Table des matières

  • Mercredi 10 février 1999
    • Nomination de rapporteur
    • Audition de M. Thierry de Montbrial, membre de l'Institut, directeur de l'institut français des relations internationales
    • Audition de M. Hervé Cassan, professeur à l'Université de Paris V-René Descartes, conseiller spécial auprès du Secrétaire général de l'organisation internationale de la francophonie
  • Jeudi 11 février 1999
    • Traités et conventions - Ratification du traité d'Amsterdam - Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes
    • Audition de M. Hubert Vedrine, ministre des affaires étrangères

Mercredi 10 février 1999

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Nomination de rapporteur

La commission a tout d'abord procédé à la nomination d'un rapporteur. Elle a désigné M. Xavier de Villepin, président, comme rapporteur sur le projet de loi n° 1365 (A.N. 11e législature), en cours d'examen par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes, signé le 2 octobre 1997.

Audition de M. Thierry de Montbrial, membre de l'Institut, directeur de l'institut français des relations internationales

Puis la commission a procédé à l'audition de M. Thierry de Montbrial, membre de l'Institut, directeur de l'Institut français des relations internationales (IFRI) sur le thème " diplomatie, défense et justice pénale internationale ".

M. Thierry de Montbrial a tout d'abord relié la question de la création d'une justice pénale internationale indépendante aux notions fondamentales d'indépendance judiciaire, d'une part, et de communauté internationale, d'autre part.

Il a rappelé que l'indépendance judiciaire aux Etats-Unis, pays où la séparation des pouvoirs est la plus rigoureuse, se traduisait notamment par l'extrême étendue de la prérogative reconnue à la Cour suprême, du fait de la compétence de celle-ci à l'égard de la Constitution qui, a-t-il remarqué, est l'un des éléments fondateurs de l'identité américaine. M. Thierry de Montbrial a souligné en particulier l'indépendance exceptionnelle qui caractérise, depuis la création de cette institution à l'époque du Watergate, le " procureur spécial ". Il a, à cet égard, rappelé que le juge Starr avait pu, dans le cadre de l'affaire Clinton, pousser très loin, sans rencontrer d'obstacle, la conception de sa mission.

S'interrogeant sur les raisons de l'adhésion de l'opinion américaine à une conception aussi poussée de la séparation des pouvoirs, M. Thierry de Montbrial a estimé que le système de l'indépendance judiciaire se situait, aux Etats-Unis, dans le cadre d'une légitimité incontestée.

M. Thierry de Montbrial s'est en conséquence demandé jusqu'où la justice pénale internationale pouvait être indépendante en l'absence d'un système de légitimité internationale solide. Il a, à cet égard, jugé fondamentale la notion de communauté internationale, au nom de laquelle pourrait se développer une justice pénale internationale. M. Thierry de Montbrial a suggéré une définition de la communauté internationale qui conjuguerait le critère affectif qui, selon Max Weber, fonde la notion de communauté, et la notion d'intérêts communs qui caractérise une société. Le directeur de l'Institut français des relations internationales a jugé que l'on ne pouvait ériger le genre humain en catégorie politique, et a estimé que le développement des relations transnationales lié à la mondialisation et à l'effacement des frontières interétatiques ne permettait pas de conclure à l'existence d'une véritable communauté internationale.

M. Thierry de Montbrial a, par ailleurs, estimé que le système de l'ONU constituait une réalisation imparfaite de ce que pourrait être un gouvernement mondial s'il existait un jour une communauté internationale, et que les décisions du Conseil de sécurité ne pouvaient être présentées comme le reflet de la volonté d'une communauté internationale encore inexistante.

Le directeur de l'IFRI a donc douté qu'une justice pénale internationale indépendante puisse se développer sans être fondée sur une véritable communauté internationale, et sans s'appuyer, de ce fait, sur une légitimité solide.

Abordant ensuite le statut de la Cour pénale internationale (CPI), M. Thierry de Montbrial a commenté les difficultés liées à la définition précise des notions de génocide, de crime contre l'humanité, de crime de guerre ou encore de massacre " à grande échelle ". Il a, à cet égard, souligné les errements auxquels pourrait conduire une interprétation erronée des définitions proposées par la convention de Rome, et a attiré l'attention des commissaires sur les excès susceptibles d'en résulter.

En conclusion, le directeur de l'IFRI, estimant que la création d'une forme de menace permanente sur les criminels contre l'humanité et les tyrans constituait un progrès, a fait valoir qu'il ne convenait pas de justifier l'immobilisme par les éventuelles insuffisances de la future Cour pénale internationale.

M. Thierry de Montbrial a enfin estimé qu'une communauté européenne commençait en revanche à se structurer, et que l'on ne pouvait exclure la création d'un espace de légitimité européen qui pourrait s'appuyer sur une zone homogène en matière judiciaire.

Le directeur de l'IFRI a alors répondu aux questions des commissaires.

M. André Dulait s'est interrogé sur l'influence éventuelle de la création de la Cour pénale internationale sur la participation de certains pays à des opérations de maintien de la paix. Il a estimé que le statut de la CPI pourrait décourager les bonnes volontés d'Etats, qui pourraient craindre d'être mis en cause dans le cadre de leurs interventions militaires extérieures.

M. Thierry de Montbrial, tout en convenant que l'on ne pouvait exclure de telles conséquences, a jugé opportun que les pays engagés dans des conflits locaux -et, parmi ces pays, la France- soient amenés, sous la pression d'une institution comme la Cour pénale internationale, à clarifier les conditions de leurs interventions sur des théâtres d'opérations extérieurs.

M. Thierry de Montbrial a, par ailleurs, fait valoir que les interventions militaires susceptibles de s'avérer nécessaires en Europe seraient conçues dans un cadre collectif, et qu'il paraissait exclu que la France intervienne seule, en vertu d'une décision unilatérale. Une telle évolution semble néanmoins, a-t-il poursuivi, subordonnée à la définition d'un cadre strict de légitimité et à l'existence de chaînes de commandement très précises, dont le précédent bosniaque avait illustré la nécessité.

M. André Dulait a alors évoqué les conséquences probables de l'institution de la Cour pénale internationale sur l'imprescriptibilité de certains crimes et la prescription de toute amnistie à leur égard. Il a, également, exprimé la crainte qu'en interdisant l'amnistie, la Cour pénale internationale ne compromette les processus de réconciliation nationale.

M. Thierry de Montbrial, notant que la question se posait aujourd'hui en termes aigus à propos des Khmers rouges, a estimé souhaitable de pouvoir faire répondre de leurs crimes les premiers responsables. Il a, sur ce point, douté que l'arrestation éventuelle d'un tyran comme Pol Pot -si celui-ci avait vécu- ait contrarié un processus de réconciliation par nature difficile.

M. Christian de La Malène est alors revenu sur le lien entre communauté internationale et droit pénal international. Il a, par ailleurs, formulé des réserves sur l'émergence d'une véritable communauté européenne, dont l'affaire du Kosovo illustre encore, selon lui, la faiblesse.

M. Xavier de Villepin, président, a souhaité connaître les conséquences de l'absence de participation des Etats-Unis à la convention instaurant la Cour pénale internationale, du fait notamment de leur réticence à accepter que des militaires américains puissent être déférés devant d'autres juridictions que les juridictions américaines. M. Xavier de Villepin, président, s'est ensuite interrogé sur la portée des réserves formulées initialement par la France sur les projets de statut de la future Cour pénale internationale.

M. Thierry de Montbrial a alors commenté l'attitude des Etats-Unis à l'égard de l'ONU et, plus généralement, des contraintes du droit international. Il a estimé que la défense des intérêts de la France passait par l'ONU et par un système de droit international qui se caractérisait aujourd'hui, selon lui, par " quelques éléments prometteurs ". Le directeur de l'IFRI a, de ce fait, estimé que la France ne pouvait s'inspirer, pour définir sa propre attitude à l'égard de la Cour pénale internationale, de la position

Audition de M. Hervé Cassan, professeur à l'Université de Paris V-René Descartes, conseiller spécial auprès du Secrétaire général de l'organisation internationale de la francophonie

La commission a ensuite procédé à l'audition, sur le même sujet, de M. Hervé Cassan, professeur à l'Université de Paris V-René Descartes, conseiller spécial auprès du Secrétaire général de l'organisation internationale de la francophonie.

M. Hervé Cassan
a tout d'abord rappelé que la Cour pénale internationale était appelée à être une organisation internationale, à la différence des deux tribunaux ad hoc (Yougoslavie et Rwanda), créés chacun par une résolution du Conseil de sécurité. La Cour pénale internationale, par ailleurs, ne sera pas un organe de l'ONU, ce qui posait la question de son articulation avec le Conseil de Sécurité, sujet qui -avec les pouvoirs dévolus au procureur- a fait l'objet de difficultés au cours des négociations.

En effet, tout rôle du Conseil de sécurité dans le fonctionnement de la Cour pénale internationale posait le problème de l'indépendance juridictionnelle ; à l'inverse, un Conseil de sécurité sans lien avec la Cour pénale internationale soulevait la question du rôle des Etats comme acteurs internationaux.

Cette dialectique entre la logique judiciaire et la logique politique -a relevé M. Hervé Cassan- a fait l'objet d'un clivage entre deux camps dont la composition a évolué : entre pays développés et pays en développement, entre membres permanents et membres non permanents du Conseil de sécurité ou encore entre membres permanents entre eux : Chine et Etats-Unis d'un côté, et les trois autres membres permanents de l'autre. Surtout, ce clivage a mis aux prises les Etats d'un côté et les ONG de l'autre, la forte influence de ces dernières dans la négociation sur la Cour pénale internationale et le rôle qui leur est reconnu par le statut constituant d'ailleurs une innovation.

Le statut de la Cour pénale internationale traduit ainsi, a noté M. Hervé Cassan, les compromis réalisés entre la logique judiciaire et la logique politique et a des incidences sur la procédure juridique retenue.

Le Conseil de sécurité -a alors précisé M. Hervé Cassan- est investi de deux types de pouvoirs à l'égard de la Cour pénale internationale : un pouvoir d'action et un pouvoir de blocage. Un pouvoir d'action dans la mesure où le Conseil de sécurité peut directement saisir la Cour, ce qui constitue d'ailleurs, a souligné M. Hervé Cassan, une procédure tout à fait nouvelle. Cette procédure a pour avantage -étant prise dans le cadre du chapitre VII de la Charte- d'obliger tous les Etats à coopérer avec la Cour, mais elle peut aussi constituer un risque pour les pays engagés dans des opérations de maintien de la paix, en ce que leurs troupes pourraient se voir confier des mandats nouveaux, comme l'arrestation de criminels présumés et donc perdre, au regard des belligérants, une part de leur impartialité.

Le Conseil de sécurité dispose ensuite -a ajouté M. Hervé Cassan- d'un pouvoir de blocage qui permet au Conseil de sécurité d'interrompre, pour une période de 12 mois renouvelable et à quelque stade que ce soit, une procédure engagée devant la Cour pénale internationale. Cette solution, très radicale et très nouvelle, constitue une " première " dans l'articulation entre action judiciaire et action politique.

Puis M. Hervé Cassan a relevé que le statut de la Cour pénale internationale laissait sans réponses certaines questions juridiques. Il en est ainsi, en premier lieu, de la nature des crimes susceptibles d'être poursuivis, même si la formulation retenue ne soulève pas de difficultés majeures : crimes de génocide, de guerre, contre l'humanité et d'agression.

En revanche, a fait observer M. Hervé Cassan, le statut de la Cour pénale internationale, en précisant, au 3e paragraphe de son préambule, que ces crimes, " d'une telle gravité, menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde ", confère en quelque sorte à la Cour pénale internationale un pouvoir d'appréciation sur la menace contre la paix engendrée par la commission de ces crimes, interférant ainsi sur la compétence du Conseil de sécurité en la matière.

En second lieu, M. Hervé Cassan a rappelé que la compétence ratione temporis de la Cour pénale internationale ne lui permettrait d'exercer sa juridiction que sur des crimes commis postérieurement à son entrée en vigueur. Ainsi, pour M. Hervé Cassan, se trouvait en quelque sorte " institutionnalisée " la possibilité que de tels crimes soient commis dans l'avenir, aboutissant à prendre acte de la faillite du Conseil de sécurité et des principales puissances à prévenir de tels agissements et, à travers la Cour pénale internationale, à demander des comptes à ces instances.

Un débat s'est ensuite instauré avec les commissaires.

M. André Dulait a interrogé l'orateur sur les différences de compétences reconnues aux deux tribunaux ad hoc sur l'ex-Yougoslavie et sur le Rwanda par rapport à celles de la future Cour pénale internationale. Il s'est inquiété de la viabilité de la future Cour pénale internationale en l'absence des Etats-Unis parmi les Etats signataires.

M. Robert Del Picchia s'est enquis des conséquences d'un recours, par l'un des membres permanents du Conseil de sécurité, à son droit de veto à l'égard d'une affaire engagée devant la Cour pénale internationale. Il a demandé des précisions sur la durée maximale de la suspension de procédure que pouvait décider le Conseil de sécurité. Il a enfin relevé que la définition du crime d'agression restait encore à faire.

M. Christian de La Malène s'est inquiété des compromis obtenus par la négociation et conduisant, dans le statut de la Cour pénale internationale, à certaines contradictions entre la logique politique et la logique judiciaire. Il a souhaité obtenir des précisions sur les pouvoirs reconnus au procureur de la Cour pénale internationale.

Mme Danielle Bidard-Reydet a souhaité obtenir une définition précise des crimes relevant de la compétence de la Cour.

M. Xavier de Villepin, président, s'est interrogé sur le rôle très important joué par les ONG dans la négociation de la convention. Il s'est enfin inquiété du faible écho donné par les médias à certains conflits oubliés d'Afrique.

M. Hervé Cassan a alors répondu aux questions des commissaires, apportant les précisions suivantes :

- les médias, notamment aux Etats-Unis, jouent un rôle essentiel dans la couverture d'événements internationaux. L'opération de restauration de la paix conduite par les Etats-Unis en Somalie a illustré cet aspect. M. Hervé Cassan a reconnu, comme l'avait fait M. Boutros Ghali alors secrétaire général des Nations unies, l'existence de " conflits orphelins ", qui n'intéressent personne ;

- de fortes différences existent entre les deux tribunaux pénaux internationaux ad hocet la Cour pénale internationale. En premier lieu, ils ont une compétence rétroactive. En second lieu, ces tribunaux s'inscrivent dans une logique de maintien de la paix et constituent le prolongement judiciaire d'une action politique ;

- sans les Etats-Unis, la Cour pénale internationale perdra une grande partie de son efficacité ;

- le blocage d'une procédure par le Conseil de sécurité des Nations unies peut durer très longtemps, la période de douze mois étant renouvelable indéfiniment ;

- la définition des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale est complexe, car les Etats ne sont pas tous d'accord à ce sujet. Le statut énumère une longue liste d'exemples pour chaque crime, reflétant les diverses préoccupations de chacun des Etats. Au surplus, le crime d'agression n'est pas défini par le statut qui renvoie cette question à un examen ultérieur. Or ce point est important puisque ce type de définition relève normalement du Conseil de sécurité lui-même. Qu'en serait-il notamment de la qualification de crime d'agression d'une action d'un Etat tendant à mettre fin à un crime de génocide commis dans un autre Etat, comme ce fut le cas dans le conflit qui a opposé, en 1979, le Vietnam et le Cambodge ?

- le rôle donné au procureur par le statut traduit le conflit entre le droit romain et la " common law " des pays anglo-saxons. Cette dernière conception l'a emporté, conférant une totale indépendance au procureur. Celui-ci cependant ne pourra agir que s'il obtient la coopération des Etats, sans d'ailleurs que soient prévues de réelles sanctions en cas de manquement à cette obligation ;

- le Conseil de sécurité ne changera pas de nature à brève échéance : toutes les configurations possibles ont été examinées pour aboutir finalement à préférer la situation existante.

La commission a alors décidé, sur la suggestion de M. Xavier de Villepin, président, de publier le compte rendu de ses auditions sur le thème " diplomatie, défense et justice pénale internationale ", sous la forme d'un rapport d'information. Elle a désigné M. André Dulait comme rapporteur d'information pour préparer ce document et l'analyse qui l'accompagnera.

Jeudi 11 février 1999

.- Présidence de M. Xavier de Villepin, président.-

Traités et conventions - Ratification du traité d'Amsterdam - Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes

La commission élargie à la délégation du Sénat pour l'Union européenne a tout d'abord entendu M. Pierre Moscovici, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes, sur la présentation du projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam.

Avant que n'intervienne le ministre délégué chargé des affaires européennes, M. Xavier de Villepin, président, a rappelé qu'il avait plaidé pour l'adjonction exceptionnelle d'un article 2 au projet de loi de ratification du traité d'Amsterdam, afin de souligner de manière solennelle la nécessité d'une réforme des institutions européennes avant tout nouvel élargissement. Après avoir observé que le Gouvernement avait approuvé cette démarche et donné son accord à l'élaboration de cet article 2, en concertation avec le Parlement, M. Xavier de Villepin, président, s'est félicité qu'un échange de vues puisse être organisé devant la commission avant l'examen, par l'Assemblée nationale, du projet de ratification.

M. Xavier de Villepin, président, a souhaité, par ailleurs, que l'article additionnel s'inspire largement du contenu de la déclaration franco-italo-belge annexée au traité d'Amsterdam qui réaffirme notamment " la nécessité de progrès substantiels dans la voie du renforcement des institutions ". Il a également demandé que le Gouvernement précise le contenu de la réforme institutionnelle souhaitée par la France, ainsi que les modalités de préparation d'une telle réforme. Il a estimé qu'il convenait de satisfaire le double objectif d'efficacité et de légitimité en donnant en particulier la priorité à une extension de la majorité qualifiée accompagnée d'une repondération des voix au sein du Conseil. Enfin, il a souligné les limites de la méthode de la conférence intergouvernementale et l'opportunité de faire appel à des personnalités indépendantes pour faire progresser les discussions sur la réforme institutionnelle.

M. Pierre Moscovici a alors présenté le projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam.

Après avoir souligné la très large adhésion des parlementaires à la réforme constitutionnelle préalable à la ratification du traité d'Amsterdam, le ministre délégué chargé des affaires européennes a rappelé que la procédure de ratification entrait désormais dans sa dernière phase. Il a estimé que l'année 1999 se révélerait décisive à plusieurs titres : en effet, la mise en place de l'euro, la négociation de l'Agenda 2000, le processus d'élargissement et, au mois de juin, le déroulement des élections européennes représentaient des enjeux essentiels pour la construction européenne.

M. Pierre Moscovici a ensuite évoqué le traité d'Amsterdam en soulignant que ce texte, malgré ses imperfections, présentait plusieurs mérites. Il a rappelé, en premier lieu, les dispositions destinées à mieux prendre en compte les préoccupations des citoyens. Il a cité, à cet égard, le titre consacré à l'emploi dont certaines mesures avaient pu être adoptées par anticipation ainsi que l'intégration du protocole social dans le corps même du traité. Il a également mis en avant les dispositions relatives aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, à la clause de non-discrimination et au principe d'égalité entre hommes et femmes.

Le ministre délégué chargé des affaires européennes est ensuite revenu sur les avancées intervenues dans la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. Il s'est par ailleurs félicité de la création de nouveaux instruments en matière de politique étrangère et de sécurité commune. Il a enfin rappelé que le traité avait confirmé la ville de Strasbourg comme siège du Parlement européen et reconnu le statut des régions ultrapériphériques.

M. Pierre Moscovici a observé, dans le domaine institutionnel, que les pouvoirs législatifs du Parlement européen avaient été renforcés et que les Parlements nationaux seraient mieux associés aux travaux de l'Union. Il a jugé que le mécanisme des coopérations renforcées permettrait aux Etats membres qui le souhaiteraient d'aller plus loin dans la construction européenne. Il a toutefois regretté l'absence d'une réforme institutionnelle d'ensemble, tout en relevant que nos partenaires paraissaient prêts désormais à reprendre les discussions pour trouver un accord sur le format de la Commission, la majorité qualifiée et la repondération des voix ; la présidence allemande devrait présenter une proposition de calendrier et de méthode sur ces différents points au Conseil européen de juin 1999 à Cologne.

Le ministre délégué chargé des affaires européennes a noté que le projet de loi de ratification comportait, conformément à la règle, un article unique, mais que le Gouvernement, afin de tenir compte des souhaits manifestés par le Parlement, serait tout à fait disposé à introduire un article additionnel sous forme d'amendement, aux termes duquel serait soulignée la nécessité de réaliser des progrès substantiels dans la voie de la réforme des institutions de l'Union préalablement à la conclusion des négociations d'adhésion. M. Pierre Moscovici a souligné que le Gouvernement tiendrait compte des suggestions qui pourraient être faites par les parlementaires sur le contenu de cet amendement, même si la marge de manoeuvre en la matière paraissait limitée ; il convenait en effet d'éviter toute formulation qui s'apparenterait à une conditionnalité et poserait non seulement un problème juridique mais pourrait être également perçue comme un signal négatif par les pays candidats à l'adhésion.

A la suite de l'exposé du ministre, M. Claude Estier a souhaité savoir s'il était possible d'obtenir communication du texte de l'amendement gouvernemental.

M. James Bordas a attiré l'attention du ministre délégué sur la formulation de l'exposé des motifs du projet de loi relative au protocole sur le rôle des Parlements nationaux dans l'Union européenne qui prévoit, pour les seuls actes pris sur le fondement du titre VI, un délai de six semaines entre le moment où une proposition législative est mise par la commission à la disposition du Conseil, et la date à laquelle elle est inscrite à l'ordre du jour du Conseil.

M. Pierre Fauchon a souhaité qu'un amendement gouvernemental complète le projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam, afin d'insister sur la réforme institutionnelle dont la  nécessité s'imposait pour donner à l'Union une efficacité et une légitimité plus grandes. Il a observé que le système institutionnel européen ne s'inscrivait pas dans le schéma classique de la séparation des pouvoirs et soulevait de nombreuses interrogations.

M. Pierre Mauroy s'est interrogé sur la possibilité pour les Quinze de parvenir à un accord sur l'Agenda 2000 au mois de mars prochain. Il a souligné combien un échec sur ce point pèserait de façon négative sur la construction européenne.

Mme Danièle Pourtaud s'est interrogée sur l'état des ratifications du traité d'Amsterdam dans les différents Etats membres.

M. Xavier de Villepin, président, a souhaité savoir si la réforme des institutions avait fait l'objet de débats importants dans les autres Etats membres.

En réponse aux commissaires, M. Pierre Moscovici a d'abord noté que le retard pris par la France dans la procédure de ratification s'expliquait en partie par la nécessité de procéder à une révision préalable de notre Constitution. Il a souligné toutefois que certaines dispositions du traité d'Amsterdam, principalement en matière d'emploi, avaient pu être appliquées par anticipation. Il a relevé que la réforme des institutions avait été évoquée dans la quasi-totalité des Etats membres et qu'un très large accord existait aujourd'hui sur l'identification des principaux problèmes dans le domaine institutionnel.

Le ministre délégué chargé des affaires européennes a par ailleurs précisé que la limitation du délai de six semaines mentionné par M. James Bordas aux seules mesures prises sur le fondement du titre VI et figurant dans l'exposé des motifs du projet de loi devait faire l'objet d'une rectification. Il est convenu avec M. Pierre Fauchon que la question institutionnelle se présentait de manière plus aiguë aujourd'hui tout en indiquant que si le droit de censure du Parlement européen vis-à-vis de la Commission représentait un droit fondamental, une telle faculté ne pouvait en aucun cas s'exercer à l'encontre de certains membres de la Commission. Il a ajouté, par ailleurs, que le maintien de la Commission actuelle représentait un élément important pour poursuivre dans de bonnes conditions les négociations sur l'Agenda 2000. Il a estimé en outre qu'une réforme institutionnelle devait, pour réussir, faire l'objet d'une approche circonscrite.

M. Pierre Moscovici a relevé que l'amendement qui serait déposé par le Gouvernement sur le projet de loi de ratification ne pourrait être lui-même amendable par l'Assemblée nationale compte tenu des dispositions du règlement de cette Assemblée. Il a rappelé à cet égard le précédent qu'avait représenté en 1977 le projet de loi sur l'élection du Parlement européen au suffrage universel -l'article additionnel que comprenait ce texte n'avait pu en effet être amendé. Le ministre délégué a alors donné lecture du projet d'amendement gouvernemental : " La République française souligne la nécessité de réaliser, au-delà des stipulations du traité signé le 2 octobre 1997, des progrès substantiels dans la voie de la réforme des institutions de l'Union européenne préalablement à la conclusion des premières négociations d'adhésion. "

Le ministre délégué a relevé à l'attention de M. Xavier de Villepin, président, qui s'interrogeait sur la possibilité, pour les parlementaires, de proposer des modifications à cette formulation, qu'il était prêt à des échanges de vues sur ce texte et qu'en outre les débats à l'Assemblée nationale et au Sénat permettraient à chacun de préciser le sens qu'il conviendrait de donner aux termes généraux retenus par l'article additionnel.

Evoquant enfin la négociation sur l'Agenda 2000, M. Pierre Moscovici a souligné que l'objectif d'un accord avant la fin du mois de mars ne pourrait être satisfait sans un effort partagé par tous les Etats membres ; à l'heure présente, seule la France avait avancé plusieurs propositions constructives tandis que les positions des autres parties n'avaient pas réellement évolué.

Audition de M. Hubert Vedrine, ministre des affaires étrangères

La commission a ensuite entendu M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine a tout d'abord souligné la grande complexité et la difficulté de la négociation sur le Kosovo engagée depuis quelques jours à Rambouillet. Il a souligné que, depuis mars 1998, le groupe de contact avait su maintenir une ligne commune et cohérente, grâce notamment aux efforts des quatre pays européens pour rapprocher les points de vue russe et américain. L'enjeu restait l'acceptation par les deux parties d'une autonomie substantielle pour le Kosovo.

Le ministre des affaires étrangères a relevé avec intérêt la convergence des pressions exercées par la communauté internationale au travers de l'Union européenne, du groupe de contact, de l'OSCE, de l'OTAN et du Conseil de sécurité, et surtout l'acceptation par les deux parties de leur participation à la réunion de Rambouillet.

Le ministre des affaires étrangères a considéré que l'issue de la négociation reposait sur la capacité des Albanais à admettre une solution autre que l'indépendance et sur celle des autorités yougoslaves d'accepter l'idée d'autonomie substantielle du Kosovo.

A l'issue de l'exposé du ministre, MM. Christian de La Malène etEmmanuel Hamel se sont interrogés sur les moyens de pression exercés par la communauté internationale pour amener les parties en présence à dégager un accord.

M. Michel Caldaguès, rappelant la menace de frappes aériennes à l'encontre de la Serbie, a demandé quels types de pressions pouvaient être exercées sur la partie albanaise pour l'amener à accepter un accord. Il a en particulier évoqué la possibilité de peser sur les approvisionnements et la logistique de l'armée de libération du Kosovo.

M. André Boyer a souhaité savoir si les différentes délégations représentant la partie albanaise partageaient une même unité de vues.

M. Xavier de Villepin, président, a interrogé le ministre sur l'idée, évoquée dans la presse américaine, d'un échange de territoires au profit de la Serbie en Bosnie Herzégovine, en contrepartie de l'acceptation d'un accord sur le Kosovo.

M. Hubert Védrine a tout d'abord confirmé que certains analystes avaient bien évoqué une possibilité de rattachement de la République serbe de Bosnie à la Yougoslavie si cette dernière devait abandonner son contrôle sur le Kosovo, mais il a souligné qu'aucune proposition de ce genre n'avait jamais été formulée, ni même évoquée, par les gouvernements du groupe de contact ou par les négociateurs.

Le ministre des affaires étrangères a ensuite précisé que certains représentants des Albanais du Kosovo, sans renoncer à leur aspiration à l'indépendance, étaient disposés à accepter l'idée d'une autonomie substantielle, alors que d'autres rejetaient toute solution politique et tout règlement qui ne déboucherait pas sur l'indépendance.

S'agissant des moyens de pression sur chacune des deux parties, il a souligné l'évolution notable des réflexions au sein du groupe de contact, ce dernier étant désormais conscient que les pressions ne pouvaient uniquement s'exercer sur la partie serbe. A ce titre, a-t-il ajouté, le groupe de contact s'est penché sur la façon dont l'UCK était armée et financée.

M. Hubert Védrine a conclu en appelant à une grande prudence sur l'issue de la négociation de Rambouillet. Rappelant les résultats obtenus grâce au rapprochement des vues européennes, américaines et russes, il a estimé que, pour l'heure, tout devait être mis en oeuvre pour résoudre la crise actuelle qui constituait une tragédie pour l'Europe.

Au cours de la même réunion, les commissaires ont évoqué avec M. Hubert Védrine la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale relative au génocide arménien.

M. Xavier de Villepin, président, a interrogé le ministre sur les implications, en particulier au plan diplomatique, d'un éventuel vote par le Sénat de cette proposition de loi. Un échange de vues s'est établi avec le ministre, au cours duquel se sont également exprimés MM. Christian de La Malène, Emmanuel Hamel, Michel Caldaguès, Bertrand Delanoë et Pierre Mauroy.