Les quatrièmes et cinquièmes rencontres sénatoriales de la justice



Colloques organisés par M. Christian Poncelet, président du Sénat - Palais du Luxembourg - 20 juin 2006 et 5 juillet 2007

ANNEXE II

La résidence alternée : une journée d'auditions publiques pour évaluer la loi du 4 mars 2002

N° 349

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 26 juin 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) et de la commission des Affaires sociales (2) sur la résidence alternée ,

Par MM. Jean-Jacques HYEST et Nicolas ABOUT,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest, président ; MM. Patrice Gélard, Bernard Saugey, Jean-Claude Peyronnet, François Zocchetto, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Georges Othily, vice-présidents ; MM. Christian Cointat, Pierre Jarlier, Jacques Mahéas, Simon Sutour, secrétaires ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Michèle André, M. Philippe Arnaud, Mme Eliane Assassi, MM. Robert Badinter, José Balarello, Laurent Béteille, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Yves Détraigne, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Gaston Flosse, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Jacques Gautier, Mme Jacqueline Gourault, M. Jean-René Lecerf, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Hugues Portelli, Marcel Rainaud, Henri de Richemont, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, MM. Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

(2) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Pierre Bernard-Reymond, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Annie Jarraud-Vergnolle, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Mme Catherine Procaccia, M. Thierry Repentin, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, François Vendasi.

Divorce .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Voici cinq ans, la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, donnait une base légale à l'organisation d'une résidence alternée des enfants au domicile de leurs parents, en cas de divorce ou de séparation.

L'objectif recherché était de permettre aux enfants d'entretenir des relations suivies avec leurs deux parents et de consacrer la parité de l'homme et de la femme dans l'exercice de l'autorité parentale.

Le législateur n'en était pas moins conscient, comme l'écrivait notre collègue M. Laurent Béteille, rapporteur de ce texte au nom de votre commission des lois, « des contraintes pratiques importantes de ce mode d'organisation pour les parents, de la collaboration constante qu'il implique entre eux ainsi que des avis partagés des spécialistes de l'enfance sur ses conséquences sur le développement de l'enfant1( * ). »

Aussi a-t-il laissé un large pouvoir d'appréciation au juge aux affaires familiales, qui peut imposer la résidence alternée, le cas échéant après une période d'essai et le recours à des experts, ou s'y opposer au nom de l'intérêt de l'enfant.

La loi de finances rectificative pour 2002 a ensuite autorisé le partage des avantages fiscaux liés à la présence des enfants en alternance au domicile de chacun de leurs deux parents.

En revanche, jusqu'à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 et à son décret d'application du 13 avril dernier, le partage des prestations familiales n'était pas possible. Depuis lors, seul le partage des allocations familiales, à l'exclusion des autres prestations, est prévu2( * ).

Auparavant, le 17 octobre 2006, le Sénat avait examiné une proposition de loi présentée par notre collègue M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, prévoyant un partage à parts égales de toutes les prestations familiales, à défaut d'accord des parents ou de décision contraire du juge3( * ).

Cette solution n'avait pu être retenue, comme l'avait expliqué notre collègue M. André Lardeux, rapporteur de la proposition de loi au nom de votre commission des affaires sociales, en raison de la nécessité de prendre en compte les différentes conditions d'attribution de ces prestations4( * ).

A la suite des débats suscités par ces deux textes, votre commission des lois et votre commission des affaires sociales ont décidé d'organiser conjointement une journée d'auditions publiques pour dresser un bilan d'ensemble de la mise en oeuvre de la résidence alternée.

Sociologues, psychiatres, psychologues, avocats, magistrats, professeurs de droit, représentants des associations et des administrations concernées ont ainsi été conviés à faire part de leur expérience et de leurs souhaits d'évolution de la législation.

Ce bilan complète utilement ceux déjà dressés, en 2006, par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits des enfants5( * ) et par la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes6 ( * ), dont les champs d'investigations étaient toutefois plus larges.

Il montre que la pratique de la résidence alternée reste limitée et contestée mais qu'il n'est pas indispensable de modifier une législation récente et finalement équilibrée.

I. UNE PRATIQUE ENCORE LIMITÉE ET CONTESTÉE

Cinq ans après sa consécration législative, la résidence alternée reste peu pratiquée. Les débats qu'elle suscite portent désormais moins sur son principe même, qui semble désormais accepté, que sur ses modalités de mise en oeuvre.

A. UNE PRATIQUE LIMITÉE

M. Marc Guillaume, alors directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice, a fait valoir les efforts accomplis par le ministère de la justice pour acquérir une meilleure connaissance statistique du recours à la résidence alternée : réalisation d'une enquête sur un échantillon représentatif de décisions judiciaires en 2003 ; mention au répertoire général civil du mode de résidence des enfants faisant l'objet d'une décision judiciaire depuis 2004. Ces données ne reflètent toutefois qu'imparfaitement la pratique de la résidence alternée.

1. Une faible proportion des décisions judiciaires

Les premiers résultats de l'exploitation de ce répertoire montrent que la proportion des enfants faisant l'objet, par décision judiciaire, d'une résidence en alternance était d'environ 11 % en 2005, à peine supérieure à celle observée dans l'enquête réalisée en 2003 (10 %).

Tous âges des enfants confondus, la résidence est fixée chez la mère dans 78 % des cas en moyenne, par le juge aux affaires familiales ou d'un commun accord entre les parents. Cette proportion diminue régulièrement à mesure que l'âge de l'enfant augmente : elle passe de 95,1 % pour les enfants âgés de moins d'un an à 72 % pour les adolescents de quinze ans et plus.

La résidence des enfants est fixée chez le père dans 10,3 % des cas, tous âges confondus ; cette proportion augmente avec leur âge, passant de moins de 6 % dans les cinq premières années de l'enfant à environ 19 % pour les adolescents âgés de seize ans et plus.

Enfin, la résidence en alternance reste marginale dans les toutes premières années de l'enfant (2 % pour les moins de un an, 4,2 % à un an, 6,7 % à deux ans), cesse de l'être à trois ans en passant la barre des 10 %, augmente légèrement jusqu'à neuf ans, pour atteindre un maximum de 13,8 %, puis décroît, surtout à partir de onze ans.

Les trois quarts des enfants en résidence alternée ont moins de dix ans, l'âge moyen étant de sept ans.

Tableau (en %), source ministère de la justice

Le faible recours à l'aide juridictionnelle -une procédure sur cinq seulement- donne à penser que les parents qui demandent ce mode de résidence ont une situation financière relativement aisée, ce qui s'explique par les contraintes matérielles importantes qu'il comporte, notamment en matière de logement.

* 1 Rapport n° 71 (Sénat, 2001-2002), page 18.

* 2 Les parents sont d'abord invités à se mettre d'accord sur le choix d'un allocataire unique ou, à défaut, sur un partage de la charge des enfants pour le calcul des droits aux allocations familiales. Si aucun accord n'est trouvé, la charge des enfants est répartie à parts égales entre les deux parents.

* 3 Proposition de loi n° 483 (Sénat, 2005-2006).

* 4 Rapport n° 18 (Sénat, 2006-2007), page 9.

* 5 Rapport n° 2832 (Assemblée nationale, douzième législature) de Mme Valérie Pecresse au nom de la mission d'information sur la famille et les droits de l'enfant présidée par M. Patrick Bloche.

* 6 Rapport d'activité n° 388 (Sénat, 2005-2006) de Mme Gisèle Gautier, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

2. Un mode de résidence généralement décidé conjointement par les deux parents

Dans 80 % des cas, les demandes de résidence en alternance sont formées conjointement par les deux parents et 95 % d'entre elles sont acceptées par les juges .

En cas de désaccord parental, la résidence en alternance est retenue dans un quart des cas. Les magistrats ne l'imposent qu'après s'être entourés d'un maximum de précautions : en 2005, ils ont eu recours dans 61 % des cas à une mesure d'investigation, le plus souvent une enquête sociale.

Dans les trois quarts des cas restants, la résidence habituelle de l'enfant est fixée chez l'un des parents, le plus souvent chez la mère.

Les décisions de rejet sont fondées sur plusieurs critères : les mauvaises relations entre les parents, l'éloignement de leurs domiciles respectifs, l'âge des enfants ou encore les conditions matérielles de leur résidence.

3. Un mode de résidence sans doute plus pratiqué que ce qu'indiquent les données du ministère de la justice

Dans la mesure où le juge aux affaires familiales n'est saisi qu'en cas de divorce ou de litige , la proportion des enfants qui vivent effectivement en résidence alternée est sans doute plus importante que ce qu'indiquent les données du ministère de la justice .

M. Gérard Neyrand, professeur de sociologie à l'université de Toulouse 3, directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d'études et de recherches en sciences sociales , l'a ainsi estimée comprise entre 15 % et 20 %.

Il a observé que, même dans les pays où elle est juridiquement reconnue depuis longtemps, la résidence alternée ne dépasse jamais la moitié du total des modes de garde. Ce taux est ainsi au maximum de 40 % en Californie, dans d'autres États américains, ou dans des pays du nord de l'Europe.

B. UNE PRATIQUE CONTESTÉE

Les auditions ont mis en lumière l'absence d'étude fiable sur les conséquences de la résidence alternée pour l'enfant, des divisions encore marquées entre les associations et, à travers le regard des acteurs de la pratique judiciaire, des situations parfois difficiles.

1. L'absence d'étude fiable sur les conséquences de la résidence alternée pour l'enfant

Selon M. Maurice Berger, psychiatre, psychanalyste, chef du service « psychiatrie de l'enfant » au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne , des précautions doivent être prises pour qu'une résidence alternée soit mise en place avec succès. Il convient notamment que les parents entretiennent des contacts fréquents et que l'enfant ne soit pas trop jeune . Or, la législation actuelle ne subordonne son instauration ni à une condition d'âge, ni à la qualité du lien entre les deux parents et entre les parents et les enfants. Par ailleurs, la loi serait trop souvent détournée de son sens par certains magistrats pour des raisons idéologiques : il est des cas de résidence alternée prononcée alors que l'un des parents vit à l'étranger ou d'autres obligeant l'enfant à être inscrit dans deux écoles différentes.

Or, a-t-il fait valoir, la résidence alternée, lorsqu'elle n'est pas adaptée à la situation familiale, entraîne chez l'enfant des troubles fréquents, intenses, impressionnants, durables et impossibles à traiter , comme des dépressions ou des problèmes d'agressivité et de sommeil liés à un sentiment d'abandon, troubles qui n'étaient pas observés chez ce même enfant avant la mise en place de la résidence alternée. Lorsque les parents ne sont pas en conflit, certains enfants, compte tenu de leur sensibilité personnelle, supportent mal soit l'instabilité de leur cadre de vie, soit l'éloignement prolongé et répété de la figure d'attachement maternel. Lorsque les parents impliquent leur enfant dans un conflit important, l'enfant n'a pas d'autre choix pour se construire que de s'adapter en surface à deux mondes opposés en se coupant de ses sentiments : aller chez un parent, c'est perdre l'autre.

Mme Mireille Lasbats, psychologue clinicienne, expert près la cour administrative d'appel de Douai , a déploré que les besoins de l'enfant soient trop rarement pris en compte . Ces besoins évoluent avec l'âge, a-t-elle souligné. Aussi bien les décisions de résidence alternée doivent-elles être prises au cas par cas, en fonction de la situation de l'enfant et du contexte familial, étant entendu que le lien affectif avec les deux parents est indispensable à l'équilibre de l'enfant. Le calme et le respect des rythmes de vie, ainsi que la qualité de la relation entre les parents, constituent également des facteurs d'équilibre et de sécurisation indéniables. En fait, pour qu'une résidence alternée réussisse, chaque parent doit accepter l'altérité et la suppléance de l'autre.

Mme Mireille Lasbats a proposé quatre critères dont le respect devrait être vérifié par le juge avant de décider la mise en place d'une résidence alternée : l' âge de l'enfant , puisque la faible capacité de mémorisation des figures et des lieux d'attachement rend difficile le changement fréquent de résidence avant l'âge de trois ans, la proximité géographique de l'école et des domiciles des parents , l' entente de ces derniers sur les principes éducatifs et une bonne organisation pratique .

A l'inverse, selon M. Gérard Neyrand , la résidence alternée peut être bénéfique, tant pour les parents que pour les enfants , dans la mesure où elle permet de maintenir un lien concret et régulier entre l'enfant et chacun de ses deux parents. Elle est facteur d'enrichissement de la vie sociale des enfants et conduit chaque parent à être plus disponible pour l'enfant pendant la période où il en assume la garde. Ces résultats, a-t-il précisé, ont été confirmés par des études nord-américaines, qui ont montré que les enfants en résidence alternée ne souffrent pas de problèmes particuliers. Il en a conclu que les troubles psychologiques éventuellement observés chez ces enfants n'étaient pas liés à leurs conditions de résidence, mais plutôt à la persistance du conflit parental .

Les réticences suscitées par la résidence alternée, a-t-il observé, concernent le plus souvent les très jeunes enfants, sachant que dans les trois quarts des cas, les demandes de résidence alternée portent sur des enfants de moins de dix ans et, dans un tiers des cas, de moins de quatre ans. Certains pédopsychiatres estiment que seule la mère est apte à s'occuper d'un très jeune enfant. Aucune étude ne démontre pourtant, a-t-il fait valoir, qu'une résidence permanente chez la mère soit absolument indispensable dans ce cas : s'il est vrai que certains pères ne souhaitent pas assumer les mêmes tâches que la mère, d'autres, en revanche, s'occupent de leur enfant dès sa naissance et établissent avec lui un lien d'attachement très fort. Il est alors important de préserver les relations nouées avec les deux parents. Les témoignages recueillis montrent que la résidence alternée peut être bien vécue à tout âge quand des liens psychologiques forts sont établis avec les deux parents .

2. Des associations divisées

M. Jean-Laurent Clochard, représentant de la Confédération syndicale des familles , a considéré que la résidence alternée était sans doute une évolution nécessaire pour améliorer la coparentalité en cas de divorce ou de séparation. Si elle n'est pas la panacée , elle constitue parfois la moins mauvaise des solutions car elle évite de donner la priorité à l'un des deux parents et permet de préserver au quotidien les liens tissés par l'enfant avec son père et sa mère. Elle constitue également un moyen d'encourager les deux parents à assumer véritablement leurs responsabilités.

M. Stéphane Ditchev, secrétaire général de la Fédération des mouvements de la condition paternelle , a insisté sur le fait que la résidence alternée constituait l' aboutissement d'une évolution sociale reconnaissant le droit pour l'enfant d'être élevé par ses deux parents et un moyen de préserver la coparentalité au-delà de la séparation . Les pères ont pris une place importante auprès de leur enfant et sont impliqués dès avant la naissance. Certes, un enfant a besoin de figures d'attachement pour son développement affectif mais les deux figures, paternelle et maternelle, lui sont indispensables.

M. Alain Cazenave, président de l'association « SOS Papa » , a souligné l'importance de préserver la coparentalité au-delà de la séparation. La rupture entre les parents constitue nécessairement un traumatisme pour l'enfant, mais c'est la persistance du conflit parental qui est destructrice pour lui, bien plus que le choix d'un quelconque mode de résidence. On reproche souvent à la résidence alternée de faire peser des contraintes excessives sur les enfants qui sont obligés de déménager toutes les semaines. Or l'alternance est inhérente à tous les modes de résidence des enfants de parents séparés , qu'il s'agisse de la résidence alternée ou de l'exercice du droit de visite et d'hébergement de l'autre parent. En l'absence de résidence alternée, il est très difficile de faire respecter l'autorité parentale conjointe .

Mme Jacqueline Phélip, présidente de l'association « L'enfant d'abord » , a estimé que les nouveaux développements de la pédopsychiatrie permettaient de montrer les risques qui menacent les enfants en bas âge lorsqu'ils sont régulièrement séparés de leur mère car, même lorsque celle-ci travaille, elle reste leur principale figure d'attachement. Ces enfants, a-t-elle observé, peuvent présenter des troubles graves qui devraient inquiéter le législateur et le conduire à introduire dans la loi des garde-fous pour le recours à la résidence alternée. Elle a particulièrement dénoncé la possibilité donnée aux juges d'imposer une résidence alternée à des parents en situation de conflit ouvert. La résidence alternée ne peut , selon elle, fonctionner qu'en respectant des conditions précises : absence de conflit parental , prise en compte de la maturité et du souhait de l'enfant , respect de ses rituels et habitudes afin d'assurer une continuité psychique.

Mme Isabelle Juès, présidente de l'Association pour la médiation familiale , a constaté que l'alternance est inhérente à toute séparation des parents , quel que soit le régime juridique adopté pour la résidence des enfants. Même si elle est source de difficultés, elle est vitale pour l'enfant , car elle lui permet de rester au contact de ses deux parents et donc de construire son identité. Le rôle des médiateurs familiaux est d'aider les parents à prendre acte de cette alternance, à distinguer ce qui relève de leur conflit de couple et de leur responsabilité de parents et à faire preuve de créativité dans leur organisation, en rappelant que l'équilibre de l'enfant ne réside pas nécessairement dans un partage de son temps à part égale entre ses parents.

M. François Fondard, président de l'Union nationale des associations familiales , a soutenu le principe de la résidence alternée, comme moyen d'égalité entre les parents et de préservation des liens de l'enfant avec son père et sa mère . Il est important de recueillir l'avis de l'enfant capable discernement sur son mode de résidence. Toutes les séparations reflètent nécessairement des situations conflictuelles et la difficulté pour les enfants réside moins dans la gestion du temps que dans la gestion du conflit. La résidence alternée ne doit pas être nécessairement égalitaire.

Mme Clotilde Brunetti, responsable de la commission juridique de la Confédération nationale des associations familiales catholiques , a insisté sur la nécessité de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant et de rappeler la complémentarité de l'homme et de la femme face aux discours parfois égalitaristes des tenants de la résidence alternée. Il est important pour l'enfant de pouvoir se référer à un lieu de vie unique et il est dommage, à ce titre, que la notion de résidence habituelle ait disparu dans le code civil. A son sens, il serait dangereux et déraisonnable de faire de la résidence alternée une règle générale et absolue , au risque de faire de l'enfant un « sans domicile fixe ». L' audition de l'enfant est souhaitable , en fonction de sa maturité, et suppose que les juges y consacrent suffisamment de temps. L'intérêt que présente une enquête sociale préalable à la décision de résidence alternée mérite également d'être relevé.

3. Le regard des avocats et des magistrats

Mme Hélène Poivey-Leclercq, avocat, représentant le Conseil national des barreaux, l'Ordre des avocats au barreau de Paris et la Conférence des bâtonniers , a relevé que les couples qui s'engagent dans des procédures de divorce connaissent en général l'existence de ce mode de résidence : les hommes ont tendance à considérer qu'il devrait constituer le principe, et non l'exception, et les femmes à y voir une menace au motif que leur conjoint n'a pas eu, dans l'éducation quotidienne des enfants, une implication aussi importante que la leur.

Les demandes des parents ne sont pas toujours guidées par le seul intérêt de leur enfant, mais par deux autres types de considération : le regard des autres et l'argent . Bien souvent, la résidence alternée est socialement perçue comme une victoire pour le père et un échec pour la mère, celle-ci étant considérée comme devant avoir à temps plein la résidence de ses enfants. S'agissant des considérations pécuniaires, certains pères attendent de la résidence alternée une diminution des sommes à verser à la mère, moins par souci de réaliser des économies que de subvenir directement aux besoins de leur enfant et de lui marquer ainsi leur affection ; certaines mères redoutent à l'inverse une réduction des sommes reçues du père, par crainte que celui-ci n'utilise son pouvoir d'achat plus élevé pour essayer de s'attacher les faveurs de leur enfant.

L' intervention du juge aux affaires familiales est l'occasion de replacer l'enfant, si besoin en est, au centre du débat entre les parents. Elle se fait toujours discrète en cas d'accord entre ces derniers. L'attitude du juge face au principe même de la résidence alternée est variable : certains magistrats y sont systématiquement favorables ou, à l'inverse, opposés, mais la majorité d'entre eux apprécie au cas par cas l'opportunité de la mesure , le plus souvent après une enquête sociale ou une expertise médico-psychologique ainsi qu'une audition de l'enfant.

Mme Hélène Poivey-Leclercq a constaté une acceptation sociale progressive de la loi du 4 mars 2002 et une plus grande sensibilité des parents à l'intérêt de leur enfant , d'autant que la procédure de divorce a été récemment dédramatisée. Aujourd'hui, les pères ne se résignent plus à abandonner à la mère la garde de l'enfant . A l'avenir, on peut craindre le cas inverse où aucun des deux parents ne souhaiterait accueillir ses enfants chez lui en permanence , en raison notamment de ses obligations professionnelles.

Mme Valérie Goudet, vice-présidente du tribunal de grande instance de Bobigny chargée des affaires familiales , a souligné la bonne coordination des neuf juges aux affaires familiales du tribunal et indiqué que les demandes de résidence alternée formulées conjointement par les deux parents étaient systématiquement homologuées , sauf lorsqu'elles s'avéraient aberrantes : dès lors que les parents exercent conjointement l'autorité parentale, il n'y a pas de raison, a priori , de rejeter leur demande si l'intérêt de l'enfant n'est pas manifestement négligé .

Si le divorce est demandé huit fois sur dix par la femme, la résidence alternée est réclamée, à l'inverse, huit fois sur dix par le père, celui-ci y voyant souvent un moyen d'atténuer le choc de la séparation et de maintenir un lien avec la mère. Il arrive également que l'un des parents demande l'interruption d'une résidence alternée décidée au moment de la séparation.

Les situations de désaccord étant très délicates à apprécier, les juges, pour étayer leur décision, recourent à des enquêtes, sociales ou médico-psychologiques, ou orientent les parents vers la médiation familiale .

En revanche, la prise en compte de la parole de l'enfant appelle la plus grande prudence , voire de franches réserves, car l'obligation légale faite au juge de s'assurer que l'enfant a bien eu connaissance de son droit à donner son avis risque de placer l'enfant au coeur d'un conflit qui n'est en réalité pas le sien.

Mme Valérie Goudet a indiqué avoir déjà ordonné une résidence alternée contre l'avis de l'un des parents lorsque l'enquête sociale avait établi l'absence d'obstacles dirimants. A l'inverse, les principaux motifs de rejet d'une demande de résidence alternée sont l'inadéquation ou l'éloignement des domiciles, l'âge de l'enfant ou des divergences de vues trop importantes sur son éducation. Enfin, elle a marqué l'attachement des juges du tribunal de grande instance de Bobigny à la médiation familiale , celle-ci devant être à son sens une étape obligée du parcours judiciaire .

II. UNE LÉGISLATION RÉCENTE QUI N'APPELLE PAS DE MODIFICATION ÉVIDENTE

Plusieurs propositions de réforme législative ont été formulées au cours de ces auditions, sans toutefois recueillir un consensus minimal. Peut-être convient-il simplement, comme cela a été également évoqué, de développer les instruments d'aide à la décision.

A. DES PROPOSITIONS DE RÉFORME LÉGISLATIVE PEU CONSENSUELLES

Si la révision de la place de l'alternance parmi les modes de résidence de l'enfant a été proposée, les principales interrogations portent sur l'opportunité, d'une part, de supprimer le pouvoir reconnu au juge aux affaires familiales de l'imposer en cas de désaccord des parents, d'autre part, de l'interdire pour les enfants en bas âge. Le partage des prestations familiales est jugé nécessaire mais ses modalités de mise en oeuvre s'avèrent délicates. Enfin, quelques propositions de modifications de la procédure judiciaire et du code pénal ont été avancées.

1. La révision de la place de l'alternance parmi les modes de résidence de l'enfant

La résidence alternée ne constitue actuellement qu'un mode de résidence parmi d'autres, une simple possibilité offerte aux parents et au juge aux affaires familiales.

Quelques intervenants ont souhaité que cette place soit redéfinie. Toutefois, leurs positions sont contradictoires.

Ainsi, MM. Stéphane Ditchev et François Fondard ont estimé que la résidence alternée devrait devenir la règle en cas de séparation des parents.

A l'inverse, Mme Clotilde Brunetti a souhaité le rétablissement de la notion de « résidence habituelle » et que la résidence alternée soit réservée à des situations spécifiques, en fonction de l'âge de l'enfant.

2. L'interdiction de la résidence alternée pour les enfants en bas âge

M. Maurice Berger, Mmes Mireille Lasbats, Jacqueline Phélip et Clotilde Brunetti ont suggéré d'interdire la résidence alternée pour les jeunes enfants.

M. Hugues Fulchiron, professeur de droit, doyen de l'université de Lyon 3, directeur du Centre du droit de la famille , s'y est opposé, en relevant l'absence de consensus entre les spécialistes de l'enfance sur les effets de la résidence alternée. Autant laisser au juge , comme aujourd'hui, le soin d'apprécier au cas par cas chaque situation , en recourant le cas échéant à des expertises ou à la médiation familiale.

Une telle interdiction présenterait selon lui plusieurs inconvénients : introduire une grande rigidité , alors que le seul critère de la décision doit être l'intérêt de l'enfant ; susciter un débat sans fin sur l'âge en deçà duquel la résidence partagée devrait être prohibée ; porter atteinte au principe de coparentalité ; entretenir le sentiment d'instabilité législative .

Mme Hélène Poivey-Leclercq a, elle aussi, estimé qu'il ne serait pas opportun d'interdire le recours à la résidence alternée en dessous d'un âge déterminé.

Mme Valérie Goudet a indiqué que les juges aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bobigny, lorsqu'ils étaient saisis d'une demande de résidence alternée concernant un enfant de moins de trois ans à laquelle sa mère était hostile, décidaient toujours de fixer la résidence de l'enfant chez elle. Pour les enfants âgés de trois à six ans, les décisions judiciaires sont variables.

M. Marc Guillaume a souligné que la proportion des enfants de moins de trois ans en résidence alternée était extrêmement faible et que la décision était, dans ce cas, pratiquement toujours prise avec l'accord des deux parents. Les résultats des études statistiques sur le recours à la résidence alternée ne fournissent ainsi aucune raison objective de modifier la législation, même si certaines décisions peuvent parfois engendrer, comme dans bien d'autres domaines, des situations individuelles difficiles.

3. La remise en cause du pouvoir d'appréciation du juge aux affaires familiales

M. Maurice Berger et Mme Jacqueline Phélip se sont élevés contre la possibilité donnée au juge aux affaires familiales d'ordonner une résidence alternée en cas de désaccord entre les deux parents.

A l'inverse, M. Hugues Fulchiron a jugé légitime que le juge puisse imposer un partage de la résidence de l'enfant, à titre provisoire ou définitif, en raison de la nécessité d'éviter de donner un droit de veto au parent qui s'estime en position de force pour obtenir la résidence de l'enfant .

En dépit de quelques arrêts erratiques, les juges ne font d'ailleurs pas un usage immodéré de leur pouvoir, a-t-il observé, et il arrive que la résidence partagée soit en définitive bien vécue par les parents après leur avoir été imposée dans un premier temps.

Enfin, il est également nécessaire, selon lui, de conserver la règle permettant au juge aux affaires familiales de s'opposer, dans l'intérêt de l'enfant, à la mise en place d'une résidence partagée, même souhaitée par les deux parents .

Mme Hélène Poivey-Leclercq a estimé, elle aussi, qu'il convenait de conserver la possibilité donnée au juge d'imposer aux parents une résidence alternée, au moins à titre provisoire.

4. Le partage des prestations familiales

Si la plupart des représentants d'associations ont exprimé le souhait que le partage des prestations familiales, notamment des aides au logement, soit rendu possible, d'aucuns ont également souligné les risques d'effets pervers, qu'il s'agisse de la diminution du montant global des prestations versées aux deux parents ou de la précarisation de la situation de la mère.

M. Aymeric de Chalup, responsable du pôle « prestations familiales » à la direction des prestations familiales de la Caisse nationale des allocations familiales , a observé que la législation et la réglementation, en prévoyant l'attribution de ces prestations à la personne qui assume la charge effective et permanente de l'enfant, sans considération du lien de parenté, avaient permis de s'adapter aux évolutions des configurations familiales, notamment au développement des familles recomposées.

Il a toutefois reconnu que, jusqu'à récemment, le code de la sécurité sociale ne reconnaissait pas à chaque parent un droit aux prestations familiales, ce qui ne permettait pas de résoudre les situations de conflit sur le choix de l'allocataire en cas de résidence alternée des enfants. Si la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a autorisé le partage des allocations familiales, les autres prestations ne peuvent toujours être versées qu'à un allocataire unique .

En l'absence de règles spécifiques à la résidence alternée, les caisses d'allocations familiales se réfèrent à une éventuelle décision du juge aux affaires familiales, proposent aux parents d'alterner chaque année le choix de l'allocataire ou de recourir à la médiation familiale et, à défaut, s'en remettent à la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale .

Dès lors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a prévu le partage des seules allocations familiales, il serait logique de verser à chacun des parents la moitié de toutes les prestations familiales dues pour leurs enfants en résidence alternée, puisque la charge effective est partagée entre les deux ex-conjoints. Toutefois, une solution globale s'avère délicate à élaborer du fait de la nature très différente de ces prestations : certaines sont soumises à des conditions de ressources, d'autres sont plafonnées, d'autres encore varient selon le nombre d'enfants à charge. Il est de surcroît nécessaire de retenir des modalités de calcul garantissant une équité entre les parents, mais aussi entre les familles séparées et les familles non séparées, et conservant l'esprit initial de chaque prestation .

5. Des modifications de la procédure judiciaire et du code pénal

Mme Hélène Poivey-Leclercq a suggéré de rendre obligatoire la présence des avocats lors des enquêtes sociales , dès lors que ces enquêtes peuvent ne pas se dérouler de manière identique, au détriment du père ou de la mère, et d' instituer une sanction pénale à l'encontre du parent qui n'exerce pas son droit de visite et d'hébergement , cette sanction faisant le pendant de celle déjà prévue en cas d'entrave par l'autre parent à l'exercice de ce droit.

Mme Clotilde Brunetti a estimé qu'il conviendrait d'instaurer un référé permettant une révision plus facile de la résidence alternée lorsqu'il est soupçonné qu'elle est néfaste à l'enfant.

B. LE SOUHAIT D'UN RENFORCEMENT DES AIDES À LA DÉCISION

Pour aider les parents et les magistrats dans leur décision, il a été suggéré de définir un calendrier prévoyant la mise en place progressive de la résidence alternée, d'élaborer un guide des bonnes pratiques et de développer le recours à la médiation familiale.

1. La définition d'un calendrier prévoyant la mise en place progressive de la résidence alternée

MM. Maurice Berger, Gérard Neyrand, Alain Cazenave et Mme Jacqueline Phélip , dont les prises de position semblent a priori opposées, ont évoqué l'idée d'une mise en place progressive de la résidence alternée . Peut-être n'ont-ils pas la même conception de ce calendrier.

M. Maurice Berger a ainsi indiqué que plusieurs pédopsychiatres avaient proposé un calendrier incitatif qui pourrait servir de support aux décisions des magistrats. L'objectif est de mettre en place un hébergement progressif chez le père et de créer un dispositif d'accompagnement avec des visites régulières d'un pédopsychiatre ou d'un psychologue tous les six mois pendant deux ans.

De son côté, M. Gérard Neyrand a déclaré qu'il pourrait être utile d' accélérer le rythme de l'alternance de la résidence quand l'enfant est plus jeune , dans la mesure où les enfants en bas âge n'ont pas le même rapport au temps que les enfants plus âgés.

2. L'élaboration d'un guide des bonnes pratiques

Pour M. Hugues Fulchiron, la solution aux difficultés que peut poser la résidence alternée doit être recherchée non pas dans la modification d'une loi encore récente, mais dans l' élaboration d'un guide des bonnes pratiques permettant de conserver au système sa souplesse et de réduire le sentiment d'arbitraire éprouvé par certains parents à l'annonce de la décision judiciaire.

Mettant en avant les spécificités de chaque situation et les précautions prises par les juges aux affaires familiales avant de prendre leur décision, M. Marc Guillaume n'a pas jugé indispensable l'élaboration d'un tel guide .

3. Le développement de la médiation familiale

La nécessité de développer la médiation familiale a été soulignée par Mmes Mireille Lasbats, Isabelle Juès, Valérie Goudet et par M. François Fondard , ce dernier souhaitant que le juge puisse l'imposer aux parents et qu'elle soit dotée des moyens nécessaires.

M. Marc Guillaume a souligné que les crédits destinés à financer les associations de médiation familiale avaient doublé entre 2002 et 2004. Toutefois, a-t-il déclaré, une étude établissant un ratio entre le nombre des affaires résolues au moyen de la médiation et son coût conduirait peut-être à remettre en cause sa rationalité économique. Surtout, les mentalités ne sont, à son avis, pas encore prêtes, en France, pour ce mode de résolution des conflits, si on en juge par le faible nombre de justiciables ayant accepté d'y avoir recours après avoir suivi une séance d'information ordonnée par le juge aux affaires familiales. Une directive européenne devrait être prochainement adoptée pour développer le recours à la médiation.

AUDITIONS PUBLIQUES DE LA COMMISSION DES LOIS ET DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES - MERCREDI 23 MAI 2007

La séance est ouverte à neuf heures trente, sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, et de M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales .

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale . -

Mesdames, messieurs, mes chers collègues, je vous souhaite la bienvenue. Voilà cinq ans, l'Assemblée nationale et le Sénat s'accordaient pour consacrer, dans le cadre de la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, la possibilité d'une résidence alternée des enfants au domicile de leurs parents en cas de séparation ou de divorce.

L'objectif était de permettre aux enfants d'entretenir des relations suivies avec leurs deux parents et de consacrer la parité de l'homme et de la femme dans l'exercice de l'autorité parentale.

Le législateur n'en était pas moins conscient des contraintes pratiques importantes de ce mode d'organisation pour les parents, de la collaboration constante qu'il implique entre eux, ainsi que des avis partagés des spécialistes de l'enfance sur ses conséquences pour le développement de l'enfant.

Aussi a-t-il laissé au juge aux affaires familiales un large pouvoir d'appréciation et a rapidement autorisé le partage des avantages fiscaux liés à la présence des enfants en alternance au domicile de leurs deux parents.

En revanche, jusqu'à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 et son décret d'application du 13 avril dernier, le partage des prestations familiales n'était pas possible. Depuis lors, le partage des seules allocations familiales, à l'exclusion des autres prestations, est prévu.

Auparavant, au mois d'octobre 2006, nous avions débattu d'une proposition de loi présentée par notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste, prévoyant un partage à parts égales de toutes les prestations familiales à défaut d'accord des parents ou de décision contraire du juge.

Une telle solution n'a pu être retenue, comme l'a expliqué notre collègue André Lardeux, rapporteur de la proposition de loi, au nom de la commission des affaires sociales, en raison de la nécessité de prendre en compte les différentes conditions d'attribution de ces prestations.

À la suite de ces débats, la commission des lois et la commission des affaires sociales ont décidé d'organiser conjointement une journée d'auditions publiques et filmées pour dresser un bilan d'ensemble de la mise en oeuvre de la résidence alternée.

Sociologues, psychiatres, psychologues, avocats, magistrats, professeurs de droit, représentants des associations et des administrations concernées sont donc conviés à nous faire part de leur expérience et de leurs souhaits d'évolution de la législation.

Ce bilan complètera utilement ceux qui ont été dressés en 2006 par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la famille et les droits des enfants et par la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Monsieur le président, mes chers collègues, mesdames, messieurs, je suis très heureux que, sur l'initiative de notre collègue André Lardeux, nous ayons pu organiser cette journée d'auditions sur la question de la résidence alternée.

La résidence alternée ne représente que 8 % des décisions en matière de divorce ou de séparation, et non, comme le disait ce matin M. Gérard Neyrand sur une radio périphérique, 15 à 20 %.

Cinq ans après son adoption, nous devons faire le point sur l'application de la loi du 4 mars 2002. Nous avons le devoir de mesurer l'intérêt que cette solution représente pour l'enfant, pour le lien entre les parents et l'enfant, plus particulièrement pour le lien entre le père et l'enfant. Nous devons aussi mesurer son effet sur le développement psychologique de l'enfant.

Je remercie le président de la commission des lois d'avoir accepté de co-organiser cette série d'auditions qui nous permettront d'être mieux éclairés et, peut-être, de faire évoluer les textes.

M. Gérard Neyrand, professeur de sociologie à l'université de Toulouse 3, directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d'études et de recherches en sciences sociales

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

La parole est à M. Gérard Neyrand, professeur de sociologie à l'université de Toulouse 3, directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d'études et de recherches en sciences sociales.

M. Gérard Neyrand, professeur de sociologie à l'université de Toulouse 3, directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d'études et de recherches en sciences sociales . -

Je rappellerai brièvement mon implication en tant que sociologue dans l'histoire de la garde alternée qui, en 1987, est devenue la résidence alternée dès lors que la notion d'autorité parentale a été distinguée de la question de la résidence de l'enfant.

J'ai réalisé mon enquête au début des années quatre-vingt-dix, à une époque où la résidence alternée n'était pas encore reconnue juridiquement.

Si la résidence alternée concerne 8 à 10 % des décisions judiciaires, les 15 à 20 % que j'ai évoqués ce matin correspondent à la pratique de celle-ci. En effet, la résidence alternée peut être décidée par les parents en dehors de toute décision judiciaire. Lorsque j'ai effectué mon enquête, 8 à 10 % des personnes interrogées y avaient recours de façon quasi clandestine puisqu'elle n'était pas reconnue.

L'enquête portait sur soixante-dix couples, dont la moitié pratiquait la résidence alternée. Au terme de ma recherche - qui ne consistait pas en de simples témoignages individuels -, j'ai pu constater que la résidence alternée pouvait être bénéfique pour les enfants et pour les parents. Au-delà des difficultés rencontrées par certains et du mal-être manifesté par quelques enfants, les résultats de l'enquête donnaient une image éminemment plus positive de la pratique que celle qui était diffusée jusqu'alors par des cliniciens confrontés à des dysfonctionnements pathologiques dans un nombre limité de cas.

En effet, tout d'abord, en préservant la double relation parentale, une telle pratique est sans doute conforme au mode de vie antérieur des parents, un mode de vie égalitariste. Ensuite, il faut signaler l'intérêt manifesté par les enfants pour cette solution et les bénéfices éducatifs qu'ils peuvent en retirer, l'essentiel étant de maintenir un lien concret et régulier avec les deux parents. Enfin, cette pratique a des effets positifs sur la vie sociale et relationnelle des enfants : si les parents ont chacun leur enfant à mi-temps, ils sont plus disponibles dans la mesure où ils peuvent faire face à leurs contraintes professionnelles ou personnelles quand leur enfant n'est pas avec eux.

Contrairement aux craintes qui se sont manifestées, cet ensemble de facteurs concourt à l'équilibre psychologique des enfants.

D'autres enquêtes, surtout nord-américaines, ont confirmé ces résultats en montrant que les enfants en situation d'alternance ne présentaient généralement pas de troubles particuliers et que les perturbations qui avaient été constatées chez une minorité d'entre eux semblaient être liées davantage à la persistance du conflit parental qu'à la pratique de la résidence alternée.

Il est vrai qu'en cas de conflit parental, de surcroît lorsque l'enfant est au centre de celui-ci, l'alternance peut être préjudiciable à l'enfant. D'où l'intérêt des mesures de médiation familiale ou de pacification avant la mise en place de la résidence alternée.

Si les représentations de la résidence alternée ont évolué, si sa pratique est beaucoup mieux acceptée, aussi bien chez les cliniciens que chez les juristes, les résistances qu'elle suscite se sont focalisées sur la situation particulière des jeunes enfants.

La résidence alternée est très rare pour les bébés mais, compte tenu de la multiplication des séparations ayant lieu lorsque les enfants sont en bas âge, le nombre de jeunes enfants concernés n'est pas négligeable. Dans les trois quarts des demandes de résidence alternée, l'enfant unique ou le plus jeune des enfants a moins de dix ans. Surtout, dans un tiers des cas, il a moins de quatre ans.

C'est la raison pour laquelle cette solution peut créer un malaise chez une minorité d'enfants, comme je l'ai constaté, et entraîner parfois chez ceux-ci des troubles psychiques. Bien que l'origine de ces troubles soit complexe, leur existence, à laquelle sont d'abord confrontés les pédopsychiatres, a poussé certains d'entre eux à adopter une position hostile à la résidence alternée, peut-être avec l'idée que la seule personne capable de s'occuper d'un bébé ou d'un jeune enfant serait la mère. Même si l'on considère que les jeunes enfants ont toujours besoin d'amour, l'on peut se demander si la mère est la seule personne capable de le leur apporter. Est-ce que la prépondérance maternelle en la matière, qui a été théorisée il y a plus d'une cinquantaine d'années par de nombreux auteurs - je vous renvoie aux travaux de René Spitz et de John Bowlby, notamment, sur l'attachement -, doit véritablement être considérée comme exclusive d'autres attachements utiles au bien-être et à l'équilibre de l'enfant ?

Qu'est-ce qui permet d'affirmer qu'une résidence alternée serait a priori plus préjudiciable à l'enfant qu'une résidence unique chez la mère ? À ma connaissance, rien n'a jamais été véritablement démontré. Personne ne conteste que, sous l'influence de déterminations bioculturelles, les mères sont prédisposées à s'investir davantage dans la relation avec le bébé. D'ailleurs, bien des pères ne seraient pas capables de prendre la place que tient leur conjointe sur le plan des soins et de l'éducation jusqu'à un âge relativement avancé de l'enfant. Sauf exception, ces pères ne demandent pas une résidence alternée de leur enfant, surtout si ce dernier est très jeune.

En même temps, un certain nombre de pères sont très investis dès la naissance dans le soin apporté à leur bébé et se constituent donc en figure d'attachement pour celui-ci, autant que la mère, voire davantage, compte tenu du fait que la double activité est devenue la norme aujourd'hui et que, dans un certain nombre de cas, les pères peuvent être au chômage alors que les mamans travaillent.

En cas de séparation, la demande de résidence alternée apparaît logique. Elle s'inscrit dans ce que les parents perçoivent comme la préservation de l'intérêt de leur enfant, même si cela ne concerne qu'un nombre limité de cas.

Pourquoi, dès lors, ces situations devraient-elles être appréhendées selon un modèle qui ne les concerne pas ? En fait, pour la plupart des cliniciens, la présence de deux figures principales d'attachement pour un bébé doit être préservée. Le refus de l'alternance, qui prive l'enfant de l'une d'entre elles, semble alors participer plus d'une position idéologique que d'une analyse strictement scientifique.

L'absence plus ou moins prolongée d'un père impliqué - je vous renvoie aux travaux de Jean Le Camus - n'engendrerait-elle pas aussi des souffrances pour l'enfant et des carences préjudiciables à son bien-être ? Pour autant, cela ne revient pas à dire que le père et la mère sont interchangeables : ils ont bien sûr chacun une spécificité liée à leur position sexuée.

De fait, de nombreux témoignages de parents et d'enfants ayant vécu l'alternance de la résidence montrent que, lorsque les liens psychiques sont établis, celle-ci peut être bien vécue à tout âge, quitte à ce qu'elle soit aménagée en fonction des enfants, par exemple en augmentant le rythme d'alternance pour les plus jeunes. Le rapport au temps des jeunes enfants n'est pas le même que celui des enfants plus âgés et des adolescents. Pour les premiers, il est donc nécessaire que le rythme de l'alternance soit inférieur à la semaine. Dans ces cas-là, la stabilité des liens est plus importante à préserver que l'unicité du lieu de vie pour l'enfant.

L'hostilité de principe de certains pédopsychiatres à ce mode de gestion de l'après-séparation ne découle pas seulement du constat du mal-être de certains bébés qui, parfois, en résulte. Il faut reconnaître que des bébés ou de jeunes enfants peuvent manifester des troubles dans des situations d'alternance. Néanmoins, on peut se demander si ces troubles sont liés à l'alternance ou à des problèmes relationnels avec les parents, qui ont pour conséquence de placer l'enfant au centre d'un conflit qu'il ne peut pas gérer, surtout s'il est très jeune.

Aujourd'hui, les possibilités de réorganisation du lien familial sont multiples. Aussi, il est nécessaire de préserver la possibilité que celui-ci puisse être maintenu lorsque les parents le demandent et lorsqu'ils sont prêts à s'investir l'un et l'autre dans une double pratique de résidence de l'enfant.

Il convient d'insister sur la complémentarité des bénéfices que peuvent retirer les parents et les enfants de cette pratique. Contrairement à ce que laissent entendre certains de ses détracteurs, qui sont trop centrés sur les dysfonctionnements possibles, ce n'est pas leur seul intérêt que les parents défendent lorsqu'ils évoquent les bienfaits de la résidence alternée. En interrogeant un certain nombre d'enfants concernés, j'ai constaté que ceux-ci, en tout cas ceux qui étaient en résidence alternée depuis un temps relativement long, n'avaient pas envie de changer de système et trouvaient cette solution tout à fait convenable.

Je ne prétends pas que c'est la panacée puisque, même dans les pays où elle est juridiquement reconnue depuis longtemps, la résidence alternée ne dépasse jamais la moitié du total des modes de garde. Là où la pratique est la plus fréquente, que ce soit en Californie, dans d'autres États américains, ou dans des pays du nord de l'Europe, ce taux est au maximum de 40 %.

Un certain nombre de conditions contraignantes, parfois impossibles à réaliser, sont en effet requises pour la mise en place d'une résidence alternée. Il faut en outre que les deux parents veuillent la réaliser. Mais, pour un certain nombre de familles, celle-ci constitue sans doute la moins mauvaise des solutions pour organiser au mieux leur après-séparation.

Devant la diversité des situations familiales, notre système social a pour défi de soutenir les compétences des parents pour préserver la coparentalité et déterminer eux-mêmes les solutions qui conviennent le mieux à leur situation et à celle de leurs enfants.

M. André Lardeux.-

Monsieur Neyrand, vous avez présenté la défense du système de résidence alternée. Je vous poserai plusieurs questions.

Votre enquête avait porté sur soixante-dix couples, dont trente-cinq avaient adopté la résidence alternée. Je ne doute pas de la qualité de votre travail, mais estimez-vous que le nombre de cas que vous avez étudiés est suffisant pour valider scientifiquement l'ensemble des réflexions que vous venez de nous soumettre ?

Ensuite, vous avez parlé des troubles psychiques. Il en existe certes d'autres, mais ces troubles sont les plus graves qui puissent affecter les enfants. J'ai reçu quelques témoignages individuels, dont il ne faut, bien sûr, tirer aucune conclusion générale. Par exemple, une personne m'écrit qu'elle a « subi » - pour reprendre son propre terme - ce mode de garde bien avant que la loi ne l'ait institué. Elle se plaint de huit ans de changements d'environnement, de règles, d'autorité, de lit et de jouets, de transports de valises et de livres. Le rythme hebdomadaire de l'alternance, solution la plus fréquemment retenue, est-il le bon ? D'autres solutions ne pourraient-elles pas être envisagées tendant à allonger les délais de l'alternance et à diminuer le rythme des transferts des enfants ?

Ne devrait-on pas avoir recours à la résidence alternée en fonction de l'âge des enfants et de l'évolution des familles recomposées ? Au sein des familles recomposées, certains des enfants sont concernés par la résidence alternée, tandis que les autres ne fréquentent qu'un seul domicile. Cela ne va pas sans poser des problèmes pour les premiers. Que pouvez-vous nous dire en l'espèce ?

M. Gérard Neyrand.-

Mon enquête était qualitative. Il aurait d'ailleurs été très difficile de réaliser une enquête qui puisse prétendre à une quelconque représentativité. En effet, la résidence alternée n'étant pas reconnue à l'époque, il n'était guère possible de savoir à l'avance qui, parmi les personnes interrogées, était en situation d'alternance et qui était en situation de résidence unique.

À la suite d'une première étude que j'avais réalisée sur la situation de parents après leur séparation, j'avais rencontré un certain nombre d'entre eux qui pratiquaient cette garde alternée, préalablement à sa reconnaissance par la loi. Était-elle, ainsi que le prétendait le discours dominant de l'époque, véritablement impossible à pratiquer au motif qu'elle eût été déstabilisante et trop pénible pour les enfants, ou bien fallait-il donner raison aux parents que j'avais rencontrés au cours de ma première enquête et qui m'avaient parlé des bienfaits qu'ils avaient retirés de la résidence alternée et de leur souffrance qu'elle ne fût pas reconnue par le système social ?

Ce second terme de l'alternative fut, en quelque sorte, mon hypothèse de départ. L'enquête a effectivement démontré que la résidence alternée est, dans certains cas, non seulement possible, mais encore bénéfique pour les personnes qui y ont recours. Mais elle ne prétendait pas donner une représentation statistiquement exacte de la population concernée. On pouvait trouver des témoignages allant dans les deux sens : certains ont vécu la résidence alternée de façon très positive, et d'autres beaucoup moins. Même les enquêtes menées aux États-Unis ne sont pas statistiquement représentatives de la population. Il serait très difficile de parvenir à une représentativité exacte.

Le rythme hebdomadaire de l'alternance est-il le bon ? Il est en tout cas le plus pratiqué. Cela ne signifie pas qu'il convienne dans tous les cas. Ce rythme a tendance à s'allonger avec l'âge de l'enfant. D'ailleurs, un certain nombre des enfants que j'ai interrogés sont passés, à l'adolescence, d'un rythme hebdomadaire à un rythme bimensuel, et ce à leur propre demande. Dans le cas d'enfants très jeunes, le rythme d'alternance est inférieur à la semaine, justement parce que le rapport au temps diffère selon les enfants.

Ce rythme évolue en fonction de l'âge de l'enfant, des circonstances et des professions exercées par chacun des parents. L'alternance n'est pas toujours définie et peut légèrement varier selon les contraintes professionnelles du père ou de la mère.

L'évolution des situations de garde et de résidence de l'enfant après la séparation peut être liée à de multiples facteurs, y compris à des recompositions familiales. J'ai rencontré des enfants qui, dans un premier temps en résidence alternée, y ont finalement renoncé. Je me souviens du cas d'une jeune fille qui, adolescente, ne s'entendant pas avec sa belle-mère, a préféré rester vivre chez sa mère, après avoir pratiqué pendant douze ans la résidence alternée à sa plus grande satisfaction. Rien n'est jamais définitif et chaque situation peut être adaptée.

À l'heure actuelle, les situations familiales sont très évolutives. Les situations monoparentales sont souvent des séquences dans la vie d'un individu et durent plus ou moins longtemps.

Mme Catherine Troendle.-

Monsieur Neyrand, vous avez évoqué tout à l'heure une problématique qui me semble primordiale dans l'approche de ce sujet, à savoir le conflit entre les parents. Il est très difficile d'évaluer le degré de conflit qu'il peut y avoir entre des parents. Dès lors qu'il en existe un, confirmez-vous que, selon vous, la résidence alternée n'est pas la solution la plus adaptée pour l'enfant ?

En outre, j'ai l'impression que vous vous intéressez beaucoup à la situation et aux sentiments des parents. Quid de l'enfant ? On ne peut pas interroger les enfants en bas âge et on n'a peut-être pas suffisamment de recul pour interroger des enfants plus âgés. Néanmoins, il aurait été opportun - mais peut-être n'aviez-vous pas non plus suffisamment de recul - d'auditionner également les enseignants, dont les nombreux témoignages attestent qu'ils sont parfaitement à même de repérer dans leurs classes les enfants vivant mal la résidence alternée. La problématique semble s'aggraver au fur et à mesure que l'enfant grandit, notamment au collège, en classes de sixième et de cinquième.

M. Gérard Neyrand.-

Tout d'abord, un conflit conjugal non résolu ne me paraît pas constituer un obstacle définitif à la pratique de la résidence alternée, à condition que les parents parviennent à le dissocier de leur rapport avec leur enfant. Certains parents ont fait la part des choses et ont décidé, dans l'intérêt de l'enfant, de pratiquer une résidence alternée, en limitant la communication entre eux aux questions relatives à l'éducation de leur enfant.

Ce travail de dissociation est une nécessité absolue. Lorsque les parents n'y parviennent pas, il faut mettre en place une médiation, pour éviter que l'enfant pris entre les deux feux ne se trouve très perturbé.

De toute façon, il faudrait davantage prendre en compte les avis des éducateurs et des enseignants.

La pratique de la résidence alternée est née dès les années soixante-dix, principalement dans les couches sociales moyennes cultivées. Nous disposons maintenant d'un certain recul, avec le témoignage de personnes aujourd'hui âgées de trente ans ayant vécu une bonne partie de leur enfance en résidence alternée.

Mme Marie-Thérèse Hermange.-

Nous en convenons tous, la situation familiale des parents - mariés, non mariés, divorcés, en union libre - a une interaction sur la vie et le développement ultérieur de l'enfant, comme le souligne Serge Lebovici.

Dans votre exposé, monsieur Neyrand, vous avez cité les études de John Bowlby, René Spitz, Donald Winnicott. Nous, législateurs, représentons, en fin de compte, l'opinion publique, soit, selon Gaston Bachelard, ceux qui pensent mal.

Pour ma part, j'ai toujours eu le sentiment que ces théories relatives à l'interaction et à l'attachement tendaient à démontrer la nécessité de « défusionner » la relation entre la mère et l'enfant pendant la période de vulnérabilité de ce dernier, notamment pour que le père puisse jouer son rôle de limite et d'autorité. Or vous semblez affirmer qu'aux yeux de ces experts les rôles du père et de la mère sont similaires.

Peut-être ai-je mal compris ! Il va sans dire que la perception que nous avons de ces différentes théories n'est pas sans influence sur nos travaux législatifs.

Même Jean Le Camus a insisté sur le rôle précis de la paternité. C'est aujourd'hui un point fondamental. Poser la question de l'autorité, c'est-à-dire de la limite, c'est poser celle de la paternité. Qui « fait le père » aujourd'hui ? Le législateur ? Le père ? L'instituteur ? Le juge ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

C'est l'enfant-roi !

Mme Marie-Thérèse Hermange.-

Tout à fait !

M. Gérard Neyrand.-

C'est l'enfant qui « fait le père » !

Mme Marie-Thérèse Hermange.-

Peut-on parler de prédisposition bioculturelle de la mère ? S'il participe aux soins de ses enfants au même titre que la mère, le père doit-il pour autant négliger la question de la limite ?

M. Gérard Neyrand.-

Je partage l'avis que vous venez d'exprimer, même si je n'ai pas pu le développer au cours de mon intervention, mon temps de parole étant limité.

Spitz et Bowlby ont théorisé le fonctionnement du modèle familial dans les années cinquante, alors que les rôles paternel et maternel étaient très différenciés et qu'il revenait à la mère de s'occuper des enfants, notamment en bas âge.

Une évolution importante s'est produite depuis dans les comportements, mais aussi dans les positionnements théoriques. Les travaux de ces experts ont été non pas contredits, mais relativisés par les études ultérieures, notamment celles de Jean Le Camus.

À l'évidence, un enfant élevé avec un seul parent court un risque « fusionnel » en se renfermant sur la relation unique avec le parent gardien. À cet égard, la notion de tiers séparateur, de tiers tout court, qui permet à l'enfant d'avoir une bipolarité de relations, m'apparaît très importante.

Précisément, la résidence alternée donne à l'enfant la possibilité de maintenir un double système relationnel, sans s'enfermer dans une relation unique.

Nous touchons à la problématique que vous évoquiez concernant la paternité et la place du père aujourd'hui, sachant que son rôle ancien a été délégitimé, alors que la préservation de la coparentalité se révèle nécessaire, notamment sur le plan psychique.

M. Jean-René Lecerf.-

Permettez-moi de vous livrer un modeste témoignage. Je participe depuis plusieurs années au jury d'un concours qui est organisé conjointement par le Sénat et un quotidien d'information pour enfants.

Actualité oblige, la question posée cette année avait pour thème : « Si j'étais président... ». Dans les différents projets présentés par des élèves de l'enseignement primaire et du début du secondaire, à notre grande surprise, de nombreuses remarques ont eu trait au problème des familles séparées. La résidence alternée a été très critiquée, non pas sur le principe, mais sur ses modalités.

Ainsi, les enfants ont revendiqué de disposer chez chacun des deux parents d'une chambre, d'un bureau, de leurs manuels scolaires pour pouvoir faire leurs devoirs. Ils se sont insurgés contre la durée de transport, parfois supérieure à une heure, entre le domicile du père et celui de la mère. Enfin, ils ont considéré que les réformes ne pouvaient se faire sans leur accord puisqu'ils étaient les premiers concernés.

M. Gérard Neyrand.-

J'ai également constaté, au cours de mon enquête sur la résidence alternée, que les inconvénients soulignés par les enfants étaient d'ordre pratique, tandis que les avantages qu'ils relevaient étaient relationnels et psychologiques. Les discours tenus par les enfants montrent bien une différence à cet égard.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Je vous remercie.

M. Maurice Berger, psychiatre, psychanalyste, chef du service « Psychiatrie de l'enfant » au centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne ; Mme Mireille Lasbats, psychologue clinicienne, expert près la cour administrative d'appel de Douai

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

La parole est au Dr Maurice Berger, psychiatre, psychanalyste, chef du service « psychiatrie de l'enfant » au CHU de Saint-Étienne.

M. Maurice Berger, psychiatre, psychanalyste, chef du service « psychiatrie de l'enfant » au centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne.-

Je vous livre le point de vue médical d'un pédopsychiatre ayant une pratique clinique quotidienne avec des enfants réels, non pas ceux de la loi ou de la sociologie.

Alors que la loi de mars 2002 a été élaborée sans que soit sollicité l'avis d'un seul pédopsychiatre, il est maintenant demandé à cette profession de réparer les dégâts. Ainsi, mes collègues et les psychologues sont consultés sur des centaines de cas ; il m'arrive d'être sollicité jusqu'à trois fois par semaine.

Il est donc faux d'affirmer qu'il y a peu de situations difficiles, même si les choses se passent bien dans certains cas.

En fait, les enfants en question présentent des troubles liés à la mise en place d'une résidence alternée sans précautions. Mais aucune étude statistique ne porte sur le devenir des enfants qui supportent mal ce mode d'hébergement.

En général, mes propos sont tellement déformés que je tiens à préciser tout de suite que je n'ai aucune position de principe contre la résidence alternée. Je considère qu'elle a été très bénéfique pour certains adolescents, alors que pour d'autres elle a constitué la pire des choses. Cela montre la difficulté de la généralisation.

Au demeurant, j'ai toujours pensé qu'il était souhaitable, pour son développement affectif, que l'enfant bénéficie très précocement, dès les premiers mois de sa vie, de contacts suffisamment fréquents avec ses deux parents pour être significatifs.

Cela dit, le dispositif de la résidence alternée tel qu'il est appliqué en France, reposant sur le partage par moitié, soulève de sérieux problèmes pour les enfants âgés de moins de six ans. Ce sont ces cas que j'évoquerai.

En effet, la question des tout petits n'a été que très insuffisamment pensée dans la loi. Mon député a d'ailleurs reconnu, lorsque je l'ai interrogé, que le cas des bébés n'avait pas été envisagé.

Construite sans garde-fou, la loi a été détournée de son sens : dans de nombreux cas, il s'agit non plus de la qualité du lien proposé à l'enfant, mais de la part d'enfant que chaque parent aura.

Dès lors, si certains magistrats font preuve de prudence, nombre de décisions judiciaires sont inadéquates, prises non pas par méconnaissance, mais par idéologie. On sait par avance, sur le plan géographique, quelle décision sera prise, indépendamment du contexte familial.

On peut voir ainsi la mise en place d'un dispositif de résidence alternée pour un bébé de six ou sept mois, d'un système engendrant sept changements de résidence en dix jours pour des enfants de quinze mois, de décisions de résidence alternée dans des situations extrêmement conflictuelles, de prescriptions par certains magistrats de dates de fin d'allaitement pour permettre l'application de la résidence alternée.

On peut voir également des décisions ne tenant aucun compte de l'éloignement des domiciles des parents. Il en est ainsi de la décision d'un tribunal français, citée par Claire Brisset, à l'époque défenseure des enfants, contraignant un bébé de six mois à passer six semaines chez son père aux États-Unis et six semaines chez sa mère en France ; dans certains cas, les enfants doivent fréquenter deux écoles.

Même Gérard Poussin, favorable à la résidence alternée, considère qu'un tel dispositif ne peut être mis en place que moyennant un certain nombre de précautions.

Il faut noter que les décisions de résidence alternée ordonnées à titre provisoire pour évaluer leur faisabilité ne sont presque jamais modifiées par la suite, quels que soient les troubles présentés par l'enfant au cours de cette période d'essai.

Contrairement aux affirmations des non-cliniciens, des conséquences sont visibles : troubles fréquents, intenses, impressionnants, durables et impossibles à traiter, troubles du sommeil, agressivité, traduisant l'angoisse de l'abandon, un sentiment permanent d'insécurité, une perte de confiance dans les adultes, un état dépressif. Certains enfants de moins d'un an peuvent avoir le regard vide durant plusieurs heures.

Nous commençons à avoir le recul suffisant pour constater que ces troubles persistent souvent à l'adolescence. Des témoignages figurent sur le site de l'Association des parents d'élèves de l'enseignement libre, que je vous invite à consulter.

Je peux affirmer qu'une telle pathologie est directement liée à la mise en place de la résidence alternée puisque je ne la constatais pas auparavant, alors que j'exerce la pédopsychiatrie depuis 1975, époque à laquelle des divorces impliquaient déjà des enfants en bas âge.

Les causes de ces troubles sont clairement repérées. Lorsque les parents ne sont pas en conflit, certains enfants, compte tenu de leur sensibilité personnelle, supportent mal soit l'instabilité de leur cadre de vie, soit l'éloignement prolongé et répété de la figure d'attachement maternel. Ces symptômes disparaissent si les parents acceptent d'aménager différemment l'alternance.

Lorsque les parents impliquent leur enfant dans un conflit important, l'enfant n'a pas d'autre choix pour se construire que de s'adapter en surface à deux mondes opposés en se coupant de ses sentiments. Lorsqu'il est chez un parent, il perd tout contact avec l'autre. Dans les situations de conflit, aller chez un parent, c'est perdre l'autre.

De mon point de vue, la question est donc non pas de déterminer le droit des pères ou celui des mères, mais uniquement de savoir comment protéger le développement affectif d'un enfant.

Comment les sénateurs et les députés en sont-ils venus à voter une loi qui risque de créer des troubles affectifs ?

Tout d'abord, lors de la préparation du projet de loi, le discours sociologique prééminent a prévalu sur la question de la vie psychique et affective de l'enfant.

Or ce n'est pas parce que des pères ont décidé d'exercer différemment leur rôle parental dans une société en évolution que les besoins relationnels des bébés ont changé. Leurs besoins de stabilité demeurent les mêmes.

Je suis convaincu que le père a une place spécifique à prendre auprès de son bébé, qui n'est pas équivalente à celle de la mère. Elle est complémentaire, ainsi que l'ont montré notamment les travaux de Jean Le Camus et Michael Lamb. Désolé, le père n'est pas une mère comme les autres !

Il existe à l'heure actuelle une confusion entre l'égalité de droits sur le plan de l'autorité parentale et l'égalité de rôles quant au développement précoce de l'enfant. En fait, la figure maternelle est plus sécurisante. La figure paternelle permet plus d'ouverture sur le monde extérieur.

Selon le discours sociologique, celui du rapport d'Irène Théry, la famille est un système d'échanges où chacun a des droits - les enfants, mais aussi les parents -, où chacun a des devoirs - les parents, mais aussi les enfants. Je m'interroge : quels sont les devoirs d'un enfant de six ans ou d'un bébé de douze mois ? Un sociologue connaît-il parfaitement la santé mentale du tout petit ?

Permettez-moi de citer la réponse d'un sociologue à une mère dont l'enfant va mal depuis l'âge de sept mois, qui, lorsqu'il revient de chez son père, pleure silencieusement pendant son sommeil, se réveille fréquemment la nuit, présente un visage sans expression dans la journée et connaît des instants de panique : « Le fait que votre bébé en arrive à pleurer la nuit ne me semble pas anormal : il a à faire le deuil de l'amour que ses parents avaient l'un pour l'autre quand il a été conçu. »

Telle n'est pas l'interprétation que, pour ma part, je donnerais à ces faits !

Ensuite, la préparation du projet de loi a été marquée par les méthodes utilisées par les associations de pères qui se présentent comme des victimes.

Je reconnais que les pères ont souvent eu une place insuffisante auprès de leur enfant. Mais il est devenu coutumier que les professionnels qui, comme moi, ne font que souligner les risques de la résidence alternée pour les enfants en bas âge, se trouvent calomniés, diffamés, traités de vichystes, de nazis sur les sites Internet de ces associations, qui les accusent de prétendre qu'une mère a une valeur supérieure à un père et d'opérer ainsi une discrimination raciale, sans voir que leurs propos concernent uniquement la protection du développement affectif de l'enfant.

J'ai apporté un extrait du bulletin d'actualité de l'association Les Papas = Les Mamans, paru sur le site Internet de cette dernière, où je suis traité de nazi. Les mêmes propos sont publiés dans un numéro du magazine SOS-Papa. Je suggère à ces associations de faire preuve d'une plus grande courtoisie.

À cela s'ajoutent des menaces à peine voilées d'un certain nombre de pères, à tel point qu'un pédiatre a renoncé à publier dans une revue scientifique un article montrant comment certains troubles psychosomatiques importants peuvent être mis en lien avec la résidence alternée !

Tel est l'état des lieux réel ; ce n'est pas un tableau à l'eau de rose ! Va-t-on continuer à se voiler la face ?

Certes, tout n'est pas à rejeter dans le dispositif de la résidence alternée, car il convient réellement à certains enfants. Toutefois, il importe d'y apporter des modifications, qui dépendront du courage ou de l'absence de courage des responsables politiques.

Une réflexion a été menée récemment sur ce sujet par le précédent ministère délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, dans le cadre d'un séminaire dirigé par le professeur Jeammet, considéré comme un pédopsychiatre très expérimenté et très modéré dans notre profession.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

La parole est à Mme Mireille Lasbats, psychologue clinicienne, expert près la cour administrative d'appel de Douai.

Mme Mireille Lasbats, psychologue clinicienne, expert près la cour administrative d'appel de Douai . -

J'ai une expérience de terrain et je suis psychologue clinicienne. Je donne des consultations sur des tout petits, des enfants scolarisés et des adolescents. Je possède une grande expérience en qualité d'expert. J'ai beaucoup travaillé avec les magistrats, étant très souvent requise par des juges aux affaires familiales dans des affaires de divorces conflictuels.

Dans mon activité, j'ai évidemment recours aux concepts, me référant notamment à John Bowlby et à tous les auteurs qui ont déjà été cités. Toutefois, mon expérience est également pratique. Or je constate que, depuis la loi de 2002, les besoins différents des enfants n'ont pas été suffisamment pris en compte dans le dispositif de résidence alternée. Les besoins d'un nourrisson sont bien spécifiques, tout comme le sont ceux d'un enfant scolarisé dans l'enseignement primaire ou ceux de l'adolescent.

En tout premier lieu, il importe donc de déterminer le stade d'évolution de l'enfant, de considérer son contexte familial et de définir la demande des parents. Je suis favorable à une approche modulée au cas par cas. À cet égard, ma position est plus nuancée que celle de M. Neyrand. Sachant qu'un enfant a sa fragilité, son propre rythme, sa spécificité, une étude individualisée me paraît nécessaire avant toute décision.

Qu'en est-il actuellement de la place du père et de la mère selon les concepts de nos théoriciens et suivant notre pratique sur le terrain ? Nous sommes tous d'accord pour dire que le père et la mère sont absolument indispensables pour l'évolution et l'équilibre de l'enfant. Il n'y a aucun doute à cet égard, les deux sont essentiels.

Au-delà, il importe de définir le domaine d'intervention de chacun. Les apports de l'un et de l'autre parent étant complémentaires, ils ne devraient pas se superposer. Un manque de différenciation entre le rôle du père et celui de la mère - le père voulant jouer le rôle maternant et la mère adoptant une attitude trop autoritaire, paternelle ou masculine - conduit à une confusion des genres et à une perte de repères.

Bien différencier les rôles dans leur complémentarité et dans leur entente est une base d'évolution psychoaffective nécessaire.

En outre, si chacun éprouve le besoin de paix, de calme, le nourrisson se construit selon des rythmes bien définis et inchangeables. Il faut impérativement veiller à ce que n'interviennent pas trop de bouleversements dans sa vie. Le nourrisson ne repère pas immédiatement un individu comme étant son père ou sa mère. Il est beaucoup plus sensible aux lumières, au calme, à la chaleur, à l'ambiance. C'est aussi tout cela qui constitue sa base de sécurité primaire.

Où sont les facteurs d'équilibre ? Cette complémentarité et cette ouverture dans la triangulation résident également dans la parole de la mère, dans la place qu'elle accordera au père. Si elle tient des propos disqualifiants à l'égard du père ou, à l'inverse, si le père tient de tels propos sur la mère, il se produira automatiquement chez l'enfant une espèce de rejet de l'autre parent.

Donc, cette ouverture est faite non seulement par la perception, la vision régulière de l'un ou de l'autre, mais par la parole, par l'acceptation de l'autre.

Mon temps d'intervention étant limité, je vous invite à consulter l'article plus complet que j'ai écrit à ce sujet dans la revue Dalloz et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Quelles sont les conditions pour que soient réussies la résidence alternée et la séparation conjugale ?

Avant même qu'interviennent la décision judiciaire ou la décision librement consentie par les conjoints, il importe que chacun accepte de laisser la place à l'autre, d'autoriser le lien avec l'autre. En d'autres termes, il doit y avoir une acceptation de l'altérité et de la suppléance.

Il faut se garder de concevoir la résidence alternée comme un partage mathématique. Il est souhaitable d'établir une grille des besoins de l'enfant, en fonction de son âge, de son niveau de scolarisation, de sa fragilité, parfois de ses retards ou de ses handicaps : les situations sont multiples. En règle générale, plus l'enfant est sécurisé, plus il aura de facilité pour aller vers l'extérieur.

Quatre critères sont à retenir.

Le premier concerne l'âge de l'enfant. Au-dessous de trois ans, il est très difficile pour un enfant de changer de lieu et surtout d'hébergement nocturne. Le fait de passer une ou deux nuits à l'extérieur de son milieu le perturbe considérablement.

Des recherches ont montré que, chez les enfants de moins de trois ans, l'hébergement, non seulement en résidence alternée mais aussi en week-ends répétés, provoque des troubles fonctionnels, des réveils nocturnes, des cauchemars ou des symptômes d'angoisse de séparation, d'agrippement, des difficultés d'adaptation, une grande anxiété et un fort sentiment d'insécurité.

Au-delà de trois ans, l'enfant acquiert de la résistance, une faculté plus grande d'adaptation et peut plus facilement passer une ou deux nuits, voire plus, à l'extérieur de chez lui.

N'oublions pas le phénomène de la mémorisation. Avant trois ans, un enfant ne peut pas se souvenir très longtemps des visages, que ce soient ceux de sa mère, de son père, des figures d'attachement. C'est ainsi qu'après une séparation supérieure à deux nuits, l'enfant perd très rapidement la mémoire de ses figures d'attachement. Une journée équivaut pour lui à plusieurs mois pour un adulte.

Les capacités de mémorisation sont aussi importantes que celles de la cognition, de la compréhension et du jugement. Il importe donc de prendre en compte la maturité psychique et physiologique de l'enfant.

Le deuxième critère concerne la proximité géographique. Il est indispensable que l'école se situe près de la résidence du père et de celle de la mère, que l'enfant garde auprès de lui ses attaches culturelles et ses amis. Il faut éviter les grandes distances, sources de fatigue.

Le troisième critère, c'est l'entente des parents sur les modalités éducatives maternelles et paternelles. Une bonne organisation pratique est nécessaire sur de nombreux aspects matériels, notamment le choix des vêtements.

Il ne faut pas oublier que des décisions de résidence alternée prises trop à la hâte, sans étude psychologique approfondie des souhaits et de la personnalité de chacun des parents, ont pu entraîner non seulement des troubles chez l'enfant, mais aussi des rapts. Il arrive que des parents profitent du temps qui leur est imparti pour manipuler, voire enrôler l'enfant dont ils ont la charge. Les statistiques le démontrent : près de 50 % des syndromes d'aliénation parentale ont été constatés dans le cadre des décisions de résidence alternée. Quelle que soit la position de chacun en la matière, il faut donc agir avec prudence.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Si vous me le permettez, monsieur le président de la commission des lois, je souhaiterais réagir aux propos de mon confrère le Dr Berger et lui dire que je n'ai pas très bien compris son attaque dirigée contre le législateur. Je sais qu'il est psychiatre et psychanalyste, et je me demande s'il ne nourrirait pas un vieux rêve refoulé : être lui-même législateur ! (Sourires. )

Nous n'avons jamais élaboré une loi qui ait pour effet d'entraîner des troubles chez l'enfant. La loi n'a créé d'obligations pour personne : nous n'avons jamais demandé aux Français de divorcer ou d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse.

Mme Gisèle Printz.-

Bien sûr !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales . -

De même, nous n'avons jamais demandé aux Français de mettre en place des résidences alternées. Nous avons offert aux magistrats, aidés par des psychologues, des psychiatres, des psychanalystes et tous les experts qu'ils souhaitent, la possibilité de choisir la meilleure solution dans l'intérêt de l'enfant.

Le constat des troubles que vous dressez résulte non pas de la loi, mais éventuellement de la mauvaise application de celle-ci par les magistrats, aidés par les psychologues, les psychiatres et les psychanalystes. Cela pose un vrai problème. Il y a lieu soit de modifier l'intervention des experts, soit de reformer la magistrature française. En aucun cas le législateur ne saurait être mis en cause dans cette affaire. Pardonnez-moi de le dire avec force, mais on ne peut pas laisser penser que l'objectif, avoué ou inavoué, du législateur aurait été de créer un texte engendrant des troubles chez l'enfant.

M. Maurice Berger.-

Je n'ai pas dit cela puisque je ne le pense pas !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Vous avez dit qu'il était scandaleux que le législateur ait mis en place une loi ayant entraîné des troubles chez l'enfant.

M. Maurice Berger.-

Absolument pas !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Si l'on veut dresser la liste des lois qui ont engendré des troubles chez tous les Français, commençons par la première, la loi fiscale ! (Rires .)

M. Maurice Berger.-

J'ai demandé comment nous avions pu en arriver à ce qu'une telle loi soit votée. Si l'avis de pédopsychiatres avait été sollicité lors de son élaboration,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Cela a été fait !

M. Maurice Berger.-

Vous auriez peut-être pu bénéficier de conseils en matière de précautions, lesquels auraient eu une influence sur la rédaction du texte. Mais je n'ai jamais prétendu que l'intention du législateur était celle que vous avez dite. D'ailleurs, je ne le pense pas. Veuillez m'excusez si je ne me suis pas bien fait comprendre.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

J'espère que le gouvernement d'alors - je crois me souvenir que je ne le soutenais pas particulièrement... - a pris soin, dans son rôle d'exécutif, de s'entourer des avis concernés et que les parlementaires ont fait de même.

M. Maurice Berger.-

Non !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

La mise en oeuvre de la loi est du ressort non pas du législateur, mais des magistrats.

Les propos que vous avez tenus sur l'application géographique des textes sont très intéressants ; ils montrent bien que c'est le magistrat qui décide d'interpréter la loi dans un sens ou dans l'autre. Vous en avez fait immédiatement la démonstration.

M. Maurice Berger.-

La loi doit prévoir des garde-fous.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

C'est tout le débat.

M. Maurice Berger.-

La loi doit être modifiée.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

On peut considérer que chaque cas est particulier et que le rôle du magistrat, entouré par les experts, est de mettre en oeuvre la meilleure solution pour l'enfant et sa famille. Dès lors, la loi doit être relativement ouverte pour s'adapter à toutes les situations. Il est évident qu'il ne faut pas retirer l'enfant du sein de sa mère ; le droit du travail pourrait d'ailleurs en tenir compte : il serait possible, par exemple, d'indemniser les femmes qui ont décidé de poursuivre l'allaitement et de ne pas les forcer à l'interrompre pour reprendre leur activité professionnelle, comme c'est malheureusement toujours la règle.

Même si je partage nombre de vos propos, monsieur Berger, j'estime qu'il ne faut pas aller trop loin.

M. Maurice Berger.-

Vous le savez, lors d'une réunion organisée par le Conseil national des barreaux, le vice-président de la chambre chargée des affaires familiales d'une cour d'appel a estimé que certains de ses collègues prenaient des décisions délirantes en matière de résidence alternée.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Des sanctions s'imposent.

M. Maurice Berger.-

L'espèce humaine est ce qu'elle est. Puisque la loi structure notre pensée - nous sommes bien d'accord -,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Elle donne un cadre.

M. Maurice Berger.-

Son rôle est d'instaurer au moins des garde-fous pour éviter les grosses erreurs.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Dans un certain sens, oui !

M. Maurice Berger.-

Or ils n'existent pas dans cette loi.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

C'est ce que nous allons voir.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Généralement, la loi vise à dire le droit. Ensuite, elle est appliquée aux situations individuelles. Surtout dans ce domaine, on attend des magistrats de la prudence.

Il y eut un temps où prévalait une certaine idéologie, où la garde des enfants était systématiquement confiée à la mère. On a estimé pendant très longtemps que les pères devaient disparaître ; c'était en ce sens que décidaient les juges dans leur majorité.

Il faut donc être prudent dans la nomination des juges aux affaires familiales.

Madame Lasbats, font-ils souvent appel à vous dans de tels cas ?

Mme Mireille Lasbats.-

Oui. J'ai constaté que les magistrats étaient désireux d'obtenir des informations, et l'on peut reprocher aux psychiatres ou aux psychologues de ne pas assez s'approcher de la justice pour communiquer leur constat - je rejoins les propos de M. Berger - dans un climat de confiance et de collaboration. Les magistrats sont très isolés dans leur travail.

Je participe à des congrès à l'étranger et j'ai remarqué que la collaboration, la communication étaient bien meilleures dans d'autres pays que chez nous. En France, il existe de nombreux clivages entre les domaines judiciaire, médical et psychanalytique. Nous faisons des colloques entre nous, mais il nous manque cette ouverture les uns vers les autres. Pourtant, nombreux sont les juges aux affaires familiales ou les avocats qui désirent obtenir des éléments d'information pour prendre les décisions les plus justes possibles.

Mme Marie-Thérèse Hermange.-

Je souhaiterais formuler deux observations sur le fait que presque tout se joue avant l'âge de trois ans. Sur ce point, un consensus pourrait peut-être se dégager entre les observations de M. About et celles de M. Berger, puisqu'il est vrai, me semble-t-il, que depuis peu, l'âge du tout petit enfant est pris en compte dans ses implications ultérieures, y compris en ce qui concerne les phénomènes de violence et de délinquance.

Par ailleurs, il me semble exister une concordance entre vos propos, monsieur Berger, et ceux de M. Neyrand. Ce dernier nous a dit qu'une forte proportion des enfants concernés par son enquête avait moins de dix ans. Et vous, monsieur Berger, vous nous dites que vous voyez essentiellement des enfants de moins de six ans. Puisqu'il existe une convergence entre les données statistiques et la psychanalyse, on peut en déduire que ce qui se passe dans les premières années de la vie est très important.

Permettez-moi de formuler une seconde observation. On parle de résidence alternée pour les enfants de moins de trois ans. Mais il ne faut pas oublier que ces enfants vont en crèche et qu'ils sont donc soumis à une troisième garde : outre leur père et leur mère, ils sont confiés au personnel de la crèche où, en raison des 35 heures, la stabilité est encore compromise !

Je souhaiterais connaître la situation des familles qui se situent dans un contexte européen et dont les parents décident de divorcer. Le règlement de Bruxelles II a certes fait avancer la problématique, mais êtes-vous confrontés à des situations particulièrement difficiles ? Et que se passe-t-il pour les familles immigrées qui connaissent ce type de problèmes ?

M. Maurice Berger.-

Je n'ai pas rencontré de famille qui se situe dans un contexte européen. En revanche, j'ai eu à connaître des difficultés auxquelles doivent faire face des familles immigrées. Il est souvent arrivé que des mères acceptent la résidence alternée, et parfois même que leur enfant réside habituellement chez son père, uniquement en raison de la situation de dépendance économique dans laquelle elles se trouvaient. Elles en souffraient beaucoup et l'état psychologique de leur enfant en était affecté.

M. André Lardeux.-

Monsieur Berger, vous avez évoqué les troubles psychologiques que peuvent subir les enfants et vous avez dit que vous donniez de plus en plus de consultations. Avez-vous réalisé une étude statistique sur l'augmentation dans votre service des consultations résultant de la résidence alternée et sur ses conséquences éventuellement négatives pour les très jeunes enfants ? Il serait intéressant que nous disposions d'une indication concernant l'accroissement du nombre des troubles constatés.

J'ai cru comprendre que vous n'étiez pas très favorable à la résidence alternée et je me pose la question suivante : faut-il encourager ce mode de résidence ou est-il préférable de s'engager dans une autre direction ?

Par ailleurs, la pratique la plus générale, qui est l'alternance hebdomadaire, est-elle la mieux adaptée pour les enfants ? Ne vaudrait-il pas mieux envisager un changement tous les quinze jours ou tous les mois ?

S'il faut procéder autrement, quels autres modes d'intervention peut-on envisager pour que le père ait sa place dans le développement de l'enfant ? Mme Lasbats a énuméré un certain nombre de conditions pour que, selon elle, les choses se passent mieux. Je souhaiterais connaître l'opinion du Dr Berger sur ces propositions.

M. Maurice Berger.-

Nous aurons du mal à trouver une réponse à cette question tant que nous ne mettrons pas en place un dispositif de recherche sérieux pour connaître la situation et l'état psychologique des enfants en fonction de leur âge et du mode de résidence retenu.

Voilà trois ans, j'ai sollicité la direction générale de l'action sociale, mais le simple fait - cela témoigne de l'atmosphère idéologique dans laquelle nous nous trouvons - de demander une étude en double aveugle, c'est-à-dire sans que l'on sache si les enfants observés vivaient ou non en résidence alternée, pourtant avec un dispositif méthodologiquement très valable, a été considéré comme tendancieux.

Les responsables politiques pourraient peut-être s'emparer du problème et réclamer la mise en oeuvre d'une telle recherche, qui n'est pas si onéreuse. Sinon, nous resterons confrontés aux mêmes difficultés pendant des dizaines d'années.

Mme Mireille Lasbats.-

Monsieur Lardeux, il existe d'autres modalités de résidence que l'alternance hebdomadaire ou mensuelle. L'idéal, pour les plus jeunes, c'est que le père puisse se rendre régulièrement, tous les jours ou toutes les semaines, dans le lieu où réside l'enfant pour l'habituer progressivement à sa présence et pour maintenir un contact avec lui, avant d'envisager une résidence alternée. Les modalités d'application de l'alternance peuvent être très souples.

M. Maurice Berger.-

J'ajouterai que plusieurs pédopsychiatres français proposent la création d'un calendrier incitatif qui serait mis à la disposition des magistrats. Il s'agit d'un calendrier d'hébergement progressif chez le père, bien entendu si la mère ne présente pas de trouble l'empêchant d'exercer son droit de garde. Une très large place serait ainsi faite au père. Au départ, l'enfant pourrait lui être confié trois demi-journées par semaine, et ce dès la première année, ce qui est supérieur à ce qui était bien souvent accordé auparavant.

En outre, ce calendrier serait applicable en fonction de l'investissement préalable du père. C'est la règle américaine du « temps approximatif » ou approximation rule : combien de temps le père consacrait-il à son enfant avant le divorce ? Certains pères disparaissent et ne réapparaissent qu'au bout de six ou sept mois pour demander la mise en place de la résidence alternée. Ce calendrier incitatif pourrait donc être adapté.

La création d'un dispositif d'accompagnement nous semblerait également importante. En France, lorsque des problèmes se posent au départ, il est très difficile de rattraper la situation. Je propose donc de créer un diplôme interuniversitaire pour les spécialistes, psychiatres et psychologues, qui accompagneraient pendant deux ans - avec une évaluation tous les six mois - les familles qui auraient retenu le principe de la résidence alternée. À ceux qui m'objectent que ce dispositif est très onéreux à mettre en oeuvre, je réponds qu'il coûtera de toute façon moins cher que toutes les procédures engagées devant les tribunaux, voire les cours d'appel ! Mais, pour que le système fonctionne, il doit être expérimenté au sein du service public. Sinon, les professionnels concernés seront accusés d'être tendancieux.

Reste la question importante de la modification éventuelle de la loi. Peut-on faire en sorte, par exemple, qu'aucune résidence alternée ne puisse être imposée sans l'accord des parents, ce qui apaiserait le conflit ? L'intimité et la vie privée des familles sont-elles respectées ? Un âge limite - trois ou six ans par exemple - peut-il être prévu par la loi ? Il faut entamer ce débat avec les professionnels concernés, mais je ne pense pas que ce soit le lieu ici.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Monsieur Berger, les auditions ont précisément pour objectif de nous éclairer. Et la loi n'est jamais définitive !

Mme Mireille Lasbats.-

Aucune recherche précise n'a été effectuée en France, mais des études ont été menées aux États-Unis - les Américains sont peut-être un peu plus performants que nous en la matière - et nous disposons de données chiffrées sur l'augmentation des troubles fonctionnels, des cauchemars chez les jeunes enfants de moins de deux ans qui passent d'un lieu à l'autre.

Mme Gisèle Gautier . -

La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont certains membres sont présents aujourd'hui, a publié un rapport voilà quelque temps sur ce sujet. Permettez-moi d'en rappeler l'une des recommandations, qui me paraît tout à fait fondamentale.

Nous nous sommes aperçus, après les différentes auditions de personnalités compétentes, qu'il n'existait aucune étude statistique fiable sur l'évolution des familles monoparentales ou recomposées. Or c'est le b-a-ba pour examiner et essayer de résoudre le problème de la résidence alternée.

À notre grand regret, le représentant de la Chancellerie que nous avons reçu nous a déclaré que celle-ci ne disposait pas non plus de données statistiques exhaustives sur la mise en oeuvre de la résidence alternée. Les seuls éléments d'évaluation quantitative disponibles proviennent d'une enquête effectuée par le ministère de la justice à la fin de l'année 2003, portant sur un échantillon de 7 716 décisions prononcées du 13 au 24 octobre.

Il serait bon, avant tout, de mettre les choses à plat et de les actualiser. Il est un fait que le nombre de familles monoparentales ou recomposées a littéralement explosé ces dernières années. Mais, sans connaître les chiffres, nous ne pourrons pas prendre les mesures qui s'imposent.

La délégation a également souhaité évoquer l'âge de l'enfant. Les différentes auditions auxquelles nous avons procédé nous ont conduits à proposer que la résidence alternée ne soit retenue que pour des enfants en âge de scolarisation, c'est-à-dire ayant environ six ans. L'alternance ne nous a pas paru souhaitable lorsque l'enfant a moins de six ans, a fortiori si la distance séparant les domiciles des deux parents est grande. Est-ce une bonne recommandation ? Il faudra que nous puissions trancher cette question ; elle est d'autant plus importante que les spécialistes nous ont expliqué que l'enfant se formait dans les cinq ou six premières années de sa vie.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Je vous rappelle que nous aurons l'occasion d'entendre cet après-midi le directeur des affaires civiles et du sceau.

Mme Gisèle Gautier.-

Il nous dira la même chose.

Mme Gisèle Printz.-

Nous parlons beaucoup de la résidence alternée, et je conçois qu'elle puisse susciter de nombreux problèmes. Mais a-t-on pensé aux milieux défavorisés, qui connaissent les mêmes difficultés, avec des ennuis financiers supplémentaires ? Pour les parents, disposer chacun d'un appartement à peu près similaire, d'une chambre et d'un lit identiques s'avère pratiquement impossible !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

D'où l'importance des prestations familiales, comme l'aide au logement.

Mme Gisèle Printz. -

Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Outre les allocations familiales, ces familles doivent être aidées grâce aux autres prestations sociales. L'exigence d'un double domicile peut être remplie grâce à l'aide au logement. Toutefois, il est vrai que les conditions matérielles de la résidence alternée posent des problèmes financiers quasiment insurmontables aux familles défavorisées disposant de revenus modestes. Nous aurons l'occasion d'y revenir, mais vous avez raison, madame Printz, d'y insister. D'ailleurs, ces parents souhaitent-ils avoir recours à la résidence alternée ?

Mme Mireille Lasbats. -

Il existe des demandes émanant de familles défavorisées.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Il me semble que M. Neyrand nous a dit tout à l'heure que cette pratique était surtout le fait des classes moyennes et supérieures.

Mme Mireille Lasbats.-

Absolument !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales . -

J'approuve tout à fait l'idée de développer les recherches, non pas seulement sur la résidence alternée, mais sur l'ensemble des différents modes de garde, dont il faut préciser très exactement, à mon avis, les risques à court, à moyen et à long terme.

Si l'enfant fait peut-être plus de cauchemars lorsqu'il vit en résidence alternée, les troubles du comportement à l'adolescence ou à l'âge adulte sont sans doute plus importants chez ceux qui n'ont jamais vécu avec leur père.

Les propos que Mme Lasbats a tenus tout à l'heure me laissent perplexe. Si j'ai bien compris, l'enfant de moins de trois ans qui dormirait une nuit ou deux hors du domicile familial perdrait ses repères...

Mme Mireille Lasbats.-

Il ne perd pas forcément ses repères, il perd son vécu de sécurité.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Cela signifie que, si l'enfant de moins de trois ans passe une nuit chez son père, il perd son « vécu de sécurité » ?

Mme. Mireille Lasbats.-

Ce sont les changements qui importent.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Il faudrait donc interdire à tout enfant de moins de trois ans d'aller chez son père, puisqu'il perd son « vécu de sécurité » s'il dort une nuit ou deux hors du domicile où il réside habituellement ? Comment peut-on imaginer un droit de visite et d'hébergement qui ne permettrait pas à l'enfant de dormir une nuit chez son père ? Or il n'est pas question que nous, législateur, placions les enfants en situation de risquer de perdre leur « vécu de sécurité ». Vous voyez les limites de l'exercice... Pour ma part, j'ai eu six enfants, et ils sont parfois allés dormir chez le voisin, même lorsqu'ils étaient en bas âge. Je ne me rendais pas compte alors du risque que je leur faisais prendre ! (Rires .)

Mme Mireille Lasbats.-

Ce sont les changements trop fréquents qui sont néfastes.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Je fais un peu de provocation pour aller au terme du raisonnement. Mais comment peut-on imposer un droit de visite et d'hébergement et maintenir un lien entre le père et l'enfant s'il n'est pas envisageable d'assurer ce lien avant que l'enfant ait trois ans ?

Mme Mireille Lasbats.-

Je reçois beaucoup de très jeunes enfants en consultation et je constate, comme mes collègues - je fais partie d'une équipe pluridisciplinaire, je m'exprime donc au nom de plusieurs pédopsychiatres et psychologues -, qu'il existe un vécu d'insécurité, une anxiété chez ceux qui dorment régulièrement dans des endroits différents. Je n'ai pas parlé forcément de la visite au père. Mais, je le répète, les changements très fréquents d'hébergement bouleversent l'enfant.

Mme Gisèle Gautier . -

Même pour une nuit ? Il ne faut pas mélanger les choses : le droit de visite pour une nuit est une chose, la résidence alternée en est une autre. Nous sommes bien d'accord. Lorsque l'enfant est séparé de l'un de ses parents, il est nécessaire, me semble-t-il, qu'il lui soit confié au moins une fois par semaine. Il n'est pas question de couper le contact entre l'enfant et chacun de ses deux parents.

Mme Mireille Lasbats.-

Là encore, madame, soyons précis. Il existe une différence de résistance entre un nourrisson de quelques mois et un enfant de deux ans. Même si le comportement de ceux-ci ne peut pas être généralisé et qu'une solution toute faite est exclue, nous suggérons aux parents d'agir de la façon suivante. Pour les tout petits enfants de quelques mois à un an, voire dix-huit mois, qui ont particulièrement besoin de stabilité, il serait préférable que la personne qui s'est éloignée - certains pères ont la garde de leurs enfants et remplissent ce rôle admirablement à la place de la mère très démunie -,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Bien sûr !

Mme Mireille Lasbats.-

Père ou mère, se rende régulièrement au domicile du parent qui a la garde de l'enfant. Elle pourrait ainsi maintenir le contact avec son enfant et le voir évoluer dans son lieu de vie habituel.

Mme Gisèle Gautier.-

Cela vaut-il uniquement pour la première année ?

Mme Mireille Lasbats.-

Oui, après deux ou trois ans, la mémorisation et la résistance physique s'accentuent. Encore une fois, il ne faut pas généraliser : certains enfants de trois ou quatre ans s'adaptent très bien à des résidences alternées ; d'autres n'y parviennent pas, parce qu'ils sont extrêmement fragilisés, qu'ils n'ont pas résolu complètement la « séparation-individuation » et ont des problèmes affectifs. Cette question ne peut donc être réglée qu'au cas par cas.

M. Maurice Berger.-

D'où l'importance d'un suivi de l'enfant et d'une adaptation éventuelle de la loi. Monsieur About, permettez-moi de préciser que vous n'étiez sans doute pas en conflit avec votre voisin lorsque vous lui avez confié vos enfants !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Il s'agit bien de conflit, vous avez raison !

Je ne suis pas favorable à un mode de garde plutôt qu'à un autre. Ce que je crois, c'est que l'intérêt de l'enfant doit primer. Mais il faut être très vigilant, lorsque l'on défend une éventualité parmi d'autres, de ne pas commettre l'erreur de lui attribuer toutes les qualités. Pour chaque enfant, parmi les différentes solutions possibles, la meilleure doit être retenue. De toute façon, les troubles sont inévitables, car le monde des adultes n'est malheureusement pas toujours idéal pour les enfants...

Mme Mireille Lasbats.-

Nous ne devons pas rester dans le cadre de nos consultations, où nous sommes confrontés à des échecs et à des troubles chez l'enfant. Dans la vie quotidienne, en dehors de notre travail, nous rencontrons des personnes qui ont choisi la résidence alternée pour leur enfant de plus de trois ans et qui s'en félicitent.

Mme Patricia Schillinger.-

Existe-t-il une donnée statistique des enfants soignés ? Qui pousse les parents à emmener leur enfant chez un pédopsychiatre quand il présente des troubles du comportement ?

Adjointe au maire d'une commune de 3 000 habitants, je suis chargée des affaires sociales et, dans le cadre de mes activités, je reçois de plus en plus de parents qui sont déboussolés. Je joue alors le rôle d'assistante sociale et je téléphone au médecin généraliste pour attirer son attention sur l'enfant qui va mal. Or, après un ou deux ans - je suis élue depuis six ans -, je m'aperçois souvent que rien n'a été fait, ni à l'école ni par le médecin, et que les dégâts sont énormes.

Mme Mireille Lasbats.-

Souvent, ce sont les instituteurs ou les enseignants qui conseillent aux parents de nous consulter lorsqu'ils perçoivent des signes d'instabilité ou des troubles du comportement chez l'enfant. C'est souvent à l'occasion d'une alerte comme celle-là que les parents se tournent vers nous.

M. Maurice Berger.-

En ce qui concerne la résidence alternée, nous manquons de pédopsychiatres et de psychologues. Ce sont souvent les mères qui consultent lorsque leur enfant va mal. À ce moment-là, nous nous heurtons à un problème juridique : pouvons-nous soigner un enfant sans l'accord de son père ? Nous contactons systématiquement ce dernier pour qu'il vienne nous donner son point de vue. Malheureusement, beaucoup de pères rejettent notre demande. Nous pataugeons, avec le risque de subir un procès ou un rappel du Conseil de l'Ordre : certains de nos collègues ont été interdits de pratique pour des vétilles alors qu'ils cherchaient essentiellement à essayer de soigner l'enfant. La situation n'est pas claire. Nous n'avons pas les mains libres pour aider ces enfants.

Mme Janine Rozier.-

A-t-il été suggéré d'écouter les enfants quand ils commencent à grandir et qu'ils peuvent émettre un avis ? Cela pourrait être utile avant le prononcé du jugement. On peut très bien décider du mode de garde des enfants sans eux, mais à partir du moment où ils ont l'habitude de vivre chez leur père, chez leur mère, ou un peu chez les deux, ils sont souvent à même de porter un jugement sur ce qui leur conviendrait le mieux.

Je voudrais souligner un autre point. Il arrive que des avocats conseillent aux parents de consulter un pédopsychiatre pour leur enfant. Certains d'entre eux n'ont pas les ressources financières leur permettant de le faire, car ces consultations ne sont pas intégralement remboursées. Or le spécialiste aurait pu écouter l'enfant et le rasséréner un peu.

J'ai été confrontée de très près à ce problème. Le pédopsychiatre en question a expliqué aux enfants qu'ils devaient aller chez leur père. Ces consultations ont coûté très cher et n'ont abouti à rien, puisqu'il n'en a pas été fait mention dans le jugement.

Mme Mireille Lasbats.-

À chaque fois qu'un couple se sépare, la présence d'un médiateur ou d'un psychologue serait souhaitable pour recueillir la parole de l'enfant et pour rassurer les parents.

Mais lorsqu'un enfant s'exprime, le fait-il en son nom propre ou répète-t-il des propos qu'il a entendus ? L'avis d'un psychologue est donc nécessaire pour savoir si sa parole est authentique.

M. Maurice Berger.-

Pour ce qui me concerne, je prends essentiellement en compte le cas des jeunes enfants ; mais, même au-delà de six ans, la résidence alternée ne devrait à mon avis pas être retenue sans que l'enfant ait été entendu, le médiateur n'étant pas forcément la personne la mieux à même pour se prononcer.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Des dispositions légales existent et s'appliquent à la résidence alternée. Ainsi, aux termes de l'article 388-1 du code civil, « Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet.

« Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. [...] Il peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n'apparaît pas conforme à l'intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d'une autre personne. [...]

« Le juge s'assure que le mineur a été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat. »

M. Maurice Berger.-

Mais les juges manquent de temps. Ils ne disposent parfois que de dix minutes pour examiner un dossier.

Mme Janine Rozier.-

Monsieur Hyest, de quelle façon un mineur peut-il formuler sa demande ?

Mme Mireille Lasbats.-

Les affaires que doivent traiter les juges sont tellement nombreuses que ces professionnels n'ont pas le temps d'appliquer les dispositions susvisées.

Mme Marie-Thérèse Hermange.-

Bien souvent, les troubles se manifestent immédiatement, mais ne sont pris en charge que deux ou trois ans plus tard.

Pour ma part, je ne comprends pas la situation actuelle.

Lorsque des médecins hospitaliers ont des difficultés pour dépister un cancer ou pour rédiger une ordonnance après l'établissement d'un diagnostic, par exemple, ils organisent une réunion avec l'équipe de l'hôpital, d'un autre établissement, voire d'un établissement étranger afin de proposer une solution pour éviter que ne se développent les troubles.

Pourquoi, dans les lieux fréquentés par les enfants, n'instaure-t-on pas une sorte de « staff de parentalité » - notamment à la maternité avec les gynécologues, à la crèche avec la directrice - chargé d'examiner, par exemple, le cas de l'enfant présentant un certain dysfonctionnement depuis quelques jours ? La mise en oeuvre d'une telle proposition serait de l'intérêt de tous : des enfants, des parents, comme des professionnels ayant la charge des enfants. Cette solution permettrait parfois un meilleur dialogue entre les parents et l'institution prenant en charge leur enfant. En effet, il existe souvent une rupture, voire des conflits, entre cette dernière et les parents eux-mêmes. Organiser un dialogue au moment adéquat est donc de l'intérêt des enfants.

Mme Janine Rozier.-

La consultation d'un pédopsychiatre a été évoquée précédemment. Dans un tel cas de figure, l'enfant est fréquemment conduit par sa mère. Le professionnel, après avoir écouté cette dernière, souhaite souvent connaître le point de vue du père. Or ce dernier, ne s'estimant pas fou, peut refuser d'aller consulter un pédopsychiatre. Par conséquent, il serait peut-être utile de faire figurer dans la loi l'obligation, lorsqu'un enfant a besoin de consulter un pédopsychiatre, que soient entendus le père et la mère.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.-

Cela paraît difficile !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Ma chère collègue, je ne suis pas sûr qu'une telle contrainte soit productive.

Mme Janine Rozier.-

Il serait cependant souhaitable d'entendre les deux parents, dans l'intérêt de l'enfant.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Faut-il conduire le père chez le pédopsychiatre manu militari ?

Mme Janine Rozier.-

Non, monsieur le président, mais, si l'obligation figurait dans la loi, le refus du père de s'y soumettre serait pris en considération lors du jugement.

M. Maurice Berger.-

Je partage le point de vue de Mme Hermange, mais notre profession est déjà tellement surchargée de travail que sa proposition nécessiterait le recrutement de personnels supplémentaires, ce qui aggraverait la dette publique ; c'est inadéquat.

Mme Marie-Thérèse Hermange.-

Certes, mais les commissions de synthèse ont lieu lorsqu'un drame est intervenu, et elles coûtent plus cher à la collectivité.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.-

Je vous remercie.

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