AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DÉFENSE ET FORCES ARMÉES

Table des matières


Mercredi 28 juin 2000

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Audition de M. Jean-Marie Poimbeuf, directeur de la Direction des constructions navales (DCN)

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Jean-Marie Poimbeuf, directeur des constructions navales (DCN).

M. Jean-Marie Poimbeuf a d'abord souligné que le positionnement de DCN a évolué depuis 1990. La séparation des activités de spécification, d'une part, et des activités de conception et de réalisation, d'autre part, s'est opérée entre 1992 et 1995. En 1997, DCN a gardé ses activités industrielles alors que les activités étatiques étaient placées dans une entité distincte de DCN. Enfin, en avril dernier, DCN a quitté l'orbite de la Délégation générale pour l'armement et se trouve désormais placée sous l'autorité du ministre de la défense ; ce qui garantit une meilleure cohérence entre le donneur d'ordre étatique et l'industriel naval. Une prochaine évolution consisterait à conférer la personnalité juridique à DCN.

M. Jean-Marie Poimbeuf a ensuite présenté le bilan 1999 de l'activité de DCN. Avec un chiffre d'affaires de douze milliards de francs et un effectif de 16.400 personnes, les trois secteurs de l'activité de DCN sont la construction neuve (40 %), l'entretien des navires (30 %) et l'ingénierie de systèmes de combat et d'équipement. Le marché national demeure le principal débouché des activités de DCN, correspondant à près de 75 % de ses recettes.

M. Jean-Marie Poimbeuf a ensuite exposé les différents projets nationaux en cours : le porte-avions Charles de Gaulle, le sous-marin nucléaire lanceur d'engins de nouvelle génération, la construction du bâtiment Guépratte, cinquième frégate de type La Fayette, les études préliminaires du sous-marin nucléaire d'attaque futur Barracuda, ainsi que la modernisation des chasseurs de mines tripartites. Il a, par ailleurs, évoqué les projets en coopération avec l'industrie italienne : la torpille MU 90 et les études préliminaires de la frégate antiaérienne Horizon.

M. Jean-Marie Poimbeuf a souligné que les projets relatifs à l'exportation couvraient l'ensemble des activités de DCN. Concernant les sous-marins, deux bâtiments de type Scorpène devraient être livrés au Chili ainsi que trois bâtiments de type Agosta au Pakistan. Par ailleurs, trois frégates de type Sawari II devraient faire l'objet d'une livraison à l'Arabie Saoudite, ainsi que six frégates à Singapour. En outre, DCN a assuré l'entretien du bâtiment américain La Salle, ainsi que celui de six navires d'occasion de type Sawari I de la marine de l'Arabie Saoudite.

En réponse à M. Xavier de Villepin, président, M. Jean-Marie Poimbeuf a précisé que l'embargo décidé récemment à l'encontre du Pakistan était désormais levé. Il avait néanmoins affecté la livraison du premier bâtiment.

Enfin, un important projet de diversification s'achève actuellement à Brest qui a construit deux plates-formes offshore.

M. Jean-Marie Poimbeuf a rappelé que les différents projets inscrits en loi de programmation concernaient la Frégate Horizon, le quatrième sous-marin nucléaire lanceur d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG), ainsi que les nouveaux transports de chalands et de débarquement (TCD).

M. Jean-Marie Poimbeuf a ensuite présenté les principaux concurrents en Europe de DCN. Si celle-ci demeure le premier constructeur européen de sous-marins, précédant le consortium germano-suédois HDW-KOCKUMS, elle est, dans le domaine des bâtiments de surface, confrontée à un environnement plus concurrentiel.

En réponse à M. Xavier de Villepin, président, M. Jean-Marie Poimbeuf a souligné la spécificité du statut public de DCN, ses homologues européens relevant tous d'un statut de société de droit privé. Cela rendait plus complexe toute tentative d'alliance, comme le démontraient les difficultés rencontrées, lors de la coopération avec la société espagnole BAZAN, dans le domaine des sous-marins. Il a rappelé qu'un tel statut pouvait, par ailleurs, du fait de procédures administratives, constituer un frein à la réactivité de nos exportations, en augmentant singulièrement les délais contractuels.

M. Jean-Marie Poimbeuf a ensuite rappelé que l'exportation apportait une activité complémentaire nécessaire au maintien des compétences et à l'équilibre économique de DCN, en stimulant notamment l'innovation. Il a en outre souligné, en réponse à M. Xavier de Villepin, président, que la fin des grands contrats d'Etat à Etat imposait de plus en plus de proposer au client des contreparties industrielles.

M. Jean-Marie Poimbeuf a alors exposé les perspectives de croissance de DCN, qui compte conquérir de 25 à 30 % du marché accessible à l'horizon 2010. Les premières prospections font état notamment de besoins en sous-marins exprimés par la Corée et l'Inde, la Malaisie, le Portugal ou l'Espagne. M. Jean-Marie Poimbeuf a ensuite exposé les axes stratégiques de DCN, qui entend notamment se recentrer sur son métier de maître d'oeuvre des systèmes navals militaires, développer la culture du client et l'approche contractuelle, porter l'excellence économique au même niveau que son excellence technique. Enfin, le développement des alliances et le renforcement de la cohésion interne, qui requièrent une plus grande professionnalisation des ressources humaines, constituent des priorités pour atteindre une dimension mondiale. En ce sens, une autonomie de gestion accrue, dont la première étape a été le passage de la dépendance organique envers la Direction générale de l'armement à une relation de tutelle, pourrait se poursuivre par la reconnaissance, à DCN, de la personnalité juridique.

M. Jean-Marie Poimbeuf a enfin présenté les quatre plans d'actions de DCN : la réduction des effectifs à 13.200 employés en 2002, la modernisation de gestion, un plan d'économie des achats de trois milliards de francs sur cinq ans, ainsi que la réorganisation des sites de production, davantage spécialisés par métiers dans le cadre d'un schéma directeur d'infrastructures. L'ensemble devrait permettre une réduction des coûts de cinq milliards de francs en cinq ans. Les premiers résultats obtenus, depuis la mise en oeuvre de ce plan, ont notamment été l'alliance commerciale avec Thomson-CSF sur les programmes exports et en coopération, et le déploiement du nouveau système de gestion sur les sites de Brest, Lorient, Indret, Cherbourg et Ruelle. En outre, alors que les commandes, à hauteur de 30 milliards de francs, témoignent de la reprise de l'activité de DCN, dont le chiffre d'affaires avait enregistré une baisse de 40 % depuis ces dix dernières années, la réduction des effectifs devrait contribuer, a indiqué M. Jean-Marie Poimbeuf à M. Xavier de Villepin, président, à améliorer la productivité de DCN.

A la suite de l'exposé de M. Jean-Marie Poimbeuf, un débat s'est engagé avec les commissaires.

M. André Boyer s'est interrogé sur la part de DCN dans la recherche d'économies de fabrication d'un éventuel second porte-avions. Il a souhaité obtenir des précisions sur la répartition de la charge de travail entre les établissements de Lorient et de Brest pour la construction des frégates Horizon.

M. Charles-Henri de Cossé-Brissac s'est interrogé sur l'avenir des arsenaux, dans un contexte de concurrence avec des chantiers privés.

M. Michel Caldaguès, après avoir souligné l'excellence technique de DCN et ses réussites à l'exportation, a regretté que DCN ne dispose pas encore de l'autonomie juridique indispensable à son développement, et a considéré que le Parlement pourrait approfondir les conséquences d'une telle situation pour DCN.

M. Xavier de Villepin, président, a relevé la nécessité de donner, dans les plus brefs délais, à DCN, un statut juridique lui permettant de nouer des alliances industrielles et de faire face à la concurrence européenne.

M. Jean-Marie Poimbeuf a alors apporté les précisions suivantes :

- il est nécessaire que DCN se prépare à devenir une véritable entreprise pour assurer son avenir. Aujourd'hui, la direction est engagée dans une démarche de progrès pour y parvenir. Il lui faudra dégager, sur le marché national et international, une profitabilité suffisante sur ses contrats, et poursuivre sa restructuration, afin d'atteindre le même niveau de productivité que ses principaux concurrents. Il lui sera également indispensable de s'allier avec d'autres constructeurs, pour réussir sur un marché où les séries de constructions sont courtes ;

- DCN pourra assurer, dans l'avenir, toutes ses activités présentes si on lui donne les moyens de devenir une entreprise performante. Des mesures d'accompagnement seront indispensables pour mener à bien sa transformation en entreprise (capitalisation, paiement de la TVA, profitabilité des contrats entre la DGA et DCN). Les activités stratégiques seront conservées, en priorité, au sein de DCN, tandis que d'autres seraient progressivement sous-traitées ;

- DCN dispose, pour les bâtiments de moyen tonnage, à Lorient et à Brest, d'un outil industriel aussi performant que d'autres chantiers. Il n'y aurait donc pas de gain économique à sous-traiter cette activité, d'autant que la coque représente une faible part du coût global des programmes. En revanche, pour les navires de plus gros tonnage, transports de chalands de débarquement (TCD) et porte-avions, les chantiers de l'Atlantique exploitent un outil industriel très performant. Il serait donc possible de leur confier la construction de la partie la plus simple de la coque, tout en réservant l'assemblage final au maître d'oeuvre ;

- la maîtrise d'oeuvre de la part française des frégates Horizon est assurée par DCN. Leur construction est prévue à Lorient, mais, en fonction du plan de charge de cet établissement, celui de Brest pourrait être sollicité en partie. Le taux d'activité de l'établissement de Brest bénéficiera, dès la fin de l'année 2001, de l'entretien des SNLE de nouvelle génération ;

- le moyen optimal de réduire le coût d'un second porte-avions serait de réutiliser le plus grand nombre possible d'éléments du porte-avions Charles de Gaulle. Une coopération avec les chantiers de l'Atlantique pour la construction d'une partie de la coque est également envisageable.

Conférence intergouvernementale - Bilan à mi-parcours - Communication

Puis la commission a entendu une communication de M. Christian de La Malène relative au bilan, à mi-parcours, des travaux de la Conférence intergouvernementale (CIG).

M. Christian de La Malène est d'abord revenu sur les raisons qui avaient conduit les quinze Etats membres de l'Union européenne à ouvrir de nouveau le chantier de la réforme institutionnelle. Il a rappelé, en premier lieu, que la question de l'approfondissement de la construction européenne s'était posée chaque fois que l'Europe avait intégré de nouveaux Etats membres, tout en observant que l'objectif de l'élargissement avait prévalu sur la volonté de réforme institutionnelle. Il a relevé que le traité d'Amsterdam s'était soldé par un échec dans le domaine institutionnel et avait renvoyé, dans le cadre d'un protocole, à une nouvelle conférence intergouvernementale, la responsabilité de procéder aux modifications institutionnelles nécessaires avant que l'Union ne s'élargisse à plus de vingt membres.

M. Christian de La Malène a estimé que les institutions étaient menacées de paralysie. Il a souligné, en particulier, que le Conseil " affaires générales " ne jouait plus réellement son rôle, dans la mesure où les représentants des Etats ne recevaient pas, de leur gouvernement, des directives claires sur les positions qu'ils devaient défendre. Il a expliqué cette situation par la difficulté de clarifier le champ respectif des compétences nationales et des attributions de l'Union européenne.

M. Christian de La Malène a ajouté que l'actuelle CIG s'était vu fixer un mandat précis lors du Conseil européen de Cologne, limitant la négociation à trois sujets (la taille et la composition de la commission, la pondération des voix au sein du Conseil, l'éventuelle extension du vote à la majorité) et, le cas échéant, d'autres modifications qui pourraient leur être liées. Il a observé que, si le mandat avait eu le mérite de prendre en compte les principales difficultés de caractère institutionnel, il n'était pas sans risque d'avoir ainsi restreint l'ordre du jour, la marge ouverte à la recherche d'un compromis se trouvant désormais plus étroite. Il a indiqué, en outre, que la Commission et le Parlement européen dans l'avis qu'ils avaient présenté l'un et l'autre sur la réforme des institutions, s'étaient affranchis des limites du mandat. Ils avaient souhaité ouvrir la négociation à d'autres questions avec, en arrière-plan, trois objectifs possibles : une reconstruction d'ensemble du dispositif institutionnel, la modification de l'équilibre actuel entre les institutions et le renforcement des compétences de l'Union européenne. Il a indiqué que la présidence portugaise avait accepté d'élargir les discussions au-delà des trois sujets prévus à l'ordre du jour.

M. Christian de La Malène a observé que d'autres débats se déroulaient parallèlement à la Conférence intergouvernementale qui pouvaient influer sur son déroulement. Il a ainsi évoqué la charte européenne, la réécriture des traités, l'élaboration d'une Constitution pour l'Europe, la coopération dans le domaine de la défense ou l'Europe judiciaire. Il a ajouté que, couvrant l'ensemble de ces dossiers, le débat sur les finalités de l'Europe avait été relancé par le discours du ministre allemand des affaires étrangères, M. Joshka Fischer, ainsi que par l'intervention du Président de la République française devant le Reichstag à Berlin.

M. Christian de La Malène a alors évoqué les points à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale. Il a indiqué, s'agissant de la Commission, que deux approches étaient actuellement envisagées : d'une part, une structure composée d'un national de chaque Etat membre, d'autre part, un collège réunissant un nombre restreint de commissaires, quel que soit par ailleurs le nombre des Etats membres de l'Union. Il a observé que si la première formule, actuellement privilégiée par une majorité de délégations, apparaissait contraire à la nature de la Commission, qui devait demeurer un organe indépendant, la seconde, prônée notamment par la France, devait s'accompagner d'un système de rotation, complexe à mettre en oeuvre. Il a ajouté que la Conférence avait également, en dehors du mandat fixé à Cologne, abordé le problème de l'organisation interne de la Commission, qu'il s'agisse du renforcement des pouvoirs du président de la Commission, de la création de postes de vice-présidents supplémentaires ou encore de la possibilité, pour le président de la Commission, de demander un vote de confiance au Parlement européen.

Evoquant alors la pondération des voix au Conseil, M. Christian de La Malène a relevé que ce sujet apparaissait sans doute comme le plus important que devait traiter la CIG. Il a noté qu'une certaine sur-représentation des Etats les moins peuplés avait été admise dès l'origine du marché commun, mais que ce déséquilibre s'était accentué au fil des élargissements. Il a observé, à cet égard, que la majorité qualifiée représentait aujourd'hui 58 % de la population de l'Union, mais que sans remise en cause du système de pondération actuel dans une Union élargie à 26 pays, elle n'en représenterait plus que la moitié. Il a souligné que les Etats se partageaient actuellement entre deux formules -un système de double majorité, en voix et en population, une repondération des voix- selon une ligne de clivage entre " petits " et " grands " Etats, la France et l'Allemagne plaidant, pour leur part, pour une repondération substantielle.

M. Christian de La Malène a ensuite évoqué l'éventuelle extension du vote à la majorité qualifiée. Il a souligné que les parties s'accordaient à ce stade sur deux principes : toute extension du vote à la majorité qualifiée devrait se faire dans les limites des compétences de l'Union, les dispositions de caractère constitutionnel relevaient par nature de l'unanimité. Si la Commission, a-t-il ajouté, souhaitait faire, de la majorité qualifiée, un principe général et de l'unanimité, l'exception, la présidence portugaise avait adopté quant à elle une méthode pragmatique en identifiant une liste de 25 articles pour lesquels il serait pertinent de passer à la majorité qualifiée, et en envisageant l'extension de la majorité qualifiée à certains aspects de la fiscalité, ainsi qu'à certaines dispositions en matière sociale ou dans le domaine de l'environnement. Il a relevé que, si les Etats étaient disposés à accepter un élargissement de la majorité qualifiée, ils demandaient des exceptions différentes d'un pays à l'autre. Il a relevé, notamment, que la France avait exprimé de fortes réserves sur un éventuel passage anticipé à la majorité qualifiée pour les questions relatives à la libre circulation de personnes.

M. Christian de La Malène a enfin observé que les difficultés que pourrait rencontrer la négociation, sur les trois sujets prévus par le mandat de Cologne, conduiraient peut-être à rechercher une avancée sur les coopérations renforcées, dont le mécanisme serait assoupli. Il a conclu en relevant d'abord qu'un accord ne pourrait vraiment se concrétiser qu'aux derniers jours de la négociation, sur la base d'un compromis global. Il ajouté que les négociations risquaient de cristalliser le clivage entre grands et petits Etats qu'il conviendrait de surmonter. Il a souligné qu'un résultat positif au Conseil européen de Nice à la fin de cette année, dépendrait, pour une large part, de l'accord entre la France et l'Allemagne, et qu'il fallait faire état, sur ce point, d'évolutions encourageantes. Enfin, il a estimé, par ailleurs, que l'Autriche pourrait lier son adhésion au futur traité, dont l'adoption requiert l'unanimité des Etats membres, à la levée des sanctions qui la frappent, et empêcher ainsi la réforme des institutions.

A la suite de la communication de M. Christian de La Malène, M. Xavier de Villepin, président, s'est demandé si l'absence d'un accord sur la réforme institutionnelle, lors du Conseil européen de Nice, pourrait ouvrir la voie à une grave crise politique et retarder le processus d'élargissement.

M. Christian de La Malène a estimé que, si un échec paraissait improbable, on pouvait craindre cependant que la négociation et la recherche nécessaire d'un compromis ne permettent pas de renforcer efficacement le fonctionnement des institutions. Il a relevé que la France serait dans une position difficile, dans la mesure où la présidence de l'Union européenne, qu'elle exerce au cours du deuxième semestre de l'année 2000, la conduira à rechercher un succès lors du Conseil européen de Nice, au risque de montrer une moindre fermeté sur les positions initiales affichées par notre pays sur la réforme institutionnelle.