RENCONTRES SÉNATORIALES DE LA JUSTICE



Palais du Luxembourg - Mardi 8 juin 2004

II. UN MAILLON PERFECTIBLE

Bilan et perspectives deux ans après le rapport de la Commission d'enquête du Sénat relative à la délinquance des mineurs préconisant des réponses judiciaires plus claires, plus progressives et effectivement mises en oeuvre.

Mme Laure de VULPIAN - Le temps passe très vite, nous allons passer à la deuxième partie de cette table ronde ; De la même façon que l'on disait « Justice, maillon faible »,  on peut dire aussi « Justice, maillon perfectible ».

La commission d'enquête sénatoriale avait fait un certain nombre de propositions. Par exemple, réconcilier l'éducation et la sanction. Certaines ont déjà été appliquées, notamment l'une assez importante dont M. Carle va nous parler : la procédure de jugement à délai rapproché, qui permet à la Justice d'apporter aux mineurs une réponse plus claire parce que plus rapide et plus visible.

M. Jean-Claude CARLE -

La longueur des réponses, le temps pour apporter une réponse à un jeune qui avait commis un acte délictueux nous avait frappés. Entre-temps, il en avait commis beaucoup d'autres. Pour un jeune qui a des difficultés à se projeter dans le temps, le juger quinze mois voire deux ans après..., çà n'a aucun sens.

Toutefois, il ne nous a pas paru nécessaire de faire une comparution immédiate. C'est peut-être efficace pour les adultes mais sûrement pas pour des mineurs. Nous avons donc souhaité trouver une formule adaptée, qui est celle du délai rapproché, afin de faire en sorte que le jugement soit prononcé dans un délai compatible, compréhensible par le jeune et aussi par la victime, car je crois que nous l'avions un peu oubliée. Nous nous sommes inspirés de la Hollande. Un délai compréhensible aussi par la société qui attend une réponse. C'est pourquoi, nous avons proposé et mis en place dans la loi le délai à jugement rapproché.

Mme Laure de VULPIAN -

Sylvianne Holtz-Deseez, cette solution vous semble-t-elle efficace, positive ?

Mme Sylviane HOLTZ-DESEEZ -

Cette solution a été mise en oeuvre sur Nanterre il y a un ou deux ans. Il y a une vingtaine de cas par an, et actuellement, elle n'est plus du tout appliquée.

La procédure est particulièrement complexe pour le Parquet. M. Tallec pourra peut être nous le dire. J'ai l'impression que c'est une usine à gaz pour le Parquet, qui ne peut le faire qu'après recueil de renseignements sur la personnalité du jeune, puisqu'il y a des contraintes pour utiliser cette procédure. Il doit donc rassembler des éléments.

En outre, le Parquet doit notifier les charges au mineur en présence d'un avocat. Le Parquet de Nanterre a abandonné cette procédure depuis plusieurs mois parce que les moyens ne sont pas suffisants, en termes de greffiers et de magistrats. Cela demande beaucoup de temps à un substitut d'appliquer cette procédure.

Je me suis demandé pourquoi la possibilité de procédure de jugement à délai rapproché ne serait pas également donnée au juge des enfants, lorsque le mineur lui est déféré, afin qu'il donne une date d'audience devant le tribunal pour enfants. Pourquoi est-ce le Parquet seul qui donnerait la date d'audience au mineur et pas le juge des enfants ? Il faudrait que ce soit le juge des enfants du secteur qui prenne cette décision, parce que le juge de permanence n'a pas la connaissance ni tous les éléments pour estimer s'il est préférable de juger le mineur rapidement ou d'attendre le résultat des mesures éducatives.

Mme Laure de VULPIAN -

Est-ce si difficile à mettre en place, M. Tallec ?

M. Yvon TALLEC -

Non. Je veux insister sur l'intérêt que présente cette procédure, tant pour le Parquet que pour les juges du Siège. Au moins à Paris, il y a consensus sur l'intérêt de la procédure.

La lourdeur de mise en oeuvre est toute relative. Ce qui est fait à un moment donné ne sera pas à faire plus tard, notamment l'audiencement. C'est donc à relativiser. Nous nous sommes lancés dans cette procédure de manière massive puisque 83 mineurs en ont fait l'objet en 2003 et nous en sommes à plus de 50 mineurs en 2004.

La difficulté est ailleurs et il faut l'évoquer. Avec cette procédure, la justice des mineurs est confrontée à la problématique suivante, un peu comme la SNCF au passage des TGV au détriment des trains Corail. Pour faire passer cette procédure, nous sommes obligés de ralentir le traitement des autres procédures, eu égard à la charge de nos audiencements.

Les juges des enfants, en concertation avec le Parquet, ont convenu qu'un certain nombre de dossiers pourraient être mis à chaque audience dans le cadre de cette nouvelle procédure. Seulement, dès lors que nous mettons des dossiers de délais rapprochés aux audiences, les autres affaires souvent plus lourdes et plus graves d'instruction, sont audiencées sur des délais plus longs. Tout un dosage doit être assuré.

Cela étant, cette procédure est intéressante dans la mesure où elle oblige aussi à plus de relations et de discussions sur une politique commune entre magistrats du Parquet et magistrats du Siège.

En matière de traitement de la délinquance juvénile, il est essentiel que chacun sur son secteur -comme cela a été indiqué en parlant du problème de la sectorisation- essaie d'utiliser tous les moyens mis à sa disposition par le législateur.

Pour des raisons techniques de délais, dans la mesure où, pour les plus de 16 ans, la date d'audience doit être entre 10 jours et un mois, avec une fréquence d'une audience sectorisée par mois, un tiers du temps n'est pas couvert, ce qui conduit à audiencer sur un juge qui n'est pas celui du secteur ce qui pose problème.

En effet le législateur ayant prévu -et c'est heureux- que cette procédure soit utilisée pour des mineurs, déjà connus pour lesquels des informations sont retirées des dossiers existants, ou bien pour lesquels des investigations suffisantes ont été faites par les services de Police, cela doit conduire à pouvoir saisir le juge de secteur déjà saisi ou connaissant le contexte local du mineur.

Voilà ce que je peux dire sur cette procédure, qui peut présenter beaucoup de portée pour certains mineurs. Plus le mineur est en difficulté, plus il a du mal à comprendre une décision de Justice qui intervient très longtemps après les faits et qui perd tout son sens parce qu'elle s'applique sur une personnalité qui a trop changé entre-temps pour pouvoir retravailler sur les faits reprochés.

Nous avons à réfléchir ensemble sur cette procédure qui présente un grand intérêt.

Geneviève LEFEVRE-CHRETIEN , Juge des Enfants au Tribunal de Grande Instance de Paris -

Je suis chargée des mineurs isolés au Tribunal de Paris. J'ai été frustrée par la rapidité du débat sur la question. Je ne veux pas revenir sur le débat précédent mais j'en dirai deux mots.

En matière pénale, en tout cas à Paris, ces mineurs délinquants, pour la plupart d'entre eux, ne mettent pas en question la sécurité publique. Ils sont certes des fauteurs de troubles, ils troublent l'ordre public mais ne commettent pas d'agression sur les personnes.

Ils commettent des infractions contre les biens, parce qu'ils sont dans des situations de danger où ils ont été mis ou se sont placés -on aura l'analyse que l'on veut. Avant d'être dangereux, ce sont des mineurs en danger. En matière de délinquance, ils sont tous contraints par d'autres à commettre des délits parce que pour vivre dans un squat, pour vivre dans la rue, il faut avoir des protecteurs adultes et cela se paie.

Ils ont aussi été envoyés par leurs familles pour gagner de l'argent, celles-ci ne sachant pas forcément dans quelles conditions ils allaient se retrouver. Ils ont un mandat et des obligations par rapport à leurs familles.

Les réponses pénales sont complètement inadaptées par rapport à ces mineurs. On fait de la justice virtuelle au plan pénal à leur égard. Ces jeunes étant sans domicile, il est difficile de les convoquer à la bonne adresse, de les revoir, de mener une mesure éducative tant qu'on n'a pas créé un lien immédiat avec eux.

Les structures institutionnelles éducatives de milieu ouvert sont relativement inadaptées parce qu'elles ont perdu des logiques d'action immédiate et d'accompagnement dans leurs déplacements. Cela suppose une organisation que ces structures n'ont plus actuellement.

Pour pouvoir les aider, les sortir, et nous sortir également, de ces situations qui pourrissent le climat des villes, il faut donc trouver des passerelles entre l'institution et eux. Lorsque l'on en trouve, tel le dispositif Versini -qui porte maintenant un autre nom- qui prévoit des équipes de rue qui peuvent aller au contact de ces jeunes, qui parlent leur langage et les mettent en confiance, on voit des jeunes qui viennent demander protection parce qu'ils sont capables d'abandonner un bénéfice immédiat pour un bénéfice qu'ils pensent plus durable.

Pour ces mineurs qui sont dans des logiques de survie, la logique est éducative. Le jour où ces enfants sont placés, ils ne commettent plus de délits. Ils ne fuguent pas à partir du moment où ils ont demandé le placement et sont au contraire dans une logique de sur-adaptation qui peut même, à certains égards, paraître inquiétante. Je pense donc que la logique pénale est inadaptée.

Pour revenir à la question de la comparution à délai rapproché, on a pu penser que la réponse était adaptée, au moins en matière de logique judiciaire, parce que, donnant une convocation à un jeune présent au moment de son déferrement, il sera jugé contradictoirement qu'il soit présent ou pas. C'est un gros avantage sur le plan de l'efficience de la décision et sa capacité d'exécution.

A cet égard, d'une part, cette procédure ne s'imposait pas à mon sens dans la mesure où nous avions déjà -et où nous avons toujours- les comparutions à bref délai, c'est à dire dans un délai d'un mois à trois mois sur réquisition du Procureur de la République et à tout moment de la procédure.

Donc, ces réquisitions pour juger les jeunes à délai court ont l'avantage de ne pas porter atteinte à la justice des mineurs qui requiert une instruction préalable au jugement.

Dans le cas d'un jugement à bref délai, le jeune a été déféré devant le juge des enfants, qui l'a entendu, qui éventuellement a pris les mesures éducatives qui s'imposaient et qui, sur réquisition du Procureur, a fixé une date d'audience contradictoire à laquelle le jeune sera jugé, qu'il soit présent ou non.

A la fois sur le principe et aussi au plan éducatif, c'est beaucoup plus intéressant. Les éducateurs du Service Educatif auprès du Tribunal de Paris qui ont à intervenir, notamment en prison, dans le cadre du jugement à délai rapproché pour des mineurs isolés -c'est à dire des mineurs peu connus puisque volatiles-, ne peuvent pas proposer de solutions éducatives dans un délai de trois semaines à un mois. C'est beaucoup trop court.

Mme Laure de VULPIAN -

Un éducateur peut-il se prononcer sur la procédure de jugement à délai rapproché ? Non ? Mme Holtz-Deseez.

Mme Sylviane HOLTZ-DESEEZ -

La procédure de jugement à délai rapproché n'est pas suffisamment souple. Ainsi lorsque l'éducateur qui recherchait depuis longtemps une structure éducative pour accueillir le jeune, trouve enfin une place, on se trouve devant une difficulté lorsque le jeune est en détention provisoire dans le cadre de cette procédure. Si l'on veut placer immédiatement ce jeune, il faut qu'il demande d'abord sa mise en liberté pour faire revenir l'affaire devant le tribunal pour enfants, seule juridiction habilitée pour donner mainlevée du mandat de dépôt.

Cela suppose une mobilisation importante de la part du juge des enfants, du substitut, du service de l'audiencement, de l'avocat et de l'éducateur pour trouver une date rapidement. Cela représente une charge de travail supplémentaire non négligeable pour tout le monde.

Si on attend que l'affaire vienne normalement à la date fixée, la structure éducative qui avait une place disponible 8 ou 20 jours plus tôt, aura sans doute pris un autre jeune, ne pouvant se permettre de laisser une place libre trop longtemps.

M. Patrick ARDID -

Je voudrais apporter une précision car j'ai l'impression que l'on fait un peu le procès de cette procédure.

A Toulon, nous l'avons mise en place. Cela s'est concrétisé à la mesure de notre délinquance, pour environ vingt mineurs déférés, conformément au terme de la loi, de manière multirécidiste, souvent assez violents. La quasi-totalité d'entre eux ont été incarcérés, jugés dans les délais prévus par la loi. Souvent, d'ailleurs, l'incarcération est allée au-delà du jugement.

Tout le monde y a trouvé son intérêt, le mineur que nous avons réussi à poser par rapport à l'acte, posé aussi en termes d'exigences après la détention pour le réinsérer. C'est notre travail. Lorsque nous avons eu des problèmes d'audience, nous en avons rajouté. Nous sommes venus travailler, nous avons pris des dossiers en plus. Il n'y en a pas tant que cela. Vingt en un an et demi, ce n'est quand même pas une surcharge énorme de travail ! Nous y avons trouvé un confort de travail considérable, les éducateurs également, ceux de la PJJ qui travaillent en maison d'arrêt également.

A tous points de vue, cette procédure est apparue comme la bienvenue pour des cabinets qui accusaient jusqu'à quatre ans de retard dans la délinquance.

Beaucoup de cabinets de juges pour enfants accusent des retards considérables et j'entends encore que des affaires de 1998 sont jugées dans les tribunaux pour enfants. Il faut mettre l'accélérateur.

Mme Laure de VULPIAN -

La question fait débat et malheureusement, nous ne pouvons pas le prolonger.

Je voudrais que l'on voie maintenant d'autres propositions faites par la commission sénatoriale : celles qui ont été mises en oeuvre depuis, par la loi, comme le développement des mesures de réparation et des travaux d'intérêt général, la création de sanctions éducatives applicables aux plus jeunes ou la détention provisoire en matière délictuelle pour les 13 à 16 ans, quand le contrôle judiciaire n'est pas respecté, et par exemple, quand un mineur fugue d'un CEF (centre éducatif fermé).

La palette de mesures est devenue vraiment large. Certains disent qu'elle est devenue totalement illisible. Large aussi dans le type de structures proposées avec les centres éducatifs fermés. Ce n'était pas une proposition de la Commission d'enquête, par contre, le Sénat ne s'est pas opposé à cette idée quand elle est venue au vote.

Les CEF sont relativement récents, neuf ont été créés en 2003 : sept dans le secteur associatif habilité et deux au sein de la PJJ. L'objectif sur cinq ans -je ne sais pas s'il sera atteint- est de créer 600 places ; soit un peu plus de 60 établissements.

Quelle utilisation fait-on de ces centres éducatifs fermés, quelles sont leurs qualités, leurs défauts, les problèmes qu'ils posent ? Peut-on en tirer, d'ores et déjà, quelques enseignements ?

M. Jean-Louis DAUMAS -

Sur la délicate question des CEF, il convient de rappeler qu'il s'agit d'un dispositif expérimental pour lequel nous ne disposons actuellement que d'un peu plus d'une année de pratique.

Vous avez rappelé qu'il y a aujourd'hui neuf établissements installés, huit qui fonctionnent effectivement, c'est-à-dire plus de 80 places. 120 mineurs ont été ou sont pris en charge par ce dispositif depuis une année. 64 en sont sortis à l'échéance des six mois pour lesquels ils y étaient placés.

On observe que onze parmi ceux qui en sont sortis ont été incarcérés et que deux ont été admis en hôpital psychiatrique. Pour les autres, une autre prise en charge PJJ a été ordonnée par les juges des enfants, qu'il s'agisse d'un placement dans un autre établissement, d'un suivi en milieu ouvert, ou même d'un placement familial pour certains.

Comme professionnel de la PJJ, je me rappelle le tollé idéologique qui a traversé la profession des éducateurs au sens large et les magistrats de la jeunesse bien évidemment.

Pour avoir eu avec d'autres la charge d'ouvrir un établissement de ce type à Beauvais, j'ai eu l'impression -nous avons maintenant huit à neuf mois de recul- de retrouver ce que j'avais connu il y a 25 ans, quand j'étais éducateur et que j'avais eu à me coltiner ces jeunes en hébergement.

Rappelons qu'il s'agit de jeunes qui sont tous multirécidivistes, connus des magistrats de la jeunesse, ayant multiplié les passages à l'acte, hélas souvent violents, et pour lesquels ce placement est présenté comme étant, non pas celui de la dernière chance mais pas loin, avec le glaive au-dessus de la tête, autrement dit la menace de la détention. Soit, ils sont condamnés et risquent de purger une sanction assortie de sursis, soit c'est un placement avec contrôle judiciaire.

Sur le contenu, dans « CEF »,  il y a le « E » de éducatif et le « F » de fermé. Le Conseil constitutionnel a rappelé que le « F » tenait au fait qu'à côté de l'ordonnance de placement, il y a la condamnation pénale.

J'ai ouvert le CEF de Beauvais avec les collègues éducateurs et le directeur de la structure. Nous sommes tout de même loin des caricatures et de la violence idéologique qui a traversé le débat public.

Ce qui compte pour moi est la qualité du lien éducatif qu'il y a entre le mineur et son équipe depuis le tout début de la journée, lorsque le jeune se réveille jusqu'au couché parfois hélas très tard le soir.

Alors, oui, il y a eu des fugues et des placements en détention, mais on oublie de dire que pour certains de ces mineurs, nous avons réussi à ramener le contact avec les familles. Evidemment, je parle d'établissements dans ma circonscription.

A Beauvais par exemple, les familles se déplacent et prennent en charge avec les éducateurs des aspects tout à fait créateurs de lien et d'intimité avec les jeunes, tels que la préparation des repas. L'équipe éducative a réussi à créer des liens très intéressants avec certaines mères, puisque ce sont elles qui s'impliquent pour les repas.

Aussi, faut-il sortir de cette caricature selon laquelle, au CEF, rien ne serait externalisé. Dans la prise en charge du CEF que je connais, mais pour les autres aussi -je me suis renseigné auprès des collègues-, plusieurs activités sont externalisées à l'établissement. Cela ne veut pas dire que le lien avec l'encadrant et l'éducateur est interrompu.

L'attente des parlementaires et des politiques était celle-ci : que ces jeunes ne soient pas seuls et qu'il y ait un accompagnement vigilant et strict à tout instant. C'est en ce sens que les CEF sont fermés.

Il y a la définition du Conseil constitutionnel par rapport à la sanction pénale au-dessus. Je rajoute que les CEF sont fermés humainement, c'est à dire toujours avec ce lien à l'adulte et c'est cela qui m'intéresse en tant qu'éducateur.

Dans les sept gamins aujourd'hui placés à Beauvais, la plupart sortent dans la journée. Certains sont en stage et découvrent, non sans mal, un retour vers une formation professionnelle. Il y a une grande convivialité avec la ville de Beauvais qui accepte de recevoir de manière très artisanale -c'est du cousu main- un jeune pour essayer de créer un intérêt sur certains métiers qui vont lui être accessibles.

Il ne faut pas oublier que dans l'équipe -on pourrait en disserter très largement car il y a une équipe d'adultes très nombreuse- il y a un équivalent temps plein (ETP) de psychologue pour dix jeunes. Il y a aussi tout un accompagnement des crises, des moments de souffrance, de la violence car elle existe, on ne peut en faire l'économie.

Mme Laure de VULPIAN -

Est-ce la solution idéale ?

M. Jean-Louis DAUMAS -

Non, c'est une solution parmi d'autres.

Vous disiez que l'échiquier manquait peut-être de lisibilité. Je m'inscris en faux contre cela.

Il faut donner aux magistrats de la jeunesse un éventail le plus large possible. Il ne faut pas que ces équipements se fassent au détriment des foyers d'action éducative, des centres de placement immédiat, des centres éducatifs renforcés, qui ont donné satisfaction. On a besoin de tous ces types d'équipement, contrairement à ce que l'on imagine, pour les mêmes jeunes, à des moments différents de leur existence.

Pour ceux qui sortent des CEF -je regarde les chiffres car il n'y a pas que le CEF de Beauvais en Picardie-, la plupart seront pris en charge à l'issue des six mois dans les autres types de mesures, y compris en placement familial. Je n'obère pas les 11 incarcérations sur les 120, les 2 placements en hôpital psychiatrique, mais sur les 64 sortis aujourd'hui, c'est peu.

On manque de recul, mais peut-être pourrait-on apprendre entre professionnels, y compris les politiques, l'humilité par rapport au temps. Laissons le temps faire son oeuvre ! Nous n'avons pas douze mois de recul.

Mme Laure de VULPIAN -

Catherine Pouliquen, votre association gère un ou deux centres éducatifs fermés, est-ce cela ?

Mme Catherine POULIQUEN -

Un seul, et c'est suffisant ! C'est un CEF expérimental. J'ajouterai à ce que disait M. Daumas que ce projet expérimental qui date de juillet 2003 est issu de la loi de septembre 2002 et que trois associations se sont portées volontaires pour travailler sur ce projet expérimental en 2002 : Bordeaux, Valence et Rouen.

Nous avons travaillé avec le Cabinet ministériel et la direction de l'administration centrale de la PJJ dès septembre pour élaborer -très laborieusement, en cinq mois de travail- quelque chose d'important qu'est le cahier des charges des CEF expérimentaux.

J'insiste car si l'on veut avancer dans l'excellence de ces dispositifs, il faut être en capacité d'avoir très précisément en tête les objectifs, les actions et pouvoir en mesurer les écarts.

Quand les projets ont été validés, l'administration centrale a mis en place, dès janvier 2003, un comité technique d'évaluation -c'est une grande première, cela n'existait pas- pour que cet argent conséquent consacré à ces projets expérimentaux bénéficie d'une évaluation très sérieuse.

Ce n'est pas une inspection, même si c'est le service de l'inspection de l'administration centrale PJJ qui pilote cette affaire, c'est un comité technique d'évaluation qui rend compte et rendra son rapport en septembre prochain de l'évaluation des cinq CEF expérimentaux.

J'en fais partie, au nom de l'Union Nationale des Sauvegardes de l'Enfance et de l'Adolescence (UNASEA), l'associatif est représenté dans ce comité technique d'évaluation et nous travaillons. Nous sommes en train de faire les visites sur site. Dans ce cadre d'évaluation des CEF, nous interviewons les professionnels, les directions de la PJJ, l'environnement (gendarmerie, préfecture etc.) mais aussi les enfants. Je pourrais vous parler longuement de ce que disent les enfants et les familles des CEF. Donc, tout un dispositif d'évaluation.

Mme Laure de VULPIAN -

Pouvez-vous nous dire quelques mots des retours que vous avez ?

Mme Catherine POULIQUEN -

Je ne pourrais pas parler à la place du comité technique d'évaluation qui rendra son rapport. Cela étant, il y a eu un rapport intermédiaire avec un certain nombre d'éléments que nous pouvons évoquer et qui me semblent très éclairants par rapport à la suite des travaux.

C'est valable pour tout dispositif : plus le projet a été construit, plus les bases ont été solides, notamment sur ce qui est négociable et ce qui ne l'est pas à l'intérieur d'un centre éducatif fermé, plus nous évitons de mettre les enfants dans une situation paradoxale -où il leur serait dit que c'est un centre éducatif fermé tout en faisant un centre à courant d'air-, plus les professionnels sont clairs dans leur positionnement par rapport à ce qui est interdit ou pas, plus les dispositifs ont des chances de progresser et de poursuivre leur démarche expérimentale.

Nous apprenons énormément de ces centres. Notamment cette idée, que j'ai beaucoup appréciée, selon laquelle ces enfants ont besoin de répit et leurs parents aussi.

On a beaucoup glosé sur la question de la fermeture, active ou passive, pour essayer d'être politiquement correct ou acceptable. Oui, il y a besoin de fermeture parce qu'il y a besoin de sécurité et de protection pour ces enfants.

Quand on a dit que ces enfants étaient privés de liberté, de quelle liberté bénéficiaient-ils dans les quartiers ? Les viols, les rackets, le deal ; est-ce cela la liberté d'un enfant délinquant ? De ces petits 10 % ! Non, on ne peut pas brandir des étendards à ce titre !

Ces enfants ont besoin de protection, de sécurité et d'apaisement. C'est une des grandes priorités sur lesquelles s'est construit ce projet et donc des règles très précises sur ce que l'on peut faire ou ne pas faire, quand on peut sortir, envisager un stage...

Trois phases sont prévues par le cahier des charges : une phase d'adaptation et d'évaluation, une phase de programme intensif éducatif et une phase de module de sorties. Ce ne sont pas des mots, des déclarations d'intention, parce que tout est écrit. Et chaque professionnel des cinq métiers représentés dans les CEF -le cahier des charges l'indique ainsi- bénéficie de grilles d'évaluation. Les enfants participent à une évaluation tous les quinze jours, et chaque semaine, ils ont un planning hebdomadaire des activités personnalisées qui est construit avec eux.

L'idée sous jacente est que nous avons un discours, nous avons une utopie, mais nous avons aussi la traçabilité des engagements et promesses données.

Mme Laure de VULPIAN -

Avant de lancer le débat dans la salle, je voudrais le nourrir un peu plus.

C'était une proposition de la commission qui n'a pas été retenue pour l'instant, mais qui est programmée en tout cas. En lieu et place des CEF, la commission avait proposé la création d'établissements de détention spécialement conçus pour les mineurs, à fort contenu éducatif et totalement distincts des prisons pour majeurs. Ils n'existent pas encore, n'ont pas eu le temps de sortir de terre. Les premiers bâtiments ne seront livrés qu'en 2006.

Jean-Claude Carle, pourquoi cette proposition, que vouliez-vous avec ces prisons spéciales ?

M. Jean-Claude CARLE -

Nous n'avons pas proposé des centres fermés mais des centres spécialisés pour mineurs incarcérés sous l'égide de l'administration pénitentiaire. Pourquoi ?

Nous avons fait le tour des quartiers pour mineurs dans les différentes maisons d'arrêt du pays. Les jeunes qui y sont détenus le sont dans des conditions d'hygiène, de sécurité et de promiscuité, inacceptables. Il n'y avait pas une étanchéité totale, ce qui est nécessaire et indispensable pour les jeunes.

Particulièrement à Lyon, au quartier Saint Paul, les conditions étaient absolument déplorables et indignes du XXIème siècle. J'ai obtenu du ministre la fermeture de ce quartier pour mineurs. Les jeunes sont pour l'instant détenus dans la prison de Villefranche, qui n'est qu'une étape dans l'attente de construction de centres complètement isolés.

Il faut les isoler, c'est essentiel. Mais nous souhaitons aussi qu'il y ait des parcours éducatifs à l'intérieur de ces maisons d'incarcération pour les jeunes.

Nous avons préféré cette solution à celle des CEF. Sans revenir sur ce que vous avez dit, c'est un débat qui a largement dépassé l'objet même de ces centres et a été placé sur le terrain politique. D'abord, parce que la sémantique n'était pas très bonne, les « centres éducatifs fermés » sont fermés humainement ou juridiquement mais physiquement ils sont ouverts. Il y avait là une petite incertitude. Je crois qu'ils trouvent aujourd'hui leur place dans le panel des différents outils disponibles car de toute façon, il manque globalement des places.

C'est ce que nous souhaitons et c'était toute la philosophie de notre rapport que d'avoir un parcours éducatif pour ces jeunes qui puisse être modulable en fonction du comportement du jeune, que l'on puisse durcir la sanction si le jeune ne respecte pas les sanctions qui lui ont été signifiées.

Cela fait partie des mesures que nous avons mises pour les jeunes de 13 à 16 ans. Dans le cas contraire, si le jeune se comporte bien, il doit pouvoir revenir vers un milieu plus ouvert.

Nous avons besoin de tout ce panel. Aujourd'hui, les centres éducatifs fermés, une fois le débat de sémantique ou le débat politicien évacué, ont tout à fait leur place.

Pour nous, l'urgence était de mettre à disposition de la Justice des centres d'incarcération totalement isolés, étanches et avec des parcours éducatifs à l'intérieur.

M. Jean-Louis DAUMAS -

Sur la question délicate de la détention, là encore le débat n'est pas terminé parmi les professionnels. Sur l'ensemble des 180 prisons françaises, vous savez que 50 établissements sont habilités à écrouer des mineurs et comportent des quartiers pour mineurs.

Depuis un an, dans le prolongement de l'adoption de la loi d'orientation de septembre 2002, la PJJ a installé des équipes éducatives importantes. Dans les quartiers mineurs où il y a dix jeunes détenus, il y a trois équivalents temps plein d'éducateurs par exemple. A la maison d'arrêt de Loos dans le Nord, ils sont six -2x3- ETP.

Il y a aujourd'hui dix quartiers mineurs où des éducateurs de la PJJ travaillent avec des surveillants. A partir de septembre prochain, il y en aura vingt autres. Sur les cinquante prisons habilitées à écrouer des mineurs, trente auront une présence éducative extrêmement renforcée.

Le projet est la construction de sept établissements pénitentiaires uniquement dédiés à l'écrou et à la prise en charge éducative des mineurs.

Pour avoir lu avec beaucoup d'attention le rapport de la commission sénatoriale, j'observe que celle-ci s'était prononcée à l'unanimité de tous les groupes politiques pour la construction de ce nouveau type d'établissement. Ce qui est en jeu, c'est la création de 400 places en 2006 pour écrouer correctement les mineurs.

En tant qu'éducateur père et citoyen, je ne me réjouis évidemment pas d'écrouer des jeunes. Dès lors que la prise en charge peut se faire en milieu naturel, dans la famille, avec l'assistance d'un professionnel de l'éducation, c'est mieux. Les magistrats ici présents savent que sur les vingt dernières années, le nombre de mineurs détenus a oscillé entre 600 et 900. Nous sommes aujourd'hui à 800. Je souhaite comme tous que l'on redescende le plus bas possible. Le chiffre stagne à 800, se tasse légèrement depuis quelques mois, après avoir explosé sur les deux dernières années.

L'ambition est d'avoir à fin 2006, 400 places correctes, respectueuses des règles constitutionnelles de ce pays, des règles internationales reconnues pour les enfants ; ce n'est pas d'ouvrir à tout crin la détention.

Le débat est de savoir si la détention est ou n'est pas intrinsèquement criminogène pour ces jeunes, comme pour les adultes d'ailleurs. Nous avons ce débat avec les juges de la jeunesse, les avocats et tout le monde. Je ne pense pas que le fait d'écrouer un jeune va amener un comportement criminogène, mais ce sont les conditions de la vie en détention de ces très jeunes personnes qui vont créer de la récidive.

Comme l'avait demandé la commission d'enquête sénatoriale, dès lors que l'on crée ce binôme surveillant-éducateur, puisque dans un établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM), il y aura 40 éducateurs environ de la PJJ affectés pour garantir une présence continue pour des effectifs de 60 jeunes, il y aura 40 ETP d'éducateurs. Cela ne sera pas simple en matière de recrutement et de formation, sans que cela se fasse au détriment des autres structures.

Il y a une volonté de former des professionnels et de créer un type d'intervention nouveau, entre le binôme surveillant-éducateur, pour rompre avec ce que vous venez d'évoquer, monsieur le sénateur, dans les quartiers mineurs.

Dans la salle :

Mme Laurence BELLON , Juge des Enfants à Lille -

Je ne parlerai pas des CEF sous l'angle éducatif, je ne suis pas légitimée à le faire. Je le ferai en tant que magistrat et pénaliste.

Pour moi, la question est que le placement en centre fermé se fait dans le cadre des textes relatifs au contrôle judiciaire et au placement en détention. Il vise donc des textes très précis du Code de procédure pénale, avec des logiques normalement très claires en matière de répression et de transgression des textes.

Or, avec le placement en centre fermé, on se retrouve avec des adolescents placés dans ces centres et à qui l'on dit que s'ils ne respectent pas, ils iront en détention. Cela dit, ce qui doit être respecté reste extrêmement flou. Qu'est-ce que qu'un manquement à une obligation de mesure de liberté surveillée ? Est-ce le fait de rater un rendez-vous avec un éducateur ? Le fait d'arriver deux heures en retard dans un établissement est-il considéré comme une fugue ?

On se retrouve sous l'angle judiciaire avec quelque chose qui, à mon sens, est confus au minimum, tordu ou pervers, en ce qui concerne des mineurs à qui on est censé enseigner des choses claires, nettes.

Quand on va trop loin dans ce raisonnement, on risque d'aboutir à l'arbitraire. Pour aucun majeur, on n'accepterait qu'il soit placé en détention pour des transgressions à des règles aussi floues et imprécises.

Mme Catherine POULIQUEN -

Je peux vous répondre par rapport à cela. Encore une fois nous sommes dans un dispositif expérimental et comme le disaient ces messieurs sur la nécessité de partenariat et de construction à plusieurs, en l'occurrence, on le vit très concrètement et matériellement.

Actuellement, ce qui se passe est que l'on va parler d'incidents graves qui peuvent remettre en cause et poser la question de l'incarcération du mineur. A ce jour, voilà ce que l'on obtient et qui est visible au niveau du comité technique d'évaluation, de ce qui se passe dans les CEF et qui se construit en lien permanent avec les magistrats placeurs.

C'est la question par exemple de la fugue en tant que telle, c'est-à-dire la transgression de l'enfant qui part -qui n'est pas derrière la barrière etc.-, la répétition d'actions de violence. A chaque fois, vous trouverez l'idée de répétition, qui est considérée comme incident grave par les CEF et les magistrats.

Mme Laurence BELLON -

Ma question ne s'adressait pas à vous mais aux juristes que sont les magistrats ici ou les avocats et / ou sénateurs qui ont créé ce texte.

La question ne se pose pas sous l'angle éducatif.

Mme Catherine POULIQUEN -

C'est en cela que nous ne nous comprenons pas. Je suis en train de vous dire que l'on parle ici de dispositifs cloisonnés, et je vous réponds, en me sentant autorisée à le faire parce que ma réponse est aussi construite à partir de l'expérience des relations que nous menons et que nous construisons avec les juges. Et vous me dites que la réponse ne peut être donnée que par un juge.

Mme Laurence BELLON -

Pas du tout, je ne dis pas cela. Je dis qu'il y a une logique pénale dans laquelle le mineur entre dès lors qu'il est sous contrôle judiciaire et où il y a des enjeux de détention provisoire.

Mme Catherine POULIQUEN -

J'entends bien !

Mme Laurence BELLON -

Là, ce sont des raisonnements de pénalistes et non pas éducatifs. Depuis le début de cet après-midi, il y a d'ailleurs un glissement assez complexe ou erratique -pour reprendre le vocabulaire du Sénat-. On parle de mineurs délinquants et, en fait dans toute la première partie, on a évoqué des problèmes qui auraient pu correspondre à un colloque sur l'assistance éducative.

On est dans une première approche qui est censée être éducative, mais quand on arrive aux vraies questions -les jugements à délai rapproché ou les centres fermés- on met les adolescents difficiles dans de vraies logiques pénales.

Ce n'est pas que je vous mette de côté, mais ce n'est pas votre logique et on ne vous demande pas de comptes là dessus. C'est à nous que l'on doit demander des comptes en tant que pénalistes : qu'est-ce que la transgression d'un contrôle judiciaire avec l'enjeu de mise en détention ?

Mme Catherine POULIQUEN -

Sauf que l'enfant, en plus, va vous demander des comptes sur la cohérence entre logique judiciaire, logique éducative et logique sociale.

Mme Laurence BELLON -

C'est pour cela que je le dis !

M. Patrick ARDID -

Je pense que l'on entre dans une logique pénale à partir du moment où le mineur est interpellé et où il vient de commettre une infraction. Il n'entre pas dans une logique pénale seulement à partir du moment où on le met sous contrôle judiciaire ! Voilà pour le premier point.

Deuxième point : s'il est placé sous contrôle judiciaire avec obligation d'être placé dans un CEF et que l'on signale une fugue, vous n'êtes pas obligé de révoquer, vous n'êtes pas en compétence liée. Le juge garde son pouvoir d'appréciation.

Donc, ce n'est pas systématique et donc, en tant que juriste, ce problème-là ne me pose pas problème.

Le CEF me fait me poser d'autres questions, mais pas celle-là en tout cas.

Mme Sylviane HOLTZ-DESEEZ -

La palette des réponses pour le juge des enfants s'est accrue et je m'en félicite. Il y a quand même quelque chose qui manque. Souvent, on constate que l'incarcération provisoire des mineurs n'est pas décidée à cause des nécessités de l'instruction mais pour marquer un temps d'arrêt, parce que le jeune a été trop loin dans la transgression et lui signifier qu'il y a des limites à ne pas dépasser, pour éviter le renouvellement de l'infraction

J'aimerais avoir une possibilité supplémentaire, aussi bien en détention provisoire qu'après une condamnation : Que le mineur puisse être placé en détention provisoire sous contrôle judiciaire, avec obligation d'aller la nuit dans un quartier pénitentiaire ou pour le temps défini par la condamnation (en semi-liberté) dans des limites très strictes et qui ne devraient s'adresser qu'à des multiréitérants. Ainsi, la journée, il pourrait continuer à aller à l'école ou dans un centre d'action éducative et d'insertion de la PJJ ou en stage. Cela aurait l'avantage qu'il ne soit pas désocialisé comme il l'est à l'intérieur de la prison. Je pense que cette mesure aurait plus d'impact sur les jeunes pour éviter la réitération des infractions.

Les mineurs condamnés n'ont pas la possibilité de semi-liberté qu'ont les majeurs et depuis très longtemps, je sais que les juges des enfants le regrettent. C'est un plus qui pourrait être apporté.

Mme Laure de VULPIAN -

Dernière intervention et on s'arrêtera là pour ce sujet.

Dans la salle :

Un participant -

Je serai peut-être quelque peu impertinent. Concernant la première question relative à la fugue qui entraînerait l'incarcération dans les centres fermés, je rappelle à tout hasard que quand on s'évade, ce n'est pas sanctionnable, ce n'est pas une infraction. La fugue deviendrait donc une infraction mais c'est un détail. Sauf erreur !

L'apparence trompe mais cela fait 40 ans que je suis dans la Maison. J'ai commencé ma carrière en prison. Ayant été éducateur en prison, j'ai tenté de faire de l'éducation en prison. Je ne sais pas si j'ai tenté de faire de l'éducatif, mais j'ai tenté de faire de l'éducation.

Il est vrai que quand je suis sorti de prison, après de nombreuses années, un magistrat de Bobigny m'a dit que l'on mettait des enfants en prison parce que l'on savait qu'il y avait des éducateurs. Je passe ! On ne sait jamais, cela pourrait se retrouver !

Face à cette contradiction ou difficulté institutionnelle, j'ai une proposition à faire.

La prison est un lieu où l'on prive de liberté. La liberté est le premier droit des citoyens et des futurs citoyens que sont les enfants. Ne demandons pas à la prison d'être un foyer amélioré en termes de sécurité. C'est un pari impossible. J'ai tenté de le faire dans les années 1960. On m'a dit que c'était désuet, qu'il ne fallait pas d'éducateurs en prison et que l'on ne pouvait pas y faire de l'éducatif. Ne faisons pas de l'éducation, mais de la restauration du droit et faisons en sorte que les prisons deviennent des restaurants du droit !

(Commentaires dans la salle).

Mme Laure de VULPIAN -

Le débat est clos.

Ce chapitre étant terminé, nous pouvons passer à un constat assez négatif qui a été fait par la commission concernant l'offre de placement, de courte durée ou non, qui n'est pas satisfaisante, ni qualitativement, ni quantitativement.

Qualitativement, on a vu rapidement que la notion de parcours éducatif n'était pas encore très bien entrée dans les moeurs, que souvent le système manquait de souplesse, de réactivité, que le mineur n'arrive pas à passer d'une structure à l'autre alors qu'il le mériterait peut-être.

Sur l'aspect quantitatif, on observe un manque criant dans le domaine de l'urgence, de la courte durée à Paris.

Yvon Tallec, avez-vous des structures à votre disposition ou pas ?

M. Yvon TALLEC -

Vous savez déjà tout avant que je parle !

Non, malheureusement les choses n'ont pas évolué sur ce plan depuis deux ans. En ce qui concerne la capitale, sur l'urgence, et particulièrement au pénal, nous avons toujours des difficultés pour placer les mineurs qui nous semblent devoir relever d'un placement immédiat. Cette difficulté est valable pour le Parquet et les collègues juges des enfants. Si l'on devait pointer le principal problème à Paris, c'est bien le placement en urgence.

Mme Laure de VULPIAN -

Qu'est ce qu'engendre cette difficulté ?

M. Yvon TALLEC -

Elle engendre trois modes de réponse.

Soit, alors que l'on considère qu'il y aurait nécessité de placements, on va requérir ou même placer en détention provisoire. Malheureusement, nous sommes parfois amenés à placer en détention provisoire pour protéger alors que ce n'est pas la meilleure solution.

Soit, on est obligé d'abandonner toute solution et de renvoyer le mineur dans ses foyers avec tout ce que cela suppose de risques, tant sur le plan de son histoire que pour l'ordre public. La Justice est complètement incomprise si l'on renvoie dans son foyer un mineur qui a commis une infraction grave.

Soit encore -et c'est très pervers- on doit faciliter une solution de bricolage en discutant avec le mineur et sa famille. Dans les affaires très graves, il résulte une inégalité de traitement selon que la famille est capable de réagir ou pas, de se mobiliser ou pas.

Par exemple nous avons eu récemment une affaire de viol collectif. Les mineurs étaient très jeunes, et il n'apparaissait ni au Parquet ni au juge d'instruction que la détention était la meilleure solution. En réalité, sur l'ensemble des mineurs concernés, parce que les familles s'étaient mobilisées, avaient bien compris les enjeux et les avocats également, certains avaient trouvé une solution familiale d'éloignement en province. Mais pour les autres, en l'absence de proposition familiale, aucune solution n'était trouvée, ce qui mettait le juge, qui devait décider des mesures provisoires, dans une situation quasi impossible qui aurait pu conduire à des disparités de traitement inacceptables.

Mme Laure de VULPIAN -

Il y a quelquefois des familles en province mais aussi des foyers ou CPI, CER. Y a-t-il des passerelles ?

M. Yvon TALLEC -

Nous essayons, mais comme vous l'évoquiez, quand il y a urgence, la plupart du temps, les places sont occupées. On ne trouve donc pas de solution même au-delà de la Région parisienne.

Mme Laure de VULPIAN -

En même temps, on dit que les CPI et CER ne sont presque jamais pleins. Quelque chose ne va pas !

M. Yvon TALLEC -

Ce n'est pas si simple, il ne suffit pas d'envisager ces structures dans une logique de vases communicants.

En urgence, surtout si on a des éléments imprécis sur le profil et la personnalité du mineur, on ne peut pas l'affecter dans n'importe quelle structure. Ce n'est pas seulement une question hôtelière ! Certains foyers ou structures sont dans une logique de prise en charge qui suppose qu'il y ait des éléments, une connaissance précise du dossier, un projet, et, qu'en plus, le mineur qui arrive s'intègre dans la problématique d'une équipe.

Il faut insister sur cette difficulté déjà évoquée au cours de toutes les questions que nous avons abordées aujourd'hui, aussi bien sur le plan de la psychiatrie que sur le plan de la prise en charge éducative.

Mettez-vous à la place d'un foyer : celui-ci ne peut pas accepter les yeux fermés, sans qu'on lui fournisse des éléments, un mineur qui risque de mettre en péril toute la structure. On a eu des expériences malheureuses en la matière, pour avoir trop limité à l'hébergement seul le besoin de placement.

Mme Laure de VULPIAN -

Jean-Claude Carle, avez-vous une idée pour résoudre cette difficulté ?

M. Jean-Claude CARLE -

Vous l'avez dit : globalement, il y a un manque de places et un problème dans la qualité de l'accueil. Il n'y a pas assez d'activités de type professionnel, de formations, d'occupations des jeunes. Certains établissements n'offrent plus de contenu éducatif.

Comment résoudre ces difficultés ? Je suis un fort partisan de l'expérimentation. Avant de généraliser sur tout le territoire, on peut expérimenter. Là aussi, je me tourne vers mon collègue du département, il y a sans doute des solutions de type partenarial et contractuel à mettre en place.

Mme Laure de VULPIAN -

Mme Sylviane Holtz-Deseez, sur l'accueil d'urgence.

Mme Sylviane HOLTZ-DESEEZ -

Je ne pense pas qu'il faille augmenter les places en accueil d'urgence parce que ces services ont du mal à trouver des places à plus long terme et sont donc embouteillés. Si on multiplie le nombre de services d'accueil d'urgence, ils vont garder les mineurs. Une fois, un service d'accueil d'urgence a gardé un mineur un an et demi, ne trouvant pas de structure adaptée. Ce mineur a donc bloqué une place d'urgence pendant un an et demi. C'était un « incasable ».

Ce sur quoi l'on bute le plus, c'est de trouver des foyers qui travaillent à moyen ou long terme pour prendre les adolescents.

Vous parliez des CER mais ils fonctionnent par session. On ne peut pas demander à un CER en session de venir au Tribunal prendre un jeune en urgence. Ce n'est pas possible. Les CEF peut-être, mais on n'en est pas là car il n'y en a pas un nombre suffisant. Pourront-ils venir en urgence prendre un mineur déféré au Tribunal ? Ce serait une solution pour les 13 à 16 ans. Je sais que les quelques CEF créés ont une liste d'attente importante.

Je rejoins tout à fait mon collègue Yvon Tallec. Absolument, il y a des familles qui peuvent se mobiliser et trouver des solutions ; les autres font de la détention parce qu'on ne peut pas les remettre dans les familles. C'est inacceptable aussi.

Mme Laure de VULPIAN -

Jean-Louis Daumas, il semble que toutes les régions ne soient pas égales ?

M. Jean-Louis DAUMAS -

Il faut être très prudent sur cette difficulté du traitement de l'urgence et de la relation, quelquefois un peu ténue, entre le magistrat qui est confronté à une difficulté immédiate de ce jeune qui est dans son cabinet et les services habilités à accueillir.

L'artisan de tout cela est quand même celui qui a en charge au nom de l'Etat, auprès de chaque tribunal, qui fait l'interface avec les juges : le directeur départemental de la PJJ. Il faut faire attention à ce que nous sommes en train de dire.

Dieu merci, dans la plupart des départements, dans cette salle on trouvera certainement ici ou là, un lieu où cela ne marche pas, parce nous avons tous des exemples en tête où le jeune est allé en détention par défaut, ou parce que cela a cafouillé. Mais dans la plupart des départements, le directeur départemental de la PJJ, par le partenariat qu'il a su instaurer entre ses propres services et ceux du secteur associatif, est en capacité d'organiser une prise en charge dans un délai relativement correct pour un jeune qui se trouve en urgence dans le cabinet du juge des enfants.

Les CPI ont été créés pour cela avec, ne l'oublions pas, non pas uniquement le traitement de l'urgence mais aussi la commande qui était d'aider les jeunes à se projeter, à bâtir quelque chose, à faire le point global sur leur situation.

Il faut être prudent et peut-être se sortir de cette caricature, qu'il y aurait toujours de manière fatale, une prise en charge déficiente dans le traitement de l'urgence. Je n'en suis pas sûr du tout.

Dans la plupart des cas, d'abord il y a une permanence éducative auprès du Tribunal qui est censée connaître les lieux d'hébergement et le nombre de places vacantes, et dans la plupart des lieux, cela fonctionne bien, heureusement.

Mme Catherine POULIQUEN -

Je suis globalement d'accord avec M. Daumas sur le travail qui est fait dans le cadre de la prise en charge des situations d'urgence. Les professionnels du secteur associatif et PJJ font leur travail. Cela étant, il est certain qu'il y a des choses à améliorer. Au fond, la question qui se pose aux professionnels et aux magistrats est de savoir où l'on va trouver une place. Or cela n'est absolument pas suffisant.

Si l'on est dans la stratégie de trouver une place, d'autres stratégies vont se développer, comme celle de ne surtout pas se le faire coller chez soi par exemple. Je suis triviale mais c'est quand même cela, avoir des stratégies de détournement pour que ce soit quelqu'un d'autre qui les prenne en charge puisque ce sont des enfants très difficiles. Il faut donc accepter cette réalité.

Je vois le directeur départemental de la Seine-Maritime avec lequel je travaille régulièrement, notre association et d'autres aussi. A son initiative, nous sommes en train de créer un dispositif expérimental. Nous allons essayer d'être modestes, de voir ce qui peut marcher pour améliorer et créer réellement un dispositif d'urgence.

La particularité du projet est que nous partons du constat qu'un enfant est quelque part quand il est en situation de crise. Le dispositif va intégrer l'avant, le pendant et l'après crise.

Il s'agirait d'offrir aux associations et aux services de la protection judiciaire la certitude que l'on ne dépose pas un paquet, mais qu'il y aura bien une gestion de la crise et que, peut-être, cet enfant qui a été en crise dans un établissement, pourra s'apaiser, trouver un répit pendant quelques jours quelque part, mais reviendra peut-être et poursuivra le projet individuel dans lequel il était installé.

Ne faisons donc pas ce que l'on a tous constaté, à savoir une histoire en millefeuille. Avec ces urgences que l'on traite les unes derrière les autres, on a des enfants disloqués, découpés en rondelles. Pour bien connaître les enfants du CEF de Saint-Denis le Thiboult, cela commence dès l'âge de quatre ans.

On a aussi des enfants qui ont plus de 145 affaires quand ils arrivent chez nous. Je peux vous garantir qu'ils ont 145 interventions sociales, médicales, policières, psychologiques -que sais-je ?- qui se sont additionnées dans leur histoire. Voilà la réalité ! On fait du bon travail, mais il faut des améliorations effectives.

Mme Laure de VULPIAN -

Quel rapport avec l'offre ?

Mme Catherine POULIQUEN -

Pour penser le dispositif d'urgence autrement que dans une stratégie de place à trouver, mais de partenariat à construire, pour construire une réponse et ne pas aller directement à la réponse. C'est ce que je disais tout à l'heure, on est toujours dans l'idée qu'il faut trouver la réponse. Non, il faut la construire, en temps réel par contre.

Dans la salle :

Un participant -

Je reviens sur le problème de l'urgence car il me semble qu'il y a deux choses.

D'abord, il y a la capacité à gérer des stocks et des flux. Il est peut-être trivial de le dire ainsi, mais c'est quelque chose que nous ne savons pas tellement faire dans notre secteur. Il y a à mon sens, en tout cas pour les départements que j'ai traversés, suffisamment de places. On a beaucoup de mal à savoir quelles sont les places disponibles et surtout à considérer qu'il a à rendre cela fluide.

Effectivement, lorsqu'il doit recevoir un enfant, j'entends tout à fait qu'un service me dise qu'il est d'accord mais demande lequel nous lui sortons ! Il y a des enfants qui sont placés en établissement pour des périodes beaucoup trop longues. Pour des raisons propres à la gestion des stocks, on peut concevoir que des établissements choisissent un « panel de mineurs », avec des difficiles, des moins difficiles, de moins difficiles encore, etc.

J'ai constaté par exemple, il y a quelques années, que certains établissements recevaient de plus en plus de jeunes majeurs, autrement dit « une prise en charge tranquille » -je mets beaucoup de guillemets-. En revanche, l'adolescent de 14 ans qui explose ne l'est pas. L'urgence est donc difficile à gérer.

Par ailleurs, et là je rejoindrai le propos de Laurence Bellon, l'urgence doit être aussi examinée sur le plan juridique.

On ne place pas un enfant n'importe comment. L'examen des procédures d'appel montre quelquefois que c'est fait n'importe comment, c'est-à-dire, sans respecter les dispositions légales en termes de convocation des familles, sans prendre le temps d'examiner la réalité de l'urgence. Il y a là une chose à laquelle il faut vraiment réfléchir.

Nous nous mettons mutuellement sous la pression de l'urgence. Nous le savons, en général, c'est la jeune fille qui arrive le vendredi soir pour être placée. L'examen des situations montre que, dans plus de 50 % des situations, le placement n'est pas justifié à ce moment-là et de cette manière. Il y a là un gros travail à faire.

Mes deux observations sont : apprendre à gérer les stocks et les flux et évaluer l'urgence autrement que ce que nous faisons, sous diverses pressions, notamment médiatique mais pas seulement, sous la pression de l'angoisse etc. Il y a quelque chose à jouer de ce côté qui ne l'est pas suffisamment.

Je suis magistrat depuis 30 ans et je pense que les choses se sont sacrément aggravées dans les dix dernières années.

Mme Laure de VULPIAN -

Merci beaucoup. Monsieur Carle.

M. Jean-Claude CARLE -

Sauf à multiplier par cinq ou dix le nombre de places, je ne crois pas que ce soit la bonne formule. L'exécution des décisions, c'est le rôle de la PJJ. Il faudra peut-être confier au département la gestion de tous ces centres et revoir peut-être à terme, le statut de ces différents centres, car je pense que cela manque sérieusement de souplesse et que c'est un frein à la réactivité.

Mme Laure de VULPIAN -

Une dernière question qui fâchera peut-être. C'était un constat de la commission sénatoriale. Trop de mesures ne sont pas exécutées ou avec trop de retard, par la PJJ. C'est ce que l'on pourrait appeler l'absence d'effectivité de la justice des mineurs. Selon le rapport, c'est sur ce point qu'elle dysfonctionne de la manière la plus criante. Il n'y a pas une seule cause, mais un ensemble de causes.

Monsieur Carle, il faut vous expliquer sur ce constat sévère, même si vous n'accusez pas les éducateurs.

M. Jean-Claude CARLE -

C'est un constat sévère. Nous n'accusons pas les éducateurs mais le système. Pour résumer, en ce qui concerne la PJJ, nous avons dit qu'il y avait crise de vocation, d'identité et donc d'efficacité. On n'entre plus aujourd'hui dans ce secteur comme auparavant, comme éducateur spécialisé, quand c'était encore une vocation. Aujourd'hui, on passe des concours, on réussit ou pas et c'est un corps, comme je le disais, extrêmement féminisé.

Crise d'identité : la PJJ n'est pas très connue.

J'ai été très surpris quand la commission est allée dans mon département et que le maire de la deuxième commune du département a découvert qu'il avait dans sa commune un centre sous l'égide de la PJJ ! Cela démontre une insuffisance de communication, de relations, et ensuite, une crise d'efficacité.

Crise d'efficacité : il est vrai que vous avez sans doute la tâche la plus difficile.

Les propositions que nous faisons sont de recentrer la PJJ sur sa véritable mission, qui est d'être ce fil rouge pour le jeune qui a besoin de suivi. Et peut-être, de faire en sorte que l'on vous soulage d'un certain nombre de missions que vous avez des difficultés à assumer ; missions pour lesquelles les collectivités locales et en particulier le département seraient plus efficaces.

Nous avons vu l'achat par la PJJ d'un certain nombre de domaines immobiliers, voire de tènements fonciers. Ayant eu la responsabilité d'une collectivité locale, ce n'est pas la décision que j'aurais prise. On achète cela à grands coups de millions et on n'a pas 100 000 francs dans le budget pour entretenir les abords ou les bâtiments !

La PJJ a sa mission qui est incontournable. Encore faut-il qu'elle puisse l'affirmer. Il faut qu'il y ait une gestion, un management mieux adapté aux besoins de la société actuelle. Il y a aussi une forte réticence -je le dis, je n'ai pas la langue de bois- à l'évaluation. Je ne connais pas un corps de la société qui n'accepte pas d'être évalué.

Mme Laure de VULPIAN -

Jean-Louis Daumas, vous aurez tout le temps pour répondre.

Patrick Ardid, quel est votre sentiment quant à l'exécution des mesures ?

M. Patrick ARDID -

Pour en revenir au TPE de Toulon, les mesures de liberté surveillée ne sont plus exécutées. Certains sursis avec mise à l'épreuve ne sont plus exécutés, et les SME prononcés pour des mineurs âgés de 17 ans et demi et pour lesquels la mise à l'épreuve va s'exécuter pendant la période où ils seront devenus majeurs, ne sont plus exécutés.

Nous avons peu de personnel, souvent un personnel âgé qui fait ce qu'il peut mais qui ne peut plus faire face au flot des mesures. Il est vrai que cette administration ne nous paraît pas très organisée.

J'étais juge des enfants lorsque je suis sorti de l'école de la magistrature en 1985, elle était à peu près dans le même état. Ce sont les mêmes avec 15 ans de plus mais ça n'a pas beaucoup changé !

Mme Laure de VULPIAN -

Sylviane Holtz-Deseez, quelle est votre expérience ?

Mme Sylviane HOLTZ-DESEEZ -

Le phénomène des mesures en attente sur les Hauts-de-Seine date déjà d'avant 1990. Le problème n'est toujours pas résolu. Nous ne sommes pas un département sinistré par rapport à d'autres. Nous avons entre 150 et 200 mesures en attente. Mais il faut savoir que les juges des enfants s'autocensurent énormément.

Prononcer des mesures qui ne vont pas être exécutées dans des délais raisonnables, cela n'a pas de sens pour les mineurs, ni pour les familles. Souvent les collègues s'autocensurent et cela ne fait pas remonter les véritables besoins. Je le déplore parce que si nous avions plus de possibilités, nous pourrions faire mieux.

Mme Laure de VULPIAN -

Voyez-vous les éducateurs dans votre exercice professionnel ? Pouvez-vous dire comment cela se passe ? Etes-vous satisfaite ?

Mme Sylviane HOLTZ-DESEEZ -

Bien sûr, nous les voyons. C'est comme dans tout service, il y a des gens de très grande qualité, que ce soit dans le secteur associatif où à la PJJ, et d'autres qui n'ont plus cette vocation et qui font comme ils peuvent, comme le disait M. Carle.

Je voudrais revenir sur les hébergements qui me tracassent beaucoup car je trouve que cela a été évacué rapidement.

Quand je vois qu'un SEAT, pour un mineur déféré, passe dans la journée 30 à 40 appels téléphoniques pour trouver une place en région parisienne, qu'il n'en trouve pas. A 19 heures ou 20 heures, on saisit alors le directeur départemental de la PJJ pour lui demander ce qu'il peut faire, celui-ci use de son influence auprès d'un foyer en lui demandant de le prendre en surnombre. Mais là aussi, les juges des enfants et les éducateurs ne font pas remonter tous les besoins en hébergement et s'autocensurent à ce sujet, car trouver un hébergement demande beaucoup de temps pour un adolescent.

Mais j'ai connu une période -cela me semble très grave- où le SEAT, qui s'appelait alors SOE (service d'orientation éducative), gérait en même temps le foyer d'accueil d'urgence. Ce service accueillait les jeunes déférés, ou les jeunes en détresse qui venaient demander un placement en urgence. Or, c'était ce service qui décidait si la situation du jeune relevait ou non d'un placement en urgence.

L'urgence n'était plus appréciée par les magistrats mais par les éducateurs. Il y avait des effets pervers en faisant le choix de mineurs qui posaient peut-être moins de problèmes que d'autres. Cela peut être une dérive à tout moment.

Pour terminer, j'ai vu des mineurs qui attendaient leur hébergement sur des listes d'attente, alors qu'ils étaient dans des squats, ou à la rue. Parfois ils s'en sont sortis parce qu'ils étaient déférés et qu'on leur trouvait alors une place en urgence (dans la journée) dans un foyer, alors qu'ils attendaient depuis trois semaines dans leur squat, leur placement. Pour certains, le déférent les a vraiment sauvés.

Mme Laure de VULPIAN -

Nous allons revenir à la question de l'effectivité des mesures.

Jean-Louis Daumas, il faut que vous réagissiez.

M. Jean-Louis DAUMAS -

Il y a plus que l'effectivité des mesures. Beaucoup de choses ont été dites notamment par M. Carle.

Vous avez parlé de fil rouge. Cela me fait penser à l'article 375 du Code civil et à la très belle loi sur l'assistance éducative de 1958. Si vous me parlez de fil rouge, monsieur le sénateur, j'ai envie de dire que si l'on veut éviter tous ensemble d'avoir à prendre en charge au pénal un adolescent à un moment difficile de sa vie parce qu'il aura transgressé la loi, il faut alors que ce fil rouge soit immergé par l'assistance éducative, par le début. On a parlé des très jeunes, on a parlé de leur itinéraire.

Quel est l'opérateur qui fait cela, est-ce l'Etat ? Est-ce les départements qui reprennent en charge l'assistance éducative ?

C'est à vous à nous le dire. Le législateur est saisi de cette question actuellement. Je tiens à cela. On ne peut pas réduire l'intervention des professionnels de l'éducation uniquement au pénal.

Pour moi, ce fil rouge est d'abord de me préoccuper d'assistance éducative et de la protection. Ensuite, s'il y a transgression de la loi, effectivement d'autres textes entrent en scène, mais je voudrais d'abord que l'on s'occupe de cela.

Sur l'évaluation, on a un bel outil : la loi du 2 janvier 2002 impose à tous les établissements médico-sociaux d'évaluer leur travail, y compris avec la participation des usagers. La PJJ est en train de réfléchir à cette nouveauté qui s'impose à elle. Il y a un petit bouleversement culturel, mais en tout cas, nous n'allons pas nous soustraire à la loi, nous y travaillons avec les équipes éducatives.

Vous avez parlé de féminisation des équipes, de la difficulté de certains professionnels.

L'une des réponses est l'élargissement du recrutement, le fait que l'on ait essayé de diversifier nos recrutements, de valider l'expérience des acquis professionnels pour certains collègues et de rompre avec ce moule unique qui était de recruter des gens sortis de l'Université. Ce n'est absolument pas indigne, mais il y a aussi d'excellents professionnels de l'éducation qui trouvent leur valeur et leur légitimité par d'autres parcours.

Enfin, sur la gestion financière patrimoniale et autre, je vous renverrai au débat de ce matin. De toute manière, à partir de 2006 avec la LOLF, nous n'aurons pas le choix. En termes de gestion administrative et financière, il faudra que les cadres de la PJJ soient plus efficients. Les jeunes directeurs qui sortent de formation initiale sont aussi formés à ces questions.

M. Jean-Claude CARLE -

C'est vrai, mais en confiant aux départements et aux collectivités locales des responsabilités de gestion ou matérielles, c'est aussi une autre façon d'aborder les choses. Car ce sont des relations contractuelles qui s'établissent.

C'est un peu ce qui s'est passé en matière de décentralisation dans le domaine de l'éducation. Le fait de rapprocher la décision de l'action est beaucoup plus efficace. Mais c'est aussi la méthode qui est différente. Ce sont des relations contractuelles entre partenaires et c'est beaucoup plus efficace.

Mme Laure de VULPIAN -

Il y a peut-être encore cette question, elle sera posée un peu à tout le monde. Faudrait-t-il recentrer la PJJ sur le seul pénal et laisser les mesures éducatives au secteur associatif habilité.

(Brouhaha dans la salle)

M. Patrick ARDID -

Dans le Var, la PJJ a essentiellement vocation à mettre en oeuvre les mesures pénales que nous ordonnons. L'assistance éducative est vraiment résiduelle.

Mme Laure de VULPIAN -

Est-elle assurée par le secteur associatif ?

M. Patrick ARDID -

Oui. La protection, tout ce qui relève de l'assistance éducative proprement dite, relève du secteur associatif, des services de l'aide sociale à l'enfance, des services du département.

Nous avons déjà trop peu de personnel et beaucoup de délinquants à gérer pour que les éducateurs de la PJJ s'en occupent. Je pense aussi que ce n'est pas tout à fait le même travail. Quand ils récupèrent des délinquants assez âgés, ce n'est pas la même chose que de s'occuper de jeunes enfants ou de mineurs dont la problématique est simplement liée à des problèmes familiaux, de passé ou psychologiques. On est dans autre chose et ils sont peut-être mieux formés pour cela.

Reste un problème d'organisation du travail, de loyauté avec les magistrats qui pose parfois problème.

Pour parler de la féminisation, on a des problèmes par exemple au CPI. Dernièrement, les jeunes qui ont été placés au CPI de Toulon ont fait une véritable orgie, après avoir séquestré le personnel éducatif, mais il s'agissait effectivement de toutes jeunes filles que l'on avait mises là avec de gros loubards. C'était très opportun ! Voilà le genre de choses que l'on fait.

Dernièrement au tribunal de Toulon, un éducateur de la PJJ s'est permis quasiment de prendre à partie le Procureur et l'a pratiquement insulté. Il a dû être expulsé de la salle d'audience. Nous avons affaire à un personnel qui n'a pas toujours le comportement adapté face à la Justice.

Mme Laure de VULPIAN -

Jean-Louis Daumas, faut-il recentrer la PJJ sur le seul pénal ?

M. Jean-Louis DAUMAS -

Je vois bien la forme vers laquelle on glisse. Il y aurait d'un côté des éducateurs plus chevronnés qui incarneraient les missions régaliennes de l'Etat en matière répressive et des éducateurs qui auraient une formation plus sociale, dans l'esprit de l'assistance éducative, que l'on confierait au secteur associatif. Il ne m'incombe pas de répondre sur ce point, c'est aux politiques de dire qui est l'opérateur qui répond le mieux.

Ce à quoi je tiens au-delà des statuts de chacun, fonctionnaires ou salariés d'une association, est que l'on situe ces jeunes dans une histoire et une perspective. Je tiens à tout prix que l'on ne mette pas la charrue avant les boeufs.

La fonction de protection des jeunes qui est donnée par la loi au juge reste réelle. Que l'on ne passe pas en grillant des étapes, en allant au pénal alors que l'on n'aurait pas épuisé toutes les possibilités données par le Code civil !

Après, qui fait quoi, quel est le meilleur opérateur ? Honnêtement, je ne sais pas. Je sais que certains sont passionnés par ces débats : faut-il que la PJJ renonce à l'action éducative pour se concentrer sur le pénal ? Est-ce à incarner par des éducateurs hommes qu'il y aurait peut-être dans le secteur public ? Nous venons de répondre par la négative puisque vous venez de dire, monsieur le Juge, que dans un CPI du Var, de jeunes éducatrices avaient été séquestrées par des adolescents difficiles.

C'est une discussion qui peut être prise par tellement d'approches et d'aspects idéologiques que je n'y réponds pas. Je tiens à tout prix à l'originalité de notre système judiciaire : un juge des enfants qui protège et qui sanctionne. Cette dualité fait la force du système français. La PJJ doit-elle intervenir dans le cadre de l'ordonnance de 1945 et le secteur associatif en assistance éducative ? Je ne sais pas.

M. Jean-Claude CARLE -

Ce dont je suis convaincu c'est qu'il faut soulager la PJJ de tâches matérielles qu'elle fait mal et que d'autres peuvent faire mieux.

Deuxièmement, il faut garder la coexistence du tissu associatif et de la PJJ.

Ensuite sur la répartition pénal-éducatif, je me garderai d'avoir des affirmations strictes. Cela demande réflexion. J'inscris ma philosophie dans cette notion de parcours éducatif qui allie prévention et sanction. Je ne sais pas s'il faut séparer de façon stricte et nette l'éducatif du pénal.

Mme Catherine POULIQUEN -

De mon point de vue, je privilégierais toujours la diversité : de cultures, de pratiques, d'histoires. Il en sort des enseignements tout à fait intéressants. Je n'irais pas vers des solutions qui cloisonnent.

Autre chose que je voudrais réaffirmer très fort car cela paraît être très inscrit dans les mentalités. On dit que les professionnels plus âgés et plus expérimentés sont mieux à même de travailler avec des mineurs délinquants ? Je n'en suis absolument pas persuadée.

Quid des femmes, qui à mon avis doivent pouvoir travailler dans des structures qui accueillent des mineurs délinquants, à condition que l'organisation leur permette de travailler et qu'elles aient les outils nécessaires ?

Dans le CEF de Saint-Denis de Thiboult, les personnels ont suivi des formations dans la gestion de crise et la violence, et les femmes peuvent travailler en toute sécurité dans cette institution. Il faut noter quand même que sur les études de candidatures que nous avons pu faire pour l'ouverture de ce centre, nous avons eu plus de 250 candidatures sur les cinq métiers -y compris de la Belgique-, très peu d'éducateurs spécialisés expérimentés ont postulé.

Dans la salle :

Une intervenante -

Une phrase ou deux lapidaires. Je voudrais rappeler le fondement idéologique de l'ordonnance de 1945, selon lequel un mineur dangereux est aussi un mineur en danger. Il est difficile de concevoir la prise en charge judiciaire et éducative en séparant assistance éducative et pénale car cela donne une toile de fond, un savoir-faire et une créativité qui puisent dans l'une et l'autre.

Laurence BELLON -

Sur les deux derniers points abordés, je trouve que le débat n'est pas très juste. Quelles que soient les carences et les limites de la PJJ, il faut se souvenir que depuis les années 1990, le mot d'ordre est quand même un acte-une réponse ou -pour reprendre la métaphore des « Choristes »- action-réaction.

Quand les pouvoirs publics ont fait le choix de cette orientation qui était un choix d'Etat, il fallait, soit donner à la PJJ des moyens conséquents pour effectuer toutes les mesures, soit ouvrir les mesures pénales à d'autres secteurs que la protection judiciaire de la jeunesse. Mais il était clair que sauf à perdre leur âme, la réponse devait d'abord être éducative et que la PJJ ne pouvait pas tout assumer.

Concernant la partition entre assistance éducative et les réponses éducatives au pénal menées par la PJJ, il faut se souvenir que le pénal a d'abord le souci de répondre à l'acte et l'assistance éducative à la personne. Il serait quand même souhaitable de pouvoir répondre à la personne qui a fait l'acte. Si l'on perd trop de savoir-faire en matière d'attention à la personne, je crains que les contenus éducatifs se paupérisent quelque peu.

Mme Laure de VULPIAN -

C'était la dernière intervention. Pour cette deuxième partie. Je vous remercie de votre attention et de votre participation.

Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes, va clôturer cette table ronde, en remplacement du Garde des sceaux, M. Dominique Perben, qui a été empêché.

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