AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DÉFENSE ET FORCES ARMÉES

Table des matières


Mercredi 23 février 2000

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Union européenne - Conférence intergouvernementale et réforme des institutions de l'Union européenne - Audition de M. Laurent Cohen-Tanugi, avocat international

La commission a procédé à l'audition de M. Laurent Cohen-Tanugi, avocat international, sur les enjeux de la Conférence intergouvernementale (CIG) et la réforme des institutions de l'Union européenne.

M. Laurent Cohen-Tanugi
a tout d'abord rappelé les conditions qui avaient présidé à l'élaboration du traité d'Amsterdam et les inquiétudes qui s'étaient alors manifestées au sujet de l'articulation, dans le temps, entre les réformes institutionnelles et les élargissements. Il a également rappelé que le Conseil européen de Cologne avait inscrit à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale (CIG), dont les travaux venaient de débuter, les trois questions suivantes : le nombre des membres de la commission, la révision de la pondération des voix au Conseil européen et l'extension du champ du vote à la majorité qualifiée. Evoquant les rapports élaborés par M. Dehaene, dans le cadre du groupe de travail mis en place par M. Prodi et par M. Quermonne pour le Commissariat du Plan, ainsi que l'avis émis par la Commission européenne, il a souligné que ces trois documents plaidaient en faveur d'une réforme beaucoup plus ambitieuse que celle finalement inscrite à l'ordre du jour de la CIG.

M. Laurent Cohen-Tanugi a enfin mentionné la décision du Conseil européen d'Helsinki de lancer les négociations d'adhésion avec six nouveaux pays et d'affirmer la vocation de la Turquie à rejoindre l'Union européenne.

M. Laurent Cohen-Tanugi a estimé que les décisions prises à Helsinki marquent un point de rupture dans la construction européenne, la perspective d'un " grand élargissement " posant le problème du nombre de membres de l'Union et de l'hétérogénéité de cette dernière, et marquant la primauté d'une union géographique et géopolitique.

Il a considéré que face à la nécessité encore plus aiguë d'une réforme des institutions européennes, l'agenda retenu pour la CIG s'avérait très minimaliste, les trois modifications proposées n'étant pas à la hauteur des problèmes posés. Les questions des finalités de l'Union européenne, de ses frontières géographiques, de son fonctionnement et de son identité demeurent entières. Dans ces conditions, le risque existe qu'une réforme a minima serve de caution aux premiers élargissements.

Face à ces difficultés, M. Laurent Cohen-Tanugi a rappelé que le recours aux coopérations renforcées devait permettre de donner à l'Union européenne davantage de flexibilité, autorisant les pays qui le souhaitent à aller de l'avant. Il a toutefois estimé que la mise en place des coopérations renforcées serait difficile à formaliser, d'autant que le " moteur " franco-allemand paraît aujourd'hui sérieusement grippé.

M. Laurent Cohen-Tanugi a ensuite évalué les perspectives d'avenir de la construction européenne. Il a tout d'abord envisagé un scénario qualifié d'optimiste, qui reposerait sur trois éléments favorables : un calendrier des élargissements moins rapide que prévu, du fait de la procédure de négociation pays par pays, un résultat plus ambitieux que prévu de la CIG, à la faveur de la présidence française au second semestre ainsi, éventuellement, qu'une deuxième CIG consacrée aux questions institutionnelles d'ici cinq ans, et enfin, des progrès tangibles de l'Europe politique, illustrés par la charte sur les droits fondamentaux, l'élaboration d'une Constitution européenne et la communautarisation du " troisième pilier ".

Il a en revanche estimé qu'un résultat minimal et, a fortiori, un échec de la CIG, allant de pair avec une accélération du calendrier des élargissements, déboucheraient sur une union européenne " bigarrée ", perdant de sa substance et soumise à la loi des " rendements décroissants " quant à sa capacité à se moderniser.

A la suite de l'exposé de M. Laurent Cohen-Tanugi, M. Michel Caldaguès s'est étonné que l'on s'inquiète des moyens de renforcer les institutions bruxelloises, alors même que les finalités du projet européen ne sont pas réellement abordées. Il a observé par ailleurs que la transformation de la Commission en véritable exécutif s'accompagnerait d'un effacement du rôle du Conseil. D'ores et déjà, a-t-il ajouté, la Commission et le Parlement européen paraissent agir de concert pour limiter l'influence du Conseil. Rappelant que les propositions françaises, souvent attachées à défendre un dispositif institutionnel parfaitement cohérent, suscitaient parfois le scepticisme de nos partenaires, M. Michel Caldaguès a interrogé M. Laurent Cohen-Tanugi sur l'appréciation qu'il portait sur les positions actuelles de notre pays dans la perspective de la prochaine présidence française de l'Union européenne.

M. André Rouvière a souhaité obtenir des précisions sur le calendrier combiné de la réforme institutionnelle et des prochaines adhésions, ainsi que sur la possibilité, pour l'Autriche, de bloquer le fonctionnement des institutions européennes. Il s'est par ailleurs interrogé sur les perspectives d'adhésion de Chypre à l'Union européenne.

M. Christian de La Malène s'est demandé si la réforme institutionnelle, nécessaire pour surmonter les risques d'hétérogénéité liés à l'élargissement, ne serait pas entreprise au risque de compromettre la légitimité des institutions européennes aux yeux des opinions publiques. Il a estimé que l'ordre du jour de l'actuelle CIG portait sur des sujets essentiels, et qu'il n'était peut être pas opportun, dans ces conditions, de l'alourdir par d'autres questions.

M. André Boyer a demandé des précisions sur l'état actuel des négociations d'adhésion avec l'Estonie. Il a souhaité connaître également le sentiment de M. Laurent Cohen-Tanugi sur les avancées enregistrées par l'Union européenne dans le domaine de la défense.

M. Xavier de Villepin, président, après avoir fait sienne l'appréciation de M. Laurent Cohen-Tanugi sur l'affaiblissement relatif de la relation franco-allemande dans un climat politique aujourd'hui aggravé en Allemagne par la crise de la démocratie chrétienne, s'est demandé si les Etats membres de l'Union européenne partageaient une véritable ambition commune pour la construction européenne et si les positions nationales ne s'étaient pas, en la matière, éloignées les unes des autres. Il a souhaité connaître le jugement de M. Laurent Cohen-Tanugi sur le rôle du Haut Représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune, quelques mois après sa désignation, alors même que l'Europe paraissait absente de l'évolution actuelle de la situation au Kosovo. Il s'est interrogé enfin sur le climat actuel au sein de la Commission.

En réponse aux commissaires, M. Laurent Cohen-Tanugi a apporté les précisions suivantes :

- la question des finalités de l'Europe n'est pas abordée parce qu'il n'y a pas véritablement d'accord sur ce point entre les Etats membres ;

- le renforcement des institutions passe moins par un accroissement univoque du rôle de la Commission que par une meilleure synergie entre la Commission et le Conseil, afin d'assurer un fonctionnement plus harmonisé des instances européennes ;

- il est acquis désormais que la réforme institutionnelle constitue un préalable aux élargissements ;

- l'Autriche pourrait avoir intérêt à bloquer les procédures de décision, notamment dans la perspective d'une réforme institutionnelle qui se ferait au détriment des " petits pays " ;

- il est probable que l'Europe, sous la pression américaine, tente de s'impliquer dans le règlement de la question chypriote ;

- les prochains élargissements rendent la réforme institutionnelle indispensable ; les différents aménagements aux textes constitutifs de l'Union européenne, notamment avec la ratification du traité de Maastricht et du traité d'Amsterdam, ont permis de mieux dégager les perspectives politiques du projet européen ; la limitation de la CIG aux trois points actuellement à l'ordre du jour ne permettra pas de répondre aux vrais problèmes auxquels se trouve confrontée l'Union européenne ;

- l'Estonie fait partie du premier groupe des pays avec lesquels ont été engagées les négociations d'adhésion et apparaît, de ce point de vue, dans une meilleure position que la Lettonie et la Lituanie ;

- la coopération en matière de défense a connu des avancées dans la période récente ; l'unité affichée par les Etats européens lors du conflit du Kosovo a ainsi constitué un signal plutôt positif ; le choix de désigner un haut fonctionnaire, et non une personnalité politique, comme Haut Représentant pour la PESC, présentait le risque de limiter l'influence de cette nouvelle fonction, sans toutefois écarter les dangers de concurrence avec les autres centres de décision de l'Union européenne ayant des incidences sur ses relations extérieures ;

- les divergences croissantes entre les Etats membres vis-à-vis de la construction européenne apparaissent liées, d'une part, à la relève des dirigeants politiques dans plusieurs de ces Etats, et, d'autre part, aux difficultés de mieux définir le projet européen au moment où le processus de construction européenne se trouve confronté à la fois à la résistance des nations et à la pression du mouvement de mondialisation.

Situation au Kosovo - Communication

Compte tenu de l'évolution très préoccupante de la situation au Kosovo, et notamment à Mitrovica, où le contingent français se trouvait confronté à des risques graves, M. Xavier de Villepin, président, a ensuite indiqué à la commission qu'il avait sollicité, à terme rapproché, une audition de M. Alain Richard, ministre de la défense.

M. Christian de la Malène a relevé les difficultés, rencontrées par nos forces, pour exercer leur mission dans de nécessaires conditions de neutralité, compte tenu des informations contradictoires exprimées par certains de nos alliés quant aux responsables réels des troubles intercommunautaires.

Après que M. Xavier de Villepin, président, eut relevé l'extrême ambiguïté de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, et la grave dérive illustrée par les incidents actuels, M. Michel Caldaguès a souligné les retombées négatives de l'engagement de nos forces auprès des militaires eux-mêmes. Ceux-ci étaient investis de fonctions de police qu'ils devaient exercer dans des conditions extrêmement difficiles. Il a enfin fait état des conséquences diplomatiques de cet engagement.

M. Xavier de Villepin, président, s'est enfin déclaré attristé par le débat entre MM. Bernard Kouchner et Jean-Pierre Chevènement quant à l'envoi de policiers français au Kosovo et a estimé que cette controverse n'était pas à la hauteur des risques courus par nos armées sur le terrain.

Mission commune d'information sur la marée noire à la suite du naufrage du navire " Erika " - Communication

La commission a enfin donné son accord à la participation de certains de ses membres à la mission d'information, en cours de création, sur la marée noire consécutive au naufrage de l'" Erika ". En tant qu'élu de Loire-Atlantique, M. Charles-Henri de Cossé-Brissac a souligné l'intérêt qu'il attachait aux travaux de cette prochaine mission d'information.

Prochaine audition - Communication

Puis après un débat, auquel ont participé MM. Xavier de Villepin, président, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Paul Masson, Aymeri de Montesquiou et Michel Caldaguès, sur les difficultés ressenties par la gendarmerie, notamment dans le cadre de la mise en place de la réforme des 35 heures, le principe a été retenu d'une prochaine audition de M. Steinmetz, directeur général de la Gendarmerie nationale.

Nomination de rapporteurs

La commission a alors désigné M. Guy Penne comme rapporteur des projets de loi n° 217 (1999-2000) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la république du Paraguay, n° 219 (1999-2000) autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la république du Paraguay, n° 220 (1999-2000) autorisant l'approbation de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la république du Paraguay, et M. Michel Caldaguès comme rapporteur du projet de loi n° 218 (1999-2000) autorisant la ratification de la convention relative à l'entraide judiciaire en matière civile entre la République française et la République socialiste duVietnam.