Cabannes. Il y avait un avocat, un ancien bâtonnier de qualité, ce qui est une bonne chose, mais les avocats faisant souvent des stages dans les tribunaux, ils peuvent avoir leur mot à dire sur ce qu'on appelle la déontologie des magistrats.

Le public, de son côté, est complètement ignoré, notamment pour saisir quelqu'un (à mon avis, c'est le Conseil supérieur de la magistrature) s'il y a un problème et pour être au courant de ce qui se passe. Il est vrai que le Conseil supérieur de la magistrature rend maintenant compte de ses décisions, il est vrai sans les noms, ce qui fait qu'on ne sait pas bien, quand on les lit, de qui il s'agit, et il est difficile de se référer à telle ou telle jurisprudence puisqu'on a l'habitude d'appeler les décisions en général par le nom des parties.

Enfin, il semble que les syndicats ont trouvé qu'ils étaient également un peu à l'écart et qu'ils se posent ce problème car est en cause le libellé du serment des magistrats.

J'ai été frappé de constater que la première proposition soit la modification du serment. Cela aurait pu être à mon avis un aboutissement mais non pas un début. Or on commence par modifier le serment et on en tire ensuite un certain nombre de propositions et non pas de conclusions.

Il paraît qu'il faut faire de la déontologie à l'Ecole nationale de la magistrature, mais il n'y a peut-être pas besoin de loi pour cela. Pour le reste, des libertés existent et les avocats ont toujours su que certains magistrats étaient de droite, d'autres de gauche, d'autres encore du centre. Ils le savaient, eux, mais, évidemment, les magistrats ne le disaient pas. Maintenant, l'avantage, c'est que tout le monde le sait, ce qui fait que les choses sont plus claires et plus nettes.

L'essentiel n'est pas de parler de déontologie, mais de donner des moyens aux magistrats et de veiller à ce qu'ils soient de qualité. Pour cela, les moyens réglementaires ne manquent pas, me semble-t-il, et je ne suis pas convaincu que ces efforts vers une nouvelle déontologie aillent loin dans l'édification d'une éventuelle loi. Peut-être serons-nous saisis d'un projet, mais je ne pense pas que cela fasse beaucoup avancer les choses.

M. Maurice PEYROT -

Merci beaucoup. Je n'ai pas tout à fait la réponse à ma question, mais j'insiste quand même sur la liberté d'expression.

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT -

Dans la mesure où je vous ai dit que je pensais qu'il ne valait pas la peine de changer les choses à cet égard, notamment le serment, conformément à l'avis du Conseil supérieur de la magistrature (on comprend très bien ce qu'il veut dire), je réponds à votre question.

M. Maurice PEYROT -

Merci. Y a-t-il des réactions à ce propos de M. Dreyfus-Schmidt ?

Mme Natalie FRICERO -

Je tiens simplement à préciser que la commission, avant d'élaborer sa réflexion sur la déontologie, a auditionné les personnes auxquelles vous faites référence, notamment des sénateurs...

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT -

Deux sénateurs.

Mme Natalie FRICERO -

...et a largement pris en compte les auditions des syndicats de magistrats auxquelles elle a procédé.

Quant à la proposition de modifier le serment avant la proposition sur les mesures spéciales, la commission a raisonné d'une façon simple qui consiste à partir du général pour aller au spécial ensuite, de partir d'une réflexion générale pour aller vers les obligations déontologiques avant de voir les différentes mesures qui permettaient, le cas échéant, d'assurer à la fois la sanction d'un comportement problématique et la protection des magistrats soumis à une difficulté déontologique.

M. Maurice PEYROT -

Une autre réaction dans la salle ?

M. Dominique BARELLA , président de l'Union syndicale des magistrats -

J'ai une question concernant l'entrée éventuelle dans le champ disciplinaire des actes juridictionnels. Pensez-vous que cette entrée éventuelle dans le champ disciplinaire inclurait également les jurés d'assise et les assesseurs des conseils de prud'hommes, quand on est en départition, toutes juridictions qui peuvent faire l'objet d'un appel ?

M. Maurice PEYROT -

Pardonnez-moi, monsieur Barella, mais ce sujet va être repris tout à l'heure dans une autre partie de notre débat. Malheureusement, nous ne disposons que d'une matinée alors que, comme vous venez de le montrer, ce débat est un vaste sujet qui demanderait beaucoup plus de temps...

M. Dominique BARELLA -

J'avais terminé. Comme vous aviez posé le problème, qui est sans doute le plus important auquel nous serons confrontés, je répondais à votre intervention, mais j'en ai terminé avec cette question que je voulais poser. Les intervenants pourront y répondre quand ils le voudront, bien entendu.

M. Maurice PEYROT -

Ce n'était pas pour vous priver d'une intervention. Je souhaitais simplement préciser dès maintenant que pour ce débat, qui demanderait plusieurs jours d'échanges, nous ne pourrons que tracer des pistes.

Pour le moment, nous allons en terminer sur la règle déontologique en évoquant notamment le sondage qui a été fait auprès des magistrats sur les propositions de la Commission Cabannes. Je donne la parole à M. Davost sur ce point.

M. Patrice DAVOST , directeur des services judiciaires -

En ce qui concerne le questionnaire qui a été adressé à l'ensemble des magistrats, sur les 7 147 magistrats, il y a eu 2 546 réponses, soit 36 % de réponses, ce qui est assez faible, et, sur ces 2 546 réponses, 746 propositions de réforme et de modification, soit 29,5 %.

Ces 746 propositions viennent d'être exploitées et transmises à la Commission Cabannes qui rendra son rapport définitif vers le mois d'octobre. Je ne peux donc pas m'expliquer sur le fond des réponses apportées, le garde des Sceaux ne s'étant pas encore exprimé et la Commission Cabannes étant en possession de ces questionnaires afin de compléter son rapport définitif.

Cela étant, on peut dire qu'en ce qui concerne les chiffres, dans les dix dernières années, les sanctions disciplinaires prononcées par le parquet ou le CSM siège ont été multipliées par quatre. Des années 1983 à 1992, il a été rendu 20 décisions et il en a été rendu 92 de 1993 à 2003, dont 35 depuis l'année 2000, et 54 avertissements qui constituent non pas des mesures disciplinaires mais des mesures à coloration disciplinaire.

Voilà ce que je voulais dire en ce qui concerne les chiffres.

M. Maurice PEYROT -

Comme nous sommes un peu privés du reste, nous allons passer au deuxième volet de cette table ronde, qui concerne le rôle de la hiérarchie.

B. LE RÔLE DE LA HIÉRARCHIE

Dans un milieu aussi spécifique que la magistrature, ce n'est pas vraiment une autorité ou un commandement. Cela devrait être aussi -je pense que c'est souvent le cas- un rôle de conseil, de réflexion, voire de soutien moral. Pour certains, ce rôle apparaît comme la solution la moins contraignante et, peut-être, la plus efficace face à certaines dérives, réelles ou supposées. Mais ce rôle à aussi d'autres aspects. Pouvez-vous nous en parler, monsieur Sudre ?

M. Jean-Paul SUDRE -

J'en parlerai en indiquant que, parmi les propositions qui ont été faites par le Conseil supérieur de la magistrature en ce qui concerne la prévention, la détection et le traitement des éventuels problèmes de comportement, le Conseil a élaboré, dans ces différents domaines, toute une série de propositions concrètes dont je dois dire qu'elles ont abouti à une certaine convergence avec le travail fait par la Commission Cabannes puisque, lorsque le rapport de la Commission a été diffusé au mois de novembre, le Conseil supérieur a pu constater qu'une série de réflexions techniques et pratiques était reprise dans les propositions de cette Commission.

Le rôle spécifique des chefs de cour et des chefs de juridiction est à mon avis un point extrêmement important parce que, dans notre réflexion, ce rôle est apparu à la fois au stade de la prévention, au stade de la détection et au stade du traitement. Il faut bien distinguer, même s'ils sont complémentaires, les rôles des chefs de juridiction et celui ds chefs de cour.

Les chefs de cour d'appel ont, naturellement, dans les textes, l'exercice du pouvoir disciplinaire et ils l'ont à la fois dans leur capacité de saisine du Conseil supérieur, capacité nouvelle depuis 2001, et dans leur rôle de chefs hiérarchiques des magistrats de leur cour.

Les chefs de juridiction, quant à eux, ont un rôle extrêmement important auprès des magistrats : rôle de sensibilisation aux difficultés de la juridiction, rôle de connaissance du magistrat lui-même, rôle d'indicateur d'alerte du fonctionnement de la juridiction. Le chef de juridiction a donc véritablement un rôle central en termes de prévention et de détection des éventuels problèmes, mais il est aussi -c'est très important- l'instance de référence pour les collègues magistrats, celui vers lequel, normalement, ils vont se tourner lorsqu'ils rencontrent une difficulté.

Dans les propositions qu'a faites le Conseil supérieur, celui-ci a bien mis en exergue le fait qu'il s'agissait d'un rôle complémentaire, d'un rôle d'information du chef de cour et de concertation avec lui (de telle manière que, lorsqu'un véritable problème disciplinaire se pose, le chef de cour en soit informé immédiatement et prenne ses responsabilités en déclenchant éventuellement une enquête ou en saisissant le Conseil supérieur de la magistrature au vu des éléments dont il dispose), mais en ayant aussi, pour ce dialogue privilégié entre le chef de cour et le chef de juridiction, le souci d'une certaine cohérence dans le traitement des difficultés.

Le Conseil supérieur a d'ailleurs proposé clairement, pour les chefs de juridiction, un véritable pouvoir de mise en garde du magistrat, lorsque c'est nécessaire, car le chef de juridiction est le mieux placé pour intervenir au stade de l'infra disciplinaire, qui compte autant dans le fonctionnement quotidien, en termes de prévention, que le stade disciplinaire.

Le rôle des chefs de juridiction est donc essentiel, de même que celui des chefs de cour qui ont, eux, la vision d'ensemble de la situation dans la cour d'appel et qui sont en mesure d'assurer un traitement cohérent des difficultés rencontrées.

Je crois qu'il faut insister sur le fait qu'il ne peut pas y avoir de rôle efficace des chefs de juridiction et des chefs de cour sans une concertation et une diffusion d'informations permanente entre les deux. C'est l'un des points sur lesquels nous sommes parvenus à une identité de vue avec la Commission Cabannes. Il y en a d'autres, mais j'y reviendrai peut-être ultérieurement.

M. Maurice PEYROT -

La Commission a notamment proposé d'attribuer au chef de cour ce rôle de veille déontologique.

Mme Natalie FRICERO -

L'idée fondamentale était de créer un espace déontologique distinct de la discipline qui permettait d'assurer des mesures de prévention et de traitement. En effet, la veille déontologique, qui se situe dans le cadre d'un phénomène d'autorégulation des problèmes éthiques, reposait également sur un renforcement des pouvoirs des chefs de cour en liaison avec les chefs de juridiction, et l'idée de cette veille déontologique était d'adapter les mesures de protection et de prévention des comportements attentatoires à la déontologie de manière interne, selon des modalités très souples qui permettaient d'avoir des entretiens avec les magistrats et de donner des conseils aux magistrats en difficulté afin d'éviter un retentissement sur l'activité juridictionnelle et de faire cesser le comportement attentatoire à la déontologie.

Le souci de la Commission n'était pas d'élaborer de façon précise une veille déontologique, mais néanmoins une procédure permettant d'obtenir une certaine homogénéité des pratiques dans toutes les juridictions, puisque le souci était de prévoir des mesures adaptées à chacun des comportements, et donc des mesures diversifiées.

L'intérêt de la veille déontologique est de garantir l'indépendance des magistrats par un phénomène d'auto-régulation et, bien entendu, d'éviter des problèmes disciplinaires ultérieurs éventuels.

M. Jean-Paul SUDRE -

Je souhaite ajouter une précision, qui nous semble très importante dans notre réflexion, sur les pouvoirs des chefs de cour. Lorsqu'on examine avec eux les difficultés qu'ils rencontrent en matière de détection et de traitement des problèmes de comportement, on constate souvent que ces difficultés se posent en termes d'enquête et notamment de moyens d'investigation qui apparaissent insuffisants.

Sur ce point, le Conseil a proposé une amélioration de la procédure en proposant que les chefs de cour puissent directement saisir l'Inspection générale des services judiciaires. C'est un point essentiel parce que, en l'état actuel des choses, il existe une sorte de déséquilibre entre la possibilité qu'ont les chefs de cour de saisir le Conseil supérieur de la magistrature en tant qu'autorité de poursuite et le fait qu'ils ne disposent pas des moyens de l'Inspection lorsqu'ils ont besoin de réaliser une enquête approfondie sur un dysfonctionnement.

Cela fait que, pendant quelque temps, l'on s'est demandé si les chefs de cour confrontés à cette difficulté allaient pouvoir utiliser leur droit de saisine disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature.

Je pense donc que la possibilité qui leur serait accordée de saisir l'Inspection serait une avancée significative en termes de moyens d'investigation.

Sans aller forcément jusqu'à une régionalisation de l'Inspection, comme cela a été proposé, le Conseil s'est plutôt prononcé pour un renforcement des moyens de l'Inspection, mais c'est un autre débat.

M. Patrice DAVOST -

Je ne vais pas parler à la place de M. l'Inspecteur général sur le problème de la saisine directe de l'Inspection générale par les chefs de cour, mais je souhaite simplement indiquer que, si la Commission Cabannes préconise une veille déontologique (et il semble que nous soyons à peu près tous d'accord sur ce point), en réalité, les chefs de cour la réalisent d'ores et déjà, bien évidemment, et qu'ils le font souvent avant que des poursuites soient engagées soit par l'évaluation régulière des magistrats avec lesquels ils sont, soit par l'inspection des juridictions à laquelle ils procèdent, soit par le contrôle des présidents de chambre d'instruction et des cabinets d'instruction, outre le pouvoir qu'ils ont désormais, depuis 2001, de saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature s'ils estiment qu'il y a un manquement caractérisé à l'article 43 du statut de la magistrature.

Il y a également un dialogue entre les chefs de cour et la chancellerie sur les manquements qui sont susceptibles de caractériser d'éventuelles fautes et qui impliquent des demandes d'explication ou d'audition avant d'engager des poursuites disciplinaires.

Cette veille existe quand même et il ne faut pas croire que rien n'est fait. Je répète que, dans les dix dernières années, 92 magistrats ont été sanctionnés par les formations, soit du siège, soit du parquet, du Conseil supérieur de la magistrature statuant disciplinairement.

M. Maurice PEYROT -

Suite à votre intervention, nous aimerions justement avoir l'avis d'un chef de cour. Vous avez la parole, monsieur Falletti.

M. Dominique BARELLA -

Sera-t-il possible d'avoir la parole dans la salle ?

M. Maurice PEYROT -

Aussitôt après M. Falletti.

M. Dominique BARELLA -

Je veux bien que l'on parle de déontologie au moment où nous discuterons de la LOLF, mais nous en sommes encore ici dans la partie I qui est intitulée " Une exigence accrue de rigueur" et je vois qu'il est 11 h 30. Soit vous nous dites que la salle n'a plus la parole, auquel cas vous continuez à débattre et nous partons, soit nous pouvons débattre. C'est une question de choix !

M. François FALLETTI , procureur général près la Cour d'Appel de Lyon -

Comme nous parlons de chef de cour depuis un petit moment, je suis content de pouvoir dire quelques mots, mais je vous rassure : ce sera très bref parce que je pense être en situation de confirmer la plupart de ce qui a été dit jusqu'à présent sur la manière dont tout chef de cour, naturellement, doit appréhender cette démarche.

La veille déontologique est évidemment essentielle. Le président Poncelet rappelait tout à l'heure que nous sommes dans une situation dans laquelle la justice est sur le devant de la scène, et il est évident que tout dysfonctionnement ou toute difficulté de perception dans le comportement d'un magistrat prend très vite une dimension et une proportion considérables.

Dans ce contexte, il est évident qu'un chef de cour, de même qu'un chef de juridiction, bien entendu, est particulièrement attentif. Il travaille naturellement avec ce souci de proximité par rapport à ses collègues et on sait bien qu'il y a plusieurs types de comportements à problèmes.

Il y a, certes, des comportements dans lesquels c'est l'attitude même du magistrat, sa vie privée et un certain nombre de choses qui posent des problèmes qui éclatent sur la place publique, auquel cas, évidemment, on arrivera vite sur un terrain disciplinaire, mais, le plus souvent, Dieu merci, ce sont des situations dans lesquelles il s'agit plutôt d'accompagner la démarche d'un collègue qui se trouve en difficulté. Cela se passe dans la proximité avec le chef de juridiction et je pense vraiment que l'échelon du chef de cour est bien adapté, dans la mesure où il permet d'avoir un recul suffisant par rapport au contact quotidien que peut et doit entretenir le chef de la juridiction, dans certaines situations, avec un collègue qui se trouve dans une situation difficile.

C'est comme cela que je conçois la chose et, le cas échéant, parce que, Dieu merci, nous n'avons pas ces situations au quotidien, je suis preneur d'éléments d'information qui me sont donnés par le niveau national pour situer l'attitude et le comportement dans une cohérence plus générale.

Tout cela est lié à la démarche que l'on doit avoir également, dans le cadre de la vérité, dans l'évaluation biannuelle et nous y sommes évidemment attentifs.

Voilà ce que peut dire un chef de cour, sommairement, sur une préoccupation très présente dans l'esprit sur ce terrain de la déontologie et du travail au quotidien.

M. Maurice PEYROT -

Merci. Je tiens à être précis car nous avons une demande assez forte concernant le troisième sujet qui va être évoqué bientôt, mais auparavant, pour épuiser celui que nous traitons à présent, je vais demander à M. Christian Raysseguier d'évoquer l'Inspection générale des services dans la mesure où, parallèlement au contrôle hiérarchique, il arrive que certains éléments peuvent justifier l'intervention de ce service.

M. Christian RAYSSEGUIER , inspecteur général des services judiciaires -

Je comprends parfaitement l'argumentation pertinente du CSM et des chefs de cour afin d'obtenir une sorte de « droit de tirage » sur l'Inspection pour qu'ils puissent faire des enquêtes dans le cadre de saisines disciplinaires éventuelles qu'ils envisageraient, mais il faut bien dire qu'actuellement, à droit constant, c'est absolument impossible, dans la mesure où l'Inspection dépend directement du ministre, elle n'est saisie que par le ministre et ne rend compte qu'au ministre.

Si une évolution des textes permettait cette saisine de l'Inspection par les chefs de cour, il se poserait à mon sens un vrai problème d'impartialité objective des investigations que l'Inspection serait amenée à conduire pour le compte des chefs de cour et qui seraient bien évidemment versées, s'il y a, derrière tout cela, une poursuite disciplinaire, au dossier disciplinaire. Cela pose un problème d'impartialité objective, parce que, même si on va vers une réforme de l'Inspection en l'érigeant en véritable corps, ce qui est tout à fait compatible avec sa nature, et malgré cette évolution qui permettrait aux chefs de cour de saisir, il n'est pas envisageable de déconnecter complètement l'Inspection du ministère de la justice.

Une Inspection générale dépend du ministre et y est rattachée car elle n'a pas que des missions disciplinaires. Les missions de contrôle du fonctionnement des juridictions est certainement le coeur de son métier, mais nous avons bien d'autres missions que j'englobe sous le thème de "missions thématiques". Nous avons de plus en plus des missions d'étude, d'audit pour le compte du ministre, de plus en plus en interministériel, et nous pourrons d'ailleurs en parler lorsque nous évoquerons les problèmes de gestion et de LOLF.

L'Inspection a donc vocation à mener différents types d'enquête qui imposent le maintien de son rattachement au Garde des Sceaux, ce qui pose le problème de l'impartialité objective des inspecteurs s'ils étaient amenés à conduire des investigations pour le compte des chefs de cour.

Cela étant, il est clair qu'il y a actuellement un vide et un besoin des chefs de cour à cet égard, ce qui peut être corrigé par différentes propositions. La première d'entre elles, c'est que l'Inspection termine de réfléchir sur une réactivation des liens suivis et formatés de l'inspection avec les chefs de cour. Au mois de juin, nous allons proposer au garde des Sceaux un projet de service de l'Inspection qui, je pense, sera homologué (je le présenterai ensuite aux conférences des premiers présidents et des procureurs généraux à la rentrée, au mois de septembre) et qui consiste à mettre en place un dispositif de suivi renforcé des cours d'appel non pas dans un souci de contrôle ou d'inspection des chefs de cour mais dans l'intention de les aider et de leur donner des outils techniques et des conseils, ceux-ci pouvant porter notamment sur le domaine disciplinaire.

Cela dit, je crois que les chefs de cour doivent s'interroger sur leur timidité puisque seulement 50 avertissements ont été prononcés, ce qui est très peu. J'ajoute que, dans la plupart des dossiers qui viennent à l'Inspection pour enquête à vocation disciplinaire, on s'aperçoit que les signes avant-coureurs d'une dérive ou d'un comportement anormal étaient parfaitement édifiants et que rien ne s'est passé, c'est-à-dire que la procédure d'avertissement, qui n'est pas une procédure disciplinaire mais qui est quand même un signal fort en direction d'un collègue qui dérive, n'a pas été utilisée.

Par conséquent, sans aller de façon aventureuse vers une possibilité de saisine de l'Inspection par les chefs de cour, il y a déjà cette possibilité de mettre à leur disposition des inspecteurs référents, pour les aider dans leurs nouveaux pouvoirs disciplinaires.

Quant au deuxième point, dont on peut parler en deux mots et qui est expérimental, l'idée est de délocaliser une partie de l'Inspection, à titre expérimental, auprès d'une ou plusieurs cours d'appel et, plus tard, avec un maillage territorial complet pour permettre, avec des inspecteurs sur le terrain, au plus près des chefs de cour, de les aider et de leur donner des outils et des conseils dans les différentes missions qui sont les leurs : le disciplinaire, la gestion et l'administration, qui devient, comme vous le savez, de plus en plus technique.

Cette expérimentation a été avalisée par le garde des Sceaux, qui l'a retenue dans la Stratégie ministérielle de réforme (SMR) du ministère de la justice pour les années à venir.

M. Maurice PEYROT -

Merci. Peut-on parler brièvement de la saisine pour avis du CSM qui est parfois demandée parce que des sujets suffisamment épineux justifient cette demande ?

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT -

Sur ce sujet, monsieur Peyrot, j'aimerais que vous donniez la parole à M. Barella qui la demande depuis une heure, car il n'y a pas de raison qu'il en soit exclu, après quoi je demanderai moi aussi la parole sur ce sujet.

M. Maurice PEYROT -

Je donne auparavant la parole à Mme Fricero.

Mme Natalie FRICERO -

Je ne sais pas si je vais oser reprendre la parole, mais je vais intervenir en une phrase. Dans le cadre de la construction de cet espace déontologique, la Commission Cabannes avait proposé qu'une formation spéciale du CSM composée de membres qui ne statueraient plus sur la nomination et la discipline puisse délivrer des avis concernant certains problèmes de déontologie pour expliquer les choses en dehors du champ disciplinaire, traduire certaines obligations déontologiques et donner des avis à des magistrats qui seraient soumis à des difficultés et qui aimeraient avoir la réponse d'un organisme officiel offrant les garanties constitutionnelles de son indépendance.

Cette formation pourrait être saisie par tous les magistrats, et la Commission s'est inspirée d'exemples à l'étranger, notamment au Canada, où ce type de commission existe, fonctionne parfaitement et délivre des avis anonymes publiés et diffusés pour l'information et la formation des magistrats.

M. Maurice PEYROT -

Merci beaucoup. Je donne donc la parole à M. Barella.

M. Dominique BARELLA -

Je pense que, dans un débat au Sénat, nous devons la vérité aux sénateurs. Je remercie donc M. Raysseguier d'avoir tenté de lever un coin du voile.

Depuis des années, les uns et les autres, tous les magistrats qui se donnent du mal et qui passent des heures dans les tribunaux, nous savons que quelques collègues posent des problèmes. Or, depuis des années, les gardes des Sceaux n'ont pas suffisamment saisi le Conseil supérieur de la magistrature. Depuis que le pouvoir de saisine a été donné aux chefs de cour, il n'y a pas eu suffisamment de saisines.

Ce que nous avons demandé, nous, au ministre de la justice, Dominique Perben, c'est de faire un véritable audit disciplinaire, parce que nous en avons assez, en tant que magistrats, de nous donner du mal chaque jour et de voir notre réputation technique et disciplinaire salie à longueur de journaux tout simplement parce que certains n'ont pas voulu prendre leurs responsabilités en mutant à égalité ou en envoyant en promotion, depuis cinquante ans (mesdames et messieurs les Sénateurs, c'est la vérité, c'est ce qui se passe dans la magistrature !), des gens qui ont des problèmes psychologiques, qui sont parfois ivres à l'audience, qui vont jusqu'à faire pipi ou se masturber ! C'est ainsi, tout un corps de personnes qui se donne du mal, qui se voit ensuite couvert d'une espèce de drap de l'opprobre.

Ne croyez-vous pas qu'il faudrait lancer un audit disciplinaire sérieux et arrêter les pratiques de promotions "sanctions" ?

(Applaudissements.)

M. Maurice PEYROT -

Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous souhaitez réagir.

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT -

Sur ce sujet, je voudrais dire effectivement quelques mots.

Tout d'abord, je crois que le rapport de la Commission Cabannes a été envoyé à tous les magistrats. Dès lors, je ne vois pas la nécessité qu'on nous répète à chaque fois et sur chaque sujet ce que contient le rapport Cabannes, ce qui nous permettra de gagner du temps.

En ce qui concerne l'Inspection des services, vous nous avez dit, monsieur l'Inspecteur général, que vous voyiez difficilement qu'elle ne soit pas rattachée au garde des Sceaux parce qu'elle a d'autres missions. La solution est très simple : il s'agit de faire deux corps, l'un pour s'occuper de la déontologie et un autre pour les autres missions, sachant que seul ce dernier serait rattaché au garde des Sceaux.

Enfin, c'est évidemment au CSM qu'il faut donner la compétence, mais il faut aussi permettre au public de saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature... (vives protestations) , lequel demandera aux magistrats sur place, aux chefs de cour et aux inspections de procéder à une enquête. C'est le seul moyen d'éviter qu'il n'y ait pas d'étouffement.

M. Maurice PEYROT -

Je vous laisse réagir, monsieur Raysseguier, après quoi d'autres personnes pourront le faire dans la salle.

M. Christian RAYSSEGUIER -

Une brève réponse sur l'idée des deux inspections. Bien évidemment, c'est un scénario qui est déjà connu et sur lequel on a réfléchi. La seule difficulté que je voudrais souligner, c'est que le disciplinaire et le fonctionnement des juridictions se tiennent parfois et sont très proches. Pour pouvoir apprécier le comportement professionnel d'un magistrat, pour éventuellement envisager des poursuites disciplinaires derrière, cela passe souvent aussi par une appréciation du fonctionnement de la juridiction.

Il se pose notamment le problème de la charge de travail. En tant qu'Inspection, nous sommes souvent saisis, en pré-disciplinaire (puisque nous ne sommes pas au disciplinaire) pour des problèmes d'insuffisance professionnelle grave. C'est comme dans la vie : « tout n'est pas noir ou blanc ». Il faut donc voir l'insuffisance professionnelle, au regard des conditions de travail, de l'organisation du tribunal ou de la capacité de management et de direction des chefs de cour ou de juridiction.

Par conséquent, il est aventureux, à mon sens, de faire une « petite » inspection uniquement sur le disciplinaire et une « grosse » inspection technique sur le fonctionnement et les grands problèmes de société que connaît la justice, et ce n'est pas satisfaisant.

M. Maurice PEYROT -

Quelqu'un veut-il réagir dans la salle ? Tout à l'heure, il y a eu un mouvement sur la déclaration de M. Dreyfus-Schmidt et je pense qu'il doit pouvoir se verbaliser. Pas de réaction ? C'est dommage.

M. Jean-Paul SUDRE -

Je souhaite intervenir sur la saisine pour avis déontologique du CSM. C'est une proposition que le Conseil supérieur a faite en considérant que cette saisine devait être ouverte le plus largement possible, c'est-à-dire non seulement aux chefs de juridiction, aux chefs de cour et, bien évidemment, au garde des Sceaux, mais également aux magistrats à titre individuel.

Cela dit, on peut se demander si ceux qui, à titre individuel, devraient se poser des questions d'ordre déontologique, vont effectivement saisir cette opportunité.

Au bout du compte, dans sa réflexion, le Conseil supérieur de la magistrature s'est posé la question de l'ouverture éventuelle ou non à d'autres intervenants (vous avez parlé, monsieur le Sénateur, des justiciables). C'est une question qui se pose et qui s'est posée aussi à l'étranger puisque, dans certains systèmes, cette possibilité existe.

Le Conseil supérieur de la magistrature a considéré -et la Commission Cabannes l'a rejoint sur ce point- qu'il existait actuellement une série de dispositifs pratiques mis en oeuvre au niveau de la Chancellerie, des cours d'appel et des juridictions pour être saisis et répondre aux réclamations des justiciables. Dans le document du Conseil comme dans celui de la Commission Cabannes, sur ce point particulier, la faculté, pour un justiciable, de saisir pour avis le Conseil supérieur de la magistrature d'une réclamation a été écartée. En revanche, on a insisté sur la possibilité d'organiser concrètement, pratiquement et de manière très efficace, comme c'est d'ailleurs le cas dans la plupart des cours d'appel, le traitement des réclamations des justiciables.

Il ne faut donc pas considérer que les justiciables n'ont pas accès à la justice sur ce point. Tous les acteurs qui sont présents dans cette salle le savent bien : nous recevons quotidiennement des requêtes soit par l'intermédiaire de la Chancellerie, soit au niveau des cours d'appel, soit dans les juridictions et nous y répondons.

M. Maurice PEYROT -

M. Falletti voudrait dire quelques mots, après quoi nous passerons à notre troisième sujet.

M. François FALLETTI -

Je tiens à souligner très brièvement le fait que les réclamations des justiciables qui, le plus souvent, sont adressées au garde des Sceaux et sont transmises aux cours d'appel sont instruites et traitées et qu'elles donnent lieu à réponse.

C'est une forme de recours hiérarchique, en tout cas pour le parquet, sur les classements sans suite et un certain nombre de choses et cela donne lieu -c'est vrai- à des délais de procédure qui sont longs et qui, ensuite, sont analysés. En effet, il peut y avoir des problèmes temporaires de fonctionnement dans une juridiction, des problèmes d'absence ou de remplacement, mais j'insiste sur le fait que ce sont des révélateurs et que tout cela est analysé.

A ce propos, je vous informe qu'une expérience très intéressante se déroule en ce moment sur l'expérimentation des greffiers assistants renforcés des magistrats, notamment sur ce terrain de la gestion des requêtes. Ce sera peut-être une transition pour passer au sujet suivant, mais les indicateurs sont de plus en plus nombreux.

Nous avons des indicateurs sur la durée des procédures. Personnellement, quand je vois une instruction qui dure six ou sept ans, je me pose des questions. Certes, quand on voit qu'un dossier est passé entre les mains de plusieurs magistrats instructeurs, on comprend mieux pourquoi le dossier a pris six ou sept ans, mais tout cela doit donner lieu en effet à des conclusions constructives et positives pour éviter que les choses se renouvellent.

Il y a donc, d'une part, la réponse ponctuelle aux justiciables, qui mérite de tirer des conséquences d'une affaire particulière, et, d'autre part, des réflexions plus générales qui doivent être tirées à partir des réclamations, des tableaux de bord et des différents outils dont nous disposerons de plus en plus.

M. Patrice DAVOST -

On parle de la responsabilité des magistrats et du disciplinaire, mais il faut savoir que les magistrats sont très souvent attaqués et vilipendés, qu'au-delà de cela, l'Etat se doit d'apporter au magistrats une protection statutaire, selon l'article 11 du statut, qu'une cellule a été mise en place à la Direction des services judiciaires et qu'elle peut être saisie immédiatement.

L'année dernière, 80 magistrats, contre 15 ou 20 il y a quelques années, ont bénéficié de la protection statutaire, ce qui représente 480 000 € par an. Il est important de savoir que cette protection statutaire est largement accordée, qu'elle est de droit et qu'elle concerne maintenant, depuis la loi de 2003, les conjoints et les enfants. Il ne faut donc pas hésiter à la mettre en oeuvre, parce qu'on se rend compte tous les jours que les magistrats font l'objet de réclamations et d'attaques parfois injustifiées, notamment en matière de diffamation ou d'injures. Ils peuvent donc bénéficier d'une assistance juridique, d'une indemnité ou d'une assistance psychologique, s'il y en a besoin, en cas de menace.

Je voulais le dire parce qu'on ne parle que de responsabilités disciplinaires alors qu'il y a aussi le devoir de l'Etat et de la Chancellerie, devoir qu'elle assume, d'assurer la protection statutaire des magistrats attaqués.

(Applaudissements.)

M. Maurice PEYROT -

Cela nous amène à notre troisième sujet, à savoir cette difficulté qui consiste à contrôler et à assurer les garanties nécessaires du magistrat, qui est un sujet délicat.

C. LES GARANTIES NÉCESSAIRES DU MAGISTRAT

Jusqu'où cela peut-il aller ? Si le principe du contrôle du juge se conçoit fort bien, il se heurte à la limite constituée par un autre principe : celui de l'indépendance nécessaire du magistrat. En conséquence, la responsabilité du juge s'arrête là où commence son activité juridictionnelle. Cette protection, cette digue qui existe quasiment depuis toujours va-t-elle tenir encore longtemps ?

J'ai retrouvé un document que Mme Commaret (avocat général à la cour de Cassation) a écrit en 2003, sachant qu'elle avait tenu quasiment les mêmes propos en 1999, et dans lequel elle indiquait : « Il peut paraître paradoxal que le coeur même du métier de juge échappe à toute mise en jeu de la responsabilité du magistrat. Aussi, des voix s'élèvent-elles pour remettre en cause le maintien absolu de cette césure, et il est vrai que l'interrogation n'est pas dénuée de pertinence en présence d'une erreur grossière dans l'application du droit ». Mme Commaret faisait référence, en l'espèce, aux décisions assorties de l'exécution provisoire.

Si une telle responsabilité est instaurée et si elle s'étend, verra-t-on des juges souscrire des assurances ou téléphoner à leur propre avocat avant de rédiger leur décision d'une main tremblante ? L'hypothèse ne paraît pas acceptable. Cependant, on ne peut plus continuer (et j'ai entendu quelques propos dans la salle que je suis obligé de partager en tant que vieux témoin, malheureusement, de l'institution judiciaire) à faire semblant de croire que les voies de recours actuelles suffisent pour tout arranger.

Depuis quelque temps, et non pas seulement ces dernières semaines, certaines affaires ont révélé d'incontestables dysfonctionnements, pour employer un euphémisme. Si vous me permettez de le dire, en près de trente ans de pratique judiciaire, j'ai vu la justice s'emparer de certaines infractions et se cristalliser sur elles dans un crescendo de procès pour s'arrêter brusquement, avec une certaine gêne, quand il apparaissait que, dans cet emballement de la machine judiciaire, toutes les poursuites n'avaient pas forcément été réalisées dans la plus grande sérénité.

Vous vous souvenez certainement de plusieurs types d'infraction, depuis les infractions médicales jusqu'à la corruption et, maintenant, d'autres infractions pour lesquelles les poursuites commencent bien et finissent mal. On ne peut pas faire semblant de dire que tout cela n'existe pas.

Cela étant dit, le débat sur la responsabilité du juge et sur ses garanties d'indépendance ne pourra pas se faire en trois minutes. Encore une fois, comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est un débat qui demanderait plusieurs jours (le Sénat envisagera peut-être de le faire), mais nous allons quand même tenter, en quelques minutes, d'apporter quelques pistes.

M. Jean-Paul SUDRE -

Je souhaite intervenir sur ce point, parce que je crois qu'on ne peut pas terminer cette première partie de débat sur la déontologie et la discipline sans répondre aux questions concernant l'appréciation des actes juridictionnels. C'est fondamental, je l'ai dit tout à l'heure dans mon propos introductif et il faut absolument y revenir maintenant.

A cet égard, je souhaite dire qu'il existe une confusion totale dans la présentation qui a été faite dans le public de la problématique de la responsabilité. Ce matin, nous sommes sur le terrain de la responsabilité disciplinaire. Or il faut savoir que le magistrat -on le dit souvent bien que cela ne soit pas repris- est aussi soumis à une responsabilité pénale et à une responsabilité civile.

Si la responsabilité disciplinaire présente quelques liens et quelques points communs avec les responsabilités civile et pénale, il faut cependant circonscrire le débat. La question que vous posez m'amène à répondre que l'un des liens entre responsabilité disciplinaire et responsabilité civile, est le problème du contrôle des actes juridictionnels. La question qui se pose est de savoir si, oui ou non, un magistrat doit devenir responsable civilement et être sanctionné disciplinairement pour un acte juridictionnel. C'est la question récurrente dans tous les commentaires.

A mes yeux -mais je pense ne pas être le seul à le penser-, c'est une question essentielle car c'est le coeur du métier de juge. Si on a toujours exclu l'acte juridictionnel du régime disciplinaire, sauf pour quelques rares exceptions (notamment lorsque le juge est véritablement "hors de lui", comme le dit un commentateur, c'est-à-dire lorsqu'il n'a accompli, malgré les apparences, qu'un acte étranger à toute activité juridictionnelle), le principe est que la seule critique possible des décisions de justice est l'usage des voies de recours et non pas l'usage de la procédure disciplinaire.

Cela s'explique, et on peut constater que les explications ne sont pas beaucoup reprises par ceux qui font éventuellement des commentaires ou sont amenés à intervenir sur les affaires dont vous disiez tout à l'heure qu'elles étaient en cours. J'ai deux éléments essentiels à préciser sur ce point.

Premièrement, l'acte juridictionnel a une spécificité toute particulière et on peut presque parler d'un standard international. En effet, on ne situe pas seulement dans un cadre purement franco-français et il existe une spécificité de l'acte juridictionnel qui est reconnue par l'ensemble des textes qui traitent de ce problème : je peux citer notamment la Charte européenne sur le statut des juges ou les réflexions du Conseil consultatif des juges européens du Conseil de l'Europe qui excluent la responsabilité personnelle du fait de l'acte juridictionnel.

Cette spécificité de l'acte juridictionnel est liée à la mission même du juge. La vérité judiciaire n'est pas la vérité journalistique. Elle se construit dans l'acte de juger, qui est lui-même extrêmement difficile. Je veux dire par là que, lorsqu'une situation de fait est examinée par des magistrats, qu'ils soient juges ou magistrats du parquet, c'est une situation évolutive qui peut changer au cours de l'instance, qui peut être présentée selon des points de vue différents et qui est examinée avec des règles qui peuvent également changer. Comme il s'agit d'une vérité judiciaire relative, je ne vois pas comment l'on pourrait traiter les différences ou les erreurs d'appréciation comme des fautes individuelles alors qu'elles relèvent de l'exercice des voies de recours qui intègre la notion d'une possible erreur des premiers juges.

J'insiste donc d'abord sur cette spécificité de l'acte juridictionnel qui est au coeur du métier de magistrat.

Deuxièmement, il convient de prononcer ce matin un mot important, sachant que le Conseil supérieur de la magistrature a aussi cette mission : le mot d'indépendance du juge et d'indépendance de l'autorité judiciaire.

Si on conçoit cette indépendance comme étant dans l'intérêt du juge ou du corps lui-même, on fait une erreur d'analyse. L'indépendance est conçue dans l'intérêt du justiciable. Il s'agit, comme je l'ai dit tout à l'heure, pour un justiciable, d'avoir la certitude de bénéficier d'une décision à l'abri de toute influence, quelle qu'elle soit. Cette notion d'indépendance, qui est la deuxième raison d'être de l'impossibilité de statuer disciplinairement sur une activité juridictionnelle, est fondamentale car c'est là que le juge s'exprime et rend sa décision avec toute sa liberté d'appréciation.

Si, demain, l'on a une justice dans laquelle les juges devront rendre compte de leur activité juridictionnelle au plan disciplinaire et même, pour aller plus loin (ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui mais je l'indique quand même), au plan de la responsabilité civile, on perd de vue le standard démocratique minimal que l'on est en droit d'attendre d'une grande démocratie.

On parle beaucoup de liberté de la presse ; on parle beaucoup moins de l'indépendance de l'autorité judiciaire et du rôle du juge. Je considère -et je ne suis pas le seul à le penser- que ces deux valeurs démocratiques ont autant d'importance l'une que l'autre mais que l'on parle beaucoup moins de la seconde qui est au coeur du métier du juge.

(Applaudissements.)

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT -

Je ne suis pas loin d'être d'accord avec ce qui vient d'être dit, sous deux réserves, ou même peut-être trois, mais vous avez vous-même admis l'exceptionnel : sur ce point, il est normal que l'Etat couvre les juges. Les avocats sont assurés lorsqu'ils font des erreurs, avec des franchises qui sont prévues : il pourrait en être de même pour les juges.

Vous avez parlé des recours. Tout d'abord, il y a de moins en moins de collégialité. Lorsqu'une juridiction est collégiale -la question a été posée tout à l'heure-, il est évidemment beaucoup plus difficile de rechercher la responsabilité. C'est d'ailleurs une grande garantie d'indépendance, et je déplore que depuis trente ans, de plus en plus (on l'a fait encore dans Perben 2), on ait recours au juge unique, ce qui est tout à fait regrettable.

(Applaudissements.)

Par ailleurs, les pouvoirs du juge du premier degré sont de plus en plus étendus, sans appel possible, ce qui fait que le seul recours possible est la Cour de Cassation. Non seulement cela prend du temps, mais cela coûte de l'argent alors qu'évidemment, à cet égard, il faut prévoir que ces recours ne coûtent pas au contribuable. Cela met en cause les plafonds et peut permettre aussi de généraliser les recours, dans l'intérêt de la loi, effectués par les parquets ou le garde des Sceaux afin que les contribuables ne soient pas obligés de faire ce recours qui prend du temps et qui coûte cher.

M. Patrice DAVOST -

Je ne souhaite pas polémiquer, monsieur le Sénateur, et je suis tout à fait partisan, comme vous, de la collégialité, mais, dans ce cas, que le politique (le mot étant pris au sens large) nous donne les moyens de siéger en collégialité.

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT -

Cela fait aussi trente ans que je le dis.

M. Patrice DAVOST -

Dans ce sens, je vous rejoins.

M. Maurice PEYROT -

Pas d'autres intervenants sur ce sujet à la tribune ? Je vais donc vous demander de reformuler votre question, monsieur Barella, et même de l'enrichir si vous le souhaitez.

M. Dominique BARELLA -

Dans le cadre de l'entrée dans le champ disciplinaire de l'acte juridictionnel, pensez-vous qu'il est envisageable d'inclure (on ne voit pas pourquoi ce ne serait pas le cas) la responsabilité, comme juge occasionnel, du juré, de l'assesseur prud'homal, c'est-à-dire de l'assesseur élu, des juges du tribunal de commerce et des assesseurs près des tribunaux pour enfants ? En effet, à partir du moment où on estime que le juge, c'est-à-dire celui qui va participer à une collégialité ou qui va prendre seul une décisionl, peut voir sa responsabilité disciplinaire engagée du fait de cette décision même, pourquoi l'arrêter au niveau du juge professionnel ?

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT -

Et la Cour de justice de la République ?

M. Dominique BARELLA -

Si vous le souhaitez, monsieur le Modérateur, on peut aller jusqu'à la Cour de justice de la République, évidemment.

Cela pose la question du recours, et je fais ici un petit clin d'oeil aux parlementaires. Quand le Conseil constitutionnel censure un texte de loi, il ne viendrait à l'idée de personne de penser qu'il y a une faute professionnelle du député parce qu'il aurait omis de prendre en compte la réalité de la Constitution. Je vous envoie ce petit clin d'oeil pour vous dire que, nous aussi, nous sommes devant des doutes jurisprudentiels. Vos doutes touchent la jurisprudence du Conseil constitutionnel et les nôtres peuvent porter sur la jurisprudence de la Cour de Cassation, par exemple.

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT -

Le recours des parlementaires devant le Conseil constitutionnel ne leur coûte rien.

M. Jean-Paul SUDRE -

J'avais cru comprendre (c'est l'état actuel de la jurisprudence, qu'il s'agisse du terrain de la jurisprudence disciplinaire ou du terrain de la responsabilité), qu'il n'était pas question de faire entrer l'acte juridictionnel dans le champ de la discipline ni dans celui de la responsabilité, et je me suis exprimé sur ce point tout à l'heure. Par conséquent, le problème, de ce point de vue, ne me paraît pas devoir changer en l'état actuel des choses.

Dans la formulation de la question telle qu'elle a été présentée, il semblait inévitable qu'un jour ou l'autre, on se pose cette question, mais, en l'état actuel de la jurisprudence et des textes, ce n'est pas du tout le cas et ce n'est pas du tout souhaitable. Je ne pense donc pas que ce danger soit réel.

Quant au terrain de la responsabilité, qui n'est pas dans notre débat d'aujourd'hui mais que nous pouvons évoquer, les choses sont claires : responsabilité de l'Etat du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice et possibilité de rechercher la faute professionnelle du magistrat en liaison avec le dysfonctionnement du service, mais seulement sur le fondement de l'action récursoire de l'Etat.

J'indique pour terminer que, dans le cadre d'une liaison intelligente entre la procédure disciplinaire et ce contentieux de la responsabilité de l'Etat sur le fonctionnement défectueux du service public de la justice, le Conseil supérieur a proposé depuis bien longtemps qu'à chaque fois qu'une décision est rendue sur le terrain de la responsabilité de l'Etat, cette décision soit communiquée au garde des Sceaux et aux chefs de cour pour que l'on examine si, éventuellement, derrière le fonctionnement défectueux, la caractérisation d'une faute disciplinaire pourrait justifier des poursuites. Voilà le seul lien important, mais ténu, entre les deux domaines.

Il n'est donc pas question, pour l'instant, en l'état des textes et de la jurisprudence, de considérer comme inévitable cette mise en cause de la responsabilité du juge au plan disciplinaire pour ses activités juridictionnelles.

M. Dominique BARELLA -

Ma question n'était pas posée aux membres du Conseil supérieur de la magistrature, dont je me doutais bien qu'ils connaissaient le droit positif, mais à M. Cointat, puisque l'ensemble des chroniqueurs et des journalistes nous informent souvent du caractère très aigu de ce débat à l'intérieur des groupes parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat.

M. Christian COINTAT , sénateur des Français de l'Etranger, rapporteur pour avis de la Commission des lois du budget de la Justice -

C'est une question effectivement extrêmement sensible. N'oubliez pas que la justice est rendue au nom du peuple français et donc que le peuple français a le droit de s'exprimer et de réfléchir sur la question.

Il est vrai que, dans l'opinion publique, il y a une tendance à aller dans cette direction, mais je crois -je vous parle ici à titre tout à fait personnel- que les remarques faites par M. Sudre sont pertinentes. Il est évident que si on veut pouvoir rendre la justice dans la sérénité, il ne faut pas le faire avec un glaive au-dessus de la tête.

Cela étant dit, quand des recours sont faits et quand le jugement est annulé ou cassé parce qu'il y a eu une faute grave, on peut très bien envisager, au niveau de l'organisation de la justice, que des mesures disciplinaires soient prises, mais au niveau de la justice et non pas au niveau du citoyen.

Ce serait peut-être une façon d'équilibrer les choses, et vous avez d'ailleurs abordé ce point tout à l'heure. On ne peut pas accepter, comme l'a dit M. Barella, qu'un certain nombre de magistrats soient indignes de l'être. Il y en a très peu, mais il y en a, comme partout ailleurs : dans toute collectivité d'hommes et de femmes, certains ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. Cependant, on ne peut pas non plus toucher à l'indépendance de la justice et à sa sérénité, car ce n'est que dans la sérénité qu'elle peut être rendue. N'oubliez pas que la meilleure des justices, d'abord et avant tout, est celle qui est comprise par les justiciables.

M. Christian RAYSSEGUIER -

Au risque de répéter ce qui a été dit, je crois qu'il faut faire un distinguo dans ce contrôle juridictionnel.

Pour ce qui est de l'acte juridictionnel lui-même, qui est le coeur de la décision, il est clair qu'il ne peut y avoir aucun autre contrôle que les voies de recours. Ainsi, il pourrait être désolant de voir des juges qui, fondamentalement, jugent mal, qui percutent les principes fondamentaux du droit, qui participent d'une méconnaissance grave du droit, qui bousculent d'évidence l'équité et le bon sens. Ce serait désolant mais la seule la possibilité qui resterait ouverte pour les citoyens serait l'exercice des voies de recours.

Cela étant, pour tout ce qui entoure la décision elle-même, c'est-à-dire notamment le respect des délais (par exemple le cas du juge qui rend ses décisions trop tard, voire qui ne les rend pas, ce qui constitue un déni de justice), si on prend ces aspects en compte, notamment au regard de la répétitivité, on entre dans une légitimité de contrôle disciplinaire de l'activité juridictionnelle du juge. Nous le faisons d'ailleurs parfois dans nos saisines.

Mme Natalie FRICERO -

C'est le cas aussi dans le cadre de la responsabilité de l'Etat.

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT -

J'ai un peu une mentalité d'avocat non pas du diable, mais de tous ceux qui ne sont pas là. Il est évident qu'ici, nous avons surtout des magistrats qui voient difficilement que l'on puisse mettre en cause leur propre portefeuille dans la manière dont ils rendent la justice. Cependant, il est vrai qu'il faut viser des cas exceptionnels et que, si on imagine l'hypothèse d'une faute grave et volontaire -je l'ajoute-, il n'y a pas de raison que la responsabilité personnelle et financière ne soit pas mise en cause.

M. François ZOCCHETTO , sénateur de la Mayenne -

Au risque de répéter ce que disent certains de mes collègues sénateurs à la Commission des lois, je voudrais préciser nettement les choses : nous n'avons pas de réflexion, ni même de début de réflexion, qui tendrait à inclure l'acte juridictionnel dans la responsabilité disciplinaire du magistrat. Par nature, ce n'est pas possible et nous sommes nombreux à partager ce point de vue. Il n'y a donc pas de réflexion en cours sur ce sujet.

M. Maurice PEYROT -

Je ne sais pas si cela rassurera complètement l'assistance.

Mme Laurence VICHNIEVSKI , présidente du TGI de Chartres -

Je me ferai l'écho de certains de mes collègues ici présents, qu'ils soient chefs de juridiction ou non, en vous remerciant, monsieur le Sénateur, car vous nous rassurez. En effet, il n'y a pas de sujet et je pense qu'il y a une confusion extraordinaire qui n'est peut-être pas entretenue toujours de façon neutre. Je ne vois pas comment le champ du disciplinaire pourrait interférer avec le champ du juridictionnel, sans quoi nous n'exercerons plus nos métiers, à l'instar des médecins qui se demandent s'ils vont encore soigner.

Certes, nous sommes tenus à une obligation de moyens de standard très élevé et, en cela, l'exigence professionnelle que l'on doit attendre de nous doit être forte, mais nous ne sommes pas tenus à une obligation de résultat. Par définition, le juge fait au moins un mécontent. Par conséquent, monsieur le Sénateur, lorsque vous avez évoqué le recours possible au CSM pour le public, l'assemblée ne pouvait que réagir, car on voit bien que tout justiciable mécontent va pouvoir saisir le CSM et que ce n'est pas la bonne manière.

Nous le répétons : la bonne manière est l'exercice des voies de recours. Pour n'évoquer que des affaires récentes qui émeuvent beaucoup, à juste titre, l'opinion publique, il n'y a pas eu qu'une seule décision juridictionnelle : tout le processus de l'appel a confirmé des décisions que l'on conteste aujourd'hui.

Il est vrai que ce n'est pas le débat aujourd'hui, mais des interlocuteurs manquent, notamment la presse, dans un contexte environnemental qui a pu pousser aussi l'ensemble de l'institution à statuer où à prendre des décisions dans tel ou tel sens.

A Chartres, nous avons 80 % d'affaires d'abus sexuels dans nos cours d'assises et nous pourrions donc en parler puisque, en filigrane, c'est le procès d'Outreau que l'on évoque beaucoup aujourd'hui. Au prétexte d'une affaire complètement regrettable qui doit nous amener les uns et les autres à nous poser des questions mais qui, malheureusement, se reproduira certainement, je ne suis pas sûre qu'il serait bien raisonnable de repenser complètement le système.

(Applaudissements.)

M. Maurice PEYROT -

Nous sommes habitués au fait que l'on dise qu'à chaque fois qu'il se passe quelque chose, c'est de la faute de la presse, mais nous assumons...

(Réactions diverses.)

La question qui me semble la plus intéressante est la suivante : que ce soit le procès d'Outreau ou d'autres procès qui ont lieu depuis dix ou quinze ans et qui ont révélé un peu les mêmes choses, même s'il y a des choses que nous ne savons pas encore, il est certain que le fonctionnement, vu du public (je suis un membre du public, sans plus), n'est pas toujours satisfaisant et que les voies de recours ne sont pas toujours suffisantes. Il y a même des gens qui ne peuvent pas les utiliser pour des raisons financières...

(Réactions diverses.)

Il y a des choses complexes et cela me semble incontestable. La question n'est pas forcément de mettre en cause personnellement le juge, d'autant plus que, dans l'affaire que vous venez d'évoquer -mais il n'y a pas que celle-là-, il y a eu une série de décisions, il s'est passé des choses et il y a eu un emballement qu'il m'est arrivé de constater bien avant dans d'autres affaires. N'y aurait-il pas un verrou à mettre quelque part pour que cet emballement ne se produise pas ?

Dans la salle :

Pourquoi cet emballement s'est-il produit ? Qui l'a provoqué ?...

M. Franck NATALI , avocat -

Je suis avocat et j'ai été convié à suivre vos débats au nom de la Conférence des bâtonniers. J'interviendrai donc comme témoin plutôt que comme participant direct, puisque j'ai cru comprendre que le débat portait essentiellement sur le statut de la magistrature et les règles de fonctionnement disciplinaires et que j'avais vu dans l'énoncé de votre colloque le titre : « Le juge et l'exigence d'excellence ».

Comme c'est l'une des préoccupations du barreau et des réformes qui ont été mises en place pour la formation des avocats, je me disais que j'allais entendre sans doute, sur la formation, la qualité de la décision et, de la même manière, à l'inverse, pour nous, avocats, la qualité de notre contribution, des débats qui seraient assez semblables à ceux que nous rencontrons.

Je voudrais faire simplement trois brèves observations.

Premièrement, je dirai qu'en tant qu'avocats, que professionnels, nous sommes confrontés à cette exigence d'excellence. On nous en demande de plus en plus, de manière de plus en plus spécialisée, et nous avons mis en place des spécialisations au sein de la profession d'avocat. Ensuite, on nous a dit que nous n'étions pas assez formés. Nous avons donc ajouté six mois de formation à la formation préalable (nous en sommes à 18 mois), et je vois maintenant des jeunes confrères qui arrivent sur le terrain professionnel avec bac + 7, des DEA et des DESS et qui, malheureusement, ne trouvent pas toujours un travail parce que notre profession est souvent dévalorisée aux yeux du public, ce que je regrette profondément.

Deuxièmement, en ce qui concerne la déontologie et les règlements intérieurs harmonisés, je me dis que la profession a progressé depuis 1991 puisque nous avons mis en place un règlement intérieur harmonisé et que la déontologie est au coeur de nos débats. En effet, il n'y a pas de défense digne sans le respect des règles déontologiques. Concernant ce que vous disiez tout à l'heure sur la déontologie, même si le juge n'est pas à la même place, nous participons tous à la même oeuvre qui est celle de rendre une justice et cela résonnait fortement.

Enfin, j'ai entendu parler de cette affaire (qui n'est d'ailleurs pas encore jugée et sur laquelle il me semble qu'il faut garder une certaine réserve, y compris dans l'appréciation de ce qui a pu se passer) et je voudrais faire deux très brèves observations. En effet, j'ai occupé mes fonctions de bâtonnier dans un tribunal de la périphérie parisienne et j'ai été confronté au fonctionnement d'une juridiction à cette place bien particulière qui est celle du bâtonnier, qui reçoit à la fois les plaintes de ses confrères, les plaintes des justiciables et, parfois même, les plaintes des magistrats.

Il me semble en tout cas que l'on éviterait sans doute beaucoup de problèmes et de difficultés si on échangeait plus et si on discutait plus avec ceux qui, malgré tout, sont en première ligne de défense ou de représentation des intérêts puisque ce sont eux qui préparent les assignations et qui reçoivent beaucoup de justiciables. Je déplore qu'il n'y ait pas assez de dialogue entre un bâtonnier, un magistrat président de tribunal et un procureur, mais je tiens à dire que cela se fait de plus en plus et qu'à chaque fois, c'est payant.

On l'a fait pour la défense pénale, ce qui a permis de mettre en place des protocoles, et on l'a fait pour la procédure civile, ce qui a permis de mettre en place des conventions de procédures. Lorsque ces discussions ont lieu, même de manière informelle parfois, on peut percevoir, quand on veut bien les voir, les dysfonctionnements et les difficultés. Il s'agit donc là du problème de la déresponsabilité et du dysfonctionnement de l'institution.

Il reste la question de la responsabilité, sur laquelle nous pouvons simplement vous donner notre expérience professionnelle. Aujourd'hui, je pense que personne ne dit qu'on va juger le juge pour la décision qu'il a rendue. Cependant, c'est au titre de la jurisprudence européenne, si on reprend tout le débat sur le dépassement du délai raisonnable dans la manière dont les décisions ont été rendues, que le débat est arrivé. C'est bien l'Europe qui nous a dit : « Vous prenez trop de temps pour juger ou vous jugez mal » (cela concerne les moyens, notamment le respect du contradictoire et les dispositions des articles 15 et 16 du Code de procédure civile) et qui a ajouté : « Aujourd'hui, nous avons des assurances de responsabilité professionnelle, mais nous ne venons pas vous dire que nous mettons en cause éventuellement votre diagnostic ou votre appréciation de l'affaire mais que vous n'avez pas mis en oeuvre tous les moyens pour arriver à une décision ou un résultat et nous avons toute une jurisprudence qui s'élabore pour savoir si l'avocat a mis en oeuvre tout ce qui relevait de ses possibilités au plan pratique, au plan technique et au plan des connaissances pour obtenir la meilleure décision. »

Voilà l'état du débat tel qu'il peut se poser pour nous, sans vous parler des problèmes de discipline, qui sont à mon avis d'un tout autre ressort.

Je terminerai en disant que nous devons échanger et discuter davantage parce qu'il est possible que certaines de nos expériences servent aux magistrats. Pour revenir au point liminaire sur la formation, lorsqu'il a été dit tout à l'heure qu'il faudrait un jour qu'il y ait davantage de formation commune, je tiens à dire que je suis de ceux qui le pensent.

(Applaudissements.)

M. Maurice PEYROT -

Merci. Il reste deux intervenants auxquels je demanderai de s'exprimer brièvement, après quoi nous passerons à notre dernier sujet.

M. Yves BOT , procureur de la République du TGI de Paris -

Je suis un peu inquiet par certaines propositions que j'ai entendues. Je sais bien, monsieur le Sénateur (nous ne sommes pas des étrangers l'un pour l'autre), que vous avez toujours le chic pour animer une salle et la réveiller, mais si on se borne à l'examen des derniers sondages qui sont parus sur le degré d'insatisfaction des Français vis-à-vis de leur justice et si on retient votre proposition, cela veut dire qu'environ 69 % de Français vont écrire au Conseil supérieur de la magistrature ou à l'Inspection pour se plaindre du juge.

De quoi le Français va-t-il se plaindre ? Par définition, il va se plaindre d'une décision juridictionnelle et cette accumulation de plaintes va entraîner automatiquement la perte de la légitimité de l'institution judiciaire, puisqu'elle sera ostensiblement bafouée par des gens au nom de qui elle est censée statuer. Autrement dit, je crains que, politiquement, au sens noble du terme, ce soit un danger majeur que l'on fera courir à cette institution, car la perte de la légitimité est, tout simplement, la porte ouverte à l'annexion de cette autorité par un pouvoir.

Aussi, quand on formule ce genre de proposition, je pense qu'il faut prendre véritablement conscience de tous les risques qui peuvent en découler.

Par ailleurs, s'agissant toujours de la mise en oeuvre de la responsabilité juridictionnelle du juge, vous parliez tout à l'heure d'une hypothèse dans laquelle elle serait possible, c'est-à-dire lorsqu'il aurait été commis une faute particulièrement grave et volontaire, mais il manquait un exemple à votre exposé et je serais intéressé de voir si, dans cet exemple, à supposer qu'il puisse être réel, il n'y aurait pas aussitôt une réponse qui pourrait être apportée pas les voies actuelles de la mise en cause de la responsabilité.

Enfin, permettez-moi, sur une affaire à laquelle il a été fait allusion tout à l'heure, de dire que si juger l'activité juridictionnelle ou mélanger le juridictionnel et l'appréciation du fait des juges revient, comme certains le font dans la presse ou dans les médias et comme certains, même parmi nous, risquent peut-être de s'y laisser entraîner, à faire le procès d'un procès avant qu'il soit fini, c'est-à-dire à faire le procès d'un magistrat, dont -je le dis- je suis tout à fait heureux de le compter parmi mes collaborateurs, avant même qu'il soit venu déposer devant une cour d'assises, si c'est cela, la mise en cause de la responsabilité du juge pour ses fonctions juridictionnelles qui est envisagée pour demain, je vous dis tout de suite que je n'en veux pas !

(Applaudissements.)

M. Maurice PEYROT -

Trois mots sur ce sujet, monsieur Dreyfus-Schmidt, et nous passons à la suite.

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT -

Je suis tout à fait d'accord, monsieur le Procureur, sur ce que vous avez dit sur le procès d'Outreau, et vous ne nous avez pas entendus, en ce qui nous concerne, prendre position sur ce procès, car il faut effectivement attendre qu'il soit terminé même si la presse est friande de dysfonctionnements.

Cependant, il est vrai qu'on ne tire pas assez les leçons de l'expérience. On ne l'a pas fait suffisamment en matière de garde à vue, dont on sait qu'elle donne lieu à des aveux qui ne sont pas sincères, ce qui n'a pas empêché le législateur d'étendre cette garde à vue à 96 heures dans beaucoup de cas. C'est ma première observation.

Quant à ma deuxième observation, je n'ai pas demandé que la saisine par les justiciables du Conseil supérieur de la magistrature donne lieu obligatoirement à suite. Il est évident qu'il faut un tri qui sera très vite fait : nous avons tous l'habitude d'avoir des lettres de gens qui sont manifestement déséquilibrés ou se plaignent de choses dont ils n'ont pas à se plaindre et c'est très facile à classer sans suite immédiatement.

(Réactions diverses.)

En revanche, il ne faut pas que, dans les cas dans lesquels les justiciables sont fondés à se plaindre, il n'y ait pas de suite ou que les réponses n'interviennent que très longtemps après. C'est pourquoi je continue à penser que le Conseil supérieur de la magistrature doit pouvoir être saisi et vérifier que les cas qui nécessitent une enquête soient suivis d'effet.

M. Maurice PEYROT -

Merci beaucoup. Comme on le voit et comme c'était prévisible, le débat est loin d'être clos et nous l'avons à peine effleuré.

Cependant, nous allons passer à notre dernier sujet qui concerne une autre contrainte du juge : la contrainte financière ou budgétaire.

* * *

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page