AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DÉFENSE ET FORCES ARMÉES

Table des matières


Mercredi 10 novembre 1999

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Nomination de rapporteur

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord désigné M. Hubert Durand-Chastel comme rapporteur sur les projets de loi n° 33 (1999-2000) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l'Uruguay ; et n° 34 (1999-2000) autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l'Uruguay.

Organismes internationaux - 54e Assemblée générale des Nations unies - Communication

Puis la commission a entendu une communication de M. Xavier de Villepin, président, sur la 54e assemblée générale des Nations unies.

Il a d'abord observé que cette assemblée se déroulait dans une atmosphère d'autant plus sereine qu'elle apparaissait surtout comme une session d'attente avant " l'assemblée du millénaire ", qui doit s'ouvrir, en septembre 2000, par un sommet des Chefs d'Etat et de Gouvernement.

M. Xavier de Villepin, président, a ensuite indiqué que le débat ingérence-souveraineté, sans être nouveau, avait été spectaculairement relancé par le Secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, dans son discours d'ouverture. Il a relevé que l'idée d'une redéfinition de la souveraineté des Etats face à l'ingérence humanitaire avait suscité des réactions contrastées : Européens et Américains ont globalement approuvé la démarche de M. Kofi Annan tout en divergeant sur les méthodes d'intervention ; à l'inverse, un certain nombre de pays importants -comme la Chine, la Russie, l'Inde ou l'Algérie- récusent tout débat mettant en cause la souveraineté des Etats ; enfin, la plupart des pays du sud se méfient des interventions pouvant menacer leur souveraineté, tout en souhaitant l'implication de la communauté internationale dans les conflits auxquels ils sont confrontés.

Abordant la question de la réforme du Conseil de sécurité, M. Xavier de Villepin, président, a estimé que le dossier de l'élargissement restait aujourd'hui enlisé, principalement en raison de la conjonction de l'opposition américaine -les Etats-Unis refusant un Conseil de plus de 21 membres- et de celle des pays, comme l'Italie et le Pakistan, hostiles à tout élargissement à de nouveaux membres permanents. Même si la France demeurait pour sa part favorable à un élargissement dans les deux catégories -membres permanents et membres non permanents-, l'extrême division des positions ne permet pas -a-t-il estimé- d'envisager de sortir rapidement de l'impasse. M. Xavier de Villepin, président, a toutefois relevé que la crise du Kosovo avait relancé la question du droit de veto en renforçant le camp de ceux qui souhaitent le limiter ou le supprimer.

M. Xavier de Villepin, président, a ensuite estimé qu'une confusion certaine caractérisait encore la situation financière des Nations unies. Il a fait le point sur la question des arriérés américains à l'ONU, soulignant qu'elle était loin d'être réglée -malgré une nouvelle proposition de compromis, le " paquet Helms-Biden 2 "- et demeurait la cause principale de la situation de quasi-faillite des Nations unies. Il a toutefois estimé que les Etats-Unis pourraient vraisemblablement échapper à l'application de l'article 19 de la Charte des Nations unies, qui prévoit la suspension du droit de vote à l'assemblée générale des Etats cumulant des arriérés de contributions supérieurs à deux ans. M. Xavier de Villepin, président, a enfin précisé que, côté français, les remboursements des Nations unies à notre pays au titre des opérations de maintien de la paix sont aujourd'hui relativement satisfaisants, dans des délais assez courts et à un rythme régulier.

M. Xavier de Villepin, président, a enfin abordé l'évolution de la pratique des opérations de maintien de la paix en soulignant que l'on était passé de 75.000 " casques bleus " en 1993 à moins de 15.000 aujourd'hui, principalement en raison d'une politique américaine délibérée refusant de mettre leurs troupes sous casques bleus, des résultats décevants de certaines opérations (Somalie, Bosnie...), et des difficultés financières des Nations unies. Il a d'autre part rappelé le caractère juridique incertain des opérations aériennes au Kosovo et le fait que les Nations unies ne disposent pas de forces d'intervention propres.

M. Xavier de Villepin, président, a enfin conclu en évoquant quelques unes des opérations des Nations unies, parmi les plus récentes et les plus sensibles :

- s'agissant du Sahara occidental, il a estimé que le référendum prévu à l'été 2000 ne pourrait vraisemblablement pas avoir lieu, comme l'avait constaté récemment sur place une délégation de la commission ;

- un plus grand optimisme semble en revanche de rigueur pour le Timor oriental où le pire a pu être évité et où une force multinationale doit permettre de faciliter l'accession de ce territoire à l'indépendance ;

- s'agissant du Kosovo et de la Bosnie, M. Xavier de Villepin, président, a jugé que la situation restait très préoccupante, malgré l'intervention massive de la communauté internationale, et souligné que les efforts accomplis ne pouvaient dissimuler de lourds motifs d'inquiétude ;

- enfin, M. Xavier de Villepin, président, a précisé les projets que le secrétaire général des Nations unies entendait soumettre prochainement au Conseil de sécurité pour une très importante opération de maintien de la paix en République démocratique du Congo afin de mettre en oeuvre les accords de Lusaka.

Un échange de vues s'est alors instauré entre les commissaires.

M. Claude Estier est d'abord revenu sur l'aggravation de la situation financière des Nations unies en raison des arriérés de paiement américains. Il a rappelé que les Etats-Unis, s'ils étaient menacés d'être privés de leur droit de vote à l'assemblée générale, ne couraient pas le même risque au sein du Conseil de sécurité. Il a jugé très préoccupante la situation qui permettait aux Etats-Unis de bloquer, seuls contre tous, l'action du Conseil de sécurité sur certains dossiers, comme celui de l'Irak.

S'agissant des opérations de maintien de la paix, M. Claude Estier a précisé que, si le nombre de casques bleus avait diminué, celui des opérations de maintien de la paix augmentait fortement. Il a souligné les difficultés rencontrées par les Nations unies pour assurer le financement de ces opérations et a précisé que leur budget prévisionnel pour l'an 2000 atteignait 2 milliards de dollars.

En ce qui concerne la situation au Kosovo, il a relevé que M. Bernard Kouchner s'était récemment rendu à New York pour demander aux Nations unies des moyens supplémentaires. Evoquant enfin la situation au Timor oriental, M. Claude Estier a estimé, avec M. Robert Del Picchia, que la situation y était plus favorable, l'issue politique étant en principe acquise, même si de graves difficultés restaient à régler sur le plan humanitaire, ainsi que l'avait souligné M. De Mello, représentant spécial des Nations unies pour le Timor oriental.

M. Robert Del Picchia est à son tour revenu sur la désinvolture des Etats-Unis à l'égard des Nations unies, estimant que leur attitude en matière d'arriérés de paiement visait à démontrer que l'ONU pouvait fonctionner avec un budget moindre, tout en payant le minimum requis pour ne pas être privés de leur droit de vote. Il a relevé que les pays de l'Union européenne, tout en étant les principaux contributeurs au budget des Nations unies (36,5 %), étaient loin d'y disposer de la même influence politique.

M. Robert Del Picchia a également souligné la faveur particulière dont bénéficiait la France au sein du système onusien. M. Claude Estier a, à cet égard, relevé que les récentes élections au Conseil économique et social des Nations unies -où la France était arrivée en tête des pays européens- avaient une nouvelle fois illustré cette influence.

M. Robert Del Picchia a enfin indiqué qu'à l'occasion d'une rencontre avec M. Michel Camdessus, directeur général du fonds monétaire international, celui-ci avait précisé que le financement du FMI avait été assuré et qu'il devrait disposer des réserves qui lui permettraient, le cas échéant, de faire face à une nouvelle crise financière internationale.

M. Aymeri de Montesquiou s'est pour sa part étonné que l'attitude des Etats-Unis à l'égard de l'ONU ne puisse être soumise à une cour d'arbitrage, dans la mesure où elle porte préjudice au bon fonctionnement de l'organisation. Il a par ailleurs relevé, s'agissant des opérations de maintien de la paix, que l'action des Nations unies semblait répondre à des considérations et à des principes variables selon les pays ou les régions. Il a à cet égard constaté et déploré, avec M. Xavier de Villepin, président, et M. Robert Del Picchia, que les Nations unies ne se soient pas saisies de la situation dramatique que connaît l'Afghanistan depuis de longues années.

Projet de loi de finances pour 2000 - Nucléaire, espace et services communs - Examen du rapport

La commission a ensuite commencé l'examen de ses rapports pour avis sur le projet de loi de finances pour 2000. M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que le vote de la commission sur l'ensemble des budgets de la défense d'une part, et des affaires étrangères d'autre part, n'aurait lieu qu'à l'issue de l'audition de tous ses rapporteurs pour avis.

La commission a alors examiné le rapport pour avis de M. Jean Faure sur les crédits du ministère de la défense, inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000, consacrés au nucléaire, à l'espace et aux services communs.

M. Jean Faure, rapporteur pour avis, a tout d'abord indiqué que les crédits de l'ancienne section commune se monteraient pour 2000 à 48,5 milliards de francs, niveau pratiquement identique à celui de 1999.

Le rapporteur pour avis a toutefois rappelé que ce montant intégrait un transfert de près de 500 millions de francs en provenance du budget des anciens combattants, à la suite du rattachement de cette administration au ministère de la défense, ainsi qu'une dotation de 1,5 milliard de francs qui serait transférée au budget civil de recherche et de développement (BCRD). Il a rappelé que le budget de la défense avait déjà supporté une contribution au BCRD de 500 millions de francs en 1998 et de 900 millions de francs en 1999, alors même que la loi de programmation excluait qu'une telle contribution vienne amputer le budget d'équipement de la défense. Il a d'autant plus déploré cette nouvelle entorse à la loi de programmation que les retombées pour la défense des sommes ainsi prélevées seront extrêmement faibles.

M. Jean Faure, rapporteur pour avis, a ensuite abordé le domaine de la dissuasion nucléaire, en constatant les évolutions négatives intervenues au plan international, qu'il s'agisse du rejet du traité d'interdiction complète des essais nucléaires par le Sénat américain, du blocage de la négociation d'un traité d'interdiction de production des matières fissiles, de l'absence de ratification de l'accord Start II par la Russie, du risque de remise en cause du traité dit " ABM " (anti ballistic missiles) de 1972 du fait du projet de déploiement par les Etats-Unis d'un système de défense antimissiles du territoire national, ou encore du regain d'activité sur les programmes nucléaires et balistiques sur le continent asiatique.

Il a estimé que, dans ces conditions, la poursuite des grands objectifs de la politique nucléaire militaire française était impérative.

Il a précisé que les crédits de paiement consacrés à la dissuasion nucléaire s'établissaient pour 2000 à 15,8 milliards de francs, soit 4,6 % de moins qu'en 1999, alors que les autorisations de programme progressaient de 38 %, se montant à 18,4 milliards de francs, en raison notamment de l'inscription d'une dotation pour le financement de deux années de développement du missile M 51.

M. Jean Faure, rapporteur pour avis, a rappelé que le nucléaire militaire avait subi, depuis trois ans, de forts abattements de crédits, ces réductions résultant, pour partie, d'économies telles que celles procurées par le réaménagement du calendrier d'équipement de la force océanique stratégique (FOST) par le missile M 51 et, pour partie, par des diminutions de dotations sur les crédits d'études-amont ou du maintien en condition opérationnelle.

Le rapporteur pour avis a considéré néanmoins que les objectifs fondamentaux de modernisation de notre force de dissuasion nucléaire n'étaient pas remis en cause, tant pour le renouvellement de la force océanique stratégique et pour les missiles stratégiques M 51 et ASMP amélioré que pour le programme de simulation. Il a cependant observé que les dotations en autorisations de programme pour le programme M 51 s'élevaient à 5 milliards de francs en 2000, alors qu'une commande globale de deux années de développement de ce missile doit être passée l'an prochain pour un montant de 7 milliards de francs. Il a émis la crainte d'une forte tension sur la gestion de ce programme.

Abordant les questions relatives au renseignement et à l'espace, M. Jean Faure, rapporteur pour avis, s'est félicité de la progression continue des moyens dévolus aux services de renseignement mais a, en revanche, vivement déploré l'effondrement du budget spatial militaire, qui s'établira à 2,3 milliards de francs en 2000, soit 15 % de moins qu'en 1999, après trois autres années de forte diminution. Il a souligné que cette situation résultait de l'échec de la coopération européenne sur les programmes spatiaux militaires, à savoir :

- le retrait des Britanniques du programme successeur du satellite de télécommunications Syracuse II et la décision allemande de ne pas participer à la première phase de ce programme ;

- le retrait de l'Allemagne du programme Hélios II sur lequel l'Espagne et l'Italie n'ont pas souhaité s'engager ;

- et l'abandon, suite au retrait de l'Allemagne, du programme d'observation radar Horus sans qu'aucune solution de remplacement ne soit encore en vue.

Il s'est interrogé sur la réelle volonté de nos partenaires européens, à la suite du conflit du Kosovo, de promouvoir une capacité autonome d'observation spatiale.

M. Jean Faure, rapporteur pour avis, a ensuite évoqué l'évolution de la délégation générale pour l'armement (DGA).

Il a fait le point sur le déroulement de la réforme de la DGA et sur les objectifs de réduction du coût des programmes. Il a relevé le haut niveau de consommation des crédits d'équipement affiché par la DGA, qui s'établissait à 96 % en 1998, alors que l'insuffisante capacité du ministère de la défense à consommer ses crédits d'équipements était fréquemment invoquée.

Il a fourni des précisions sur l'évolution de la direction des constructions navales (DCN), qui demeure en fort sureffectif malgré les suppressions de postes opérées depuis trois ans. Il a souligné le coût de ces mesures de réduction d'effectifs, qui ont représenté 1,3 milliard de francs depuis 1997, alors que 600 millions de francs supplémentaires étaient prévus en 2000.

Il a estimé que la transformation de la DCN en " service à compétence nationale " serait en elle-même sans influence directe sur ses modes de gestion et ne serait pas de nature à remédier au caractère déficitaire de son activité.

Enfin, M. Jean Faure, rapporteur pour avis, s'est inquiété d'une nouvelle réduction, à hauteur de 8,5 %, des ressources budgétaires du service de santé des armées, qui ira de pair avec une diminution de ses ressources extrabudgétaires tirées de son activité hospitalière. Il a émis la crainte que cette évolution n'aggrave les difficultés d'un service très sollicité par les opérations extérieures et confronté à un fort déficit en personnels civils et à un recrutement insuffisant de médecins.

En conclusion, M. Jean Faure, rapporteur pour avis, a rappelé les différents signes négatifs enregistrés sur les crédits du nucléaire, de l'espace et des services communs pour 2000 et proposé à la commission d'émettre un avis défavorable sur le budget du ministère de la défense.

A la suite de cet exposé, M. Christian de La Malène a déclaré partager les conclusions du rapporteur pour avis. Il a souligné un décalage croissant entre les intentions relatives à l'Europe de la défense ou les constats relatifs à la persistance des menaces, par exemple en matière de prolifération nucléaire, et l'absence de traduction concrète de ces intentions dans des budgets en diminution régulière.

M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur la signification profonde du rejet, par le Sénat américain, de la ratification du traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Il s'est demandé si, au-delà de considérations conjoncturelles de politique intérieure, il ne fallait pas y voir un signe plus profond d'une volonté américaine, face au constat du développement des capacités nucléaires dans le monde, de mettre au point une nouvelle génération d'équipements de défense leur permettant de conserver une suprématie militaire.

M. Michel Caldaguès a, lui aussi, estimé que dans la mesure où la prolifération nucléaire ne paraissait pas pouvoir être contenue, les Etats-Unis pourraient s'engager dans des programmes leur permettant de préserver leur suprématie. Il a considéré que cette évolution devait entraîner une profonde réflexion sur notre propre stratégie de dissuasion nucléaire.

M. Robert Del Picchia a précisé qu'après s'être engagés dans l'organisation du traité d'interdiction complète des essais nucléaires installée à Vienne, les Etats-Unis semblaient désormais prendre leurs distances avec cet organisme chargé de la mise en oeuvre du traité.

Projet de loi de finances pour 2000 - Gendarmerie - Examen du rapport

Puis la commission a examiné le rapport pour avis de M. Paul Masson sur les crédits du ministère de la défense, inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000, consacrés à la Gendarmerie.

M. Paul Masson, rapporteur pour avis, a d'abord relevé que le budget de la gendarmerie se comparait plutôt favorablement à celui des autres armées, avec une progression de 2,3 %, soit une dotation totale pour 2000 de 23,17 milliards de francs. Il a toutefois rappelé que l'évolution des crédits devait s'apprécier au regard de l'accroissement des charges confiées à l'Arme. Il a noté à cet égard que la gendarmerie s'était trouvée largement impliquée dans la politique de la ville à la suite des décisions arrêtées cette année par le conseil de sécurité intérieure : d'une part, l'affectation de 700 gendarmes supplémentaires chaque année, entre 1999 et 2001, dans les départements les plus affectés par la délinquance et la criminalité, et d'autre part, la réorientation de l'action d'une partie des forces mobiles et en particulier des escadrons de gendarmerie au profit des zones urbaines et périurbaines sensibles.

Evoquant alors la " fidélisation " des escadrons de gendarmerie mobile, le rapporteur pour avis a indiqué que 12 escadrons seraient, à terme, employés pour une durée de six mois à des tâches de sécurisation dans un secteur déterminé. Il a estimé que l'articulation respective des forces de gendarmerie et de police, dans les zones placées sous la surveillance de cette dernière, pourrait se révéler délicate et qu'elle justifierait en tout cas un effort particulier de coordination sous l'autorité du préfet. Il s'est par ailleurs inquiété des limites du mandat confié à ces unités en relevant le risque d'une double dérive vers les opérations de maintien de l'ordre ou, à l'inverse, vers des activités sans caractère opérationnel. Dans ces conditions, les escadrons pourraient se trouver rapidement suremployés, a estimé M. Paul Masson, rapporteur pour avis, en précisant que la " fidélisation " de 12 escadrons pèserait par ailleurs sur la disponibilité d'ensemble de la gendarmerie mobile.

M. Paul Masson, rapporteur pour avis, a ensuite indiqué que, confrontée à l'accroissement de ses charges, la gendarmerie ne disposerait pas des crédits de fonctionnement courant nécessaires. Il a relevé en effet, d'une part, que les moyens supplémentaires prévus par le collectif budgétaire de 1998 n'avaient pas été intégrés dans le budget pour 2000 et, d'autre part, que la dotation supplémentaire de 50 millions de francs pour le fonctionnement des unités, accordée au titre de la politique de la ville, avait été largement amputée par de nouvelles mesures d'économies. Ainsi, le rapporteur pour avis a observé que la dotation prévue pour le fonctionnement n'augmentera que de 0,75 % pour 2000, avec pour conséquences possibles un transfert de charges vers les collectivités territoriales appelées à se substituer à l'Etat pour subvenir aux besoins courants des brigades et un risque de démobilisation des personnels.

M. Paul Masson, rapporteur pour avis, s'est ensuite inquiété de la diminution du nombre de postes budgétaires de volontaires créés au regard des objectifs fixés par la loi de programmation. Il a ainsi noté que la gendarmerie ne disposerait en 2000 que de 7.300 volontaires au lieu des 9.686 prévus et exprimé la crainte que le ministère des finances n'impose finalement un nombre de volontaires équivalant à l'effectif d'appelés dont la gendarmerie disposait avant la suspension du service national (12.644 postes), alors même que le recrutement des volontaires constituait la seule ressource supplémentaire dont disposera la gendarmerie sur la période de programmation. Il a par ailleurs évoqué les interrogations que soulevait la substitution dans les brigades rurales de gendarmes adjoints aux militaires professionnels appelés à renforcer les unités des zones périurbaines.

M. Paul Masson, rapporteur pour avis, a souligné que l'augmentation des missions, conjuguée à l'évolution incertaine des effectifs, soulevait de nouveau le problème des redéploiements. Il a relevé que le plan du Gouvernement s'était soldé l'an passé par un échec. Il a rappelé qu'à la suite d'un débat organisé au Sénat en janvier 1999, plusieurs garanties avaient été apportées par le ministre de la défense : la mise en place d'une réelle concertation avec les élus, le maintien d'au moins une brigade par canton, le principe d'un délai d'intervention inférieur à 30 minutes et, enfin, la recherche systématique de solutions de reconversion pour les locaux qui seraient abandonnés par la gendarmerie. Le rapporteur pour avis a estimé que l'on ne progresserait que par un examen au cas par cas, sur la base de compensations accordées en contrepartie des dissolutions. Il a noté que cette méthode avait été suivie par la gendarmerie en 1999 et que 18 brigades avaient pu être dissoutes sans susciter de réactions particulières.

M. Paul Masson, rapporteur pour avis, a conclu en relevant que le surcroît des charges auquel la gendarmerie se trouvait confrontée, alors même que ses moyens de fonctionnement lui étaient comptés, affectait sa disponibilité et que, dès lors, la gendarmerie pourrait être conduite à fixer elle-même les priorités dans l'exercice de ses missions. Selon le rapporteur pour avis, la mise en oeuvre des moyens de fonctionnement nécessaires contribuerait à enrayer ces tendances et il convenait donc, au-delà de la position adoptée par la commission sur l'ensemble du budget de la défense, de plaider en séance publique pour la mise en oeuvre du correctif indispensable dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 1999. Il a enfin ajouté que la gendarmerie devait s'adapter à l'évolution de ses missions liées à l'urbanisation de la population française, tout en contrôlant ses propres mutations dans le cadre de la réforme des armées. Il a estimé qu'elle se trouvait ainsi à un tournant de son histoire.

A la suite de l'exposé du rapporteur pour avis, M. André Rouvière a indiqué qu'il ne partageait pas l'appréciation de M. Paul Masson sur la politique suivie par le Gouvernement en matière de redéploiement. Il a en effet estimé que la suspension du projet de redéploiement répondait au voeu d'une majorité d'élus et aux différents problèmes rencontrés par la mise en oeuvre pratique par ces réorganisations. Il a également jugé que l'affectation de gendarmes expérimentés dans les zones sensibles constituait une évolution souhaitable. Selon M. André Rouvière, la fidélisation des escadrons de gendarmerie mobile pourrait permettre de favoriser la prévention et finalement représenter une source d'économies en limitant les opérations de maintien de l'ordre. Cette expérience, a-t-il ajouté, ne pourrait être appréciée qu'avec le recul du temps. Enfin, il a considéré que le recrutement des volontaires paraissait répondre à des critères de sélectivité rigoureux.

M. Paul Masson, rapporteur pour avis, a précisé que l'absence de concertation sur les redéploiements pouvait être mise au débit du Gouvernement et expliquait pour une large part l'échec du projet, alors même que les parlementaires pouvaient parfaitement comprendre les considérations d'intérêt général justifiant la réorganisation territoriale. Il a relevé par ailleurs que la fidélisation des escadrons pouvait soulever au quotidien des problèmes d'ajustement entre les compétences respectives de la gendarmerie et de la police et qu'il reviendrait en tout état de cause au préfet de trancher dans l'hypothèse d'un conflit.

M. Charles-Henri de Cossé-Brissac s'est alors fait l'écho des préoccupations exprimées par le rapporteur pour avis, en observant que les économies recherchées sur le coût de fonctionnement des unités pouvaient décourager les personnels et limiter leur disponibilité.

M. Michel Caldaguès a ajouté qu'il n'était pas déplacé d'adopter un ton critique à l'égard de la gendarmerie. Il est convenu avec M. Paul Masson que l'Arme se trouvait à un tournant de son histoire ; l'urbanisation de la France affectait non seulement les missions de la gendarmerie mais aussi le recrutement des personnels de l'Arme. Il a estimé que la gendarmerie ne devait pas se dérober aux évolutions nécessaires et devait conjurer toute tentation d'autogestion. Il a par ailleurs souhaité que l'on s'intéresse aux forces étrangères comparables -par exemple en Italie- et que l'on en tire, le cas échéant, les leçons utiles.

M. Gérard Roujas a jugé utile une réflexion sur l'organisation territoriale de la gendarmerie qui ne paraissait pas toujours adaptée aux évolutions démographiques.

M. Christian de La Malène s'est inquiété de l'insuffisance des créations de postes de volontaires, contrairement aux prévisions de la loi de programmation et alors que l'emploi d'effectifs de gendarmerie dans certaines missions à l'étranger pouvait soulever des interrogations.

M. Xavier de Villepin, président, a interrogé le rapporteur pour avis sur la composition du conseil de sécurité intérieure. M. Paul Masson, rapporteur pour avis, a précisé que le conseil de sécurité intérieure, créé en 1997, constituait un dispositif de coopération gouvernementale auquel participaient au premier chef, sous la présidence du Premier ministre, les ministres de l'intérieur, de la justice et de la défense.

Le rapporteur pour avis a enfin souligné de nouveau la contradiction entre les missions confiées à la gendarmerie et l'insuffisance de ses crédits de fonctionnement. Il a relevé que certaines des conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur la politique de sécurité conduite en Corse portaient sur la gendarmerie et appelleraient sans doute une réflexion sur le fonctionnement de l'Arme.

Projet de loi de finances pour 2000 - Affaires étrangères - Examen du rapport

La commission a enfin entendu le rapport pour avis de M. André Dulait sur les crédits du ministère des affaires étrangères inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000.

M. André Dulait, rapporteur pour avis, a indiqué que le projet de budget du ministère des affaires étrangères pour 2000 était caractérisé par une légère hausse des crédits de 0,64 % et devrait atteindre 20.945 millions en 2000. Par ailleurs, les effectifs du ministère seront stables avec une seule création nette prévue en 2000, sur un total de 9.475 emplois. Il a d'autre part relevé que la distinction entre les affaires étrangères stricto sensu et la coopération était de plus en plus difficile à établir, puisque les deux dotations faisaient désormais l'objet d'un document budgétaire unique et que les dotations de fonctionnement étaient fusionnées.

M. André Dulait, rapporteur pour avis, a tout d'abord effectué une présentation générale de l'évolution des grandes masses de la dotation des affaires étrangères pour 2000. Il a relevé que la légère augmentation du budget pouvait être considérée comme une augmentation en " trompe l'oeil ", dans la mesure où elle ne correspond pas à des moyens nouveaux. Le principal élément positif de cette évolution est qu'elle met fin à plusieurs années de réduction des moyens du ministère des affaires étrangères. En effet, depuis 1995, ce budget a contribué chaque année aux efforts de réduction des dépenses publiques et a souvent fait l'objet d'importantes mesures d'annulations ou de reports de crédits. De même, depuis 1991, les effectifs du ministère ont diminué de plus de 8 %. Mais le rapporteur pour avis a relevé que cette augmentation de 0,64 % serait vraisemblablement légèrement inférieure à l'inflation prévue en 2000. Il a surtout souligné que la hausse des dotations était liée à l'incorporation dans le budget 2000 de l'ensemble des crédits destinés à financer les opérations immobilières, soit 120 millions de francs, et de la totalité de la rémunération des gendarmes appelés en renfort temporaire, soit 24 millions de francs. Sans ces transferts, a souligné le rapporteur pour avis, le budget n'afficherait pas la légère augmentation constatée.

M. André Dulait, rapporteur pour avis, a ensuite décrit l'évolution des grands ensembles du budget. Le titre III dans son ensemble augmentera de 1,3 % et atteindra 9,062 milliards de francs. Les dépenses de personnel progresseront dans les mêmes proportions que le budget (+ 0,68 %). L'ensemble des dépenses de fonctionnement augmentera légèrement plus vite et atteindra 3,995 milliards de francs. Les moyens du titre IV destinés aux interventions publiques diminueront de 2 % et s'élèveront à 9,574 milliards de francs. Les dépenses en capital, enfin, progresseront de 10,3 % en raison de l'inscription de la totalité des crédits immobiliers au titre V. Celui-ci s'élèvera à 398 millions de francs et le titre VI atteindra 1,911 milliard de francs en crédits de paiement.

M. André Dulait, rapporteur pour avis, a alors souligné quelques évolutions particulièrement importantes.

Il s'est d'abord félicité des efforts de gestion des moyens de fonctionnement grâce à la dotation globalisée et décentralisée qui représente désormais l'essentiel des dépenses de fonctionnement à l'étranger. 35 millions de francs seront économisés en 2000 grâce à ces mesures.

Il a ensuite fait remarquer que, si la dotation attribuée à la promotion de Strasbourg diminuait de 45 %, cette baisse ne devrait pas affecter la desserte du Parlement européen, puisque ce chapitre budgétaire bénéficie d'importants reports de crédits et que les besoins ont diminué. Toutefois, toutes les liaisons aériennes avec les capitales européennes ne sont pas assurées et M. André Dulait, rapporteur pour avis, a souhaité qu'une réflexion soit poursuivie pour y parvenir.

Le rapporteur pour avis a, en troisième lieu, relevé une nouvelle baisse des contributions obligatoires de la France aux organisations internationales, qui s'élèveront à 3,138 milliards de francs en 2000. Elle sera surtout sensible pour les contributions obligatoires au système des Nations unies ( 30 millions) et s'explique par la stabilisation des budgets de fonctionnement des organisations internationales et la réduction des besoins de financement des opérations de maintien de la paix.

Il a, en quatrième lieu, indiqué que les crédits de la coopération militaire diminueraient de 9,4 millions de francs en raison de la baisse du nombre de coopérants militaires. Néanmoins, cela n'empêchera pas le rééquilibrage de la dotation vers le reste du monde de se poursuivre. Les pays " hors champ " représenteront 21 % des moyens en 2000, soit 132 millions de francs.

Il a, en cinquième lieu, noté une augmentation de 10 % du fonds d'urgence humanitaire qui atteindra 63,1 millions de francs. Toutefois, il a souhaité souligner que cette dotation risquait d'être à nouveau insuffisante et rappelé qu'en 1999, l'aide au Kosovo a été en grande partie financée par les crédits de l'aide au développement.

Le rapporteur pour avis a enfin précisé que les crédits destinés aux Français de l'étranger s'élèveront à 141,7 millions de francs, soit une hausse de 0,7 %.

M. André Dulait, rapporteur pour avis, est ensuite revenu sur cinq questions importantes.

Il s'est tout d'abord interrogé sur le bilan qu'il était possible de tirer, à ce jour, de la fusion des ministères de la coopération et des affaires étrangères. Il a estimé qu'il convenait de rester encore très prudent dans les appréciations que l'on pouvait porter, en raison d'un manque de recul suffisant. Cela étant, il lui a semblé possible de formuler les observations suivantes :

- les économies de fonctionnement dégagées ne seraient pas négligeables et pourraient être de l'ordre de 35 millions de francs ;

- la fusion devrait permettre de dégager 92 emplois budgétaires qui pourront être effectivement pourvus en 2000 ;

- la mise en place des nouvelles directions a pour l'instant conduit à des retards dans l'engagement des dépenses et pourrait être encore source de lourdeurs administratives ;

- la fusion rapide des personnels, qui débutera en 2000 et qui devrait être achevée en 2001, n'ira sans doute pas sans soulever des difficultés en raison des différences entre les personnels des deux ministères.

Au total, il lui a semblé que le bilan était plutôt positif, mais qu'il serait nécessaire de continuer de suivre avec vigilance l'évolution de ce dossier pour mieux apprécier l'impact de la fusion.

Ensuite, M. André Dulait, rapporteur pour avis, a indiqué qu'un effort serait fait, à hauteur de 30 millions de francs, pour accroître le niveau des contributions volontaires de la France au système des Nations unies. Cette évolution est obtenue -a-t-il précisé- grâce aux économies faites sur les contributions obligatoires et sur d'autres contributions volontaires. Cet effort reste cependant insuffisant car, en 2000, les contributions volontaires de la France seront encore deux fois moins importantes qu'en 1994. Il a particulièrement insisté sur l'importance de ces contributions volontaires pour notre influence diplomatique. La France, pourtant quatrième contributeur obligatoire, n'est -a-t-il précisé- que le douzième contributeur volontaire et, toutes contributions confondues, elle est devancée par les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie et certains pays nordiques.

En outre, M. André Dulait, rapporteur pour avis, s'est, en troisième lieu, une nouvelle fois interrogé sur l'évolution de notre réseau diplomatique et consulaire et sur sa cohérence avec les besoins de la France. A cet égard, il a regretté que n'apparaissent pas de lignes claires définissant la politique d'ajustement du réseau. Il lui a semblé que cette politique était prise entre trois principes difficilement conciliables : la flexibilité, la permanence et la limitation de nos moyens financiers. Il a vivement souhaité que s'approfondisse une réflexion englobant l'ensemble de nos implantations à l'étranger, y compris celles qui ne dépendent pas du ministère des affaires étrangères. Selon lui, les évolutions liées à la construction européenne devraient être mieux prises en compte pour définir notre présence en Europe et dans le reste du monde.

Le rapporteur pour avis s'est, en quatrième lieu, vivement inquiété de la situation des personnels recrutés localement. Ces personnels ne disposent pas d'une bonne protection sociale, ils sont mal rémunérés et surtout les conditions d'emploi offertes par le ministère des Affaires étrangères sont inférieures à celles offertes par la DREE, par la plupart des représentations étrangères et même souvent par le marché local. M. André Dulait a en outre relevé que l'insuffisance de l'encadrement français dans certains services des visas risquait de laisser libre cours à des pratiques frauduleuses. En conséquence, il a estimé qu'un effort important devrait être accompli dans ce domaine, tout en gardant une approche pragmatique.

M. André Dulait, rapporteur pour avis, a enfin à nouveau attiré l'attention de la commission sur la politique immobilière du ministère des affaires étrangères. A cet égard, si certains projets continuent -à ses yeux- à poser question comme ceux de Pékin (pour 225 millions de francs), ou d'Abuja (pour 105 millions de francs), il a indiqué que d'importants efforts avaient été faits depuis 1998. Il s'est félicité que bon nombre des propositions parlementaires aient trouvé un écho auprès du ministère des affaires étrangères. Il a donné l'exemple du chantier de l'ambassade de Berlin pour lequel un dispositif spécifique de contrôle avait été mis en place. Il a également noté la création et la première réunion, sous la présidence du ministre des affaires étrangères, d'un Comité de politique immobilière, ouvert à des personnalités extérieures et qui doit apporter une vision stratégique et une expertise technique et financière. Il a indiqué que l'effort devrait être porté à l'avenir sur la connaissance exacte de l'ensemble des propriétés françaises à l'étranger et des conditions d'installation des postes. C'est seulement à cette condition, a-t-il indiqué, qu'une bonne gestion pourra se développer.

En conclusion, il a indiqué que puisque le budget des affaires étrangères était stable entre 1999 et 2000, le budget 2000 comporterait en bien des points les mêmes insuffisances que le budget de 1999. Toutefois, il a souhaité donner acte au Gouvernement des efforts effectués : l'arrêt de la baisse des crédits et des effectifs, une meilleure gestion des crédits de fonctionnement, des efforts en faveur des contributions volontaires et concernant la gestion des dépenses immobilières.

C'est sous le bénéfice de ces observations que M. André Dulait, rapporteur pour avis, a proposé à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption du budget du ministère des affaires étrangères pour 2000.

A l'issue de l'exposé du rapporteur pour avis, M. Xavier de Villepin, président, a souhaité souligner que, si les dépenses pour construire notre ambassade à Berlin étaient très importantes, la situation de cette ambassade était excellente, au coeur de la nouvelle capitale allemande, en face de l'ambassade des Etats-Unis. Il a également indiqué que Pékin et Abuja lui semblaient deux lieux très importants appelant une présence française forte.

M. Gérard Roujas a marqué son incompréhension devant le fait que près de 400 millions de francs puissent être dépensés pour la construction d'une ambassade à Berlin, alors que la construction européenne progressait chaque jour un peu plus.

M. Robert Del Picchia a fait remarquer que, contrairement à d'autres ambassades, celle de Berlin acquerrait rapidement une valeur immobilière importante en raison de son emplacement au coeur d'une des plus grandes capitales d'Europe. Il a également précisé que sur les 92 emplois qui pourraient être pourvus en 2000, seulement 20 seront affectés dans les consulats à l'étranger. Il a enfin regretté qu'il soit très difficile cette année de distinguer les crédits de la coopération de ceux des affaires étrangères.

M. Christian de La Malène a souhaité qu'à l'occasion de l'examen du budget, un débat sur la politique menée au Kosovo soit engagé, car il lui semblait très difficile de démêler aujourd'hui le rôle des différents acteurs sur le terrain.

M. Emmanuel Hamel a enfin souhaité obtenir des précisions sur les crédits qui seraient consacrés en 2000 à l'aide au développement.

Actualité européenne - Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a entendu M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, qui a évoqué devant les sénateurs l'actualité européenne (Europe de la défense, élargissement, réforme des institutions, Conférence de Seattle).

M. Pierre Moscovici a tout d'abord rappelé que l'actualité européenne de ces derniers mois avait été marquée par l'investiture, le l5 septembre dernier, de la nouvelle Commission dirigée par M. Romano Prodi et par la réunion du nouveau Parlement européen. Il a ensuite centré son intervention sur quatre domaines :

- la politique européenne de défense dans la perspective des décisions qui doivent être prises par le Conseil européen d'Helsinki ;

- l'évolution du processus d'élargissement à la suite du rapport de la Commission du 13 octobre dernier ;

- la question de la réforme des institutions ;

- et l'ouverture prochaine d'un nouveau cycle des négociations commerciales multilatérales.

M. Pierre Moscovici a tout d'abord tenu à souligner les bouleversements intervenus en quelques semaines dans le paysage européen de l'industrie aéronautique et de l'armement. Il a noté que le marché européen serait désormais dominé par deux acteurs : Bristish Aerospace, d'une part, et EADS, résultant de la fusion d'Aérospatiale-Matra et de Dasa, d'autre part. Ces deux groupes seront à même d'affronter la concurrence internationale, notamment américaine, et disposeront des moyens nécessaires pour rivaliser en matière de recherche et développement. Le ministre a par ailleurs relevé la création d'une grande société européenne spécialisée dans les missiles, qui regroupera Aerospatiale-Matra, British Aerospace et Finmeccanica, et qui sera au deuxième rang mondial dans ce secteur.

M. Pierre Moscovici a ensuite précisé que la position française lors du sommet d'Helsinki serait fondée sur le principe d'une Europe de la défense dotée de capacités lui permettant d'intervenir dans la gestion des crises, aussi bien avec l'Alliance atlantique que sans elle. Tirant notamment les enseignements nécessaires de la crise du Kosovo, la France a présenté un plan d'action destiné en particulier à favoriser un mécanisme de décision plus efficace. Sur cette base, M. Pierre Moscovici a indiqué que le Conseil européen d'Helsinki pourrait adopter deux types d'orientations :

- sur les capacités en matière de défense, l'identification des domaines considérés comme prioritaires, pour asseoir l'autonomie d'action de l'Union : renseignement et projection des forces, restructuration des forces armées des Etats membres, mise en cohérence et adaptation des forces multinationales européennes aux missions de gestion des crises et, enfin, renforcement d'une base industrielle et technologique de défense ;

- sur les outils institutionnels : la mise en place d'une part du comité politique et de sécurité (COPS), organe permanent composé de diplomates de haut rang et placé sous l'autorité du conseil Affaires générales, et d'autre part d'un comité militaire composé des chefs d'état-major des Quinze.

M. Pierre Moscovici a également affirmé que la France serait favorable à la définition de " critères de convergence " permettant de définir notamment des objectifs de rapprochement des budgets nationaux consacrés à la défense, soit pour les Quinze, soit pour quelques-uns d'entre eux. Il a par ailleurs fait remarquer que l'approbation de l'OCCAR (organisation conjointe de coopération en matière d'armement) par le Sénat permettrait d'approfondir la coopération européenne en la matière.

Evoquant alors l'élargissement de l'Union européenne, M. Pierre Moscovici a fait référence au rapport de la Commission européenne, publié le 13 octobre dernier, dans lequel elle recommande au Conseil européen d'ouvrir en l'an 2000 les négociations avec tous les pays candidats et de conférer à la Turquie le statut plein et entier de candidat. Il lui a semblé important que la Commission ne recommande pas d'accélérer le calendrier et qu'elle n'ait pas fixé de date in abstracto pour l'adhésion des pays candidats. Il a rappelé le lien établi avec l'achèvement de la réforme institutionnelle et souligné que la France veillera à ce que ne soient pas marginalisés les six candidats du second groupe.

Revenant sur l'importance de la réforme institutionnelle, M. Pierre Moscovici a estimé qu'il convenait, dans le cadre de la prochaine conférence intergouvernementale, de se montrer réaliste et raisonnablement ambitieux en traitant de manière prioritaire les questions qui n'ont pu être résolues à Amsterdam (composition de la Commission, extension du champ de vote à la majorité qualifiée et repondération des voix au Conseil).

Le ministre a ainsi estimé qu'il serait prématuré d'entreprendre dès maintenant la constitutionnalisation des traités au risque de faire échouer l'ensemble du processus. A titre personnel, M. Pierre Moscovici a marqué son intérêt pour les propositions contenues dans le récent rapport du commissariat général au Plan, élaboré sous la direction de M. Jean-Louis Quermonne : la modification du système de présidence tournante du Conseil, le renforcement du rôle de coordination du Conseil Affaires générales, le recours plus fréquent à des coopérations renforcées, et la mise en place d'" un pacte constitutionnel refondateur ", destiné à rapprocher l'Europe de ses citoyens.

M. Pierre Moscovici s'est enfin attaché à préciser quelle serait la position européenne lors de la prochaine conférence de Seattle qui doit lancer un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales. Il a souligné que le mandat donné à la Commission répondait aux préoccupations françaises dans la mesure où il posait pour principe que les négociations devaient être globales et élargies à des sujets qui n'avaient pas encore fait l'objet de négociations lors de " l'Uruguay round " et où il préservait le modèle européen en matière d'agriculture et de politique culturelle et audiovisuelle.

Toutefois, le ministre a estimé que les négociations seraient difficiles, puisque les premières propositions des Etats-Unis et du " groupe de Cairns " étaient très éloignées des positions européennes. Il s'est néanmoins félicité que l'Europe aborde ces négociations de manière plus unie que lors du précédent cycle.

A la suite de l'exposé du ministre délégué, M. Robert Del Picchia s'est interrogé sur la nature du statut de candidat qui pourrait être reconnue par le Conseil européen à la Turquie. Il s'est demandé si l'absence de la France dans la construction du futur véhicule blindé européen ne constituait pas un échec pour l'Europe de la défense. Il a souhaité par ailleurs obtenir des précisions sur la position des pays neutres au sein d'un éventuel état-major réunissant les quinze pays membres de l'Union européenne. Enfin, il a demandé au ministre délégué de préciser la position du Gouvernement vis-à-vis des notions de " diversité culturelle " et d'" exception culturelle ".

M. André Rouvière a interrogé M. Pierre Moscovici sur les perspectives d'adhésion de Chypre à l'Union européenne et sur la prise en compte de la situation de Chypre dans les négociations qui pourraient s'ouvrir avec la Turquie. Il a demandé quels signes d'ouverture pourraient être adressés par l'Union européenne à la Moldavie. Il a souhaité enfin obtenir des précisions sur le calendrier prévisible de la réforme institutionnelle.

M. Serge Vinçon a demandé quelles étaient les réactions de nos partenaires vis-à-vis des propositions formulées par la France en matière de défense européenne.

M. Xavier de Villepin, président, a souhaité obtenir des précisions sur la position du Gouvernement à l'égard d'une éventuelle Constitution européenne. Il s'est interrogé par ailleurs sur les risques que la France pourrait courir si elle refusait de participer aux prochaines négociations de Seattle. Il a demandé en outre au ministre délégué quels seraient les moyens dont disposerait le nouveau Haut Représentant pour la PESC. Enfin, il a interrogé M. Pierre Moscovici sur la possible extension des mécanismes de coopérations renforcées à la PESC et sur les réactions européennes vis-à-vis de l'intervention russe en Tchétchénie.

En réponse aux questions des commissaires, M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, a apporté les précisions suivantes :

- les relations entre la Grèce et la Turquie avaient évolué dans un sens positif, notamment à la suite de l'élan de solidarité suscité par le tremblement de terre en Turquie, et aussi grâce à l'action dynamique des ministres des affaires étrangères de ces deux pays ; la reconnaissance de la candidature de la Turquie par le Conseil européen ne signifierait pas dans l'immédiat l'ouverture de négociations, mais impliquerait, à terme, l'intégration de ce pays au sein de l'Union européenne ; s'agissant de Chypre, on pouvait espérer des avancées vers une réconciliation nationale et souhaiter l'adhésion d'une île réunifiée à l'Union européenne ;

- la position de la France en ce qui concerne le véhicule blindé construit par les Allemands et les Anglais ne devait pas être interprétée comme un échec de l'Europe de la défense ; notre pays s'attachait à convaincre nos partenaires de l'intérêt des propositions françaises en matière de politique de la défense ; le sommet d'Helsinki pourrait marquer quelques avancées dans ce domaine, notamment sur le comité politique et de sécurité ;

- l' " exception culturelle " constituait le moyen de parvenir à la " diversité culturelle ", en donnant aux " produits de l'esprit " un statut spécifique, comme le souhaitait la France dans le cadre du prochain cycle de négociations de l'OMC ;

- la Moldavie avait vocation, à terme, à appartenir à l'Union européenne, même si ce processus prendrait nécessairement du temps ;

- la réforme des institutions devra précéder l'élargissement ; à l'issue de la négociation relative à cette réforme, s'ouvrira une seconde phase consacrée aux ratifications nécessaires ; l'Union européenne pourrait alors, à la fin de l'année 2002 ou dans le courant de l'année 2003, se montrer prête à accueillir les pays candidats et à accélérer la conclusion des négociations dans ce sens ;

- le principe d'une Constitution européenne soulevait d'abord une réserve d'ordre pratique, dans la mesure où l'inscription de cette question controversée à l'ordre du jour des négociations sur la réforme institutionnelle conduirait à retarder le processus d'élargissement ; en outre, l'Europe politique se construit par strates successives, de manière progressive, au fil du temps, sans qu'il soit nécessaire, pour l'heure, de formaliser ces acquis dans un texte unique ;

- la politique de la " chaise vide " à Seattle constituerait un risque majeur pour la France qui ne pourrait pas, dès lors, influencer les bases de l'ouverture de la prochaine négociation ; notre pays cherchait à trouver, au sein du groupe des pays en développement, des soutiens à ses positions ;

- M. Javier Solana, Haut représentant pour la PESC, assumera également les fonctions de secrétaire général du Conseil, assisté dans cette tâche  par le secrétaire général adjoint, poste occupé aujourd'hui par l'un de nos compatriotes ; il pourra s'appuyer sur les grandes diplomaties européennes et, notamment, sur la diplomatie française ; quelques questions restaient toujours à trancher, notamment la présidence du COPS qui pourrait être décidée lors du sommet d'Helsinki ; le principe de coopérations renforcées pourrait s'étendre de manière pragmatique à la PESC.

Enfin, M. Pierre Moscovici a indiqué sa disponibilité pour rendre compte aussi régulièrement que possible devant le Sénat des travaux de la présidence française de l'Union européenne au deuxième semestre 2000.