Travaux de la commission des affaires étrangères



Mercredi 25 février 2004

- Présidence de M. André Dulait, président -

Traités et conventions - Accord France-Organisation des Nations unies concernant l'exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda - Examen du rapport

La commission a tout d'abord examiné le rapport présenté par Mme Maryse Bergé-Lavigne sur le projet de loi n° 137 (2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation des Nations unies concernant l'exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda.

Mme Maryse Bergé-Lavigne, rapporteur, a précisé que ce texte constituait une reprise des dispositions d'un accord analogue conclu entre la France et l'ONU sur l'exécution des peines prononcées par le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), ratifié en 2002 par le parlement français. Cet accord a été signé le 14 mars 2003 entre le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), créé en 1994 par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. Depuis sa création, le TPIR a prononcé huit condamnations définitives, huit condamnations faisant l'objet d'appel, et huit procès sont en cours en première instance, impliquant 24 accusés. Au total, a-t-elle précisé, cinquante-six personnes sont actuellement détenues au quartier pénitentiaire du TPIR situé à Arusha, en Tanzanie. Mme Maryse Bergé-Lavigne, rapporteur, a rappelé que, depuis la création du TPIR, la France lui avait apporté un soutien sous de nombreuses formes : équipement documentaire et audiovisuel, prêt d'experts légistes, formation des personnels de sécurité. Elle a insisté sur la nécessité de poursuivre cette coopération par l'accueil, à titre volontaire, sur le sol français, de condamnés à titre définitif. A l'heure actuelle, a-t-elle rappelé, les trois personnes condamnées à titre définitif purgent leur peine au Mali. Des négociations sont en cours, sur ce point, avec plusieurs Etats européens, dont la Belgique et l'Italie, alors que trois Etats africains, le Bénin, le Mali et le Swaziland, ont déjà conclu un accord du même type avec le TPIR.

Puis Mme Maryse Bergé-Lavigne, rapporteur, a présenté les principales dispositions de l'accord. Il prévoit que le consentement de la France est requis pour chacun des cas proposés par le TPIR dans la perspective de l'exécution d'une peine sur son territoire national ; la France applique à ces prisonniers les dispositions de son droit interne en matière carcérale ; les autorités françaises prennent en charge les frais encourus en matière d'exécution de la peine, les frais de voyage entre le tribunal et la France étant à la charge du TPIR. Il est prévu que le Comité international de la Croix-Rouge puisse effectuer des visites inopinées dans les lieux de détention. L'accord peut être dénoncé par l'une ou l'autre des parties, avec un préavis de deux mois. Enfin, Mme Maryse Bergé-Lavigne, rapporteur, a souligné que cet accord avait été négocié et rédigé uniquement en français, qui est l'une des deux langues de travail du TPIR. Elle a rappelé que le Conseil de sécurité de l'ONU avait, en 2003, fixé à 2010 la date butoir pour la fin des travaux du TPIR.

Un débat s'est ensuite ouvert au sein de la commission.

M. Xavier de Villepin a estimé que l'action de soutien de la France au Tribunal était positive, mais que les informations données sur son activité semblaient contradictoires, et que son efficacité avait été initialement sujette à caution. Il a également souhaité savoir comment le Rwanda coopérait à l'action du tribunal.

Mme Maryse Bergé-Lavigne, rapporteur, a reconnu que l'activité du tribunal avait été critiquée, à plusieurs reprises, depuis sa création, mais a rappelé que les mêmes critiques étaient portées à l'encontre de l'activité du Tribunal international pour la Yougoslavie (TPIY), situé à La Haye. Elle a estimé que ces deux institutions avaient souffert des mêmes difficultés : corps judiciaire issu de continents différents et de traditions juridiques diverses, longueur de l'élaboration préalable du règlement interne du tribunal avant de pouvoir procéder aux activités proprement judiciaires. Elle a évoqué la perception assez peu favorable de l'activité du TPIR sur le continent africain, notamment par le Rwanda. Elle a cependant estimé que des progrès importants avaient été effectués, ces dernières années, par le tribunal, et que le renforcement du personnel d'origine africaine en son sein était notamment de nature à le faire mieux accepter.

M. André Dulait, président, a estimé que ces tribunaux ad hoc souffraient, en effet, de difficultés de fonctionnement, et que la future action de la Cour pénale internationale serait, seule, de nature à permettre une meilleure efficacité de la justice internationale.

Puis, suivant les recommandations du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi.

Traités et conventions - Accords France-Ethiopie, France-Tadjikistan et France-Iran sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements - Examen des rapports

La commission a ensuite procédé à l'examen des rapports de M. Jean-Pierre Plancade sur :

. le projet de loi n° 184 (2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Ethiopie sur l'encouragement et laprotection réciproques des investissements ;

. le projet de loi n° 185 (2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Tadjikistan surl'encouragement et la protection réciproques des investissements ;

. le projet de loi n° 186 (2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République islamique d'Iran surl'encouragement et la protection réciproques des investissements.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a tout d'abord précisé que les trois accords sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements soumis à l'examen du Sénat étaient rédigés sur un même modèle, la France étant aujourd'hui liée à une centaine de pays par des engagements bilatéraux du même type.

Ces accords reconnaissent à l'investisseur de chaque Etat partie le droit à un traitement juste et équitable, c'est-à-dire l'application, sauf en matière fiscale, des règles valables pour les nationaux ou pour la nation la plus favorisée si elles sont plus avantageuses. Ils prévoient plusieurs règles protectrices : une indemnisation « prompte et adéquate » en cas d'expropriation ou de nationalisation ; un traitement équivalent aux nationaux en cas de pertes liées à des circonstances exceptionnelles, comme un conflit armé ; enfin, la liberté des transferts des revenus tirés de l'investissement ou du produit de sa liquidation. Troisièmement, ils offrent à l'investisseur, en cas de litige, la possibilité de saisir un tribunal arbitral international dont les décisions sont exécutoires dans les deux Etats parties. Enfin, la protection prévue par les accords s'applique aux investissements à venir, mais également aux investissements déjà réalisés dans le pays.

Évoquant plus particulièrement l'accord avec l'Éthiopie, M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a mentionné trois éléments nouveaux intervenus depuis la mission d'information effectuée par la commission en février 2003.

Tout d'abord, la mise en oeuvre du processus de paix avec l'Érythrée s'est enlisée, le Premier ministre éthiopien ayant rejeté en septembre dernier la décision de la commission internationale d'arbitrage, en raison notamment de l'octroi à l'Érythrée de la ville de Badmé, qui fut à l'origine du conflit entre les deux pays. Le Secrétaire général des Nations unies vient de désigner un représentant spécial, M. Axworthy, ancien ministre canadien des affaires étrangères, qui doit tenter de trouver une issue définitive à ce contentieux.

Deuxième élément nouveau, plus positif, les bons résultats des récoltes au cours de l'année 2003 ont permis de réduire de moitié le nombre d'Éthiopiens dépendants de l'aide alimentaire, ceux-ci étant encore cependant au nombre de 7 millions.

Enfin, le troisième élément concerne les relations bilatérales. En juin 2003, s'est réunie à Paris la commission mixte sur la coopération franco-éthiopienne, ce qui correspondait à une demande insistante d'Addis Abeba, puisque la dernière réunion remontait à 1997, avant le conflit avec l'Érythrée. Cette réunion a permis de relancer notre coopération, et en particulier de signer un accord d'investissement qui offre un cadre au développement d'opérations futures, les entreprises françaises présentes en Éthiopie étant pour le moment peu nombreuses.

Abordant l'accord d'investissement avec le Tadjikistan, M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a rappelé les principales caractéristiques humaines et physiques de ce pays qui a connu, de 1992 à 1997, une guerre civile très meurtrière. Depuis l'accord de paix intervenu en 1997, un régime présidentiel fort dirigé par un ancien communiste, M. Rakhmonov, a été établi. La sécurité est assurée dans l'ensemble du pays et en application de l'accord de paix, les groupes armés de l'opposition ont été intégrés à l'armée régulière. La Russie maintient une présence militaire extrêmement forte au Tadjikistan, avec une division de plus de 13.000 hommes et 25.000 gardes assurant le contrôle des frontières du pays.

Dépourvu de ressources économiques et très appauvri par la guerre civile, le Tadjikistan a joué un rôle important lors de la guerre d'Afghanistan. Sa proximité avec les troupes de l'Alliance du nord l'a conduit à servir de point d'appui pour les opérations militaires en direction de Kaboul. Cette situation lui a permis de faire appel à l'assistance occidentale, une conférence des donateurs, organisée au printemps 2003, ayant abouti à des engagements à hauteur de 900 millions de dollars, dont la moitié sous forme de dons.

La France, pour sa part, a conclu en décembre 2001 avec le Tadjikistan un accord lui permettant de faire stationner un détachement d'avions militaires de transport sur l'aéroport de Douchanbé. Ce détachement est toujours utilisé, en soutien de nos opérations en Afghanistan. Des relations politiques plus étroites ont été nouées avec ce pays, la première antenne diplomatique, installée fin 2001, ayant été transformée l'an dernier en ambassade de plein exercice.

C'est lors d'une visite à Paris du président tadjik qu'a été signé l'accord d'investissement. Alors qu'aucune entreprise française n'est actuellement implantée dans ce pays, cet accord pourrait se révéler utile si certains projets évoqués lors des visites effectuées à Douchanbé en 2003 de deux ministres français, M. François Loos et Mme Nicole Fontaine, venaient à se concrétiser.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a ensuite évoqué l'accord d'investissement signé avec l'Iran.

Il a rappelé que les derniers mois avaient vu se succéder une série d'évènements majeurs concernant l'Iran : la guerre d'Irak, qui a renforcé la présence militaire américaine et occidentale aux frontières de l'Iran mais qui conduit à s'interroger sur la capacité d'influence de Téhéran sur la communauté chiite irakienne ; les révélations sur les activités nucléaires clandestines de l'Iran, beaucoup plus étendues et avancées que ne le laissaient penser certains soupçons, qui ont entraîné une véritable crise internationale à laquelle la signature du protocole additionnel permettant un contrôle renforcé de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) n'a pas mis un terme définitif ; la crise politique intérieure provoquée par l'incapacité du président Khatami et du précédent Parlement à mettre en oeuvre le processus de transition auquel aspire une large partie de la population, et illustrée par la forte abstention lors des élections législatives du 20 février 2004.

Le rapporteur a estimé que le pouvoir religieux détenait les clés de l'évolution future de l'Iran et que l'on discernait mal aujourd'hui l'équilibre qui sera recherché entre la préservation d'un système politique rejeté par la population et une volonté réelle de normalisation au plan international, étroitement soumise à l'évolution des relations avec les Etats-Unis.

S'agissant des questions économiques, M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a souligné que le développement de l'Iran passait par une ouverture plus large aux investissements étrangers. La politique de stabilisation engagée dans les années 1990 a permis d'assainir la situation financière du pays, mais compte tenu de la forte croissance démographique, le PIB par habitant est toujours inférieur de 10% à celui d'avant 1979. L'économie iranienne dépend quasi-exclusivement du pétrole et du gaz, qui représentent 85% des exportations et 50% des recettes de l'Etat. Cette rente a entretenu la sclérose de tous les autres secteurs, dominés par des entreprises publiques. Par ailleurs, les ressources pétrolières et gazières ne sont pas suffisamment valorisées, le raffinage, la pétrochimie ou la transformation du gaz pour l'exportation restant largement à développer.

Le rapporteur a précisé que la loi adoptée en 2002 pour favoriser les investissements étrangers maintenait un nombre très élevé de contraintes. Les procédures d'autorisation sont lourdes. La part des investisseurs étrangers dans un secteur donné est plafonnée. La Constitution interdisant la propriété du sol aux étrangers, les compagnies pétrolières ne peuvent qu'exploiter indirectement des installations qui restent officiellement sous contrôle iranien. D'autre part, l'Iran est toujours sous le coup de la loi d'Amato, qui prévoit des sanctions contre toute entreprise, américaine ou non, y investissant dans le secteur pétrolier, et la conclusion d'un accord de coopération économique avec l'Union européenne est suspendue à des conditions qui ne sont toujours pas remplies, telles que le respect d'obligations générales relatives aux droits de l'homme et à la non-prolifération.

En ce qui concerne les relations économiques avec la France, le rapporteur a indiqué qu'elles étaient concentrées sur deux secteurs : l'énergie, avec des contrats signés par Total et Gaz de France, et l'automobile, avec des partenariats entre constructeurs iraniens et français. Après Peugeot, fortement implanté en Iran, c'est Renault qui vient de signer un accord de partenariat pour la production d'une voiture à bas prix à laquelle elle prévoit de consacrer, dans un premier temps, un investissement de 300 millions d'euros.

Le rapporteur a estimé que par rapport aux pratiques en vigueur en Iran, l'accord d'investissement conclu par la France représentait une avancée importante et assurait aux entreprises françaises un cadre dont ne bénéficiait aucun autre pays. Les principales avancées sont au nombre de trois : la possibilité de rapatrier librement et sans délai capital et dividendes, l'admission du recours à l'arbitrage international et, pour la première fois dans un accord de ce type en Iran, l'application rétroactive des garanties aux investissements existants.

Le rapporteur a estimé qu'au delà de la récente opération décidée par Renault, cet accord pourrait servir de cadre à d'autres investissements français dans un pays qui dispose d'un potentiel économique considérable mais qui est aujourd'hui pénalisé par son isolement diplomatique et l'absence d'ouverture politique.

En conclusion, M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a proposé à la commission d'adopter les trois projets de loi.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, M. Xavier de Villepin s'est félicité de la signature des trois accords tout en remarquant que les opportunités d'investissement seraient sans doute moins importantes en Éthiopie et au Tadjikistan qu'en Iran. S'agissant de ce pays, il s'est déclaré vivement préoccupé par les évènements de ces derniers mois. Il a considéré que l'élimination par le Conseil des Gardiens de la Constitution de plus de 2.300 candidatures, dont beaucoup issues des rangs réformateurs, constituait un signe négatif quant à l'évolution future du pays. Il a relevé que la voix du Président Khatami, sur lequel reposaient beaucoup d'espoirs quant à la mise en oeuvre d'un processus de réforme et de transition politique, semblait marginalisée dans le contexte actuel. Par ailleurs, malgré l'avancée diplomatique obtenue à l'automne dernier avec la signature du protocole additionnel de l'AIEA, il a observé que de nombreux doutes subsistaient sur la volonté de Téhéran de réellement coopérer avec la communauté internationale et d'abandonner son programme nucléaire militaire.

M. Hubert Durand-Chastel a souligné le caractère très positif des trois accords d'investissements, en relevant qu'ils protégeaient les investissements à venir comme les investissements déjà réalisés dans les pays concernés. Citant le cas de l'Éthiopie, il a toutefois estimé que les autorités françaises se heurtaient souvent à des difficultés pour obtenir des réparations concernant des spoliations ou des dommages survenus lors de conflits armés.

M. André Dulait, président, a remarqué que les révélations sur l'ampleur des programmes nucléaires clandestins menés par l'Iran ou la Libye tout comme, a contrario, l'absence de résultats dans la recherche de programmes d'armes de destruction massive en Irak, illustraient les difficultés des services de renseignement à cerner les questions de prolifération. S'agissant de l'Éthiopie, il a souligné, tout comme le rapporteur, les besoins considérables en matière d'aide alimentaire, mais il a déploré que certaines terres arables soient utilisées pour la plantation de khat au détriment de cultures vivrières.

M. Louis Moinard a fait état de soupçons sur des détournements de l'aide alimentaire en Éthiopie.

A la suite de ces interventions, M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a estimé que la crise politique actuelle en Iran révélait l'affaiblissement du Président Khatami. S'agissant du programme nucléaire iranien, il a signalé que dans les toutes dernières semaines, des découvertes d'activités non déclarées étaient intervenues, notamment l'existence de plans de centrifugeuses destinées à enrichir de l'uranium à des fins militaires. Il a fait état des dernières appréciations de l'AIEA, qui a constaté des omissions dans les déclarations iraniennes tout en reconnaissant que pour le moment, les autorités iraniennes laissent les inspecteurs internationaux accéder à tous les sites qu'ils souhaitent visiter.

En ce qui concerne l'Éthiopie, le rapporteur a indiqué que la signature de l'accord d'investissement avait été subordonnée au règlement de contentieux anciens sur l'expropriation d'entreprises appartenant à des Français.

La commission a ensuite adopté les trois projets de loi.

Nomination d'un rapporteur

Puis la commission a désigné M. Robert Del Picchia rapporteur du projet de loi n° 182 (2003-2004), autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention sur lacybercriminalité, relatif àl'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques.