Table des matières

  • Jeudi 10 mai 2001
    • Mission d'information à l'étranger - Kazakhstan et Ouzbékistan - Compte rendu
    • Nomination de rapporteurs

Jeudi 10 mai 2001

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Mission d'information à l'étranger - Kazakhstan et Ouzbékistan - Compte rendu

La commission a tout d'abord entendu le compte rendu, par M. Xavier de Villepin, président, de la mission effectuée par une délégation de la commission au Kazakhstan et en Ouzbékistan, du 7 au 14 avril 2001.

M. Xavier de Villepin, président, a d'abord rappelé que la commission avait choisi de se rendre au Kazakhstan et en Ouzbékistan, compte tenu du rôle-clé de ces deux pays en Asie centrale : le Kazakhstan, grand comme cinq fois la France, comptait 15 millions d'habitants, dont 40 % de Slaves, et possédait de riches ressources pétrolières qui, depuis la découverte récente d'un gisement dans la mer Caspienne, pourrait le placer parmi les principaux pays producteurs ; l'Ouzbékistan, république d'Asie centrale la plus peuplée avec 25 millions d'habitants, pouvait se prévaloir d'une civilisation sédentaire brillante et cherchait aujourd'hui à s'ériger en principale puissance régionale. Il a ajouté que, dix ans après l'éclatement de l'Union soviétique, il paraissait particulièrement intéressant de dresser un bilan de la situation de ces républiques dont l'indépendance avait été, en 1991, plus subie que voulue.

M. Xavier de Villepin, président, a observé, en premier lieu, que le processus d'indépendance paraissait aujourd'hui irréversible. Ce constat, a-t-il souligné, n'avait rien d'évident en 1991, car les frontières des nouvelles républiques, issues du découpage territorial entrepris à compter de 1924 par les Soviétiques, avaient introduit des divisions souvent artificielles entre les territoires et les populations (ainsi existait-il de nombreuses minorités ouzbèkes hors d'Ouzbékistan). Cependant, a-t-il poursuivi, les nouvelles républiques avaient réussi à jeter les bases d'un Etat et d'une nation, d'abord en privilégiant la recherche de la stabilité, notamment à travers une présidentialisation du pouvoir qui s'était accentuée dans la période récente, et avait eu pour contrepartie un ralentissement du processus démocratique, ensuite en mettant l'accent sur les manifestations d'identité nationale, telles que l'exaltation du passé ou encore la promotion des langues locales. Il a relevé que cette politique avait eu en retour un départ massif des populations d'origine slave qui, au Kazakhstan en particulier -pays qui comprenait la plus forte population russe d'Asie centrale- avait affaibli les capacités d'encadrement au niveau de l'administration et de la vie économique et suscité un important besoin de formation.

M. Xavier de Villepin, président, s'est alors interrogé sur la portée de la menace islamique. Il a rappelé que les indépendances s'étaient traduites par le réveil d'un sentiment religieux, en particulier en Ouzbékistan, que la période soviétique n'était pas parvenue à éteindre. Cette évolution, d'abord encouragée par les pouvoirs publics soucieux de renforcer les facteurs d'identité nationale, avait également donné naissance à des mouvements fondamentalistes, principalement concentrés dans la vallée du Fergana, et souvent inspirés par des prédicateurs étrangers. Confrontés, à partir de 1992, à une répression sévère de la part des autorités ouzbèques, ces groupes s'étaient repliés d'abord au Tadjikistan où, à la faveur de la guerre civile dans ce pays, ils s'étaient reconstitués sous le nom de « mouvement islamique d'Ouzbékistan » (MIO), puis en Afghanistan, où ils disposaient de l'appui des Talibans. Malgré l'organisation d'attentats, notamment en 1999, un contrôle étroit de la pratique religieuse, ainsi qu'une politique sans concession vis-à-vis des islamistes, avaient permis aux pouvoirs publics de contenir l'influence de ces islamistes. Il serait toutefois imprudent, a estimé M. Xavier de Villepin, président, d'en conclure que la menace islamiste était écartée : le groupe armé du MIO n'avait pas été anéanti et, depuis, sa base afghane pouvait toujours mener des incursions dans le territoire ouzbek ; par ailleurs, un autre mouvement, récemment apparu en Asie centrale, le Parti de la libération, qui prônait un islam radical, bénéficiait d'une audience croissante, en particulier parmi les jeunes ; en outre, les minorités ouzbèques, dans les zones frontalières des pays voisins de l'Ouzbékistan, pouvaient constituer un relais à l'influence des islamistes avec le risque d'une déstabilisation régionale ; ensuite, le développement du trafic de drogue, qui constituait l'un des moyens de financement de ces mouvements, représentait également une menace indirecte ; enfin, l'absence de réforme ainsi que la dégradation des conditions de vie, conjuguées à une démographie très dynamique, pouvaient favoriser l'extrémisme.

Evoquant les perspectives économiques d'ensemble, M. Xavier de Villepin, président, a estimé qu'elles étaient plutôt favorables, compte tenu de la richesse des ressources naturelles des deux pays et du retour à la croissance, depuis 1999, même si tous les facteurs de faiblesse n'avaient pas encore été surmontés : le poids de la reconversion du complexe militaro-industriel, surtout au Kazakhstan, les difficultés d'adaptation à l'économie de marché, l'aggravation des inégalités sociales. La donne économique au Kazakhstan, a-t-il indiqué, dépendrait, pour une large part, du développement de la production pétrolière, encore affecté par nombre d'incertitudes. Il a indiqué, s'agissant des réserves, que la production pourrait passer de 35 millions de tonnes, aujourd'hui, à 100 millions de tonnes, en 2010, en raison de la découverte, en 2000, du gisement offshore de Kashagan, dont les réserves, jointes à celles du gisement on-shore de Tenguiz, seraient comparables à la totalité des ressources de la mer du Nord. Le groupe Total-Fina-Elf, qui avait participé à l'exploration, au sein d'un consortium, n'avait pu, contrairement à ses espérances, devenir l'opérateur principal de celui-ci, ce qui lui aurait permis de prendre une part déterminante à l'exploitation de Kashagan. Il a souligné, également, l'importance des enjeux soulevés par l'évacuation du pétrole, compte tenu de l'enclavement du territoire des républiques d'Asie centrale, aujourd'hui dépendantes de la Russie pour l'évacuation de leur pétrole. Si le réseau actuel d'oléoducs (récemment renforcé par l'ouverture d'un nouveau conduit entre Tenguiz et le port de Novorossisk sur la mer Noire) devrait suffire à évacuer le niveau de production atteint aujourd'hui, les perspectives de croissance de l'exploitation et la recherche d'une moindre dépendance vis-à-vis de Moscou conduisaient à envisager trois autres grands tracés : la voie ouest, avec le projet Bakou-Ceyhan en Turquie, soutenue par l'administration américaine, la voie sud en direction de l'Iran et du Golfe Persique, sans doute la plus rationnelle du point de vue économique, malgré l'opposition de Washington, la voie est, enfin, en direction de la Chine qui, malgré le coût considérable des infrastructures nécessaires, retient l'intérêt au regard des perspectives d'augmentation de la consommation dans cette région.

Evoquant alors l'environnement international des nouvelles républiques d'Asie centrale, M. Xavier de Villepin, président, a d'abord observé que la coopération régionale marquait le pas, même s'il existait des sujets communs d'intérêt majeur, tels que l'eau. Les Etats, a-t-il poursuivi, avaient cependant commencé à régler certains de leurs litiges particuliers au sein du groupe de Shanghai qui réunissait la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghizistan, et avec un statut d'observateur, l'Ouzbékistan. Il a ajouté que la menace islamiste, et la préoccupation commune liée à la situation en Afghanistan, pouvaient constituer un facteur de rapprochement. Par ailleurs, il a souligné que depuis l'avènement du Président Poutine, la Russie cherchait à retrouver son influence en Asie centrale, non pas sur le mode impérialiste, mais en tenant compte de la volonté d'indépendance des Etats. Moscou, a-t-il ajouté, souhaitait préserver son contrôle sur l'évacuation des hydrocarbures, en proposant notamment des tarifs raisonnables aux Etats intéressés, et pouvait être tenté d'instrumentaliser la menace islamiste, afin de se présenter comme le soutien principal des nouvelles Républiques. M. Xavier de Villepin, président, a fait état, par ailleurs, d'un repli relatif, sur le plan politique, des Etats-Unis, réticents à donner des garanties de sécurité aux Etats, même si les intérêts économiques et diplomatiques conduiront Washington à chercher à maintenir son influence dans la région. Il a souligné, en outre, que les puissances régionales, comme la Turquie et l'Iran, menaient une politique pragmatique, soucieuse de ménager la susceptibilité des souverainetés qui s'affirmaient. La scène régionale, a-t-il insisté, est marquée par la montée en puissance du rôle de la Chine, dont le poids démographique pourrait susciter un flux migratoire vers le Kazakhstan.

M. Xavier de Villepin, président, a conclu sur le rôle de la France en Asie centrale. Il a relevé que, malgré l'image très positive dont bénéficiait notre pays dans la région, et la présence en Ouzbékistan de quelque 400.000 personnes pratiquant le français, la France n'avait pas encore su faire fructifier ses atouts. Après avoir relevé la rareté des visites ministérielles françaises, l'absence de représentation diplomatique au Kirghizistan et au Tadjikistan, la faiblesse des moyens dévolus à notre coopération culturelle, il a regretté un certain désintérêt de la France pour cette région. Il a souligné, en outre, la faiblesse de notre présence économique. Nos parts de marché, a-t-il noté, ne dépassaient pas 2,5 %. S'il a observé que le climat des affaires n'était pas toujours favorable aux investissements, il a estimé que nos entreprises ne bénéficiaient peut-être pas, de la part des pouvoirs publics, d'un appui aussi efficace que celui accordé aux sociétés concurrentes de nos partenaires européens.

A la suite de l'exposé de M. Xavier de Villepin, président, M. André Dulait a, d'abord, constaté une plus grande rigueur dans la pratique religieuse, en particulier en Ouzbékistan. Il a relevé, en outre, que, si les gardes-frontières russes étaient encore présents au Tadjikistan, on pouvait, cependant, s'interroger sur l'efficacité des contrôles qu'ils exerçaient, notamment sur le trafic de stupéfiants. Il a insisté, enfin, sur la présence culturelle française dans cette région, en relevant le rôle majeur joué par l'Institut français d'études sur l'Asie centrale (IFEAC). M. Xavier de Villepin, président, a noté, à cet égard, l'importance des travaux universitaires pour mieux comprendre les évolutions récentes dans cette région, et souhaité que les analyses développées au sein de l'IFEAC puissent être mieux connues.

M. Robert Del Picchia a indiqué que les travaux de l'IFEAC pourraient être prochainement disponibles sur Internet. Il a précisé, par ailleurs, que la place de l'enseignement du français en Ouzbékistan constituait un héritage de l'époque soviétique. En outre, il a attiré l'attention sur le risque d'une dégradation des relations entre l'Ouzbékistan et les institutions financières internationales. M. Xavier de Villepin, président, revenant alors sur l'environnement juridique des investissements, s'est fait l'écho de certaines inquiétudes liées aux retards de paiement et à la remise en cause de projets qui avaient, pourtant, reçu l'accord des pouvoirs publics locaux. M. Robert Del Picchia a poursuivi en relevant que l'exploitation des gisements de la Caspienne pouvait offrir des perspectives encore plus prometteuses que celles des réserves de la mer du Nord. Les Russes, a-t-il ajouté, pouvaient maintenir leur contrôle sur les voies d'évacuation du pétrole, en renforçant encore le réseau d'oléoducs. Il a rappelé, enfin, l'intérêt de Total-Fina-Elf pour le projet d'oléoduc Kazakhstan, Turkménistan, Iran.

M. Xavier de Villepin, président, a rappelé qu'au sein de la CEI, les principaux débouchés de l'Iran et de la Turquie ne se trouvaient pas en Asie centrale, mais en Russie. Il a insisté, par ailleurs, sur le choix, fait par l'Ouzbékistan, en faveur de réformes économiques très progressives.

M. Christian de La Malène a souhaité connaître quelle était la direction du ministère des affaires étrangères responsable du suivi des pays d'Asie centrale. M. Xavier de Villepin, président, après avoir observé que cette région relevait, pour les Russes, de l' « étranger proche », et pour les Américains, de la périphérie du Proche-Orient, a indiqué que, pour la diplomatie française, la zone entrait dans le champ d'attribution de la direction d'Europe continentale. Il a insisté sur l'importance de l'approfondissement d'une approche régionale des problèmes qui peuvent se poser en Asie centrale, s'agissant notamment du phénomène islamiste.

M. Hubert Durand-Chastel a précisé, pour sa part, que la place dévolue à la langue française en Ouzbékistan avait pour origine la volonté soviétique de former des cadres à même de pouvoir relayer l'influence de l'URSS en Afrique.

M. André Boyer a noté que le retour de la Russie en Asie centrale avait été facilité par la diffusion de la langue russe, ainsi que par l'importance des flux commerciaux maintenus entre les nouvelles républiques et l'ancienne puissance tutélaire. Il a noté que la pratique religieuse, dans cette région, avait été très affaiblie par la politique menée par les Soviétiques, même si certains foyers de résistance avaient pu subsister, notamment dans la vallée du Fergana. Il a noté, enfin, que l'influence russe, qui s'exerçait aujourd'hui de manière particulièrement habile, pourrait encore progresser dans l'avenir. M. Xavier de Villepin, président, a observé, à cet égard, que, contrairement à certains pronostics, la langue russe n'avait pas été détrônée par l'anglais.

M. Charles-Henri de Cossé-Brissac s'est interrogé sur les conditions pratiques permettant de favoriser l'investissement français dans la région. M. Xavier de Villepin, président, a rappelé les critiques de nos entreprises à l'encontre d'une ouverture insuffisante de la COFACE. Il a évoqué, cependant, les perspectives intéressantes représentées par la fourniture d'équipements militaires. M. Robert Del Picchia a ajouté que le tourisme pouvait également présenter un potentiel de développement intéressant pour nos entreprises.

M. Xavier de Villepin, président, a estimé, enfin, avec M. Robert Del Picchia, que l'Afghanistan constituait, pour la région, un sujet d'inquiétude majeur, et il est revenu, avec M. Jean-Guy Branger, sur la nécessité de renforcer, sous une forme adaptée, notre dispositif diplomatique en Asie centrale.

La commission a alors autorisé la publication de cette communication sous forme de rapport d'information.

Nomination de rapporteurs

Puis la commission a procédé à la désignation de rapporteurs.

Ont été nommés :

- M. André Boyer pour le projet de loi n° 288 (2000-2001) autorisant la ratification du traité entre la République française et la République fédérale d'Allemagne portant délimitation de la frontière dans les zones aménagées du Rhin ;

- M. Claude Estier pour le projet de loi n° 289 (2000-2001) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention d'assistance administrative mutuelle internationale du 10 septembre 1985 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, visant la prévention, la recherche et la répression des fraudes douanières par les administrations douanières des deux pays ;

- M. Robert Del Picchia pour le projet de loi n° 290 (2000-2001) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du grand-duché de Luxembourg portant rectification de la frontière franco-luxembourgeoise.