Travaux de la commission des affaires étrangères



Mercredi 30 mars 2005

- Présidence de M. Serge Vinçon, président -

Mission d'information à l'étranger - Arabie saoudite - Compte rendu

Au cours d'une première séance, tenue au cours de la matinée, la commission a entendu un compte rendu par M. Serge Vinçon, président, du déplacement effectué par une délégation de la commission en Arabie saoudite du 13 au 17 mars 2005.

M. Serge Vinçon, président, a indiqué que la délégation, composée de MM. Jacques Blanc, Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix et André Boyer, avait pu rencontrer, à Riyad, outre des membres de la « société civile », le prince héritier Abdallah, le vice-ministre de la défense, le prince Khaled bin Sultan, le gouverneur de Riyad, le prince Salman, ainsi que des responsables du Majlis al Schoura, le conseil consultatif saoudien.

M. Serge Vinçon, président, a souligné que l'Arabie saoudite restait largement méconnue, le pays n'ayant suscité, jusqu'à une période récente, que peu d'intérêt en dehors des milieux économiques, et s'accommodant fort bien de cette situation. Après le 11 septembre 2001, la nationalité saoudienne de 15 des 19 terroristes impliqués dans les attentats a brutalement projeté le pays sur le devant de la scène.

M. Serge Vinçon, président, a tout d'abord évoqué la contestation qu'affronte le régime sur ses fondements mêmes. Il a indiqué qu'au cours de l'histoire récente la guerre du Golfe s'était révélée profondément déstabilisatrice pour l'Arabie saoudite. Impuissant à répondre à la menace de l'Irak de Saddam Hussein, le régime a dû faire appel aux Etats-Unis pour assurer sa sécurité. Il a eu recours à la caution des autorités religieuses afin de légitimer la présence américaine sur le sol saoudien qui abrite notamment les deux premiers lieux saints de l'Islam. Par la fatwa rendue dans ce sens, les autorités religieuses traditionnelles, aux yeux des islamistes radicaux, ont perdu leur crédibilité, affectant du même coup la légitimité du régime dont elles étaient le garant. En outre, cet événement a coïncidé avec le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan et le retour de combattants envoyés dans ce pays par le régime et imprégnés d'idéologie jihadiste.

M. Serge Vinçon, président, a souligné les multiples défis auxquels l'Arabie devait répondre. L'Arabie saoudite a tout d'abord des problèmes de sécurité intérieure ; des attentats meurtriers ont été perpétrés sur son sol contre les étrangers mais aussi contre des Saoudiens. Les trois attaques terroristes du 12 mai 2003 à Riyad et les cinq attentats de 2004 à Riyad, al Khobar et Jeddah ont marqué une nette dégradation de la situation sécuritaire. Le pays affronte à la fois une contestation de nature politique et une idéologie jihadiste internationale. M. Serge Vinçon, président, a souligné que le phénomène islamiste en Arabie saoudite était complexe, dans la mesure où l'islam officiel y est déjà en rupture avec l'islam traditionnel.

Sur le plan politique, M. Serge Vinçon, président, a indiqué que le royaume maintenait un équilibre fragile entre conservateurs et modernistes, sur fond d'influence croissante des religieux. Le conservatisme social se traduit de la façon la plus visible par le sort fait aux femmes, absentes de la vie publique et très largement de la vie sociale. Les disparités régionales restent fortes, alors que la prospérité a bénéficié pour l'essentiel au Nedjd, région de Riyad et au Hedjaz, région de Jeddah. En dépit de rapprochements récents, la minorité chiite, fortement représentée dans l'est du pays, reste largement à l'écart des processus politiques. M. Serge Vinçon, président, a considéré que le contrat social saoudien, fondé sur la religion, l'allégeance à la famille al Saoud et la redistribution des richesses, était remis en question.

Il a ensuite estimé que les équilibres internes du pays se jouaient pour l'essentiel sur le terrain économique et social. Cette affirmation pouvait paraître paradoxale en raison de la rente pétrolière mais, avec un PIB par habitant de 18.000 dollars, l'Arabie saoudite était comparable à la Pologne et se situait, par exemple, bien en deçà des 30.000 dollars par habitant de son voisin qatari. La différence tient à la démographie : entre 1994 et 2002, la population saoudienne est passée de 7 à 17 millions de personnes, 23 millions si l'on inclut la population étrangère. En rythme annuel, l'accroissement démographique est supérieur à 3 %. Cette explosion démographique s'est traduite par une urbanisation très rapide : entre 1970 et 2003, la part de la population urbaine est passée de 25 à 80 %, une telle urbanisation se traduisant par une dissolution des liens sociaux traditionnels. M. Serge Vinçon, président, a souligné que cette évolution démographique mettait en cause le modèle économique du pays. Conçu en effet pour une population réduite, le modèle social de redistribution de la rente pétrolière ne peut plus faire face aux besoins de l'ensemble de la population, dont 65 % a moins de 25 ans. Selon les chiffres officieux, le chômage des jeunes pourrait atteindre jusqu'à 30 %, sur les 200.000 personnes qui arrivent chaque année sur le marché du travail. S'ajoute à ces difficultés l'inefficacité globale du système de formation, peu axé sur les débouchés professionnels et dont le tiers des contenus, y compris dans l'enseignement professionnel, est consacré aux questions religieuses.

M. Serge Vinçon, président, a considéré qu'en dépit de ces facteurs de fragilité, le régime restait solide sur ses bases en raison de la loyauté à la famille régnante, du contrôle qu'elle exerce sur les structures administratives, de la vigueur de l'appareil de sécurité et de la faiblesse des oppositions. Cette stabilité permet au pouvoir d'impulser des réformes pour impliquer davantage la population dans l'espace public et renforcer ainsi sa légitimité, tout en prenant en compte le poids de la tradition et le conservatisme assez général qui marque la société saoudienne.

M. Serge Vinçon, président, a ensuite évoqué le mouvement de réforme politique et économique engagé par l'Arabie saoudite, dont le rythme peut apparaître timide au regard des standards européens, mais dont la réalité est incontestable.

Le royaume a tout d'abord renoué avec le principe de l'élection pour la moitié des conseils municipaux selon un calendrier qui va de février à avril 2005, selon les provinces. L'autre moitié des conseils municipaux reste nommée et les femmes ont été exclues du scrutin, la participation semblant en outre avoir été relativement faible. Il convient cependant de noter que des islamistes et des chiites ont pu être élus. M. Serge Vinçon, président, a considéré que, plus que les conséquences en termes d'administration locale, c'est la « pédagogie » des opérations électorales qui devait être retenue.

Abordant ensuite les sessions de dialogue national, Etats généraux organisés chaque année depuis 2001 et qui se réunissent sur un thème précis, M. Serge Vinçon, président, a indiqué que les sujets retenus avaient concerné les minorités religieuses, la place des femmes et les aspirations des jeunes. La session 2005 était consacrée à la vision saoudienne du monde et à la perception de l'Arabie, question devenue très importante après le 11 septembre 2001.

L'évolution de la presse a été relevée par l'ensemble des interlocuteurs de la délégation. La presse saoudienne est non seulement plus libre que celles d'autres pays arabes mais elle a connu un développement considérable ces dernières années sous l'effet, notamment, de la concurrence d'Internet et des chaînes du satellite. Elle aborde désormais les sujets comme le chômage, la toxicomanie ou même l'homosexualité, encore tabou jusqu'à il y a peu.

M. Serge Vinçon, président, a ensuite évoqué la réactivation du conseil consultatif, le majlis al shoura, indiquant que la consultation était un exercice politique traditionnel dans la péninsule arabique, visant à associer les principaux responsables religieux et tribaux à la prise de décision. Recréé en 1992, le conseil a tenu sa première session à la fin de l'année 1993. Il est composé d'universitaires, d'hommes d'affaires, de hauts fonctionnaires, de journalistes et de responsables religieux, tous masculins et tous nommés par le roi pour quatre ans. L'effectif du conseil, de 60 lors de la création, devrait passer à 150 en avril 2005. Le conseil n'a qu'un pouvoir d'influence mais il examine tous les projets de loi et rend public ses rapports. M. Serge Vinçon, président, a indiqué que l'admission des femmes et la possibilité du recours, même partiel, à l'élection, avaient été évoquées lors des entretiens et que l'institution serait donc amenée à se développer. M. Serge Vinçon, président, a insisté sur l'intérêt de cette institution qui réactive, pour les moderniser, des modes traditionnels d'exercice du pouvoir.

Sur le plan économique, a poursuivi M. Serge Vinçon, président, un mouvement de restructuration est en cours que la hausse du prix du pétrole ne semble pas avoir freiné, mais qu'elle devrait permettre de faciliter. Les grands objectifs en sont la diversification de l'économie, la « saoudisation » des emplois, la libéralisation et l'insertion dans la mondialisation. L'économie saoudienne reste faiblement diversifiée et peu industrialisée. La « saoudisation » des emplois, dans une économie où 87 % des emplois du secteur privé sont occupés par des étrangers, reste un sujet majeur de préoccupation. Après avoir tenté une approche autoritaire, le royaume met désormais l'accent sur la formation des jeunes et la promotion des emplois qualifiés. Si la mutation s'avère difficile entre une culture de forte attraction de la fonction publique vers une culture du secteur privé, le processus est cependant en marche.

M. Serge Vinçon, président, a ensuite abordé la place et le rôle de l'Arabie dans son environnement régional et sa relation avec les Etats-Unis. Une campagne très violente contre l'Arabie saoudite a suivi le 11 septembre aux Etats-Unis. L'opinion américaine a brutalement découvert les aspects les plus conservateurs de la société saoudienne et son implication dans le financement de réseaux islamistes. Cette situation, a précisé M. Serge Vinçon, président, était réciproque au sein de la société saoudienne et ce de façon probablement plus ancienne. L'anti-américanisme y est développé et se focalise sur la question israélo-palestinienne et sur l'Irak. Pour autant, les conséquences sur la relation saoudo-américaine doivent être nuancées, l'intérêt de la relation stratégique entre les deux pays ne se démentant pas.

M. Serge Vinçon, président, a relevé que dans un environnement régional dégradé, l'Arabie saoudite pouvait être considérée comme un pôle de stabilité. L'ensemble de ses partenaires lui sait gré d'un engagement résolu à lutter contre le terrorisme. Cet engagement s'est traduit par des arrestations massives, une reprise en main des extrémistes religieux et un renforcement des mesures sécuritaires dont la délégation a pu observer la réalité. Le pays a remporté certains succès, mais la situation reste fragile.

M. Serge Vinçon, président, a ensuite indiqué que le royaume entretenait une relation apaisée avec ses voisins immédiats même si certaines tensions subsistent. L'Arabie saoudite tente de promouvoir l'intégration régionale au sein du conseil de coopération du Golfe (CCG) mais se heurte à certains obstacles : la faible interdépendance économique des Etats du Golfe, la crainte, non dénuée de fondement, de la prépondérance écrasante de l'Arabie dans cet ensemble mais aussi la politique de négociation bilatérale d'accords de libre-échange menée par les Etats-Unis et couronnée de succès avec Bahrein. L'accord de libre-échange entre le CCG et l'Union européenne ne progresse guère après 10 ans de négociations.

M. Serge Vinçon, président, a relevé qu'interrogés sur les grandes crises du Moyen-Orient, les Saoudiens mettaient en avant un impératif de stabilité. C'est le cas sur l'Irak mais aussi sur le Liban où les Saoudiens appellent au retour au calme et sont soucieux de la place faite aux sunnites. M. Serge Vinçon, président, a signalé que l'intervention de la France aux côtés des Etas-Unis et son insistance sur la question du retrait syrien auquel les autorités saoudiennes souscrivent par ailleurs, n'avaient pas toujours été comprises, la différence de traitement avec les résolutions relatives aux Territoires palestiniens étant souvent évoquée. M. Serge Vinçon, président, a rappelé que le conflit israélo-palestinien restait au coeur des préoccupations saoudiennes et que la proposition de paix formulée par le Prince Abdallah en 2002 avait été renouvelée lors du Sommet d'Alger du 23 mars 2005.

En conclusion, M. Serge Vinçon, président, a estimé que la délégation était revenue de ce déplacement avec un sentiment partagé. Elle a été frappée par le conservatisme et l'austérité du pays, notamment par le sort fait aux femmes et par le poids des interdits religieux, mais elle a également perçu une prise de conscience, par les autorités, des facteurs de fragilité du pays et une réelle volonté d'y faire face.

Un débat a suivi l'exposé du président.

M. André Boyer a considéré que la jeunesse était effectivement le principal enjeu pour l'avenir du pays. L'accroissement démographique, le chômage et le défaut de motivation pour le secteur privé sont autant de défis. Evoquant la séparation des sexes dans la société saoudienne, il a rappelé que les femmes et les hommes bénéficiaient désormais d'une instruction comparable et que des pressions s'exerçaient en faveur de changements dans la condition féminine. Evoquant ensuite la coopération franco-saoudienne de défense, il a considéré que l'ère des grands contrats d'équipement était désormais révolue, 40 % du budget de la défense étant consacré à des dépenses sociales. Le devenir des prospects actuels est pour le moins incertain, les autorités mettant désormais l'accent sur les dépenses de sécurité et de formation.

M. Philippe Nogrix s'est dit inquiet quant à l'avenir du pays : la marche vers la démocratie doit être relativisée, la famille princière ayant seule la capacité d'identifier les élites et la redistribution des richesses ne s'effectuant pas de façon équitable. Il a indiqué que les entreprises françaises perdaient des parts de marché en raison des conditions d'attribution en vigueur très particulières. Il convient de valoriser les compétences françaises dans le domaine sécuritaire et de donner aux entreprises les moyens de travailler sur une longue période, ce qui paraît difficile pour les PME. Sur les questions internationales, il a relevé la perplexité des Saoudiens face à certaines positions françaises, notamment sur le dossier nucléaire iranien, alors qu'Israël, relèvent-ils, n'est pas l'objet des mêmes pressions. Il a enfin estimé que la relation saoudo-américaine n'était pas dénuée d'ambiguïté.

M. Jacques Blanc a considéré pour sa part que la spécificité de la société saoudienne rendait son évaluation difficile. Par ailleurs, la particularité du système politique saoudien invite également à la prudence dans les appréciations portées. Il a souligné qu'Israël demeurait au coeur des préoccupations des Saoudiens et que les manifestations politiques libanaises leur faisaient craindre une certaine contagion.

Mme Dominique Voynet a souhaité savoir si les clés de répartition de la rente pétrolière étaient connues et si par ailleurs la délégation avait pu aborder la question de l'application du Protocole de Kyoto, pour laquelle l'Arabie saoudite souhaite apparemment reporter ses efforts sur les pays en développement.

M. André Rouvière a souhaité savoir dans quelle mesure l'Arabie saoudite se préparait à la pénurie annoncée de pétrole.

M. Jean François-Poncet s'est interrogé sur la question de la succession au sein de la famille royale.

Mme Josette Durrieu a souhaité connaître la perception saoudienne du projet américain de grand Moyen-Orient.

M. Serge Vinçon, président, a apporté les éléments de réponse suivants :

- la répartition de la rente pétrolière n'est pas transparente. Une partie est consacrée à l'entretien de la famille royale, qui comprend entre 5 et 12.000 personnes. Cette rente a également servi à développer les infrastructures du pays dans des proportions considérables ;

- les questions d'environnement n'ont pas été abordées lors des entretiens ;

- la succession est réglée par la loi fondamentale pour l'actuelle génération des princes. Dans l'hypothèse du décès du Roi Fahd, le prince héritier Abdallah serait amené à lui succéder et la succession passerait ensuite de frère en frère, le dernier étant âgé d'une soixantaine d'années. La question de la succession sera plus difficile lors du passage à la génération suivante des fils des princes actuellement au pouvoir, dans la mesure où elle consistera à privilégier une branche dynastique au détriment des autres, ce qui pourrait générer certaines tensions ;

- la pénurie de pétrole ne menace pas l'Arabie dans l'immédiat. Le pays dispose de 25 % des réserves mondiales et l'évolution des techniques devrait lui permettre de maintenir un niveau de production important sur une période relativement longue ;

- le grand Moyen-Orient et les réformes imposées de l'extérieur ne sont pas perçus de façon positive, mais plutôt comme un facteur de déstabilisation.

Audition de M. René van der Linden, président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe

Au cours d'une seconde séance, tenue dans l'après-midi, la commission a procédé, conjointement avec la délégation du Sénat pour l'Union européenne, à l'audition de M. René van der Linden, président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

M. René van der Linden a tout d'abord évoqué les inquiétudes suscitées aux Pays-Bas, et notamment parmi les parlementaires, par l'éventualité d'un refus français du traité institutionnel européen, soulignant que cette perspective affaiblirait l'axe fondateur de l'Europe liant la France à l'Allemagne. Il a évoqué le rôle du Conseil de l'Europe, précisant que le troisième Sommet de cette organisation, qui se réunira à Varsovie les 16 et 17 mai prochain, devra définir les priorités de sa future action. Celles-ci rappelleront l'importance du Conseil de l'Europe pour le continent, la définition de sa place dans le paysage institutionnel européen et l'élaboration d'un mandat politique précis pour les années à venir.

M. René van der Linden a rappelé que le Conseil de l'Europe réunissait 46 Etats et 630 parlementaires nationaux, représentant 800 millions d'Européens. Des institutions telles que la Cour européenne des droits de l'Homme, le Commissaire aux droits de l'Homme, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) ainsi que le Comité pour la prévention de la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants relèvent du Conseil de l'Europe.

M. René van der Linden a estimé que le projet de traité institutionnel, s'il est adopté, permettrait à l'Union européenne d'adhérer à la Convention européenne des droits de l'Homme, créant ainsi un lien formel entre les deux projets que connaît l'Europe. Il a ardemment souhaité que l'Union européenne puisse tirer parti de l'expérience du Conseil en matière de défense des droits de l'homme, plutôt que de créer, en son sein, des institutions qui entreraient en concurrence avec des structures déjà existantes. Il a ainsi souligné le caractère unique du Conseil de l'Europe comme cadre de débat pour ses Etats membres, ce qui a permis aux pays d'Europe centrale et orientale, membres nouveaux de l'Union européenne, de se familiariser avec les débats démocratiques.

Il a fait valoir que les critères de Copenhague, établis par l'Union européenne pour examiner les demandes d'adhésion, ne sont rien d'autres que les critères mis en place par le Conseil de l'Europe. Il a proposé que le prochain sommet invite l'Union à considérer le Conseil de l'Europe comme le cadre privilégié de développement et de mise en oeuvre de sa politique de voisinage, à adhérer à toutes les conventions du Conseil de l'Europe qui lui sont ouvertes, à recourir à l'expertise des mécanismes du Conseil de l'Europe.

Evoquant ensuite la préparation du prochain sommet de Varsovie, M. René van der Linden a décrit le contenu de la recommandation 1693 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui appelle, notamment, à ce que l'Organisation se voie confier un mandat politique clair, insiste sur le rôle primordial du Conseil de l'Europe dans l'élaboration de normes juridiques en matière de démocratie et de droits de l'homme, souligne le rôle unique du Conseil de l'Europe comme forum de dialogue politique entre Etats membres et non membres de l'Union européenne, et invite l'Union à recourir à l'expérience et aux instruments du Conseil de l'Europe. Ce troisième sommet, a estimé M. René van der Linden, serait l'occasion de plaider pour l'unité d'une Europe sans clivages, fondée sur des valeurs communes.

En conclusion, M. René van der Linden a souligné deux aspects particulièrement importants de l'activité du Conseil de l'Europe : l'un concerne la « diplomatie parlementaire », dont cette instance est un lieu privilégié du fait du double mandat, national et international, de chacun de ses membres. L'autre découle du caractère de véritable « école de démocratie » que constitue l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui a notamment permis aux parlementaires des nouveaux membres de l'Union européenne de se familiariser avec l'exercice quotidien de la démocratie.

A la suite de cet exposé, M. Serge Vinçon, président, a demandé à M. René van der Linden comment se présentaient les relations avec la délégation russe à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, à l'heure où l'on s'interroge sur un raidissement de la politique de la Russie au plan intérieur comme à l'égard de l'étranger proche. Il lui a par ailleurs demandé de préciser le rôle que le Conseil de l'Europe pourrait être appelé à jouer pour la mise en oeuvre de la politique de voisinage de l'Union européenne.

Après avoir souligné le rôle important qu'avait joué la commission du suivi mise en place au sein de l'assemblée du Conseil de l'Europe après l'adhésion de la Russie, M. René van der Linden a estimé que les critiques émises à l'encontre de certaines des orientations actuelles des autorités russes pouvaient jouer un rôle très positif, dès lors qu'elles ne visaient pas à les mettre en difficulté, mais au contraire à les encourager sur la voie d'un renforcement de l'Etat de droit et des droits de l'homme. A ses yeux, la question est moins de savoir si les changements interviennent en Russie à un rythme suffisamment rapide que de juger si celle-ci s'engage ou non dans la bonne direction.

S'agissant de la politique de voisinage, M. René van der Linden a souhaité que l'Union européenne utilise pleinement la valeur ajoutée que représente le Conseil de l'Europe, dont la Russie est membre à part entière et a ratifié nombre de conventions.

Mme Josette Durrieu a salué le rôle joué par le Conseil de l'Europe dans l'émergence progressive d'une conscience européenne. Elle a approuvé les propositions formulées par l'assemblée parlementaire dans la perspective du troisième sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement du Conseil de l'Europe de mai prochain. Elle a particulièrement insisté sur la nécessaire reconnaissance de la diplomatie parlementaire en complément des politiques étrangères conduites par les exécutifs. Elle a souhaité que l'Union européenne clarifie sa politique à l'égard des pays du Conseil de l'Europe qui n'ont pas vocation à la rejoindre dans un avenir proche, et en tout premier lieu à l'égard de l'Ukraine et de la Moldavie. Elle a également souligné la nécessité de favoriser le règlement des questions frontalières restant en suspens quant aux relations entre la Russie et plusieurs anciennes républiques soviétiques, que ce soient les pays baltes, la Moldavie ou les pays du Caucase.

M. Denis Badré a estimé que les succès de l'Union européenne ne devaient pas occulter l'apport considérable du Conseil de l'Europe qui a contribué, à l'échelle du continent tout entier, à promouvoir la démocratie, l'Etat de droit et les droits de l'homme. Il a demandé des précisions sur le rôle institutionnel que l'Union européenne pourrait confier au Conseil de l'Europe dans ce domaine, ainsi que sur les relations entre l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et le Parlement européen.

Rappelant que la Russie adoptait actuellement une attitude d'opposition au sein de l'organisation sur la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), M. Hubert Haenel a demandé s'il en était de même au sein du Conseil de l'Europe.

M. Jean-Guy Branger a rendu hommage au Conseil de l'Europe, qui a souvent joué un rôle d'avant-garde sur de grands problèmes sociétaux. Concernant la Russie, il a souhaité l'adoption d'une attitude ferme marquant la désapprobation vis-à-vis de certaines orientations actuelles sur le plan intérieur, comme dans les relations avec les pays de l'ex-URSS d'où Moscou n'a toujours pas retiré ses troupes.

M. René van der Linden a estimé que le Conseil de l'Europe pouvait jouer un rôle très utile vis-à-vis de plusieurs pays de l'ex-URSS qui attendent un soutien extérieur. Il a rappelé la part prise par le Conseil de l'Europe dans la préparation des pays candidats pour l'adhésion à l'Union européenne, les critères de Copenhague reprenant les principes des conventions du Conseil de l'Europe en matière des droits de l'homme, d'état de droit, de démocratie et de protection des minorités.

Il a précisé que le budget total des institutions du Conseil de l'Europe s'élevait à 185 millions d'euros, dont 15 millions d'euros seulement pour l'assemblée parlementaire.

Il a rappelé qu'il avait fait de la coopération avec l'Union européenne la première priorité de sa présidence, ajoutant que l'Union devait éviter les duplications dans les domaines où le Conseil de l'Europe mène une action de longue date et possède une réelle valeur ajoutée.

S'agissant des relations avec la Russie, il a rappelé que l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe avait pris des positions fermes au sujet de la Tchétchénie, mais il a constaté que ce type d'initiative n'était pas toujours soutenu par les gouvernements. Evoquant de récents contacts à Moscou, M. René van der Linden a estimé que les autorités russes souhaitaient poursuivre leur coopération avec le Conseil de l'Europe, dont elles assureront la présidence au second semestre 2006. Il a constaté, de ce point de vue, que leur approche différait sensiblement à l'égard de l'OSCE, dont le rôle porte davantage sur des actions de terrain. Il a également mis l'accent sur les relations que le Conseil de l'Europe souhaitait entretenir avec les organisations non gouvernementales et la société civile russe.

M. René van der Linden a par ailleurs souligné que M. Ioutchenko avait choisi la tribune du Conseil de l'Europe pour s'adresser à la communauté internationale deux jours après son élection.

M. Josselin de Rohan a convenu du caractère irremplaçable des forums parlementaires, comme l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il a néanmoins souligné que les confrontations d'idées qui s'y déroulent ne peuvent être mises sur le même plan que l'action diplomatique des gouvernements visant à obtenir des compromis entre partenaires aux vues et aux intérêts souvent opposés. Il s'est demandé si, dans ces conditions, on pouvait réellement parler de « diplomatie parlementaire ». Il a par ailleurs souhaité savoir la nature des relations sur le Conseil de l'Europe entretenait avec l'OSCE.

M. Michel Dreyfus-Schmidt, citant l'exemple de l'abolition de la peine de mort, a rappelé qu'en accueillant de nouveaux membres, le Conseil de l'Europe était parvenu, grâce à la procédure de suivi, à leur faire progressivement adopter un haut niveau de normes en matière de démocratie et de droits de l'homme. Il s'est par ailleurs félicité du plein respect, par l'assemblée parlementaire, des deux langues officielles que sont l'anglais et le français.

M. Jacques Blanc a pour sa part salué le rôle joué par le Conseil de l'Europe vis-à-vis des pays n'ayant pas encore intégré l'Union européenne. Il a rappelé qu'avant même la candidature de l'Espagne pour l'entrée dans la communauté européenne, le Conseil de l'Europe avait favorisé la mise en place de la communauté de travail des Pyrénées associant les collectivités situées de part et d'autre de la frontière, cette initiative ayant joué un rôle très positif pour le rapprochement des deux pays. Il a demandé des précisions sur les relations entre les organes du Conseil de l'Europe en charge des questions d'administration régionale et le Comité des régions d'Europe.

M. Hubert Haenel a rendu hommage à M. René van der Linden pour son rôle très actif dans la Convention pour l'avenir de l'Europe, au sein de laquelle il a notamment favorisé l'adoption, conformément aux voeux français, des stipulations relatives à l'exception culturelle et aux services d'intérêt général.

M. René van der Linden, tout en reconnaissant que la diplomatie parlementaire ne pouvait en aucun cas se substituer à l'action des exécutifs, a souligné qu'elle pouvait parfois permettre des avancées significatives ou jouer un rôle utile. Il a cité à cet égard l'exemple de la Constitution européenne, en rappelant que l'insistance des parlementaires nationaux siégeant à la Convention avait permis de dépasser les blocages entre gouvernements européens. Il a également évoqué le cas du conflit tchétchène, précisant qu'avaient pu être abordées au niveau parlementaire, dans le cadre d'une table ronde organisée sous l'égide du Conseil de l'Europe, des questions qui ne le sont pas avec les autorités gouvernementales.

Il s'est prononcé en faveur d'une coopération étroite entre le Conseil de l'Europe et l'OSCE. Estimant que sur le long terme une fusion entre les deux institutions pouvait être envisageable, il a néanmoins souligné l'antériorité du Conseil de l'Europe et le poids politique que lui donnaient les nombreuses conventions qui ont été établies à son initiative.

M. René van der Linden a enfin indiqué qu'il prendrait très prochainement contact avec les responsables du Comité des régions d'Europe, devenu récemment Congrès des régions d'Europe, afin d'envisager le renforcement des relations avec le Conseil de l'Europe.