Travaux de la commission des affaires étrangères



Mercredi 9 mars 2005

- Présidence de M. Serge Vinçon, président -

Traités et conventions - Accord France-Bahreïn sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements - Examen du rapport

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Jean-Pierre Plancade sur le projet de loi n° 124 (2004-2005) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Bahreïn sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur,a défini le délicat contexte géopolitique dans lequel se situe Bahreïn. Petit royaume du Golfe dépourvu de richesses pétrolières importantes et dépendant financièrement de l'Arabie saoudite, Bahreïn a dû, afin d'assurer sa sécurité, conclure une alliance stratégique avec les Etats-Unis avec qui un accord de coopération en matière de défense a été conclu en octobre 1991.

Toutefois les liens de Bahreïn avec son voisin géographique, l'Arabie saoudite, sont très forts. La production locale de pétrole de Bahreïn ne s'élève plus qu'à 34.000 barils par jour. La compensation économique est fournie par l'Arabie saoudite, qui cède au prix de l'extraction la production du champ pétrolier d'Abou Safaa (soit 140.000 barils par jour) à Bahreïn, qui la revend au prix du marché, le bénéfice étant directement versé au budget de ce dernier Etat.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a indiqué que cette attitude, qui souligne la dépendance financière de Bahreïn par rapport à l'Arabie saoudite, s'expliquait peut-être aussi par la volonté de Riyad de faire pression sur Bahreïn afin que cet Etat contrôle plus fermement l'opposition chiite qui s'y développe.

Il a ajouté que les autorités bahreiniennes étaient très inquiètes du contexte d'insécurité en Arabie saoudite, de l'éventuelle menace que cela constituait pour la stabilité de l'archipel et des conséquences néfastes que cela pourrait avoir pour la confiance des investisseurs à l'égard du pôle bancaire régional que Bahreïn souhaite devenir.

En ce qui concerne les rapports de Bahreïn avec les autres puissances du CCEAG (Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe), la situation était également complexe : Bahreïn n'est pas pourvu, comme les autres Etats arabes du Golfe, de ressources pétrolières ou gazières et espère donc qu'un renforcement de l'intégration au sein du CCEAG permettra à son économie, fondée sur les services, d'en tirer profit. Mais là encore, Bahreïn est en position délicate, car sa dépendance financière à l'égard de l'Arabie saoudite le contraint souvent à s'aligner sur les positions saoudiennes au sein du CCEAG, ce qui limite singulièrement sa liberté d'action.

La situation économique de Bahreïn, a poursuivi le rapporteur, est relativement satisfaisante. Les acquis de l'année 2003 et les estimations disponibles pour l'année 2004 permettent de dire que, malgré la fragilité du contexte sécuritaire en Arabie saoudite, l'économie de Bahreïn se porte relativement bien.

L'engagement du Royaume à poursuivre les réformes économiques et institutionnelles attendues par les Bahreïnis n'a pas échappé aux grandes agences de notations (S&P, Moody's, Fitch, Capital intelligence), qui ont revu à la hausse leur notation (« rating ») sur Bahreïn.

Les échanges commerciaux franco-bahreinis ne sont pas négligeables. Ainsi les résultats du premier semestre 2004 ont fait apparaître une très forte croissance du volume de nos échanges, qui s'élèvent à 188 millions d'euros au premier semestre de 2004, contre 50 millions d'euros pour la période correspondante de 2003, soit plus du triple. Le lancement de nouveaux projets d'investissement et les contrats signés par nos entreprises ont donc commencé à se refléter dans les résultats de 2004.

Les autorités de Bahreïn ont souhaité que les entreprises françaises puissent s'impliquer davantage dans leur économie, en particulier par le biais de coentreprises (« joint ventures ») dans les domaines d'expertise.

Or, en l'absence d'un cadre multilatéral de protection des investissements internationaux, la protection juridique des investisseurs français à l'étranger, en dehors des pays de l'OCDE, repose généralement sur des accords bilatéraux de ce type, les législations des Etats d'accueil n'étant pas toujours suffisamment protectrices, et s'avérant, en tout état de cause, susceptibles de modifications à tout moment. L'introduction de cet instrument juridique dans notre ordre interne facilitera le règlement d'éventuels contentieux par la voie d'arbitrage et, surtout, permettra à l'Etat français d'accorder, par l'intermédiaire de la COFACE, des garanties à ces investisseurs pour leurs opérations dans ce pays.

Entre 2002 et 2004, les entreprises françaises ont signé plusieurs contrats. On peut citer en premier lieu l'exemple du groupe Alstom (réalisation de la centrale électrique HIDD 2 pour le ministère de l'électricité : 322 millions de $), et d'ALBA, dans le secteur de l'aluminium (411 millions de $ pour la première tranche d'installations d'usines et, à terme, un investissement total de 1,7 milliard de dollars).

Par ailleurs, de nombreux projets intéressent les entreprises françaises : notamment le « Bahreïn Financial Harbourg » (ensemble immobilier qui abritera la place financière), l'extension de l'aéroport, le projet de pont reliant Bahreïn au Qatar, l'hôpital King Hamad, la construction de deux villes nouvelles destinées à accueillir 30.000 personnes, le projet immobilier « Durrat al Bahrain », la construction d'un monorail et l'acquisition de 18 Airbus de type A 318.

Il est essentiel, a estimé M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, que les entreprises françaises aient l'opportunité d'investir dans ces divers projets en toute sécurité, afin de ne pas être trop concurrencées par les initiatives des pays arabes du Golfe, dont une partie des capitaux habituellement investis sur les marchés occidentaux est maintenant attirée par Bahreïn.

M. Jean-Pierre Plancade, rapporteur, a conclu que l'accord du 24 février 2004 entre la France et le Royaume de Bahreïn sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements offrait incontestablement un cadre propice aux contrats que pourraient conclure les entreprises françaises.

A M. Serge Vinçon, président, qui évoquait le besoin d'autonomie économique de l'Etat de Bahreïn par rapport à l'Arabie saoudite, M. Jean-Pierre Plancade a répondu que cette dépendance économique de Bahreïn était malheureusement très prégnante. Il a ajouté que la majorité de chiites au sein de la population de Bahreïn plaçait ce pays dans une position délicate à l'égard de l'Arabie saoudite sunnite.

Puis la commission a adopté le projet de loi.

Traités et conventions - Approbation du protocole sur l'eau et la santé à la convention de 1992 sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux - Examen du rapport

La commission a procédé à l'examen sur le rapport de M. André Vantomme du projet de loi n° 12 (2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du protocole sur l'eau et la santé à la convention de 1992 sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux.

M. André Vantomme, rapporteur, a tout d'abord indiqué que la France avait ratifié, en 1998, une convention internationale signée en 1992 sous l'égide des Nations unies sur la gestion des eaux douces internationales. Cette convention a pour objet de prévenir, maîtriser et réduire les rejets de substances dangereuses dans l'environnement aquatique et de diminuer la pollution du milieu marin d'origine tellurique.

Le protocole signé à Londres le 17 juin 1999 complète la convention par des stipulations relatives à la santé publique.

M. André Vantomme, rapporteur, a rappelé les orientations de la convention. Son champ d'application concerne les 36 Etats de la Commission économique européenne des Nations unies et les membres de la Région européenne de l'Organisation mondiale de la santé, c'est-à-dire les Etats du continent européen, la Fédération de Russie et les Etats du sud-Caucase, la Turquie n'en faisant pas partie. Ce texte s'inscrit dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement qui visent la réduction de moitié, d'ici à 2015, du nombre de personnes n'ayant pas accès à l'eau potable ou à l'assainissement.

M. André Vantomme, rapporteur, a constaté que l'eau potable était souvent considérée comme allant de soi. Ces dernières années, l'Europe a cependant dû faire face à des pénuries d'eau, à une pollution croissante des eaux et à de nombreuses catastrophes liées à l'eau.

Il a rappelé que 40 % de la population mondiale était touchée par la pénurie d'eau, que plus d'un milliard d'habitants de la planète n'avait pas accès à une eau salubre et que 2,5 milliards de personnes n'avaient pas accès à un système d'assainissement satisfaisant. L'accroissement démographique devrait encore réduire la quantité d'eau disponible par habitant et pourrait être divisée par 1,6 d'ici à 2025. Au sein de la seule région correspondant à la Commission économique pour l'Europe des Nations unies (CEE-NU) qui regroupe les Etats d'Europe, d'Asie centrale, d'Amérique du Nord et Israël, on dénombre quelque 120 millions de personnes n'ayant pas accès à l'eau potable. Cette région européenne doit faire face à des problèmes spécifiques liés à l'utilisation intensive de l'eau, notamment pour l'agriculture.

M. André Vantomme, rapporteur, a souligné que le caractère transfrontière des ressources en eau compliquait les tentatives de réponses à des problèmes complexes. La convention de 1992 vise à renforcer les mesures prises au plan local, national et régional pour préserver une utilisation écologiquement durable des eaux de surface et des eaux souterraines transfrontières. Le principe de précaution et le principe pollueur-payeur doivent guider l'application de ces mesures et toutes les opérations de gestion de l'eau. Les moyens prévus pour réduire l'impact transfrontière des actions sur l'eau sont de plusieurs ordres. Il incombe par exemple aux Etats riverains des mêmes eaux transfrontières de créer des organes communs chargés d'identifier les sources de pollution, de surveiller et d'évaluer ces eaux et de développer des programmes d'actions concertés. Les principes contenus par la convention ne s'appliquent toutefois qu'aux ressources en eau partagées : rivières, lacs et eaux souterraines, ce qui en restreint l'effet utile. En outre, les maladies d'origine hydriques ont connu une recrudescence ces dernières années.

M. André Vantomme, rapporteur, a ainsi rappelé que plus de 4.000 cas de fièvre typhoïde s'étaient déclarés en 1996 au Tadjikistan à la suite de fortes pluies et que la moitié de la population de la Fédération de Russie consommait une eau dont la qualité est inférieure aux normes minimales. Il a indiqué qu'à l'occasion de la conférence ministérielle sur l'eau et la santé tenue à Londres le 17 juin 1999, les Etats-membres avaient adopté un protocole sur l'eau et la santé.

Son champ d'application ne porte plus uniquement sur les eaux transfrontières mais sur l'ensemble des ressources en eau de chaque Etat-partie, qu'il s'agisse des eaux douces superficielles, des eaux souterraines, des eaux côtières, des estuaires, des eaux faisant l'objet de prélèvements, de transport, de traitement, d'approvisionnement ou encore des eaux usées. L'objectif du protocole est de promouvoir la santé et le bien-être de l'homme en améliorant la gestion de l'eau.

Les parties sont invitées à prendre des mesures garantissant un approvisionnement adéquat en eau potable salubre, un assainissement de qualité et la mise en place de systèmes efficaces de surveillance et d'alerte en cas de détection du risque de maladies d'origine hydrique.

M. André Vantomme, rapporteur, a souligné que le protocole reprenait les principes mentionnés dans la convention, celui de pollueur-payeur et celui de précaution. L'information et la participation du public, ainsi que l'évaluation des mesures prises, doivent également être garanties. Dans les deux ans suivant l'approbation du protocole par chaque Etat, des objectifs d'accès à l'eau et à l'assainissement doivent être fixés et rendus publics.

M. André Vantomme, rapporteur, a précisé que 14 Etats avaient déposé un instrument de ratification et que l'approbation de 16 Etats-parties était nécessaire à l'entrée en vigueur du protocole.

En intégrant les orientations de la politique communautaire, la législation française est déjà porteuse d'une ambition en matière de politique de l'eau. La directive n° 2000/60 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, transposée dans le droit français par la loi n° 2004-338 du 21 avril 2004 fixe des objectifs écologiques ambitieux : parvenir en 15 ans à un bon état général des eaux, réduire, voire supprimer, les rejets de substances dangereuses et faire participer le public à l'élaboration et au suivi des politiques.

M. André Vantomme, rapporteur, a rappelé le vote récent d'une proposition de loi relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement. La législation française va donc au-delà des obligations énoncées par le protocole, et notre pays peut jouer un rôle particulier, compte tenu de son expérience et de ses compétences dans le secteur.

Il a considéré que l'eau restait une ressource rare, y compris dans notre pays, et que son traitement se révélait de plus en plus coûteux, ce qui devait inciter chacun des acteurs, consommateur, collectivités et industriels à rechercher des solutions économiques et respectueuses de l'environnement. Il a observé en conclusion que la Journée mondiale de l'eau devait avoir lieu le 22 mars 2005, date à laquelle le Sénat devrait, après l'Assemblée nationale le 12 octobre 2004, examiner ce texte en séance publique.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Didier Boulaud a considéré que les élus locaux étaient confrontés de façon croissante à la question de l'eau, qu'ils doivent gérer des pénuries ou faire face à des inondations. Même si la France est relativement préservée, elle doit travailler au respect des objectifs pour l'augmentation de l'accès à l'eau des personnes qui en sont privées. Evoquant l'examen du projet de loi sur l'eau en Conseil des ministres et prochainement soumis au Parlement, il a estimé que les Français avaient trop longtemps ignoré le coût du traitement de l'eau et la réalité du coût du respect de l'environnement. Il a considéré que le projet de loi sur l'eau ne permettait d'ailleurs pas de réduire l'écart entre les engagements internationaux de la France et la réalité de son action.

M. Robert Bret, rappelant que la ville de Marseille accueillait le siège mondial de l'eau, a estimé que celle-ci était devenue un enjeu planétaire et ne devait pas être traitée comme une marchandise. Elle peut être source de conflit et la France a une responsabilité particulière à assumer dans ce domaine.

A l'issue de ce débat, la commission a adopté le projet de loi.

Résolutions européennes - Accord euro-méditerranéen entre la Communauté européenne et la République tunisienne - Examen du rapport

Puis la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Robert Del Picchia sur la proposition de résolution n° 159 (2004-2005), présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne en application de l'article 73bis du Règlement sur les propositions de décision du Conseil relatives à la signature, à l'application provisoire et à la conclusion d'un protocole à l'accord euro-méditerranéen entre la Communauté européenne et ses Etats-membres, d'une part, et la République tunisienne, d'autre part, pour tenir compte de l'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de la République d'Estonie, de la République de Chypre, de la République de Hongrie, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque (E 2763).

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a rappelé que le partenariat euro-méditerranéen avait été lancé dans l'enthousiasme qui caractérisait le milieu des années 1990 quant à l'évolution de la situation au Proche-Orient. Dix ans après la Déclaration de Barcelone, le processus est à l'heure des bilans. Les objectifs initiaux étaient particulièrement ambitieux. Il s'agissait d'établir des relations d'interdépendance, non seulement entre l'Union européenne et ses voisins des rives méridionale et orientale de la Méditerranée mais aussi entre ces pays eux-mêmes afin d'établir une zone de paix et de prospérité au moyen de réformes structurelles et du développement économique, notamment l'établissement d'une zone de libre-échange à l'échéance de 2010.

Le partenariat global se décline en accords bilatéraux d'association entre la Communauté européenne et chacun des pays partenaires. Le premier de ces accords, conclu avec la Tunisie, est entré en vigueur en 1998, tandis que le dernier, négocié avec la Syrie, est en cours de signature. Ces accords d'association comprennent trois volets : un volet politique, un volet commercial et un volet social et culturel. Ils sont soumis à la ratification des Etats-membres en raison du volet politique, qui relève de l'intergouvernemental.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a souligné que la philosophie générale du partenariat consistait dans l'accompagnement des réformes économiques afin de favoriser progressivement une traduction politique et sociale par une ouverture plus grande des partenaires et une meilleure insertion dans les échanges mondiaux.

Il a indiqué que la région accusait encore un retard au développement significatif en dépit d'un potentiel important et d'une richesse relative. Sur le plan politique, la priorité donnée à la lutte contre le terrorisme après le 11 septembre a souvent conduit à une restriction des libertés et à la répression des oppositions. Les organisations internationales et non gouvernementales dénoncent régulièrement des abus en matière de droits de l'homme et de libertés fondamentales, sujet sur lequel aucun des partenaires ne correspond parfaitement aux canons occidentaux. Seule démocratie de la région, Israël n'en est pas moins mis en cause en tant que puissance occupante. En outre, l'absence de règlement du conflit israélo-palestinien pèse lourdement sur les relations infrarégionales mais sert aussi de justification au blocage des réformes politiques en mettant au premier plan, chez tous les Etats de la zone, les questions de sécurité.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a signalé que, du côté européen, les engagements n'avaient pas toujours été tenus, du fait notamment de la lenteur des décaissements de l'instrument financier d'accompagnement des réformes, le programme MEDA.

Il a cependant considéré que les atouts du partenariat euroméditerranéen ne devaient pas être négligés. Le forum euroméditerranéen a servi d'instance de dialogue à des périodes où les négociations étaient interrompues. Le processus de Barcelone a également permis de définir des objectifs et de fixer des rendez-vous réguliers pour en apprécier l'état d'avancement.

Abordant la proposition de résolution, M. Robert Del Picchia, rapporteur, a indiqué qu'elle avait été adoptée par la Délégation pour l'Union européenne à l'initiative de Mme Boumediene-Thiéry, à l'occasion de l'examen du protocole à l'accord euro-méditerranéen avec la Tunisie pour tenir compte de l'adhésion de nouveaux Etats membres. Les termes de ce protocole n'appellent pas d'observations particulières, mais la Délégation pour l'Union européenne a souhaité souligner l'importance du volet politique des accords euro-méditerranéens, dans sa dimension de socle de valeurs communes concernant en particulier le partage d'un attachement au respect des droits de l'homme.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a indiqué que le constat sur la situation des droits de l'homme en Tunisie, dressé par l'exposé des motifs de la proposition de résolution, était largement partagé et que les principales observations portaient sur les atteintes à la liberté d'expression et à la liberté de la presse, domaines dans lesquels les entorses les plus récurrentes étaient observées.

En menant une action résolue en faveur des femmes, contre la pauvreté et pour la modernisation économique du pays, la Tunisie appelle certainement un niveau d'exigence plus élevé en matière de droits de l'homme.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a relevé que l'attachement des Européens au respect du pluralisme politique et de la liberté d'expression obéissait également à des considérations de stabilité ; les mouvements d'opposition doivent pouvoir trouver les moyens légaux de leur expression et d'autres débouchés que le recours, le cas échéant, à la violence.

Il a indiqué que les institutions communautaires, en particulier le Parlement européen, avaient déjà appelé les autorités tunisiennes à respecter les engagements pris, par le vote de résolutions. Le Conseil d'association, organe politique créé par l'accord d'association, réuni le 31 janvier 2005, a rappelé son attachement au respect des engagements en matière de droits de l'homme et à voir déboucher le dossier du financement direct de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, contentieux en souffrance depuis plusieurs années. Il a souligné que les relations confiantes entre la France et la Tunisie permettaient aux autorités des deux pays d'aborder l'ensemble des sujets. La France a eu l'occasion, au cours de visites officielles, d'appeler l'attention de son partenaire sur des cas individuels.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a exposé les termes de la proposition de résolution adoptée par la Délégation pour l'Union européenne qui souligne dans un premier temps l'importance du partenariat euro-méditerranéen, rappelle ensuite le caractère indivisible des trois volets politique, économique et culturel, puis invite à la mise en oeuvre de tous les moyens prévus par l'accord d'association pour garantir l'application des dispositions relatives aux droits de l'homme.

Il a considéré que le texte de la proposition de résolution était respectueux de la souveraineté tunisienne en se bornant à demander l'application des termes de l'accord d'association. Le texte insiste sur l'application du volet politique de l'accord, volet politique qui nécessite une ratification des accords d'association par les Parlements nationaux. Sous réserve d'une modification à caractère rédactionnel qui porte sur la référence aux « Droits de l'homme », et non aux « Droits humains », il a recommandé l'adoption de la proposition de résolution.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Didier Boulaud a souhaité connaître la liste des pays concernés par le processus de Barcelone. Evoquant la situation des droits de l'homme dans les autres Etats parties au partenariat euro-méditerranéen, il a considéré que le niveau d'exigence devait être identique et qu'une telle proposition de résolution ne devait pas s'appliquer à la seule Tunisie.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a rappelé que les accords euro-méditerranéens avaient été signés avec huit pays, la Tunisie, Israël, le Maroc, l'Autorité palestinienne, la Jordanie, l'Egypte, l'Algérie et le Liban. Ces deux derniers accords sont en cours de ratification tandis que l'accord avec la Syrie pour lequel les négociations sont terminées devrait être signé prochainement. La proposition de résolution porte uniquement sur la Tunisie alors qu'effectivement la situation des droits de l'homme n'est pas meilleure chez d'autres partenaires. Cependant, le texte transmis en application de l'article 88-4 de la Constitution est relatif à la seule Tunisie.

M. Robert Bret a également considéré que l'ensemble des pays de la zone pourrait faire l'objet d'une proposition de résolution similaire.

Evoquant le bilan du processus de Barcelone, il a estimé qu'un déséquilibre Nord-Sud profond subsistait alors que la déclaration de Barcelone évoquait une « zone de prospérité partagée ». La Tunisie subit actuellement un processus de délocalisation qui déstabilise le pays dans la mesure où la situation économique se dégrade dans le même temps où les droits de douane sont supprimés. Il a rappelé que les trois volets de l'accord d'association étaient effectivement inséparables. L'article 2 des accords d'association fait du respect des droits de l'homme une condition. Or, en Tunisie, la situation des droits de l'homme est loin d'être satisfaisante comme en attestent les dernières élections présidentielles mais aussi les difficultés rencontrées par les avocats pour exercer leur métier et rendre effectifs les droits de la défense, ou encore la répression de manifestations. Il a considéré que cette proposition de résolution n'était pas dirigée contre la Tunisie mais visait au contraire à l'accompagner dans son évolution.

Mme Dominique Voynet a rappelé que la proposition de résolution avait été adoptée à l'unanimité par la délégation pour l'Union européenne. Elle a souligné que le texte de l'exposé des motifs ne faisait l'impasse ni sur les droits syndicaux, ni sur la liberté de la presse. Evoquant l'amendement suggéré par le rapporteur, elle a considéré que le terme de « droits humains » n'était pas une simple commodité de langage mais permettait aux femmes de se sentir également concernées. Elle a estimé que ce terme se généraliserait à brève échéance.

M. Robert Del Picchia, rapporteur, a rappelé que le terme de droits humains constituait aussi une généralisation du recours à l'expression anglo-saxone « Human Rights » transposée en français. Le terme de droits de l'homme est non seulement celui retenu par la déclaration universelle ou la convention européenne de sauvegarde mais aussi par l'article 2 de l'accord d'association avec la Tunisie auquel le texte de la proposition de résolution fait référence.

La commission a ensuite adopté la proposition de résolution, assortie de l'amendement proposé par le rapporteur.

Affaires étrangères - Relations transatlantiques - Audition de M. Dominique Moïsi, conseiller à l'Institut français des relations internationales (IFRI)

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Dominique Moïsi, conseiller à l'Institut français des relations internationales (IFRI), sur les relations transatlantiques.

M. Serge Vinçon, Président, a remercié M. Dominique Moïsi d'avoir accepté de se rendre une nouvelle fois devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour évoquer l'évolution attendue de la diplomatie américaine au cours du second mandat du Président Bush.

Les questions étaient en effet nombreuses : quelle orientation les relations bilatérales franco-américaines pourraient-elles prendre ? Une action diplomatique conjointe entre européens et américains serait-elle possible face aux enjeux internationaux représentés par l'Irak, par l'Iran et son programme nucléaire militaire, par le conflit israélo-palestinien, ou encore par la Chine, avec le projet européen de levée de l'embargo sur les armes à destination de ce pays ? Enfin, quelle serait la nature de la relation des Etats-Unis avec l'ONU et le multilatéralisme en général après la nomination de M. John Bolton, dont on connaît les positions à ce sujet, au poste d'ambassadeur à l'ONU ?

M. Dominique Moïsi a relevé que les « signaux » adressés au monde par le Président Bush depuis sa réélection apparaissaient contradictoires à certains égards : d'un côté, des signes d'ouverture, à l'image du discours prononcé à Paris par Mme Rice : « l'Amérique a besoin d'une Europe forte », de l'autre côté, la nomination de M. John Bolton comme ambassadeur auprès de l'ONU, démarche qui ne saurait être perçue autrement que comme un signe de défiance à l'égard de l'Organisation.

L'analyse que porte le président américain sur le monde se fonde sur la marque de confiance que le peuple américain lui a manifesté en le réélisant : il y trouve une forte validation de sa stratégie conduisant à porter la guerre contre les Etats-voyous, sanctuaires du terrorisme. Ainsi se trouve légitimée la synthèse réalisée entre action « préventive » et action « préemptive » qui a révolutionné l'approche des relations internationales pour relever le défi lancé contre la sécurité des Etats-Unis. A cet égard, deux dates apparaissent essentielles pour le président américain : celle du 11 septembre 2001, bien sûr, mais également celle du 30 janvier 2005, qui a vu le succès des élections irakiennes. Qui aurait pu imaginer, il y a un an, s'est interrogé M. Dominique Moïsi, que les Afghans, les Irakiens, les Palestiniens se seraient ainsi précipités pour voter, parfois au péril de leur vie ?

Si le Président Bush se voit ainsi assuré dans ses choix, il n'en relève pas moins les coûts excessifs qu'ils ont pu entraîner au regard de l'image des Etats-Unis dans le monde ou de la solidité de ses alliances. Conscient d'un certain isolement, inutile et coûteux, le Président américain entend, pour son second mandat, modifier la « forme » de sa diplomatie, même si, sur le « fond », la continuité sera la règle. Pour les Etats-Unis, les gestes de bonne volonté adressés à l'Europe sont d'autant plus légitimés qu'à leurs yeux, leur stratégie a porté ses fruits et que l'histoire leur rend justice, justifiant de renouer des liens avec leurs alliés qui partagent les mêmes valeurs.

Cela n'empêche pas, a considéré M. Dominique Moïsi, l'émergence de contradictions profondes liées à la nature du peuple américain, opposant la politique des Etats-Unis dans le monde, d'un côté, aux attentes du peuple américain, de l'autre. Une tension existe ainsi entre, d'une part, la démarche « révolutionnaire » de la diplomatie américaine visant à transformer le monde sur la base d'une vision messianique du rôle des Etats-Unis pour rendre ce monde meilleur et, d'autre part, l'objectif final de cette transformation du monde visant à s'en protéger, seul objectif répondant au voeu profond des Américains.

Les réalités internationales ont aussi leur importance : les disparitions successives de Yasser Arafat et Rafik Hariri ont ouvert une voie complexe qui accélère le cours de l'histoire. De la même manière, l'évolution de la Russie est sujet de préoccupation : la nature de plus en plus autoritaire du régime russe tend à faire de la Russie un problème, alors qu'on a longtemps cru, à Washington, qu'elle serait une partie de la solution.

Trois dossiers viennent s'ajouter à ces réalités contraignantes : celui de l'Iran, d'abord, où les Etats-Unis cherchent à gagner du temps, mais pensent qu'une intervention militaire sera un jour inévitable ; le conflit israélo-palestinien, ensuite, dont l'évolution est positive, mais qui reste tributaire des groupes terroristes ; le dossier chinois, enfin, qui va revêtir une importance croissante.

Concluant sur les relations franco-américaines, M. Dominique Moïsi a estimé qu'elles s'étaient incontestablement améliorées dans la mesure où, des deux côtés et au plus haut niveau, existait une volonté en ce sens. La presse américaine elle-même a considérablement modifié son langage. Il reste que des divergences subsistent dans la lecture des événements internationaux, qu'il s'agisse de l'Irak, de l'Afghanistan ou du conflit israélo-palestinien. Quant aux opinions, elles demeurent antagonistes. De ce fait, a estimé M. Dominique Moïsi, le rapprochement s'opère davantage sur la forme que sur le fond.

A la suite de cet exposé, M. Jean François-Poncet a déclaré partager globalement l'analyse de M. Dominique Moïsi selon laquelle, au-delà d'une réelle volonté politique de rapprochement de part et d'autre de l'Atlantique, les objectifs de la politique étrangère américaine demeuraient inchangés, laissant entiers nombre de sujets potentiels de désaccord. Il s'est toutefois demandé si les Etats-Unis n'allaient pas devoir tenir compte des limites objectives à la puissance américaine apparues au cours des derniers mois, que ce soit sur le plan militaire, politique, économique ou financier. Il a évoqué, à cet égard, l'absence de forces disponibles pour ouvrir un nouveau théâtre d'opération militaire, la nécessité de réduire les dépenses de défense, le risque d'impopularité croissante de l'administration américaine dans le tiers-monde et en Europe ou encore les conséquences d'une poursuite de la baisse du dollar.

M. Jean François-Poncet a d'autre part estimé que la question de l'attitude à l'égard de la Russie risquait de devenir un nouveau facteur de tension transatlantique. Les Etats-Unis ne semblent pas disposés à accepter l'actuel raidissement du pouvoir russe, ce qui pourrait créer des difficultés avec la France, et plus encore avec l'Allemagne, cette dernière accordant une importance primordiale, tous partis politiques confondus, au partenariat avec la Russie.

Enfin, M. Jean François-Poncet a constaté qu'en l'espace de quelques semaines, le paysage politique du Moyen-Orient s'était profondément transformé, offrant une image totalement différente de celle d'il y a à peine un an. Il s'est toutefois interrogé sur le caractère durable de ces évolutions. Il a rappelé la fragilité de l'Afghanistan en raison du poids des « seigneurs de la guerre » et du trafic d'héroïne, tout comme les difficultés de constitution d'un gouvernement irakien. Il a également observé que les manifestations du 8 mars à Beyrouth pouvaient laisser penser que la Syrie n'est pas aussi affaiblie qu'on pouvait le croire. Il a souhaité connaître l'opinion de M. Dominique Moïsi sur les possibilités de retournement de tendance au Moyen-Orient dans les mois à venir.

M. Didier Boulaud a interrogé M. Dominique Moïsi sur la nature réelle des inquiétudes américaines à l'égard de l'émergence de la Chine.

M. Josselin de Rohan a constaté que la volonté affichée des Etats-Unis de promouvoir la démocratie et les droits de l'homme plaçait la Russie dans une situation difficile, faisant ressortir le déficit démocratique interne du régime politique russe, et surtout, sa perte d'influence sur le proche étranger. Il s'est demandé si, dans ces conditions, Moscou n'allait pas être conduit à raidir son attitude et à s'opposer de plus en plus souvent à la politique américaine. S'agissant de la Chine et de sa situation vis-à-vis des Etats-Unis, il a établi un parallèle avec le rôle que jouait le Japon avant la seconde guerre mondiale, suggérant que Pékin pourrait à l'avenir heurter de front les intérêts américains. Il a interrogé M. Dominique Moïsi sur l'éventualité d'une alliance russo-chinoise pour contrebalancer l'influence des Etats-Unis.

M. Dominique Moïsi a convenu des limites objectives, tant politiques, économiques que militaires, qui s'imposent à la puissance américaine. Il a également souligné une limite d'ordre culturel, à savoir le faible engagement du peuple américain à l'égard des affaires du monde. Il a toutefois estimé que tout en reconnaissant ces limites, les Etats-Unis sont eux-mêmes surpris de l'ampleur des résultats qu'ils ont obtenus en bousculant le statu quo au Moyen-Orient. Le président Bush est à cet égard convaincu qu'il a pleinement su répondre au défi posé par les attaques du 11 septembre, tout comme le président Roosevelt avait su en son temps réagir à l'attaque de Pearl Harbour. Le président américain ne doute pas de la pertinence de sa politique, tout en reconnaissant qu'il faut désormais la faire accepter par le monde extérieur pour qu'elle obtienne un plein succès.

S'agissant des relations avec la Russie, les Etats-Unis, a estimé M. Dominique Moïsi, ne peuvent se permettre de les faire échapper aux objectifs de démocratisation qui inspirent leur politique étrangère, et ce, à un moment où Moscou s'engage dans une orientation opposée. Le régime du président Poutine paraît aujourd'hui très affaibli. Le drame de la prise d'otage de Beslan a mis en évidence l'incompétence et la corruption de l'appareil de sécurité russe. Les élections en Géorgie et en Ukraine ont constitué un revers cinglant pour Moscou. Ces événements ont accentué l'humiliation d'un régime blessé qui n'a d'autres recours aujourd'hui que l'appel au nationalisme et à la nostalgie de l'empire passé. Une alliance de revers entre Pékin et Moscou aurait actuellement peu de sens, la Russie ayant beaucoup plus à craindre qu'à espérer de la Chine. Seuls les prix élevés de l'énergie permettent à la Russie de « faire illusion » sur le plan économique. Mais le pays est confronté à une crise démographique extrêmement grave, puisqu'il pourrait perdre 35 % de sa population d'ici 2050, qui porte en germe un affaiblissement profond et durable. Cette situation peut devenir une source de divergences entre les Etats-Unis et l'Europe, tout comme entre les Européens eux-mêmes. Une partie des nouveaux membres de l'Union, au premier rang desquels la Pologne, se défient de la Russie quand d'autres, comme l'Allemagne et la France, continuent de la considérer comme un partenaire incontournable.

En ce qui concerne la Chine, c'est le seul pays, dans l'esprit des Américains, qui pourrait à l'avenir représenter une menace du même ordre que celle incarnée durant la guerre froide par l'Union soviétique. Le fait qu'en levant l'embargo sur les ventes d'armes, les Européens puissent contribuer à accélérer cette échéance, constitue une source d'incompréhension aux Etats-Unis. A la différence du Japon de l'avant-guerre qui s'inspirait, dans une certaine mesure, des régimes autoritaires européens, la Chine n'a aucun intérêt à prendre le risque d'une tension frontale avec l'Occident. Elle a le sentiment que le temps joue pour elle et considère qu'au terme d'une évolution naturelle, elle retrouvera une place de premier plan dans le concert mondial.

Abordant les évolutions en cours au Moyen-Orient, M. Dominique Moïsi a souligné que les conséquences d'événements majeurs, comme la mort de Yasser Arafat ou l'assassinat de Rafic Hariri, se conjuguaient à quatre tendances de fond.

La première tendance de fond tient à l'émergence, dans le monde arabo-musulman, d'une société civile longtemps brimée et opprimée et qui voit dans les circonstances présentes une fenêtre d'opportunité pour conquérir son droit à s'exprimer. La politique américaine a libéré des dynamiques qui n'étaient pas toujours attendues, confirmant la formule d'Hegel, selon laquelle les hommes font l'histoire, mais ne savent pas l'histoire qu'ils font. Cette société civile arabo-musulmane aspire à la démocratie, mais conteste l'Occident.

La deuxième tendance lourde tient à l'état d'épuisement des deux acteurs du conflit israélo-palestinien. Les palestiniens ont pris conscience que le 11 septembre avait considérablement renforcé la marge de manoeuvre du gouvernement israélien. A l'inverse, Ariel Sharon a opéré une réelle conversion stratégique, rejoignant les thèses qui étaient celles du parti travailliste il y a quelques années. L'analyse de la démographie l'a convaincu que le projet de Grand Israël n'était pas compatible avec la préservation de la dimension juive de l'Etat hébreu et qu'il n'y avait donc d'autre perspective que de rendre des territoires. Le premier ministre israélien a jugé qu'il était opportun de le faire à un moment où les palestiniens et leurs alliés sont faibles, à l'inverse des soutiens d'Israël, à savoir les Etats-Unis, mais également l'Inde ou la Chine. Convaincu de la fragilité démographique d'Israël, Ariel Sharon s'oriente vers des propositions d'échanges de territoires, notamment pour préserver les implantations juives autour de Jérusalem, quitte à donner aux Palestiniens des terres israéliennes du nord du pays. Cette solution impliquerait également des compensations symboliques et financières en contrepartie d'un abandon du droit au retour des réfugiés. Bien entendu, le déroulement du processus en cours peut toujours être remis en cause par une reprise des attentats terroristes.

Pour M. Dominique Moïsi, le troisième facteur de changement réside dans le nouvel équilibre régional qui s'établit au Moyen-Orient au détriment des sunnites et au bénéfice des chiites, ces derniers étant les plus attachés à la remise en cause du statu quo.

Enfin, la quatrième tendance de fond qui est à l'oeuvre peut être perçue dans les pays du Golfe comme le Qatar, Oman ou les Emirats arabes unis qui se projettent déjà dans la période de l'après-pétrole. Ils ont dépassé la question du conflit israélo-palestinien et reconnaissent la nécessité du changement pour s'intégrer dans le monde futur. Dans ce contexte, la décision du président Moubarak d'autoriser la pluralité des candidatures à l'élection présidentielle apparaît en première analyse comme un choix tactique, mais elle va libérer des forces qui ne pourront peut-être pas être contrôlées, avec un risque de renforcer des mouvements extrêmes. Au Moyen-Orient, les opinions sont conscientes des conséquences négatives de l'absence d'état de droit. Elles éprouvent un sentiment d'humiliation face à une corruption qui a sans doute privé les pays arabes des bénéfices que les pays asiatiques ont su tirer de la mondialisation. De ce point de vue, on peut considérer que les pays arabes ont moins besoin d'un Etat de droit à l'occidentale que de s'inspirer des exemples de pays d'Asie, comme Singapour.

M. Robert Del Picchia a souligné les différents obstacles qui pouvaient s'opposer à une éventuelle intervention américaine en Iran, qu'il s'agisse des difficultés strictement militaires d'une neutralisation des sites nucléaires, des risques de rétorsion sur le marché pétroliers ou encore des conséquences politiques d'une telle opération. Il s'est demandé si, dans ces conditions, les Etats-Unis ne seront pas conduits à accepter un Iran nucléaire comme un moindre mal. S'agissant de la Russie, M. Robert Del Picchia a convenu de sa grande dépendance économique vis-à-vis des hydrocarbures, mais il a observé que le niveau élevé des prix de l'énergie était sans doute appelé à perdurer. Enfin, au sujet de la question des relations avec la Chine, il s'est interrogé sur la possibilité d'un dialogue politique entre les Etats-Unis et l'Union européenne.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a évoqué les nombreuses questions soulevées par la nature messianique de la politique étrangère américaine. Elle s'est demandé s'il fallait y voir une forme de néo-colonialisme, si elle ne constituait qu'un habillage pour des préoccupations beaucoup plus mercantiles, comme l'approvisionnement énergétique, et si les Etats-Unis étaient disposés à la promouvoir partout dans le monde, et non seulement au Moyen-Orient.

M. Robert Bret a souhaité savoir si une intervention américaine en Iran n'entraînerait pas un embrasement général de la région, du fait de la solidarité des communautés chiites qui sont renforcées depuis la guerre d'Irak.

En réponse à ces différentes interventions, M. Dominique Moïsi a souligné qu'une intervention militaire américaine en Iran entraînerait une réaction nationaliste qui étoufferait immédiatement les fortes aspirations de la société civile iranienne vis-à-vis de la liberté et de la démocratie. Il a estimé que les Etats-Unis demeuraient convaincus que l'accession de l'Iran à la capacité nucléaire militaire aurait un effet désastreux sur la prolifération dans tout le Moyen-Orient.

Il a estimé que les préoccupations économiques et commerciales n'étaient pas absentes dans la définition de la politique étrangère américaine, mais qu'il serait erroné de sous-estimer la dimension idéologique et la volonté réelle de transformer le monde.

Evoquant la démonstration de force opérée par le Hezbollah le 8 mars à Beyrouth, il a estimé qu'elle ne signifiait pas un retour au premier plan de la Syrie. A Damas, le pouvoir est actuellement affaibli et divisé. En revanche, le Hezbollah demeure un mouvement incontournable au Liban. Il y a là une différence fondamentale entre la « révolution du cèdre » et la « révolution orange ». L'opinion ukrainienne aspirait à rejoindre la norme démocratique en vigueur dans le reste de l'Europe, alors que le Liban se trouve dans un environnement où la démocratie fait encore figure d'exception.

Audition du général de corps d'armée Jean-Louis Py, commandant du Corps européen et ancien commandant de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition du général de corps d'armée Jean-Louis Py, commandant du Corps européen et ancien commandant de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan.

Le général Py a tout d'abord indiqué que l'Afghanistan était le théâtre de la troisième intervention du Corps européen, après la Bosnie et le Kosovo, et de la première opération « hors-zone » de l'OTAN. Il a estimé que la FIAS avait réussi dans ses missions, sa présence ayant notamment permis l'organisation de l'élection présidentielle, premier pas vers la démocratie. Ce succès, a-t-il estimé, a été facilité par la volonté farouche du peuple afghan de sortir enfin de 23 années de guerre. C'est ainsi qu'onze millions et demi de personnes s'étaient enregistrées pour cette élection, et que 8 millions d'entre elles ont effectivement voté.

Le général Py a souligné que la situation actuelle de l'Afghanistan évoluait positivement, après les élections présidentielles et la constitution d'un nouveau gouvernement, parallèlement à l'achèvement du processus de Bonn lancé en 2001. On constate une baisse globale de la menace. Même si on déplore le récent assassinat d'un ressortissant britannique, la violence a diminué de 40 % entre 2003 et 2004.

Le premier défi du président Karzaï est de rebâtir une nation, tâche rendue difficile par la géographie physique et humaine du pays : l'Afghanistan est enclavé et composé d'ethnies très diverses, chacune d'entre elles étant tournée vers un pays voisin. Enfin le Sud du pays, où l'opération « Enduring freedom » est en cours, reste marqué par de nombreux incidents et attaques, notamment de convois militaires américains.

On constate par ailleurs, dans le Nord du pays, une dynamique des « Seigneurs de guerre », pour la plupart anciens commandants de l'armée afghane : estimant que ce sont eux qui ont gagné les guerres successives qui ont marqué le pays depuis quelque 30 ans, ils souhaitent obtenir une forme de reconnaissance. Dans le sud du pays, la tradition tribale complique la situation en ne permettant pas le modèle traditionnel de solution des conflits en cours dans le nord, à travers le conseil des anciens (shoura), mais le président Karzaï entend en rallier les différents éléments au système démocratique par les futures élections législatives.

Dans le Nord, le Président est déjà parvenu à rallier des « seigneurs de la guerre » en les intégrant aux structures gouvernementales ou administratives. Pour sceller la réconciliation et les intégrer au processus politique, le chef de l'Etat propose aux chefs locaux d'abandonner et de désarmer leurs milices. Cette nouvelle dynamique politique culminera avec les élections législatives qui seront organisées en septembre 2005. Elle devra s'accompagner d'un nouveau « processus de Bonn » pour succéder à celui lancé en décembre 2001.

Il s'agit également, a poursuivi le général Py, de rebâtir une économie. A cet égard, on constate malheureusement que la plupart des investissements sont réalisés à Kaboul, au détriment de la province. Le pays sort par ailleurs de six années de sécheresse. Les investissements étrangers en cours permettent la modernisation des industries, mais l'Afghanistan pâtit de l'absence de cadres nationaux à même de conduire des projets. Le pays en est donc conduit à s'en remettre aux ONG et à l'aide extérieure. Enfin, l'économie est marquée par la corruption et est gravement affectée par la prépondérance de la culture du pavot qui conduira, si rien n'est réalisé rapidement, à faire de l'Afghanistan un narco-Etat.

Abordant ensuite les opérations militaires en cours en Afghanistan, le général Py a rappelé que la FIAS, forte de 8.000 hommes, jusqu'à présent déployée à Kaboul et dans le nord du pays allait prochainement s'étendre dans quatre provinces de l'Ouest. L'opération américaine « Enduring freedom » est, quant à elle, déployée dans le Sud. Le général Py a indiqué que l'objectif déclaré était d'aboutir à terme à la fusion des deux opérations -FIAS et Enduring Freedom- en une seule, sous l'égide de l'OTAN. Cet objectif n'est pas sans poser problème : chacune de ces opérations relève d'une résolution spécifique du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui ne sont pas facilement compatibles : la FIAS qui déploie 3.000 hommes à Kaboul, a une mission de soutien sécuritaire du gouvernement alors qu'Enduring freedom est destiné à combattre Al Qaida et les Talibans. Elles relèvent donc chacune de deux cadres juridiques différents et de règles d'engagement spécifiques. Pour l'heure, l'ambition est de réaliser des synergies entre les deux opérations. Les 5 PRT (équipes de reconstruction des provinces), sont des unités destinées à soutenir le gouvernement central dans les provinces. L'OTAN a prévu d'en créer 4 nouvelles lors de son expansion prochaine dans l'Ouest du pays.

A court terme, la première échéance concernera l'organisation des élections législatives. A cet égard, les difficultés techniques d'organisation, délimitation des districts, enregistrement des candidats, matériel électoral, observateurs, etc., tout comme les problèmes sécuritaires, au niveau local seront considérables.

Il s'agira également de soutenir le développement des cinq « piliers sécuritaires » mis en place par l'ONU : Le pilier « désarmement, démobilisation et réintégration » (DDR), sous supervision japonaise, est réalisé à 98 % pour les armes lourdes, mais il reste difficile d'éradiquer les stocks de munitions et là où l'Armée Nationale Afghane n'est pas déployée, des « vides » sécuritaires apparaissent au profit des quelque 800 milices présentes dans le pays et qui entretiennent la criminalité.

Le pilier « formation de l'Armée nationale afghane » (ANA) est placé sous la responsabilité des Etats-Unis. L'ANA compte aujourd'hui un effectif de quelque 20.000 hommes. Le pilier « police » est conduit par l'Allemagne et le pilier « réforme judiciaire », le plus complexe, est sous responsabilité italienne.

Mais le pilier prioritaire reste celui dédié à la lutte contre la drogue, conduit par la Grande-Bretagne. Il suppose une parfaite interaction avec les quatre autres. Si cette mission n'est pas menée rapidement à bien, a insisté le général Py, l'Afghanistan deviendrait un narco-Etat, un « narcostan ». En effet, ce sont 4.200 tonnes d'opium qui ont été produites en 2004 et la surface cultivée en pavot a crû de 30 % par rapport à 2003.

L'action contre ce trafic suppose l'intégration complète de plusieurs éléments : la reconstruction, les cultures de substitution, l'éducation et l'application de la loi. La FIAS n'est pas en charge de cette mission, qui revient aux Afghans eux-mêmes, notamment pour l'éradication des cultures et la destruction des laboratoires. Le président Karzaï est personnellement très impliqué dans cette lutte qui nécessite un engagement fort de la communauté internationale.

Enfin, a conclu le général Py, il revient aux autorités centrales afghanes de rebâtir une vraie gouvernance locale aujourd'hui marquée par une corruption générale. Cette mission est également l'une des tâches principales des PRT.

M. Serge Vinçon, président, a demandé au général Py si la mise en place d'une équipe provinciale de reconstruction (PRT) française était envisageable.

Le général Jean-Louis Py a indiqué que le niveau des engagements de l'OTAN à Kaboul était actuellement à l'étude. Sa révision à la baisse permettrait, le cas échéant, l'ouverture de PRT dans les provinces environnantes. Dans l'immédiat, la révision de la mission du bataillon français, qui assure la sécurité de l'aéroport de Kaboul, n'est pas envisagée, mais elle fait l'objet d'une réflexion.

M. Jean François-Poncet a souhaité savoir si les « seigneurs de la guerre », intégrés dans le jeu politique par l'attribution de portefeuilles ministériels, avaient accepté de dissoudre les milices qui assuraient auparavant leur statut. Il s'est interrogé sur les effectifs de l'armée américaine en Afghanistan et sur la qualité de la coordination avec les autres troupes de l'Alliance atlantique. Evoquant la situation à la frontière pakistanaise, il a souhaité connaître les conditions d'une localisation éventuelle d'Oussama Ben Laden et la probabilité de son arrestation. L'extension de la zone placée sous le contrôle de l'OTAN et la nécessité de faire face aux quelque 800 milices recensées devraient nécessiter une adaptation des effectifs de l'OTAN. Il a souhaité savoir si les 8.000 hommes actuellement déployés suffiraient à contrôler la moitié du territoire afghan et si le calme relatif qui prévaut actuellement n'était pas imputable à la généralisation du trafic de drogue. Si cette hypothèse était vérifiée, la diminution de la richesse résultant de la lutte contre la culture du pavot pourrait faire renaître des troubles. Il a enfin sollicité des précisions sur l'ancienne armée afghane, ainsi que sur le système électoral.

Mme Hélène Luc, faisant état de statistiques selon lesquelles la production d'opium contribuerait, pour plus de 50 %, à la richesse nationale, s'est interrogée sur les moyens alternatifs de création de richesses. Elle a souligné le décalage entre l'aide internationale promise, l'aide effectivement décaissée et le niveau de l'aide nécessaire, estimée par le gouvernement afghan à 27,5 milliards de dollars. Elle a souhaité obtenir des précisions sur les effectifs de la FIAS et l'évolution de leur zone de déploiement. Elle s'est enfin interrogée sur la condition des femmes afghanes et le niveau de leur participation à la vie publique.

M. Didier Boulaud a sollicité des précisions sur le taux de scolarisation des enfants, ainsi que sur les effectifs militaires français déployés en Afghanistan.

Le général Jean-Louis Py a apporté les éléments de précision suivants.

On désigne communément sous l'appellation de « seigneurs de la guerre » les anciens commandants des corps d'armée, des divisions, des brigades ou des régiments des anciennes forces moudjahidines structurées et déployées dans l'ensemble du pays. Ces forces se sont battues pendant plus de vingt ans et sont restées dans le pays pendant une période extrêmement difficile. Une fois ces forces dissoutes, leurs commandants manifestent un besoin de reconnaissance dont il est difficile de les priver. Cette reconnaissance s'est traduite, pour certains, par l'intégration au sein du gouvernement. Autre exemple, le général Fahim, bien que destitué de son ministère, a été nommé maréchal à vie et doté de certains privilèges, ce qui permet de garantir son intégration dans le jeu politique.

La distribution des postes et l'assurance d'un certain niveau de représentation au sein de la société afghane visent également à réduire le niveau des trafics divers dans lesquels certains dirigeants étaient auparavant impliqués. Il convient de ne pas confondre ces seigneurs de la guerre avec les chefs de milices illégales issus de troupes démobilisées et qui se livrent à la criminalité ordinaire et au trafic. Les milices, dont le nombre s'élève à plus de 800, peuvent compter de cinq à 300 personnes. La lutte contre le trafic de stupéfiants, à l'origine de nombreuses difficultés, devrait également permettre de lutter contre ces groupes armés.

La lutte contre la drogue fait l'objet d'un plan soutenu par la communauté internationale qui vise au développement de cultures de substitution. Les Etats-Unis devraient doter ce plan de 750 millions de dollars en 2005, ce qui permettra de compenser une partie des 2 milliards de dollars de revenus annuels induits par la culture du pavot. La méthode de lutte adoptée par les talibans, qui consistait en une répression massive des paysans producteurs, était beaucoup plus radicale. Pour une lutte efficace contre la drogue, un niveau suffisant de contrôle des cultures doit être assuré et un revenu satisfaisant doit pouvoir être tiré des cultures alternatives. Entre deux récoltes de pavot, les paysans s'endettent à des taux usuraires auprès des seigneurs de la guerre. Cette pratique rémunératrice pourrait expliquer l'assassinat récent d'un britannique qui travaillait pour le compte de la Banque mondiale dans le secteur du micro-crédit. Le général Jean-Louis Py a estimé que la lutte contre la drogue devait être l'objectif prioritaire de l'année 2005. Soulignant les progrès accomplis, il a indiqué que certains ministres de l'ancien gouvernement, trafiquants notoires, avaient été écartés du pouvoir. Il a considéré que la réalisation de cet objectif engageait l'avenir du pays.

Evoquant la situation à la frontière pakistanaise, le général Py a signalé qu'Al Qaïda et les talibans restaient actifs dans la zone du Pachtounistan. De ce qu'il ressort des contacts avec les responsables de « Enduring freedom », il apparaît que la localisation d'Oussama Ben Laden, que l'on sait toujours en vie, est généralement trop tardive pour permettre son arrestation.

La coordination avec les Etats-Unis a fait l'objet de réels progrès. La perspective de faire passer l'opération Enduring Freedom sous le contrôle de l'Alliance atlantique conduit à la convergence des intérêts. A terme, la réduction du niveau d'insécurité dans le sud du pays pourrait devenir compatible avec l'exercice du mandat de la FIAS. Dans ce cas, l'augmentation du niveau des effectifs n'est pas nécessaire. Actuellement, le nord du pays n'est pas une zone de combat, ni une zone d'insécurité pour les troupes étrangères. La situation n'y est pas comparable avec celle qui prévaut dans le sud. La FIAS porte ses efforts sur la reconstruction et la gouvernance locale et la présence des forces de l'OTAN est suffisante pour la défense des PRT. En cas de besoin, le déploiement de moyens supplémentaires pourrait s'effectuer rapidement, ce qui est suffisamment dissuasif. Le fait que la quasi-totalité des armements lourds soit actuellement stockée sous le contrôle de l'armée afghane témoigne de l'intention des différents acteurs de ne pas reprendre les hostilités. La PRT de Kunduz, gérée par l'armée allemande, un temps décriée par les Etats-Unis, sert désormais de modèle pour la constitution éventuelle de PRT dans le sud du pays. Il s'agit d'une PRT mixte avec un volet civil et un volet militaire. Elle assure la reconstruction des routes, l'approvisionnement en eau et en électricité, la construction d'écoles et d'hôpitaux et apporte un soutien au développement de la gouvernance locale.

Le niveau des effectifs américains en Afghanistan est de 17.000 hommes. Ce niveau important est nécessaire tant que le degré de sécurité n'est pas satisfaisant. Une diminution des effectifs américains aurait pu conduire à des infiltrations vers Kaboul et sa région, notamment lors de l'élection présidentielle.

Evoquant la situation économique du pays, legénéral Jean-Louis Py a souligné la diversité des niveaux d'implication financière des Etats occidentaux. Le Canada, l'Union européenne, le Japon et la Norvège apportent des financements très importants qui contrastent avec le degré d'investissement budgétaire, très faible, de notre pays. L'investissement de la France s'élève, pour le moment, à 16 millions d'euros sur un projet de relance de la culture du coton dans le nord du pays. Notre pays est également impliqué dans le soutien à la recherche archéologique, à la formation des fonctionnaires du Parlement et au système scolaire. Un projet de soutien à la formation des diplomates est en cours d'examen. Le capital de sympathie dont jouit notre pays est pourtant important et de nombreux ministres et cadres du pays sont francophones.

La FIAS étend sa zone d'intervention dans l'Ouest du pays. Les conditions de son déploiement dans le sud ne sont pas encore réunies. Les moyens de l'OTAN seraient d'ailleurs insuffisants pour faire face à un niveau de sécurité très dégradé.

M. Didier Boulaud s'étant interrogé sur la possibilité de rendre compatibles les deux résolutions des Nations unies relatives à l'Afghanistan, le général Py a jugé nécessaire la mise en place d'un nouveau « processus de Bonn », afin de définir un nouveau cadre politique.

Evoquant la situation des femmes, il a indiqué qu'elle était marquée par une certaine évolution liée au développement de la scolarisation des enfants et à la progression de la mixité dans les écoles. Dans certaines parties du pays, la tradition de l'ethnie locale n'impose pas le port du voile et des femmes sont présentes dans les shoura, ces conseils locaux qui assistent les gouverneurs. L'Afghanistan aura besoin des shoura et des loya jirga, au demeurant consacrés par sa Constitution, pour assurer son développement politique.

M. Jean François-Poncet a fait part d'une tendance, largement partagée, à replacer l'Afghanistan dans le contexte, certainement artificiel, du « Grand Moyen-Orient ». Le bon déroulement des élections organisées tant en Afghanistan qu'en Irak et en Palestine a surpris. Il a estimé que ces opérations électorales renforçaient les Américains dans l'idée du bien-fondé de leur action dans la région.

Le général Jean-Louis Py s'est déclaré frappé, lors de son arrivée à Kaboul, par le pessimisme qui y régnait alors. L'Afghanistan a certainement souffert d'un amalgame avec l'Irak, alors que la situation y est très différente. Faisant état de l'amélioration de la situation, il a fait part de la tendance manifestée par les différents contributeurs à la force de l'OTAN à ne pas vouloir réadapter leur effort de sécurité au niveau effectivement requis. Les pays participants, pour des raisons politiques évidentes, ne souhaitent faire prendre aucun risque à leurs forces déployées.