Travaux de la commission des affaires étrangères



Mercredi 22 juin 2005

- Présidence de M. Serge Vinçon, président -

Enjeux de la réforme de l'ONU - Audition de M. Pascal Teixeira Da Silva, directeur-adjoint des Nations unies au ministère des affaires étrangères

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Pascal Teixeira Da Silva, directeur-adjoint des Nations unies au ministère des affaires étrangères, sur les enjeux de la réforme de l'ONU.

M. Pascal Teixeira Da Silva a rappelé les trois objectifs du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement qui se déroulera du 14 au 16 septembre prochain au siège des Nations unies à New York :

- dresser le bilan, 5 ans après son adoption, de la mise en oeuvre de la déclaration du Millénaire, tant sur les questions de paix et de sécurité que sur la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement ;

- refonder un consensus international sur l'identification des menaces à la paix et à la sécurité internationale et sur le cadre d'action des Nations unies pour y répondre, en se fondant notamment sur les propositions du Groupe de personnalités de haut niveau mis en place par le secrétaire général après la crise irakienne ;

- poursuivre le processus de réforme lancé par le secrétaire général en 1997, qui a jusqu'à présent porté sur le fonctionnement du secrétariat, des agences et des opérations de maintien de la paix et la coordination au sein du système, et dont l'enjeu actuel est de renforcer l'autorité et l'efficacité des principaux organes des Nations unies, et continuer la modernisation des méthodes de gestion.

M. Pascal Teixeira Da Silva a précisé qu'à la suite de l'élaboration des deux rapports qu'il avait demandés au Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement d'une part, et aux experts chargés du Projet du Millénaire d'autre part, le secrétaire général avait lui-même présenté son rapport à la fin du mois de mars. Sur la base des réactions formulées depuis lors par les Etats membres, le président de l'Assemblée générale, M. Jean Ping, ministre des affaires étrangères du Gabon, avait préparé un projet de déclaration destiné à être adopté lors du sommet de septembre. Ce projet allait être révisé d'ici septembre sous l'autorité de M. Jean Ping en tenant compte des vues des Etats membres.

M. Pascal Teixeira Da Silva a ensuite présenté les points principaux du projet de déclaration en soulignant particulièrement leurs aspects les plus novateurs.

Sur le chapitre du développement, le projet de déclaration rappelle l'objectif de consacrer 0,7 % du PIB des pays riches à l'aide publique au développement. Il évoque également la possibilité de recourir à des sources innovantes de financement. A cet égard, la France a proposé un prélèvement de solidarité internationale sur les billets d'avion pour financer la lutte contre le sida, et la Grande-Bretagne une facilité financière internationale qui serait dédiée à un programme de vaccinations. L'idée reprise par le projet de déclaration vise à dégager des ressources plus stables et prévisibles que les actuelles contributions volontaires des Etats, mais les Etats-Unis se sont pour leur part déclarés hostiles à toute formule obligatoire, considérant que la mise en place de nouvelles formules de financement doit être laissée à la discrétion des Etats.

S'agissant des menaces contre la paix et la sécurité internationales, le projet de déclaration propose une définition internationale du terrorisme, aujourd'hui inexistante. S'agissant de la légitimité du recours à la force, elle ne propose pas de modification de la Charte des Nations unies, qui paraît suffisamment souple pour faire face à toutes les situations. La possibilité de recourir à l'action préemptive, dès lors qu'existe une menace imminente, est bien établie et ne soulève pas de difficulté. Il en allait autrement d'éventuelles actions préventives, destinées à contrer des menaces non imminentes. Le projet de déclaration reconnaît que dans un tel cas, le recours à la force peut être nécessaire, mais qu'il doit en tout état de cause s'opérer avec l'autorisation du Conseil de sécurité. Il définit également les principes auxquels le Conseil devrait se référer, notamment la gravité de la menace, la considération du but réel de l'intervention militaire proposée, le recours préalable à d'autres moyens, la proportionnalité de l'action militaire, l'évaluation de ses chances de succès.

Dans le domaine des Droits de l'homme, le projet de déclaration consacre le principe selon lequel la protection des populations civiles relève prioritairement des Etats, tout en habilitant la communauté internationale à se substituer à ces derniers en cas de défaillance, y compris, si nécessaire, par le recours à la force, pour mettre fin à des atteintes inacceptables telles que les menaces de génocide, les crimes de guerre ou contre l'humanité, le nettoyage ethnique. Le projet de déclaration traite également de la réforme de la commission des Droits de l'homme de l'ONU, qui a effectué un important travail normatif, mais dont la crédibilité est minée par une excessive politisation et l'indulgence qu'elle témoigne souvent à l'égard de certains Etats. Alors que la commission des Droits de l'homme est actuellement rattachée au Conseil économique et social, le projet de déclaration propose de renforcer son statut pour en faire, sinon un organe principal des Nations unies, du moins un organe subsidiaire de l'Assemblée générale dont les membres seraient élus par cette dernière, à la majorité des deux tiers, et dont le fonctionnement serait amélioré.

En ce qui concerne, enfin, les institutions, le projet de déclaration aborde la question de la réforme du Conseil de sécurité, la possibilité d'une décision avant le sommet du mois de septembre étant l'option recommandée par Kofi Annan et recherchée par les promoteurs d'un élargissement dans les deux catégories de membres. Il traite également de la réforme du secrétariat et du fonctionnement interne de l'Organisation, qui constitue notamment une priorité pour les Etats-Unis.

En conclusion, M. Pascal Teixeira Da Silva a souligné l'engagement de la France pour la réussite du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, au mois de septembre, dans la mesure où il offrira une occasion unique de réforme des Nations unies. Il a précisé que, dans cette optique, les priorités françaises portaient sur les solutions innovantes de financement de l'aide publique au développement, sur le renforcement de la gouvernance internationale en matière d'environnement, par la création d'une organisation des Nations unies pour l'environnement à partir du Programme des Nations unies pour l'environnement et coiffant de nombreuses conventions sectorielles, sur le renforcement des moyens d'intervention humanitaire, en particulier par une amélioration des procédures d'alerte et de la coordination, sous l'égide des Nations unies, des forces en attente aux niveaux national, régional et global, sur le renforcement de la gouvernance internationale en matière économique et sociale. S'agissant de l'élargissement du Conseil de sécurité, la France soutient les propositions des pays du « G 4 », à savoir l'Allemagne, le Brésil, l'Inde et le Japon en faveur d'un élargissement du Conseil à 25 membres (soit 10 nouveaux, 6 permanents et 4 non permanents).

A la suite de cette présentation, M. Serge Vinçon, président, a demandé des précisions sur la position des Etats-Unis au sujet de la réforme du Conseil de sécurité.

M. Jacques Pelletier a souhaité savoir si les actuels membres permanents du Conseil de sécurité disposaient d'un droit de veto dans la procédure de modification de la Charte des Nations unies. Il s'est interrogé sur la position de la France sur l'élargissement du Conseil de sécurité, et notamment sur l'admission de nouveaux membres permanents africains. Evoquant la possibilité de voir l'Afrique disposer de deux sièges de membres permanents, il a souligné la vocation du Sénégal à faire partie de ces deux pays. S'agissant des engagements en matière d'aide publique au développement, il s'est inquiété des faibles perspectives de voir effectivement respecter l'objectif de 0,7 % du PIB. Relevant que la Grande-Bretagne se montrait particulièrement active sur cette question, il a souhaité que la France conserve un rôle de tout premier plan pour relancer l'aide au développement.

Mme Hélène Luc a fait part de son inquiétude face aux orientations de la politique américaine en matière de lutte contre le terrorisme et a souhaité que la France demeure ferme sur les principes qu'elle avait défendus lors de la crise irakienne. Elle a également considéré que les pressions américaines visant à lier l'adoption ou le rejet de certaines réformes à la contribution des Etats-Unis à l'ONU constituaient une pression inacceptable. Elle s'est également inquiétée des recherches américaines en matière de miniaturisation des armes nucléaires, au moment ou le traité de non-prolifération devrait être renforcé. S'agissant de la réforme de l'ONU, elle a souligné la nécessité d'y consacrer un débat en séance publique dans les assemblées parlementaires.

M. Robert Bret a souhaité savoir comment serait traitée la question du droit de veto des nouveaux membres permanents du Conseil de sécurité.

M. Didier Boulaud a souhaité que la France reste en pointe dans le combat pour les Droits de l'homme, estimant qu'elle était sur ce plan beaucoup plus qualifiée que beaucoup d'autres pays, y compris au sein des membres permanents du Conseil de sécurité.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a souhaité savoir si, dans le cadre des réflexions en cours, une plus grande association des peuples au système des Nations unies avait été évoquée. Elle a en particulier mentionné le rôle qui pourrait revenir, dans cette perspective, à la représentation parlementaire.

En réponse à ces différentes interventions, M. Pascal Teixeira Da Silva a apporté les précisions suivantes :

- la réforme du Conseil de sécurité exige une modification de la Charte des Nations unies ; les amendements devront être adoptés à la majorité des deux tiers par l'Assemblée générale puis ratifiés par les deux tiers des Etats-membres, y compris les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ; ceux-ci ne disposent donc d'un « droit de veto » qu'au stade ultime de la procédure ; compte tenu du coût politique d'un tel veto contre une décision ayant recueilli l'adhésion d'une large majorité des Etats membres, les membres permanents privilégient l'action en amont sur la formulation des propositions qui seront soumises à l'Assemblée générale ;

- dès l'origine, le Conseil de sécurité a été conçu comme un organe mixte associant les grandes puissances et d'autres pays représentant la communauté des Etats ; en pratique, le Conseil de sécurité ne pouvait assumer ses responsabilités en matière de sécurité collective qu'en garantissant aux grandes puissances une présence permanente et des prérogatives particulières ; par ailleurs, les membres permanents ne représentent pas une région du monde, mais siègent au Conseil de sécurité parce qu'ils constituent en eux-mêmes des puissances ayant la capacité et la volonté d'exercer des responsabilités permanentes pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales ;

- la France soutient l'élargissement du Conseil de sécurité dans ses deux composantes, les membres permanents et les membres non permanents ; elle soutient la proposition du « G 4 » visant à porter le nombre de membres du Conseil à 25 membres, contre 15 actuellement, par la création de 6 sièges permanents et 4 sièges non permanents ;

- si elle soutient l'accession des pays du « G 4 » (Allemagne, Brésil, Inde et Japon) au statut de nouveaux membres permanents, c'est à la fois en reconnaissance de leurs mérites propres et parce que ceci n'avait pas pour effet d'exclure quiconque, puisque d'autres Etats appartenant aux régions des pays du G4 n'étaient pas eux-mêmes candidats à un siège permanent. Telle est la raison pour laquelle la France ne s'est pas prononcée sur l'attribution des deux autres sièges qui devraient revenir à des pays africains, tout en soutenant le principe ; aux trois candidats déjà anciens, l'Afrique du Sud, le Nigeria et l'Egypte, s'ajoutent désormais le Sénégal, la Libye et le Kenya ; si les pays africains ne s'accordent pas eux-mêmes sur le choix de deux candidats, ce sera à l'Assemblée générale de décider ;

- à la différence des Etats-Unis et d'un certain nombre d'Etats membres, la France n'est pas opposée à l'octroi du droit de veto aux nouveaux membres permanents ; mais, étant donné les controverses apparues sur cette question, elle comprend que le G4 ait préféré que cette prérogative ne soit pas accordée à de nouveaux membres et que la question soit examinée à l'issue d'une période de 15 ans. La France a souhaité toutefois qu'il n'y ait aucune ambiguïté dans le projet du G4 à ce sujet, c'est-à-dire qu'on ne distingue pas entre le droit de veto et son exercice, et que le droit de veto des membres permanents actuels ne soit pas remis en cause. Elle a également souhaité que la révision, 15 ans après l'entrée en vigueur de l'élargissement, ne porte que sur celui-ci, et non sur l'ensemble de la Charte, en particulier le statut des membres permanents actuels ;

- les Etats-Unis ont jugé excessif un élargissement du Conseil de sécurité à 25 membres ; ils ne souhaitent la création que de 2 nouveaux sièges de membres permanents, dont un pour le Japon, seul pays dont ils soutiennent officiellement la candidature ;

- en matière d'aide publique au développement, il est clair que les objectifs seront difficiles à atteindre, même si des paliers ont été définis pour atteindre progressivement les 0,7 % du PIB en 2012 ; les Etats-Unis ne veulent pas prendre d'engagements contraignants et insistent sur la qualité de l'aide et sur la capacité des pays à bien la gérer, plus que sur son montant ; toutefois, dans la perspective du sommet, tous les pays désireux de voir leurs propositions retenues sur certains chapitres devront, en contrepartie, demeurer ouverts vis-à-vis des propositions émanant d'autres groupes de pays ; la France entend conserver en ce domaine un rôle actif et n'est en rien gênée par les initiatives d'autres pays comme la Grande-Bretagne, qui plaident en faveur des pays en développement ;

- fortement engagée depuis toujours dans la défense des Droits de l'homme, la France demeure vigilante vis-à-vis de certaines tentatives de remise en cause de l'universalité des Droits de l'homme, que ce soit au nom du relativisme culturel ou de la lutte contre le terrorisme ; elle est attachée aux normes internationales qui définissent de manière précise et juridiquement contraignante les Droits de l'homme et ne souhaite pas les voir affaiblir par des concepts plus flous comme ceux de « valeurs démocratiques », même si la France souhaite la promotion de la démocratie, en complément -et non en substitution- de la promotion des Droits de l'homme ;

- la France soutient également l'adoption d'une définition internationale du terrorisme ; elle tient particulièrement à ce que soit affirmé le caractère totalement injustifiable de toute action violente à l'encontre de civils ou de non-combattants ; elle s'oppose aux amalgames qu'entraînerait une référence à la notion de terrorisme d'Etat, alors que le droit international permet déjà de traiter, à travers la notion de crime de guerre, de crime contre l'humanité ou de génocide, couverts par des conventions internationales, de viser les atteintes aux populations commises par les Etats ; il est également important que soient définies, en matière de lutte contre le terrorisme, les conditions de recours à la force et les modalités de respect des Droits de l'homme ;

- plusieurs moyens peuvent permettre d'améliorer la prise en compte des peuples dans le système des Nations unies, par exemple en donnant un plus grand rôle à la société civile à travers l'association -qui existe déjà mais mérite d'être renforcée- des organisations non gouvernementales aux travaux des organes des Nations unies ; s'agissant des Parlements, l'Union interparlementaire dispose d'un statut d'observateur auprès de l'ONU ; la création d'une véritable composante parlementaire dans l'Organisation impliquerait que soit définie sa compétence par rapport aux instances où siègent les représentants des gouvernements.

Action de l'Etat en mer - Communication

La commission a ensuite entendu une communication de MM. André Boyer et Jean-Guy Branger sur l'action de l'Etat en mer.

M. André Boyer, rapporteur, a tout d'abord précisé que, si une dizaine de ministères étaient amenés, à des degrés divers, à intervenir en mer, l'action de l'Etat en mer (AEM) désignait l'action coordonnée de trois ministères disposant de l'essentiel des moyens navals : la défense, avec la marine nationale, les finances, avec la douane et enfin les transports, avec l'administration des affaires maritimes. A ces trois composantes s'ajoute la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), de droit privé, mais qui remplit l'essentiel des missions de secours aux personnes.

Le décret du 6 février 2004 définit les missions de l'action de l'Etat en mer comme la défense des droits souverains et des intérêts de la nation, le maintien de l'ordre public, la sauvegarde des personnes et des biens, la protection de l'environnement et la coordination de la lutte contre les activités illicites. Il s'agit donc d'apporter une réponse à une large gamme de risques et menaces à caractère accidentel ou intentionnel, en tirant parti de la présence à la mer de chacune des administrations pour ses besoins propres.

M. André Boyer, rapporteur, a indiqué que ce type de mission représentait désormais plus du quart des activités de la marine, qui les avait résolument intégrées comme composante du triptyque de ses missions, aux côtés de la dissuasion et de la projection.

Il a souligné que le développement, par la marine, du concept de « sauvegarde maritime », qui intègre les volets civils et militaires de la protection des approches maritimes, témoignait de l'atténuation de la frontière entre défense et sécurité, dont la menace terroriste est emblématique.

Il a rappelé qu'outre un engagement important en termes d'équipements, puisqu'elle est la seule administration disposant de moyens hauturiers, la marine s'était vue confier un rôle de coordination opérationnelle du dispositif d'AEM, sous l'autorité du préfet maritime.

M. André Boyer, rapporteur, a évoqué les entretiens et les déplacements conduits avec M. Jean-Guy Branger pour les besoins de la mission d'information.

Il a considéré que le dispositif opérationnel de l'action de l'Etat en mer, récemment réformé, donnait satisfaction, mais que le niveau national de coordination restait insuffisant, ce qui faisait peser plusieurs incertitudes sur le long terme.

Soulignant que l'idée de coordination devait être portée au niveau européen, il a estimé que notre pays ne devait pas chercher à « exporter » son organisation, mais à promouvoir sa philosophie.

M. André Boyer, rapporteur, a souligné que l'originalité du dispositif opérationnel d'AEM reposait sur la mobilisation importante de moyens militaires et sur une approche pragmatique de la coopération entre administrations.

Il a considéré que l'approche capacitaire et l'héritage historique avaient très largement prévalu pour la constitution originelle de ce dispositif.

Il a rappelé que l'institution du préfet maritime était ancienne, mise en place par le Premier Consul et qu'il était compétent, à l'origine, pour la protection maritime de la côte et du cabotage, la sûreté des ports et la police des pêches. En raison de son implication historique dans les activités économiques maritimes, de ses moyens hauturiers et de sa présence à la mer, la marine a toujours rempli des missions d'assistance, de sauvetage et, dans une certaine mesure, de police, ce dont la loi du 15 décembre 1994 est récemment venue lui donner les moyens juridiques. La disponibilité des personnels est aussi un élément déterminant du dispositif, de façon comparable à leur implication à terre en matière de protection civile.

M. André Boyer, rapporteur, a souligné que la qualité d'officier de marine du préfet maritime, qui est aussi le commandant de la zone maritime, lui permettait de mobiliser plus aisément les moyens militaires lourds de la marine, comme les frégates, pour les besoins de l'AEM, ce qui serait plus difficile, voire exclu, pour un civil. Tous les moyens de la marine sont en effet susceptibles de contribuer à l'AEM, même si des moyens y sont plus particulièrement dédiés.

Il a rappelé qu'après le naufrage de l'Amoco Cadiz, la marine s'était vue confier une responsabilité nouvelle en matière de lutte anti-pollution, qui s'est traduite par l'affrètement de remorqueurs d'intervention, les Abeille, et la montée en puissance des activités dites alors « de service public ».

Le rapporteur a évoqué les efforts très importants consentis pour les besoins de l'AEM avec la remise à niveau de la chaîne des sémaphores, le développement du programme Spationav de surveillance des approches, la modernisation des moyens et la réorganisation de la gendarmerie maritime pour en faire une gendarmerie de la mer, ainsi que l'affrètement de nouveaux remorqueurs de haute mer, plus performants. Il a considéré que, logiquement, le préfet maritime s'était vu confier la coordination des moyens à la mer des administrations en période de crise, puis, avec le décret du 6 février 2004, la coordination quotidienne des moyens.

M. André Boyer, rapporteur, a ensuite évoqué l'administration des douanes, également dotée d'une longue tradition de présence dans les approches maritimes et qui remplit une large gamme de missions, allant de la police des pêches à la répression du trafic de stupéfiants et à la surveillance des pollutions. Il a précisé que la douane disposait d'une trentaine de bâtiments légers ainsi que d'une flotte d'aéronefs légers, dont les avions POLMAR. Les moyens juridiques des douanes sont aussi importants, lui conférant des capacités répressives, notamment en matière de trafic de stupéfiants, mais aussi des compétences dans le domaine du renseignement. La douane a également consenti à des investissements importants pour l'entrée en service de l'avion POLMAR III.

Abordant ensuite les affaires maritimes, le rapporteur a souligné qu'elles ne disposaient que de moyens nautiques, sous la forme de patrouilleurs et de vedettes de surveillance régionale, ainsi que de moyens légers. Cette administration, chargée de la sécurité maritime et de la police des pêches, exerce la tutelle des CROSS (Centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage), cheville ouvrière de l'AEM pour les opérations de sauvetage et de secours en mer.

Il a ensuite évoqué la SNSM, association privée subventionnée par l'Etat, dont les bénévoles réalisent 60 % des interventions de sauvetage en mer, ce chiffre s'élevant à 90 % pour les interventions en dehors des heures ouvrées.

Il a considéré qu'à l'échelon déconcentré, compte tenu notamment de la culture commune de la mer que partagent les différents acteurs, le dispositif fonctionnait à la satisfaction générale et se révélait économe de moyens par rapport à la constitution, ab nihilo, d'une administration de garde-côtes.

Pour ce qui concerne l'organisation de l'AEM au niveau central, il a jugé qu'elle appelait une appréciation plus nuancée.

Le rapporteur a indiqué que le Secrétariat général de la mer était l'instance permanente de la coordination de l'action de l'Etat en mer à l'échelon central. Placé sous l'autorité du Premier ministre, il ne connaît pas uniquement des questions liées à l'action de l'Etat en mer, mais se voit confier trois missions principales :

- la préparation et le suivi de l'exécution des délibérations du comité interministériel de la mer (CIMER) ;

- une mission de contrôle, d'évaluation et de prospective en matière de politique maritime ;

- la coordination des actions de l'Etat en mer à l'échelon central et un rôle de proposition sur les mesures qui tendent à améliorer ces actions.

Pour ce qui concerne l'action de l'Etat en mer, le secrétaire général de la mer a la capacité, depuis 2004, de donner des directives aux préfets maritimes « en tant que de besoin », le secrétaire général de la mer étant chargé de l'animation et de la coordination de l'action des préfets maritimes, sous l'autorité du Premier ministre. M. André Boyer, rapporteur, a considéré qu'il s'agissait d'une instance administrative aux effectifs peu nombreux (16 personnes), dépourvue de l'autorité et des moyens nécessaires. Le Comité interministériel de la mer, instance de décision et d'arbitrage, qui regroupe les ministres compétents, se réunit de façon trop irrégulière pour assurer une coordination.

M. André Boyer, rapporteur, a estimé que cette insuffisance de la coordination nationale fait peser plusieurs incertitudes sur l'avenir du dispositif, les chantiers étant nombreux.

Il a souligné que, faute d'une intégration de l'AEM dans les missions de chacune des administrations civiles impliquées, celles-ci pourraient réduire progressivement leurs capacités de présence à la mer. Ainsi, les missions de la douane en Méditerranée, pour l'essentiel de nature fiscale, ne seront pas toujours exercées en mer, ni même maintenues si la taxe perçue sur les navires n'est pas pérennisée ; autre exemple, la répression des infractions en matière de pêche étant réputée plus efficace au débarquement, les affaires maritimes pourraient retenir exclusivement cette voie. Ces hypothèses conduiraient à la réduction de la présence à la mer de ces administrations, de façon tout à fait justifiée au regard de leurs missions.

Il a jugé nécessaire de renforcer le degré de coordination, à la suite d'une réflexion menée en commun par les trois ministères sur les objectifs, les méthodes de travail et les indicateurs d'activité et de résultats. Ce pourrait être le cas dans les domaines où les trois ministères interviennent, comme celui de la police des pêches, dans lequel la France n'affiche pas de très bons résultats. S'agissant des normes d'activité, il a souligné que chaque administration avait son propre mode de décompte pour la définition de la journée de mer, lequel n'était pas sans conséquences indemnitaires. Il a considéré que ce travail ne devait pas être sous-estimé et qu'il pourrait être conduit dans le cadre d'une formation restreinte du CIMER.

En deuxième lieu, M. André Boyer, rapporteur, a évoqué les capacités et l'allocation des moyens. Il a indiqué que le coût global de l'AEM ne représentait que la somme de ce que chaque administration consacre à cette politique, et non une enveloppe « pilotable » de crédits. Il a souligné que le secrétaire général de la mer ne disposait pas de capacités d'arbitrage ou de programmation des moyens. Le comité ministériel de la mer lui a confié la mission d'établir un schéma directeur des moyens. Il s'agit d'un exercice difficile qui devrait plutôt s'apparenter, dans un premier temps, à l'inventaire des capacités disponibles.

Evoquant les déficits capacitaires recensés, le rapporteur a abordé deux questions : le besoin d'un nouveau navire dépollueur de grande capacité dont le dossier, après instruction par la marine, a été transmis à l'Agence européenne de sécurité maritime ; l'arrivée en fin de potentiel des hélicoptères lourds Super Frelon, qui devraient être remplacés par la version soutien du NH 90, dont les caractéristiques sont moins adaptées aux besoins de l'AEM et qui ne dispose notamment pas des mêmes capacités d'emport.

Le recours aux technologies de l'information et de communication reste également à développer, notamment l'utilisation de moyens radars et satellites pour la surveillance et la transmission des informations. Le programme Radarsat a ainsi permis de réduire la pêche illicite dans les Terres australes et antarctiques françaises, mais plusieurs systèmes d'information, dont Traffic 2000, base de données sur les navires, opérationnelle dans plusieurs Etats européens, sont encore au stade de l'expérimentation en France.

Le rapporteur a enfin estimé que, si le dispositif opérationnel donnait satisfaction, la répartition des missions n'était pas entièrement satisfaisante et s'était effectuée au coup par coup en fonction des disponibilités budgétaires, tout particulièrement en matière de pollutions. Il a indiqué qu'il revenait ainsi à l'administration des douanes de surveiller, avec les avions POLMAR, les pollutions intentionnelles, à la marine de prévenir et de traiter les pollutions accidentelles avec les remorqueurs d'intervention, tandis que le ministère des transports était compétent en matière de sécurité et de trafic maritimes. Plus les besoins restent éloignés des missions traditionnelles, plus il sera difficile de les préserver des arbitrages budgétaires, alors que ces besoins pèseront, pour la marine, sur l'enveloppe de la prochaine loi de programmation militaire. Il convient de veiller à ce que cette organisation ne se complique pas davantage. Ainsi, l'intérêt manifesté par la marine pour la sûreté des bassins portuaires, qui constituent actuellement une « zone grise », paraît représenter une source de complexité supplémentaire.

Cette question de la répartition des missions n'est pas dictée par un souci d'ordonnancement administratif mais par l'évaluation de ses conséquences sur un point déterminant : la coopération internationale et européenne.

Le rapporteur a rappelé qu'en matière de pollution, notre pays était lié à ses voisins par une série d'accords concernant ses différentes façades maritimes et que les exercices avaient révélé des difficultés liées à la dissymétrie des organisations et à la pluralité des intervenants, en l'absence d'autorité unique en mer. En matière de lutte contre l'immigration clandestine, la coopération avec l'Italie souffre des mêmes maux : quatre administrations remplissent des missions de garde-côtes, sans autorité de coordination.

Il a relevé que les catastrophes de l'Erika (1999) et du Prestige (2002) avaient mis en évidence la nécessité d'une coopération accrue, l'échelon communautaire se révélant pertinent à cet égard. Il a constaté que, depuis 2002, l'Union européenne avait conduit un travail normatif important avec les « Paquets » Erika I et II, complétés prochainement par un « Paquet : sécurité maritime ». L'Union s'est dotée de trois agences sectorielles pour la gestion des frontières, pour les pêches et pour la sécurité maritime, qui ont une vocation plus opérationnelle que les services de la Commission et devraient mettre des inspecteurs à disposition pour contrôler les dispositifs nationaux d'inspection.

Il a considéré que le cadre européen était plus pertinent, pour la coordination de la protection des approches maritimes, que celui de l'OTAN, qui réfléchit également à ces questions.

Il a observé que les enjeux étaient aussi de nature économique et commerciale. Les préoccupations américaines, après le 11 septembre 2001, ont en effet conduit au renforcement de la sûreté maritime et portuaire, notamment par la mise en place du code ISPS (code international pour la sécurité des navires et des installations portuaires), dans un contexte de forte pression concurrentielle. Une démarche européenne coordonnée permet d'éviter la conclusion d'accords bilatéraux entre les Etats-Unis et les Etats membres, qui serait de nature à fausser la concurrence entre ports européens.

M. André Boyer, rapporteur, a plaidé pour une coordination des positions européennes au sein de l'Organisation maritime internationale (OMI), où l'Union, après l'élargissement, représente la première flotte mondiale. Il s'agit de porter plus efficacement des dossiers comme celui des zones particulièrement vulnérables ou des routes recommandées. Il a rappelé que la France soutenait d'ailleurs l'idée d'un mandat de négociation de la Commission à l'OMI.

Il a estimé que, si l'Union avait beaucoup progressé sur le terrain de la sécurité maritime, il convenait de veiller à ce que la notion de protection des approches irrigue l'ensemble des politiques sectorielles de l'Union, ce qui n'est pas apparu aux rapporteurs lors de leur déplacement à Bruxelles. L'Agence de sécurité maritime, très axée sur les notions de sécurité maritime, au sens des événements de mer, intègre moins les aspects de sûreté.

La difficulté de la répartition des compétences au niveau français se fait ici sentir : le ministère des transports peine à relayer des dossiers portés par le ministère de la défense en matière de pollution ; les actions en matière de défense relèvent de l'intergouvernemental et du deuxième pilier, donc du COPS (Comité politique et de sécurité), lequel est absent des travaux en matière de sûreté et d'élaboration en cours de la stratégie maritime de l'Union. En outre, certains Etats européens, dont l'Allemagne, sont réticents, voire hostiles, à ce que les marines remplissent des missions de police.

Le rapporteur a considéré que le modèle français de coordination n'était donc pas transposable en tant que tel, mais que la France pourrait porter plusieurs projets : la désignation de points de contacts dans les Etats membres compétents, non plus seulement, comme c'est le cas actuellement, en matière de protection civile, mais aussi pour les autres domaines de l'AEM, le recensement des capacités disponibles et une réflexion sur les éventuelles lacunes capacitaires, sur le modèle des groupes ECAP (European capacities action plan) en matière de défense ainsi que l'intégration de la notion de sûreté dans la future stratégie maritime de l'Union, en dépassant la seule notion de transport maritime pour prendre en compte tous les types de menaces.

En conclusion, M. André Boyer, rapporteur, a rappelé que les orientations prises par l'action de l'Etat en mer témoignaient de la nécessité d'apporter une réponse très large aux nouveaux défis en matière de sécurité et a estimé que notre outil de défense peut y contribuer.

Il a observé que l'AEM constituait une organisation originale au sein de l'Etat, marquée par le pragmatisme et la coopération, au service de la dimension maritime de notre pays, et dont le caractère opérationnel doit être souligné.

L'échelon opérationnel déconcentré doit cependant être soutenu par une véritable politique interministérielle au niveau national, seule à même de porter les projets nécessaires au sein de l'Union.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Serge Vinçon, président, a salué la conjugaison des efforts de différentes administrations pour faire face à des missions très diverses et a souligné les besoins de coordination, tant à l'échelon national qu'au niveau européen.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a évoqué la sophistication croissantede la pêche illicite et a souhaité savoir quelles étaient les conséquences de l'entrée en service du NH90. Elle a demandé des précisions sur l'organisation des préfectures maritimes.

M. André Boyer, rapporteur, a précisé que la France métropolitaine comptait une préfecture maritime par façade, une à Cherbourg, en Manche-Mer du Nord, une à Brest pour l'Atlantique et une à Toulon pour la Méditerranée. Il a insisté sur le caractère décisif de cette fonction, qui permet la mobilisation des moyens militaires au service des missions civiles. La pêche illicite s'est considérablement modernisée et nécessite de plus en plus une adaptation croissante des moyens de la contrecarrer par le recours à des moyens lourds. Cette évolution touche toutes les formes de trafics qui ont tendance à se concentrer sur les grandes voies de communication.

M. Robert Bret a évoqué la difficulté d'adapter, lorsque le besoin s'en fait sentir, des moyens de transport civils aux besoins du transport de troupes en temps de crise : les porte-containers, impropres à de telles missions, constituant désormais une proportion croissante de la flotte des grands bâtiments et alors que les compagnies nationales, comme la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM), sont en difficulté. De ce point de vue, la disparition de la SNCM nécessiterait des moyens supplémentaires pour la Marine nationale.

M. André Boyer, rapporteur, a précisé que la Méditerranée et ses spécificités avaient été prises en compte par les rapporteurs et que les dispositifs de réquisition permettaient au ministère de la défense d'affréter des moyens de transport civils privés pour les besoins du transport de troupes lors des opérations extérieures. La défense n'est donc pas confrontée à un problème de capacité pour ce type d'actions.

A l'issue de ce débat, la commission a donné acte au rapporteur de sa communication et en a autorisé sa publication sous la forme d'un rapport d'information.