AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DÉFENSE ET FORCES ARMÉES

Table des matières


Mercredi 29 mars 2000

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Audition de M. Gilles Kepel, chercheur au CNRS, sur l'islamisme politique en Algérie et au Maroc

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Gilles Kepel, chercheur au CNRS, sur l'islamisme politique en Algérie et au Maroc.

M. Gilles Kepel a d'abord observé que le Maroc et l'Algérie avaient pour point commun de connaître une transition politique qui paraissait mettre fin à une situation de blocages, même si l'on pouvait encore s'interroger sur l'étendue et la profondeur des changements intervenus dans chacun des deux pays. Ainsi convient-il de se demander si le Président Bouteflika, en Algérie, favorisera une véritable transformation des comportements politiques ou s'il ne modifiera que peu la nature d'un pouvoir détenu, pour l'essentiel, par la haute hiérarchie militaire. De même, au Maroc, après la disparition d'Hassan II, le système politique, qui suppose à sa tête une personnalité particulièrement forte, pourrait-il être fragilisé par la succession ?

Revenant sur l'Algérie, M. Gilles Kepel a observé que la guerre civile que venait de connaître ce pays avait soldé en grande partie les comptes de la guerre d'indépendance en donnant l'occasion d'une revanche aux maquisards dont les parents avaient été exclus du partage des dépouilles au lendemain du départ de l'ancienne puissance coloniale. L'extrême violence qui a caractérisé ce conflit s'est trouvée en quelque sorte légitimée par la guerre d'indépendance au cours de laquelle la force avait été utilisée pour s'approprier biens et pouvoirs. Elle s'explique, en outre, par l'exemple de la lutte conduite en Afghanistan au moment de l'occupation russe. La violence a toutefois provoqué la lassitude de la population et a fini par couper les islamistes de ceux-là même qu'ils prétendaient pourtant représenter. Conjuguée avec la répression menée par l'armée, elle explique l'échec des islamistes qui ne paraissent plus en mesure aujourd'hui de prendre le pouvoir. Par ailleurs, le pouvoir algérien a favorisé une mouvance islamiste modérée, qui a la capacité à faire entendre sa voix, comme le montre le rôle qu'elle a joué dans l'annulation de la visite du chanteur Enrico Macias en Algérie.

M. Gilles Kepel a évoqué alors plusieurs interrogations que soulevait la situation politique actuelle de l'Algérie. Il s'est ainsi demandé quelle était la marge de manoeuvre du Président Bouteflika par rapport à la hiérarchie militaire. Celle-ci, a-t-il constaté, doit régler la question des rapports entre les généraux, dont la légitimité repose sur leur participation à la guerre d'indépendance, et les officiers moins gradés qui ont mené la lutte contre le GIA (Groupe islamiste armé), soucieux aujourd'hui de connaître une accélération de leur carrière et d'obtenir une part des avantages matériels accordés à leurs aînés. La dernière promotion de généraux a su récompenser cette génération d'officiers.

M. Gilles Kepel a indiqué également que les lignes de clivage au sein du pouvoir algérien pouvaient prendre en compte des facteurs régionaux. Il a estimé que le pouvoir algérien avait longtemps été dominé par des représentants de l'est du pays, plutôt favorables à une politique d'arabisation, au rapprochement avec l'orient et à la relativisation de l'identité berbère, mais que cette influence était aujourd'hui concurrencée par des personnalités originaires, comme M. Bouteflika et certains de ses ministres, de l'ouest du pays.

M. Gilles Kepel a évoqué ensuite la situation politique du Maroc. Il a relevé que le système du mahzen, dominé par le roi, avait permis, jusqu'à présent, d'éviter les affrontements, dans la mesure où le souverain avait su s'appuyer sur une légitimité religieuse et traditionnelle particulièrement influente dans un pays qui était resté majoritairement rural. Le roi Hassan II, peu avant sa disparition, avait en outre coopté au pouvoir l'opposition de gauche, afin de permettre une transition plus harmonieuse dans la perspective de la prochaine succession. Le risque existe cependant, aujourd'hui, que les oppositions se manifestent par la voie des mouvements islamistes, au moment où le départ du ministre de l'intérieur, M. Driss Basri, a pu affecter, aux yeux de l'opinion publique, la capacité du pouvoir à maintenir l'ordre.

Toutefois, M. Gilles Kepel a souhaité relativiser l'émergence d'une menace islamiste. Evoquant les deux manifestations récentes, la première à Casablanca, à l'initiative, principalement, de groupes islamistes, pour contester toute remise en cause du statut de la femme, la seconde, à Rabat, pour soutenir cette réforme, il a estimé que le principal danger venait de l'effacement du gouvernement, le souverain se trouvant dès lors exposé en première ligne. Il a estimé qu'il était normal que le mouvement de démocratisation favorise l'expression de frustrations qui avaient été contenues jusqu'alors, sans toutefois que ces mouvements débouchent sur une contestation violente du pouvoir. A cet égard, l'utilisation de la langue française par les représentants de la mouvance islamiste et la référence qu'ils font aux droits de l'homme constituent des signes, parmi d'autres, d'apaisement.

M. Gilles Kepel a conclu qu'il existait au Maroc et en Algérie une véritable aspiration pour un rapprochement avec l'Europe à laquelle la France devait se montrer attentive.

Un débat s'est ensuite engagé avec les membres de la commission.

M. Claude Estier s'est demandé si l'espoir qui a suivi l'élection du Président Bouteflika ne laisse pas place aujourd'hui à un certain désenchantement de l'opinion publique. Il a constaté que le nouveau gouvernement, dont la constitution s'est avérée laborieuse, ne parvient pas à insuffler une réelle dynamique alors que, d'autre part, les attentats continuent.

Mme Paulette Brisepierre s'est félicitée du succès de la récente visite en France du roi du Maroc. Evoquant l'enlisement du dossier du Sahara occidental, elle a souligné l'importance cruciale que ce territoire revêtait pour le Maroc, dont la frontière orientale avec l'Algérie se verrait prolongée, dans l'hypothèse d'un Sahara occidental indépendant, par une frontière méridionale avec une entité très largement dépendante d'Alger.

M. André Dulait a demandé si le recul de l'islamisme radical, perceptible en Algérie et au Maroc, touchait également les pays de Machrek et notamment l'Egypte.

M. Lucien Neuwirth s'est interrogé sur l'unité de l'armée et sur la réalité du pouvoir militaire en Algérie.

M. Charles-Henri de Cossé-Brissac a demandé des précisions sur l'influence des pays étrangers, et tout particulièrement des Etats-Unis, en Algérie et au Maroc.

Mme Danielle Bidard-Reydet s'est demandé si la résidence à Londres de nombreux dirigeants islamistes pouvait favoriser la reconstitution d'une capacité d'action de leurs mouvements. Elle s'est interrogée sur l'attitude des autorités britanniques et des dirigeants de l'Union européenne face à cette situation.

M. Xavier de Villepin, président, a interrogé M. Gilles Kepel sur la notion de " post-islamisme " et sur les éventuelles passerelles reliant les mouvements islamistes du Maroc, d'Algérie et de Tunisie. Soulignant la gravité des problèmes sociaux et les incertitudes de l'avenir des jeunes générations dans les pays du Maghreb, il s'est demandé si le temps n'était pas venu pour la France de définir une grande politique en direction de l'Afrique du nord.

En réponse à ces différentes interventions, M. Gilles Kepel a apporté les précisions suivantes :

- l'évolution des relations entre le chef de l'Etat et le pouvoir militaire constitue la clé de l'avenir politique de l'Algérie ; s'il n'est pas douteux que le Président Bouteflika a reçu, lors de son élection, un réel soutien de l'armée, l'organisation du référendum sur la concorde civile lui a néanmoins permis d'affirmer sa propre légitimité ; la réalité du pouvoir militaire s'est cependant manifestée à l'occasion de la nomination du ministre de la défense ;

- l'armée algérienne conserve sa cohésion en vue de défendre ses intérêts globaux, notamment économiques, mais apparaît plus partagée sur les grandes orientations politiques et, particulièrement, sur le rapprochement avec la France et l'Europe ;

- on estime à 1.200 personnes l'effectif encore opérationnel des groupes armés réfugiés dans les zones montagneuses d'Algérie ;

- il existe incontestablement une identité marocaine très ancienne, qui passe, aujourd'hui, également par l'affirmation de plus en plus fréquente d'une identité berbère, comprise comme englobante ;

- la question du Sahara occidental est suivie de très près par l'armée algérienne et lui donne les moyens de peser sur les enjeux de politique intérieure et les relations algéro-marocaines ; il serait envisageable que la France et l'Union européenne jouent un rôle de médiateur sur ce dossier ;

- tout en réaffirmant la relation de confiance avec la France, le roi Mohammed VI s'est montré, lors de sa récente visite à Paris, d'une grande prudence ; on peut notamment remarquer qu'il ne s'est pas adressé spécifiquement aux jeunes d'origine marocaine résidant en France ;

- depuis le début des années 1990, la mouvance islamiste connaît une fracture interne ; le recours à la violence traduit une fuite en avant au moment où les mouvements islamistes voient leur implantation sociale décliner ;

- la présence à Londres de nombreux dirigeants islamistes a pu s'expliquer par la volonté, il y a quelques années, d'établir des contacts avec des mouvements susceptibles d'exercer un jour le pouvoir en Afrique du nord ; d'autre part, comptant peu de populations originaires du Maghreb, le Royaume-Uni avait moins de raisons que la France de redouter la présence sur son sol de ces dirigeants ;

- c'est à Londres qu'ont pu s'établir des passerelles entre les différents mouvements islamistes du Maghreb ;

- l'intérêt politique des Etats-Unis pour les pays du Maghreb s'est atténué à partir du moment où les perspectives d'accession au pouvoir des islamistes se sont estompées ; les intérêts économiques américains sont, en revanche, très présents, en particulier dans le secteur pétrolier ;

- la notion de " post-islamisme " tire les conséquences de l'échec des mouvements islamistes dans leur tentative d'accession au pouvoir ; elle se réfère à l'hypothèse d'une voie démocratique musulmane qui agrégerait des éléments de la tradition musulmane et une pratique politique démocratique ;

- l'avenir du Maghreb constitue un enjeu très important pour la France, les éléments d'interpénétration entre les deux sociétés s'amplifiant en raison de la place de la population d'origine maghrébine dans la jeunesse française ;

- la définition d'une nouvelle politique française en direction du Maghreb doit s'affranchir des schémas hérités du passé ; à titre d'exemple, ne faut-il pas plutôt encourager les initiatives privées, tendant à créer des établissements scolaires inspirés du modèle français, que de procéder à la réouverture pure et simple d'établissements d'enseignement français en Algérie ? Dans le domaine de l'éducation comme dans celui de la santé, il serait souhaitable de permettre, autant que possible, la formation et le maintien sur place des élites.

M. Claude Estier a alors mentionné la place que la langue française a su conserver auprès des jeunes Algériens et le succès de la réouverture du centre culturel français à Alger.

Traités et conventions - Conventions d'entraide judiciaire en matière pénale, d'extradition et de transfèrement des personnes condamnées France-Paraguay - Examen du rapport

La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport de M. Guy Penne sur les projets de loi :

- n° 217 (1999-2000) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Paraguay ;

- n° 219 (1999-2000) autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Paraguay ;

- n° 220 (1999-2000) autorisant l'approbation de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Paraguay.

M. Guy Penne, rapporteur, a tout d'abord indiqué que ces trois conventions venaient compléter l'ensemble des accords bilatéraux déjà conclus avec le Paraguay : l'accord commercial de 1956, la convention sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements de 1978 et l'accord de 1995 en matière de coopération culturelle et technique, et en attendant la conclusion d'une convention d'entraide judiciaire en matière civile.

Le rapporteur a ensuite précisé que, sur les trois conventions soumises à l'examen de la commission, les deux premières sont de facture classique. Il s'agit, en effet, d'une convention d'entraide judiciaire en matière pénale et d'une convention d'extradition pour l'analyse desquelles M. Guy Penne a renvoyé à son rapport écrit. La troisième, la convention sur le transfèrement des personnes condamnées, est moins fréquente et nécessite plus d'explication.

M. Guy Penne a expliqué que la convention sur le transfèrement des personnes condamnées entre la France et le Paraguay reprenait, pour l'essentiel, les dispositions de la convention du Conseil de l'Europe signée le 21 mars 1983. Ce type de convention a pour but de faciliter la réinsertion sociale des condamnés en leur permettant de purger leur peine dans les pays dont ils sont ressortissants. La convention, applicable à toutes les condamnations prononcées, quelles que soient leurs dates, avant ou après son entrée en vigueur, fixe les conditions du transfert, les motifs de refus, la procédure de transfèrement et les modalités d'exécution de la peine.

Le transfèrement ne peut se faire que si le condamné et les Etats concernés donnent leur accord. L'infraction donnant lieu à une peine privative de liberté doit être considérée comme une infraction pénale dans les deux pays et la partie de la peine qui reste à purger doit être d'au moins six mois. Le transfèrement peut être refusé si l'Etat où a eu lieu la condamnation estime qu'il porterait atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité ou à son ordre public.

M. Guy Penne a ensuite précisé la procédure du transfèrement. Il a mentionné une double obligation d'information : obligation d'information de la personne condamnée, puisque le transfèrement doit se faire à son profit, et obligation d'information des Etats parties afin de s'assurer que toutes les conditions du transfèrement sont bien remplies.

Le rapporteur a en outre expliqué les modalités d'exécution de la peine telles qu'elles étaient fixées par la convention. Celle-ci se poursuit conformément à l'ordre juridique de l'Etat d'exécution, cet Etat restant toutefois lié par la nature juridique et par la durée de la condamnation. La règle non bis in idem s'applique, c'est-à-dire qu'un condamné ne peut être poursuivi une deuxième fois pour les mêmes faits dans l'Etat d'exécution. Il devra, en outre, être mis fin à l'exécution de la peine si une décision est prise en ce sens par l'Etat de condamnation. Si l'Etat d'exécution est lié par les décisions de justice prises dans l'Etat de condamnation, il a néanmoins la possibilité d'adapter la peine dans le cas où elle serait incompatible avec sa législation. Toutefois, même adaptée, elle devra correspondre autant que possible, quant à sa nature, à la condamnation originelle, et ne pourra ni être aggravée ni excéder le maximum prévu par la loi de l'Etat d'exécution. Enfin, M. Guy Penne a indiqué que la convention donnait aux deux Etats la possibilité d'accorder la grâce, l'amnistie ou la commutation de la peine.

Le rapporteur a ensuite exposé brièvement la situation politique et économique du Paraguay.

M. Guy Penne a tout d'abord rappelé que l'histoire contemporaine du Paraguay avait été marquée par la dictature du général Stroessner de 1954 à 1989. Depuis cette date, le général Rodriguez, puis les présidents civils, ont suscité une libéralisation progressive du pays et entamé la transition vers la démocratie. Une nouvelle Constitution a notamment été promulguée le 21 juin 1992.

Cette nouvelle Constitution organise un régime présidentiel. Le pouvoir exécutif est détenu par un Président de la République élu pour cinq ans au suffrage universel majoritaire à un tour. Le pouvoir législatif est exercé par un congrès bicaméral, comprenant un Sénat de 45 membres et une Chambre des députés de 80 membres, élu en même temps que le Président pour cinq ans sur une base départementale pour les députés et nationale pour les sénateurs. Le parti Colorado, de centre droit, au pouvoir depuis 1948, est majoritaire et l'opposition est constituée de deux principaux partis : le parti libéral radical authentique (PLRA) et le parti encuentro nacional (PEN).

Depuis 1993, a précisé M. Guy Penne, rapporteur, deux crises majeures ont secoué le pays. En 1996, le général Oviedo, chef d'état-major de l'armée de terre, a tenté un coup d'Etat contre le Président Wasmosy. Puis, à la suite d'une grave crise institutionnelle, le vice-président, M. Argaña a été assassiné le 23 mars 1999. Le Président Cubas a alors été contraint à l'exil ainsi que le général Oviedo. Depuis cette date, la situation politique est stabilisée et le Président du Sénat, M. Gonzalez Macchi, est devenu Président de la République par intérim et devrait achever le mandat de M. Cubas Rau.

M. Guy Penne a, par ailleurs, indiqué que l'économie du Paraguay, durement touchée par les crises financières mexicaine et brésilienne, avait particulièrement souffert du contexte politique. A ces crises financières, la sécheresse due à " El Niño " a gravement affecté le Paraguay, alors même que l'agriculture constitue la principale ressource du pays. Le secteur agro-alimentaire représente 60 % de l'emploi, 40 % du PIB et 95 % des exportations. Dans ces conditions, a précisé M. Guy Penne, rapporteur, la conjoncture est particulièrement difficile : 15 % de la population active est au chômage, le déficit public atteint 4,5 % du PIB et la monnaie nationale, le guarani, a perdu plus de 16 % face au dollar en 1999. Face à cette situation, le gouvernement du Président Macchi a engagé un programme de relance grâce à un crédit taïwanais de près de 400 millions de dollars. Des réformes structurelles d'envergure seront également inévitables. Ainsi les institutions internationales conditionnent-elles leur aide à la mise en oeuvre de réformes sociales permettant d'assurer la formation de la population, l'analphabétisme concernant près de 60 % de la population. Il s'agirait également de pallier les déficiences des infrastructures publiques : seul un tiers des Paraguayens a accès à l'eau courante.

M. Guy Penne a précisé que les investissements français (40 millions de dollars) représentaient 3 % du total des investissements étrangers. Beaucoup d'entreprises françaises sont présentes au Paraguay : le CCF s'est impliqué dans le refinancement de la dette du barrage d'Itaipu et celui de Yacyreta, deux sources importantes de revenus pour le Paraguay qui exporte de l'électricité vers l'Argentine et le Brésil. Les échanges restent encore peu importants et devraient se développer durant les prochaines années avec l'amélioration probable de la conjoncture économique au Paraguay. La France n'est que le 13e fournisseur du Paraguay avec 1,4 % des importations et son 10e client avec 1 % des exportations. Depuis 1994, nos exportations avec le Paraguay oscillent entre 190 et 250 millions de francs tandis que nos exportations varient de 80 à 100 millions de francs.

En conclusion, M. Guy Penne a estimé que ces trois conventions permettront d'établir avec le Paraguay une coopération judiciaire fondée sur des bases juridiques solides. Il a précisé que ces conventions, signées le 21 mars 1997, ont été ratifiées par le Paraguay dès les 24 juillet et 10 septembre 1997. Le rapporteur a donc proposé à la commission d'adopter les trois projets de loi.

A la suite de l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé entre les commissaires.

M. Christian de La Malène s'est interrogé sur l'efficacité des conventions d'extradition que la France signe avec de nombreux pays.

M. Hubert Durand-Chastel a précisé qu'au Paraguay résidait une communauté française immatriculée d'environ 2.000 personnes et qu'un nombre presque égal de nos ressortissants y vivait sans être immatriculés, ce qui compliquait, pour nos services consulaires, certaines démarches judiciaires françaises.

M. Xavier de Villepin, président, a indiqué que ces conventions lui semblaient particulièrement importantes pour résoudre certains cas personnels difficiles, même s'il était possible de coopérer de manière efficace et informelle avec des pays auxquels nous ne sommes pas liés par des conventions.

M. Guy Penne, rapporteur, a alors apporté les précisions suivantes :

- ces conventions sont un outil utile de coopération bien qu'elles ne résolvent évidemment pas toutes les difficultés dans des affaires qui sont toujours délicates ;

- le Paraguay reste marqué à de multiples égards par la période de la dictature. Pourtant, aujourd'hui, une période de transition est engagée et les conventions conclues avec la France témoignent de la volonté de normalisation et d'ouverture du pays.

M. Xavier de Villepin, président, a enfin marqué son optimisme au sujet de l'amélioration de la situation économique et sociale du Paraguay en raison des prévisions de croissance favorables pour le Brésil et le reste de l'Amérique latine.

La commission a alors adopté à l'unanimité les trois projets de loi qui lui étaient soumis.

Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, en commun avec la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

M. Pierre Moscovici a tout d'abord évoqué la réunion du Conseil européen à Lisbonne consacrée à la croissance et à l'emploi. Il a précisé que l'Union européenne s'était fixé pour objectif d'atteindre le plein emploi d'ici la fin de la décennie et de maintenir un rythme de croissance de 3 % par an en moyenne. Estimant que la modernisation économique était inséparable du renforcement du modèle social européen, il a vu dans les décisions prises à Lisbonne une consécration des efforts conduits depuis trois ans par la France pour renforcer la dimension sociale de l'Union.

Le ministre délégué aux affaires européennes a présenté les différentes mesures concrètes adoptées par le Conseil européen en vue de renforcer la cohésion sociale :

- l'accès de tous à la société de l'information, par la connexion à Internet de l'ensemble des écoles européennes d'ici 2001 ;

- l'aide aux entreprises innovantes, par le soutien au capital-risque ;

- l'instauration d'un espace européen de la recherche et de la connaissance ;

- le lancement d'un plan de lutte contre l'exclusion ;

- l'adoption d'un agenda social européen portant sur le droit du travail, la mobilité et la protection sociale, la formation et la lutte contre les discriminations.

Il a souligné que les chefs d'Etat et de gouvernement avaient décidé de se réunir chaque année au printemps pour veiller à la mise en oeuvre de cette stratégie économique et sociale.

M. Pierre Moscovici a ensuite évoqué les autres priorités retenues pour la présidence française de l'Union au second semestre, en précisant qu'elles auraient pour objectif de montrer aux citoyens de l'Union le bénéfice concret qu'ils peuvent retirer de la construction européenne. Ces priorités pourraient s'appliquer aux domaines suivants :

- la sécurité maritime, domaine dans lequel la France souhaite une action de prévention de risques, coordonnée au niveau européen ;

- la santé et la protection du consommateur, sur la base du livre blanc de la Commission européenne sur la sécurité alimentaire ;

- la politique européenne d'asile et d'immigration, dans le prolongement des principes retenus par le Conseil européen de Tampere relatifs à la délivrance des titres de séjour de longue durée et à la lutte contre l'immigration irrégulière et les réseaux de passeurs ;

- l'espace judiciaire européen, particulièrement en matière de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et l'instauration d'un espace judiciaire civil ;

- les questions relatives au sport, en particulier en matière de lutte contre le dopage.

Le ministre a accordé une mention particulière au projet de Charte européenne des droits fondamentaux. Il a déclaré qu'il n'était pas hostile, à titre personnel, à l'intégration de cette charte dans les traités, à condition que son texte soit clair, lisible et compréhensible par tous les européens. Il a souligné la nécessité d'inclure la charte dans une démarche tendant à rendre l'Union européenne plus accessible et plus proche pour les citoyens. Il a estimé qu'au-delà des droits et libertés politiques traditionnels, elle devrait faire une place aux droits économiques et sociaux. Il a souhaité que le Conseil européen puisse disposer d'un premier projet de texte lors de sa prochaine réunion à Biarritz afin que la charte puisse être proclamée avant la fin de l'année par le Parlement, la Commission et le Conseil européen lors de sa réunion de Nice en décembre 2000.

Le ministre délégué a ensuite fait le point sur les travaux de la conférence intergouvernementale, engagés depuis le 14 février dernier, et sur lesquels des évolutions sensibles pouvaient être observées.

Il a rappelé tout d'abord que la France souhaitait la consécration d'un principe général de recours au vote à la majorité qualifiée, l'unanimité n'étant requise que dans des cas précis : les décisions à caractère intergouvernemental, les décisions dérogatoires au droit communautaire ou celles qui requièrent la ratification des parlements nationaux ou impliquent des révisions constitutionnelles. Il a précisé que la Commission avait proposé l'extension du vote à la majorité qualifiée à toutes les questions relevant du marché intérieur, y compris les aspects fiscaux qui lui sont liés.

Il a également rappelé que la France souhaitait un plafonnement du nombre des membres de la Commission et l'instauration d'une certaine hiérarchisation du collège des commissaires.

Il a indiqué que la grande majorité des Etats membres semblaient favorables, comme la France, à une repondération des voix au sein du Conseil.

Il a en outre évoqué plusieurs autres points comme l'extension des mécanismes de codécision, la nouvelle répartition des membres du Parlement européen, dont le nombre était limité à 700 et l'instauration d'une responsabilité personnelle des commissaires européens. Il a également souhaité un assouplissement des mécanismes autorisant les coopérations renforcées, par la suppression de la clause d'appel au Conseil européen et l'abaissement du nombre minimal d'Etats requis pour la mise en oeuvre de cette modalité de coopération.

M. Pierre Moscovici a enfin précisé que le Conseil avait examiné un rapport de la présidence sur la mise en place des organismes intérimaires en matière de défense européenne, en particulier le Comité politique et de sécurité. Il a indiqué qu'au cours de la présente année, devraient être clarifiées les questions des relations de l'OTAN et de l'Union européenne et du relèvement des contributions nationales nécessaires pour atteindre les capacités militaires définies à Helsinki. Il a déclaré que la France ne souhaitait pas inclure les questions de défense européenne dans les travaux de la CIG.

En conclusion, le ministre délégué aux affaires européennes a considéré que la France, prenant en compte les travaux accomplis par ses partenaires, devrait afficher une réelle ambition pour sa prochaine présidence de l'Union, en se fixant pour objectif de renforcer l'ancrage du sentiment européen chez nos concitoyens.

A la suite de l'exposé du ministre, M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, a d'abord observé que la Charte européenne des droits fondamentaux ferait l'objet d'une question orale avec débat au Sénat le 11 mai prochain. Après s'être félicité des progrès considérables enregistrés dans le domaine de l'Europe de la défense, il s'est interrogé sur l'avenir de l'Assemblée parlementaire de l'Union de l'Europe occidentale. Enfin, il a demandé au ministre son sentiment sur l'opinion manifestée par le Premier ministre du Luxembourg selon laquelle le sommet de Lisbonne aurait manqué d'ambition sociale.

M. André Rouvière a souhaité savoir si le rapprochement des fiscalités avait été abordé par le Conseil européen. Il a regretté, par ailleurs, que les initiatives des ressortissants des pays de l'Union européenne, en particulier dans le domaine économique, se heurtent encore, en pratique, à la complexité des procédures communautaires. Estimant qu'il était opportun de maîtriser les effectifs de la commission, il s'est demandé s'il ne serait pas souhaitable de modifier le mode de désignation des commissaires afin que ces derniers représentent non plus chacun des Etats membres, mais les principaux partis politiques de l'Union européenne.

M. Emmanuel Hamel a fait part de sa crainte que la constitution d'un gouvernement économique à l'échelle européenne n'affaiblisse la souveraineté de la France. Il a estimé par ailleurs qu'une éventuelle extension de la majorité qualifiée réduirait encore les domaines dans lesquels notre pays peut décider de façon autonome. Il s'est étonné, en outre, que les nouvelles structures européennes de défense puissent se mettre en place sans consultation des parlements européens. Enfin, il a jugé indispensable, dans la perspective de l'adoption de la charte européenne des droits fondamentaux, que le respect des principes énoncés incombe aux Etats et à eux seuls.

M. Guy Penne a souhaité connaître l'appréciation du ministre délégué sur les avantages et les limites des prochains élargissements.

M. Louis Le Pensec s'est demandé si le Conseil européen avait abordé la question du dialogue euroméditerranéen. Il a par ailleurs souhaité obtenir la réaction de notre Gouvernement vis-à-vis du document de la Commission fixant sur cinq ans les objectifs stratégiques de l'Europe.

M. Paul Masson a souhaité savoir si la France avait pu obtenir, lors du sommet de Lisbonne, des garanties relatives au maintien des services publics. Il s'est par ailleurs demandé si la question de l'intégration de la Charte des droits fondamentaux aux traités européens avait été débattue au sein du Gouvernement et avec le Président de la République. Constatant que l'Allemagne et la France n'avaient pas adopté d'initiative commune dans la perspective du Conseil européen, il s'est interrogé sur la constitution de relations privilégiées entre d'autres Etats membres de l'Union européenne.

M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur l'apport représenté par la future Charte des droits fondamentaux par rapport aux textes existant dans ce domaine. Après avoir relevé que le Royaume Uni occupait désormais, à la place de la France, le quatrième rang des puissances économiques mondiales, il s'est demandé si le Conseil européen de Lisbonne n'avait pas marqué le triomphe des idées défendues par le Premier ministre britannique. Enfin, il a souhaité obtenir des précisions sur la position prise par le Conseil européen vis-à-vis de l'évolution de la situation au Kosovo, qu'il a jugée, pour sa part, extrêmement préoccupante.

En réponse aux questions des commissaires, M. Pierre Moscovici a apporté les précisions suivantes :

- les conclusions du Conseil européen de Lisbonne constituent un résultat équilibré entre un courant libéral et un courant plus volontariste auquel la France, pour sa part, se rattache, même si les Britanniques se sont montrés très actifs pour faire valoir leur position dans les médias ;

- les économies française et britannique se situent, de manière tendancielle, au même niveau -la France connaissant actuellement un taux de croissance supérieur ;

- dans le domaine des services publics, les Quinze ont dû se déterminer sur des propositions de textes inspirées par les gouvernements britannique et espagnol ; la France, soutenue notamment par l'Allemagne et le Danemark, a obtenu que les services publics ne fassent pas l'objet d'une démarche univoque et que puissent être distinguées, notamment, des activités d'intérêt général (énergie, poste, transports), sans lien direct avec la " nouvelle économie " ;

- s'agissant de l'intégration de la Charte des droits fondamentaux dans les traités européens, le ministre délégué, en accord avec le Président de la République, préconise une position d'attente jusqu'au moment où la Convention chargée de suivre l'élaboration de ce texte présentera le résultat de ses travaux ; à la différence de la Convention européenne des droits de l'homme, la charte inclura des droits économiques et sociaux ; quant aux droits qui pourraient être directement repris de la Convention européenne des droits de l'homme, ils devront, dans la mesure du possible, être formulés dans des termes identiques afin de prévenir des divergences de jurisprudence entre la Cour de justice des Communautés européennes et la Cour européenne des droits de l'homme ;

- l'organisation de l'Union de l'Europe occidentale est destinée, comme le prévoient d'ailleurs les traités, à se fondre dans les institutions de l'Union européenne. Toutefois, l'Assemblée parlementaire de l'UEO, que le Parlement européen n'est pas encore prêt à remplacer dans le domaine de la défense, pourrait être maintenue de manière provisoire. En réponse à M. Xavier de Villepin, président, qui s'interrogeait sur le devenir de l'article V du traité de l'UEO, le ministre délégué a indiqué que cette question revêtait évidemment une importance cruciale, mais qu'il convenait de ne pas l'aborder dans le cadre de la conférence intergouvernementale ;

- le Premier ministre du Luxembourg, M. Junker, a toujours montré une sensibilité particulière pour les questions sociales. Ces dernières, si elles n'ont pas été au coeur du sommet de Lisbonne, constituent toutefois l'un des grands chantiers pour le mois à venir ;

- la question de la fiscalité a été abordée à Lisbonne, sans que soient adoptées des initiatives précises en la matière ; il apparaît, d'ores et déjà, que les Britanniques, très réticents sur ce sujet, sont isolés au sein des Quinze Etats membres ;

- la réforme de l'Union européenne passe non seulement par la modification des traités, mais aussi par l'amélioration du fonctionnement quotidien du système institutionnel communautaire ; des progrès dans ce domaine pourraient intervenir précisément grâce à l'extension de la majorité qualifiée ;

- s'agissant de la réforme de la Commission, plusieurs propositions ont déjà été faites ; le principe d'une rotation n'apparaît pas satisfaisant pour la France ; la politisation de la désignation des commissaires évoquée par certains experts n'est pas, quant à elle, à l'ordre du jour ; si un accord peut être obtenu sur la base d'un commissaire par pays, il devra s'accompagner d'une véritable hiérarchisation au sein du collège des commissaires ;

- la mise en place d'un gouvernement économique européen, fondé sur une coopération intergouvernementale, constitue une contrepartie indispensable au rôle joué par la Banque centrale européenne pour la définition de la politique monétaire de l'Europe ; elle permet de mieux assurer la souveraineté de notre pays ;

- l'unanimité ne constitue pas un moyen adapté de décision ; la majorité qualifiée doit donc devenir le principe, même si des exceptions seront évidemment maintenues, le compromis de Luxembourg constituant toujours une faculté à laquelle les Etats peuvent recourir ;

- dans le domaine de la défense, il est souhaitable que les avancées actuelles ne soient pas freinées par la nécessité, à ce stade, de mettre en oeuvre, au sein de chaque Etat, des procédures de ratification complexes ;

- la Charte des droits fondamentaux récapitule des principes et des valeurs déjà reconnus par les Etats membres ;

- l'élargissement de l'Union européenne constitue une occasion décisive de procéder à la réunification historique de l'Europe ; il peut être également une source de croissance économique, mais aussi un moyen de renforcer la diversité culturelle de l'Union ; toutefois, il constitue un risque évident de dilution et il peut, en outre, affecter les moyens des politiques communes et réduire enfin l'efficacité du processus de décision ;

- le document de la Commission sur les perspectives, sur cinq ans, de l'Union européenne constitue un apport intéressant dans la perspective de l'amélioration du fonctionnement pratique des institutions européennes ; à cet égard, il est essentiel que le Conseil " Affaires générales " puisse se recentrer sur le domaine spécifiquement communautaire ;

- les Quatorze ont conservé, à l'égard de l'Autriche, un front uni lors du Conseil européen de Lisbonne ; il n'y a pas eu de débat sur ce sujet, la présidence portugaise ayant exprimé la position commune des Quatorze lors du dîner qui a réuni les chefs d'Etat et de gouvernement ;

- lors du sommet de Lisbonne, mandat a été donné à M. Solana de mieux valoriser le rôle de l'Union européenne -premier contributeur financier et militaire- au Kosovo et rationaliser le dispositif d'aide sur place ; les Quinze ont appelé à la tenue d'élections municipales en octobre ; ils ont également estimé nécessaire de procéder à une évaluation préalable des besoins et à la possibilité de redéployer les moyens existants, sans recourir à des ressources nouvelles, qui auraient pu être prélevées sur les crédits destinés à la politique agricole commune.

M. Paul Masson a souhaité savoir si l'extension de la majorité qualifiée n'entraînerait pas nécessairement une modification de la Constitution. Il s'est étonné de la position prise par M. Jean-Claude Gayssot, lors du dernier Conseil " Transports ", vis-à-vis de la présence de son homologue autrichien jugé " inadmissible " par le ministre français, alors même que la réunion s'est normalement poursuivie ; enfin il a souhaité obtenir un dossier de synthèse sur les positions britannique et espagnole relatives aux services publics.

M. Pierre Moscovici a alors complété son propos en indiquant que la France s'efforcerait d'éviter une réforme de la Constitution. Il a estimé, par ailleurs, que si le couple franco-allemand n'avait pas pris d'initiative marquante lors du Conseil européen de Lisbonne, ces démarches communes n'étaient pas systématiquement assurées du succès. Il a toutefois indiqué que le partenariat entre nos deux pays, à travers des formes d'expression nouvelles, constituerait un axe stratégique pour la présidence française, même si celle-ci cherchera à aboutir à une synthèse entre les positions des Quinze.