Table des matières


Mercredi 24 janvier 2001

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Mission d'information à l'étranger - Japon et République populaire de Chine (6 au 13 janvier 2001) - Communication

La commission a entendu une communication de M. Xavier de Villepin, président, sur le déplacement, effectué du 6 au 13 janvier 2001, auJapon et en République populaire de Chine.

M. Xavier de Villepin, président, a tout d'abord souligné que toute réflexion sur le XXIe siècle se devait de prendre avant tout en considération l'Asie orientale, située à la conjonction géographique de la Chine, du Japon, de la Corée et de la Russie. Il a en outre rappelé la prééminence américaine dans cette région, forte de 1,5 milliard d'habitants.

Abordant la situation du Japon, M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que ce pays, avec une superficie de près de 377.000 km², soit près des deux tiers de l'hexagone, occupait actuellement, d'après le programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la neuvième place mondiale du classement en termes d'indicateur de développement humain.

S'agissant de l'évolution de la politique intérieure japonaise, M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que le principal parti politique d'après-guerre, le Parti libéral démocrate (PLD), subissait une évolution analogue à celle d'autres grands partis dominants, longtemps majoritaires et désormais relégués dans l'opposition. Il a, par ailleurs, souligné que la corruption affectait la classe politique japonaise, comme en témoignait tout récemment la démission du ministre de l'économie ou encore l'alliance du PLD avec le Komeito, émanation de la secte Soka Gakkai. S'il a estimé que l'opposition, en raison de ses dissensions, demeurait, en l'état actuel des choses, incapable de reprendre le pouvoir, il a rappelé l'existence d'un parti communiste traditionnel, qui rassemble près de 10 % des suffrages.

M. Xavier de Villepin, président, a ensuite évoqué la persistance, depuis ces dix dernières années, d'une profonde crise de confiance affectant le modèle japonais de développement. Avec 4,6 % de la population active au chômage -9,2 % selon les critères de décompte européens- l'économie japonaise a connu, depuis le début des années 90, des plans de relance successifs, provoquant un endettement de l'ordre de 130 % du PIB, loin de la limite des 60 % que respectent les différents Etats membres de l'Union économique et monétaire. Il a cependant rappelé les atouts économiques du Japon, première puissance exportatrice mondiale et puissance financière considérable, grâce à un taux d'épargne qui le place au premier rang mondial, contribuant notamment au financement de l'économie américaine.

M. Xavier de Villepin, président, a ensuite souligné que la place spécifique de la politique de défense suscitait, depuis 1945, de nombreux débats. Il a évoqué le plafonnement des dépenses militaires à 1 % du PIB, ainsi que les limitations constitutionnelles, comme autant de gages d'un Japon résolument pacifiste et pacifique. Il a estimé que le poids de l'opinion publique, hostile par principe à toute forme d'interventionnisme armé, ainsi que le soutien inconditionnel des Etats-Unis ne pouvaient que dissuader Tokyo d'entreprendre des actions militaires extérieures y compris dans le cadre d'opérations de maintien de la paix. M. Xavier de Villepin, président, a en outre relevé l'étroite collaboration de la France et du Japon dans le domaine nucléaire civil, tout en soulignant que l'utilisation militaire par ce dernier d'une telle technologie demeurait impensable, compte tenu notamment du traumatisme durable issu de la Seconde Guerre Mondiale.

M. Xavier de Villepin, président, a ensuite évoqué les échéances auxquelles le Japon sera prochainement confronté. Si les élections sénatoriales de juillet 2001 s'inscriront dans le rejet durable du PLD dans la minorité, elles traduiront aussi les différents aspects de la crise économique et sociale que traverse le Japon, notamment frappé par le vieillissement de sa population active, ainsi que par la difficile émergence d'une nouvelle classe de décideurs.

M. Xavier de Villepin, président, s'est félicité de l'exemplarité de la prise de participation dans le capital de Nissan par la société Renault, qui demeure la première société internationale partie à la conquête du tissu industriel nippon. S'il est vrai qu'il conviendra d'attendre 2002 pour se prononcer sur l'ampleur des bénéfices engendrés, M. Xavier de Villepin, président, a toutefois rappelé que l'implantation de Renault a servi de modèle non seulement pour des grands groupes français, comme l'illustre le rapprochement d'Usinor avec Nippon Steel, mais aussi pour d'autres investisseurs internationaux.

Puis M. Xavier de Villepin, président, a ensuite abordé l'évolution de la République populaire de Chine. Il a rappelé que ce pays, fort d'une population actuellement estimée à 1,2 milliard d'habitants, devait connaître un accroissement de l'ordre de 200 millions d'habitants d'ici à 2025, soulignant les difficultés de l'application de la politique de l'enfant unique, notamment dans les zones rurales. Actuellement 99e au classement indiciel du développement humain, la Chine occupe cependant la troisième position mondiale en termes de PNB, à parité de pouvoir d'achat, ce qui témoigne de la portée des réformes initiées en 1978 par Deng Xiao Ping. M. Xavier de Villepin, président, a, en outre, estimé que l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce en 2001 constituerait la preuve de son insertion dans l'économie internationale et témoignerait de sa volonté délibérée de reconnaissance auprès de l'ensemble de la communauté internationale.

M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que le XVIe congrès du parti communiste chinois à l'automne 2002 marquera le terme du second mandat présidentiel de Jiang Zemin, alors âgé de 76 ans, auquel devrait théoriquement succéder l'actuel vice-président Hu Jintao. La Chine connaît actuellement des tensions sociales inédites qui témoignent de la perte de contrôle du parti sur la société, comme l'indiquent l'émergence de la secte Falungong ou encore le développement des adeptes des nouvelles technologies, ainsi que le mécontentement engendré par la multiplication des licenciements qui touchent tous les domaines de l'économie chinoise, y compris le secteur public.

M. Xavier de Villepin, président, a ensuite exposé la politique extérieure chinoise, notamment confrontée au règlement de la question taiwanaise. Le président a rappelé l'appréciation du président Georges W. Bush, qui présentait dernièrement la Chine ni comme une alliée ou un adversaire, mais comme un " compétiteur ". S'il est vrai que l'administration républicaine devrait procéder à la livraison, courant 2001, d'armes à Taiwan, l'existence de cet Etat, peuplé de vingt-trois millions d'habitants, demeure préjudiciable à la réalisation de la " Grande Chine ", qui reste le grand dessein de la politique extérieure conduite par Pékin. La signature d'un traité entre la Chine et la Russie, a relevé le président Xavier de Villepin, assure la convergence des positions de ces deux puissances dans leur opposition à la mise en oeuvre du projet américain de National Missile Defense (NMD) ainsi que la normalisation de leurs relations, auparavant perturbées par des problèmes frontaliers et désormais renforcées par leur lutte commune contre le fondamentalisme islamiste. En ce sens, M. Xavier de Villepin, président, a relevé que l'Iran demeurait un enjeu commun à la Chine et à la Russie.

M. Xavier de Villepin, président, a estimé que l'évolution des relations sino-américaines dépendait avant tout du sort de Taiwan. Il a par ailleurs indiqué que Paris et Pékin se trouvaient en concurrence pour l'organisation des Jeux olympiques de 2008.

M. Xavier de Villepin, président, a alors souligné la trop grande faiblesse des implantations françaises en Chine, qui plafonnent, depuis de nombreuses années à près de 2 % des parts de marché, en dépit de la volonté politique, exprimée à maintes reprises, d'y accroître significativement notre présence. Comme l'indique le récent succès commercial du train à grande vitesse allemand qui assurera prochainement la liaison de Shangaï avec son aéroport international, la France demeure en retrait par rapport à ses partenaires européens non seulement en Chine continentale, mais aussi à Taiwan où, hormis certains succès comme l'implantation des Groupes Carrefour ou de la FNAC, les investissements français ne représentaient que 0,4 % des investissements extérieurs.

Rappelant enfin que l'Asie compterait en 2025 près de six milliards d'habitants, M. Xavier de Villepin, président, a souligné l'importance économique de cette zone pour notre économie à la recherche de nouveaux débouchés commerciaux.

A la suite de l'exposé du président, un débat s'est engagé avec les commissaires.

M. Robert Del Picchia a demandé des précisions quant aux conséquences du survol par un missile nord-coréen du territoire japonais sur la définition de l'outil de défense japonais. Il s'est également interrogé sur le sens de la limitation à 38 % de la prise de participation de Renault au capital de Nissan, ainsi que sur les risques éventuels induits par une trop grande croissance de Nissan, impliquant un partage des investissements dommageables, en définitive, à la croissance de la branche française du groupe. M. Robert Del Picchia s'est aussi interrogé sur la signification à donner au développement du tourisme nautique entre Taiwan et la Chine.

M. Xavier de Villepin, président, relevant l'inquiétude de l'opinion publique nippone lors du survol du missile nord-coréen survenu en juillet 1998, a rappelé que, sans pour autant remettre en cause le soutien américain, le Japon avait consacré en 2000 près de 43 milliards de dollars à son outil de défense. De tels moyens, a-t-il souligné, contrastent d'ailleurs avec la faiblesse des dépenses françaises, qui, plafonnant à 30 milliards de dollars, demeurent de près de 14 milliards inférieures aux dépenses d'équipement britanniques. Il a ajouté que la technologie américaine des missiles de théâtre, ainsi que la présence de près de 45.000 soldats américains au Japon et de 35.000 en Corée, constituaient un remarquable soutien pour Tokyo, inquiet de l'évolution de la Corée du Nord. M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que le plafonnement à 38 % de la prise de participation de Renault était lié à la spécificité du marché financier japonais et des pratiques boursières. Il a également rappelé l'efficacité des équipes françaises, confrontées à une culture différente et associant désormais de jeunes cadres japonais à la réussite de cette entreprise. M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que l'ouverture chinoise dans le cadre du tourisme nautique témoignait de la volonté de Pékin d'améliorer ses relations avec Taiwan, mais ne saurait être tenue comme la première étape d'un processus de rapprochement politique de grande ampleur.

M. Christian de La Malène, relevant la faiblesse de nos dépenses d'équipement militaire, comparées à celles de nos différents partenaires, a souligné l'importance, pour la prochaine loi de programmation militaire, de prendre en compte l'évolution de la situation en Asie et, d'une manière générale, a souligné que notre réflexion sur le sujet devait conduire à tirer les conséquences budgétaires de l'évolution des menaces.

M. Xavier de Villepin, président, a reconnu la nécessité d'inclure l'Asie dans le cadre de la réflexion stratégique devant aboutir à la prochaine loi de programmation.

M. Pierre Biarnès a estimé qu'au-delà de dispositions constitutionnelles pouvant à tout moment faire l'objet d'une révision, la principale, sinon la seule, raison de l'acceptation par le Japon de la tutelle de Washington, demeurait la Chine qui ne prétendait nullement à un quelconque messianisme, mais entendait faire coïncider ses frontières territoriales avec les limites de sa culture pluriséculaire. Il a par ailleurs rappelé le rôle croissant des cadres actuels de la République populaire, originaires de Shangaï, région très spécifique au regard du reste du territoire chinois. Le nationalisme chinois constituait, selon lui, depuis 1911, le " fil rouge " de la politique chinoise, entraînant la permanence d'un pouvoir central fort.

M. Aymeri de Montesquiou s'est interrogé sur l'éventuel recours à l'immigration par les autorités japonaises pour remédier au vieillissement de la population nipponne. Il a par ailleurs exprimé son étonnement devant le contraste entre l'importance de l'endettement public et les réserves financières du pays. Rappelant que le Japon possédait la plus grande densité de centrales nucléaires au monde, M. Aymeri de Montesquiou a également souligné la persistance de pratiques protectionnistes, relatives notamment aux secteurs primaire et tertiaire. Il s'est interrogé sur l'éventualité d'un conflit avec la Chine et s'est inquiété des situations de crises sociales qui pourraient naître de la grande disparité des revenus, entretenue notamment par la conversion d'entreprises publiques à l'économie de marché. S'agissant des candidatures de Paris et de Pékin à l'organisation des Jeux olympiques de 2008, il a rappelé que le calendrier sportif et le climat constituaient des atouts pour la candidature française. Il a enfin évoqué le souci des autorités chinoises, depuis la fin des hostilités avec le Kazakhstan, de consolider leurs frontières occidentales, même si certaines tensions persistent entre les minorités Ouïgours et Kazakhs du Xinjiang. M. Aymeri de Montesquiou s'est enfin interrogé sur l'état de nos relations commerciales avec Taiwan, et plus particulièrement sur l'état d'avancement du projet de train à grande vitesse à Taipei.

M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que l'insularité du Japon permettait de comprendre les réactions de ses habitants, peu enclins à l'accueil de populations d'origine étrangère, comme l'illustre la situation de la communauté coréenne. Il a également fait part de son étonnement devant l'absence de repentance des Japonais pour les exactions commises lors de la Seconde guerre mondiale, dont le souvenir demeure, en Chine, particulièrement vivace. M. Xavier de Villepin, président, a, par ailleurs, rapproché le taux d'endettement public japonais de 130 % au fait que le Japon détenait à ce jour les plus grandes réserves mondiales de dollars. La Chine, quant à elle, en raison de l'indigence de ses moyens militaires contrastant avec le parapluie technologique américain déployé dans cette zone, n'avait pas, pour l'heure, la capacité de conduire une action agressive, tout en reconnaissant l'impossibilité de prévoir l'évolution militaire de la Chine durant les vingt-cinq prochaines années.

En réponse à M. Hubert Durand-Chastel qui estimait que l'on pouvait dresser un bilan favorable de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, M. Xavier de Villepin, président, a tenu à relativiser l'optimisme de ce constat en reconnaissant l'extrême habileté des autorités de Pékin dans ce processus.

M. Charles-Henri de Cossé Brissac a évoqué, au regard du vote récent de la loi reconnaissant le génocide arménien, les difficultés prévisibles de Renault, qui assure, en Turquie, le montage de modèles destinés notamment au marché européen. Il a par ailleurs rappelé que le nouveau partenariat entre Renault et Nissan dépassait la prise de participation financière et concernait également le partage de technologies. Il s'est également interrogé sur les acquisitions, par les sociétés américaines, de sociétés japonaises, comme l'illustre le rapprochement entre Ford et Mitsubishi.

M. Xavier de Villepin, président, a reconnu que la réussite de l'implantation des sociétés françaises au Japon contrastait avec les échecs essuyés aux Etats-Unis et au Mexique durant les années 80 et témoignait de la mutation de nos entreprises. S'il est vrai que les entreprises américaines entendent elles aussi profiter de l'ouverture du marché japonais, les approches française et japonaise du management demeurent globalement concordantes, notamment dans les domaines de la protection sociale et de la législation du travail.

Nomination de rapporteurs

Puis la commission a procédé à la désignation de rapporteurs. Ont été nommés :

- M. Hubert Durand-Chastel, comme rapporteur sur le projet de loi n° 173 (2000-2001), autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République dominicaine ;

- M. Robert Del Picchia, comme rapporteur sur le projet de loi n° 174 (2000-2001), autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la république Argentine ;

- M. André Rouvière, comme rapporteur sur le projet de loi n° 175 (2000-2001), autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la république de Cuba.

MM. Aymeri de Montesquiou, Pierre Biarnès et Xavier de Villepin, président, sont intervenus dans un bref débat sur l'adoption définitive, par l'Assemblée nationale, de la proposition de loi portant reconnaissance du génocide arménien.

Jeudi 25 janvier 2001

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine a tout d'abord évoqué la situation au Proche-Orient. Tout en appelant de ses voeux une avancée dans les actuelles négociations israélo-palestiniennes, il a émis la crainte que celles-ci ne puissent malheureusement déboucher sur une issue positive d'ici les élections législatives du 6 février prochain en Israël. Il a rappelé que sur l'ensemble des points litigieux, notamment le statut de Jérusalem et le retour des réfugiés palestiniens, toutes les solutions semblaient avoir été explorées au cours des derniers mois, sans que les deux parties parviennent à trouver un terrain d'entente. Dans ces conditions, seul un sursaut en Israël et chez les Palestiniens serait susceptible de permettre un accord.

Le ministre des affaires étrangères a estimé qu'il faudrait donc sans doute attendre le lendemain des élections législatives du 6 février pour connaître le contexte où se poursuivront les discussions sur le processus de paix. Evoquant l'hypothèse d'une alternance gouvernementale et de l'accession de M. Sharon au poste de premier ministre, il a considéré que l'on ne pourrait en tirer des conclusions définitives quant à l'avenir de ce processus de paix. En effet, l'arrivée d'un nouveau gouvernement ne modifiera pas fondamentalement les données de la négociation. Les Palestiniens se souviennent que des restitutions de territoires sont intervenues sous le gouvernement de M. Netanyahou, alors qu'il n'en a pas été de même sous celui de M. Barak, pourtant réputé plus ouvert. Le ministre a également souligné le sacrifice que représenterait pour les dirigeants palestiniens, quels qu'ils soient, la renonciation définitive à des revendications historiques, confortées par le droit international, en échange d'un accord de paix.

Après avoir évoqué la contribution que l'Union européenne, sous présidence française, a tenté d'apporter aux négociations, M. Hubert Védrine a estimé que la nouvelle administration américaine s'impliquerait vraisemblablement de manière différente sur le dossier du Proche-Orient, comme en témoignent les vives critiques qu'elle a exprimées sur la diplomatie personnelle du président Clinton et sur le recours privilégié aux envoyés spéciaux.

Le ministre des affaires étrangères a ensuite évoqué le récent sommet franco-africain de Yaoundé. Il a souligné le fort attachement des pays africains à ce type de rencontres, qui traduisent l'importance qu'ils accordent aux relations franco-africaines. Le sommet Europe-Afrique a permis, depuis peu, de mieux sensibiliser l'ensemble de nos partenaires européens sur les problèmes de l'Afrique, mais de telles rencontres ne sauraient, en aucun cas, se substituer aux sommets France-Afrique, qui conservent toute leur pertinence. Ces derniers bénéficient d'ailleurs, en Afrique, d'un écho très favorable qui tranche avec l'image qui en est parfois donnée en France, où la situation du continent africain est trop souvent caricaturée.

Souhaitant renforcer une relation saine entre la France et l'Afrique, M. Hubert Védrine a précisé que si les structures ou les méthodes pouvaient évoluer, l'engagement de la France vis-à-vis de l'Afrique, pour sa part, ne devait nullement être remis en cause. En effet, tout désengagement serait un appauvrissement pour chacun des partenaires.

S'agissant de l'assassinat du président Kabila, M. Hubert Védrine a estimé que l'on ne pouvait, pour l'heure, en mesurer les conséquences sur l'évolution de la République démocratique du Congo. Il s'agira, en effet, de savoir si cet événement est de nature à modifier le rapport de force entre les différentes parties au conflit congolais. Il conviendra également d'observer l'attitude du nouveau président à l'égard d'un dialogue intercongolais qui ne s'est, pour le moment, jamais engagé.

A la suite de l'exposé du ministre, un débat s'est engagé avec les membres de la commission.

M. André Dulait a interrogé le ministre sur l'attitude du président syrien, Bachar al-Assad, à l'égard du processus de paix israélo-palestinien et sur l'évolution du poids politique de Yasser Arafat auprès des Palestiniens.

M. Aymeri de Montesquiou a demandé si les Israéliens étaient disposés à envisager un retrait général des colonies et de Jérusalem-Est. Il a également souhaité savoir comment ils pouvaient justifier la non-application du droit international.

M. Pierre Mauroy, soulignant qu'un accord de paix était dans l'intérêt de l'immense majorité des populations israéliennes et palestiniennes, a vivement déploré que l'occasion fournie par les négociations avec le gouvernement Barak n'ait pas été saisie comme elle aurait dû l'être. Il a remarqué qu'au moment où le processus de paix s'enlisait, Saddam Hussein s'employait de nouveau à défier les résolutions des Nations unies, ce qui constituait une nouvelle régression pour la stabilité de la région. Enfin, il a déploré que tous les pays européens ne semblent pas absolument convaincus de la nécessité, pour l'Union européenne, de peser sur le règlement des questions politiques internationales et de ne pas laisser ce rôle aux seuls Etats-Unis.

Mme Danielle Bidard-Reydet, évoquant un récent déplacement dans la région, a confirmé les appréciations pessimistes sur l'issue des actuelles négociations, tout en relevant que, paradoxalement, tous les interlocuteurs convenaient qu'il n'y avait d'autre terme alternatif possible que la paix. S'agissant du blocage sur la question des frontières, elle a demandé s'il était confirmé que les Israéliens étaient disposés à concéder les rives du Jourdain à l'Est de la Cisjordanie, tout en prétendant conserver le contrôle des zones aquifères.

M. Jean Bernard a estimé qu'un armistice en vue de la cessation de tout affrontement sur le terrain était indispensable à la poursuite, dans un climat plus favorable, des négociations.

M. Xavier de Villepin, président, s'est demandé dans quelle mesure les acquis de l'actuelle négociation pourraient être conservés après l'arrivée d'un nouveau gouvernement en Israël.

En réponse aux commissaires, M. Hubert Védrine a d'abord observé qu'il était encore difficile, pour l'heure, de prendre la mesure des évolutions de la politique syrienne depuis l'arrivée au pouvoir du Président Bachar al-Assad. Il a relevé, par ailleurs, que, dans le cadre des négociations relatives au processus de paix, les Israéliens avaient semblé prêts à restituer près de 96 % des territoires occupés, tout en demandant des garanties de sécurité. Il a ajouté que M. Ehud Barak avait accepté d'importantes avancées concernant le démantèlement des colonies -à l'exception de celles situées dans la périphérie de Jérusalem. Il a souligné, à cet égard, le lien qui existait entre le maintien des implantations israéliennes et le souci manifesté par l'Etat hébreu de conserver une partie des ressources aquifères.

Le ministre des affaires étrangères a indiqué que, même si les Européens avaient adopté, principalement à l'initiative de la France, des positions plus cohérentes et plus audacieuses sur le processus de paix, il demeurait encore, au sein de l'Union européenne, de nombreux désaccords à surmonter sur ce sujet. Il a noté également qu'il était difficile d'obtenir un arrêt des violences sur le terrain, dans la mesure où les deux parties ne maîtrisaient pas toujours l'évolution de la situation. Il n'a pas exclu enfin l'hypothèse qu'aucun accord de paix ne puisse être conclu au terme des négociations actuelles, et a redouté la perspective, dans ce cas, des initiatives échappant à tout contrôle. M. Hubert Védrine a par ailleurs indiqué, à l'intention de M. Philippe de Gaulle, que Israéliens et Palestiniens étaient désireux de parvenir à un accord et que dans ce processus de discussion directe, les Etats-Unis, comme l'Europe, ne pouvaient que chercher à encourager le dialogue sans se substituer aux protagonistes eux-mêmes.

Les commissaires ont alors interrogé le ministre sur le résultat du Sommet France-Afrique de Yaoundé.

Mme Paulette Brisepierre a d'abord estimé que cette réunion avait été un grand succès. Elle a relevé que l'assassinat du Président Kabila avait favorisé une prise de conscience parmi les dirigeants africains sur les risques liés à la pérennisation de conflits dans la région. Elle a, en particulier, salué le discours d'ouverture du Président de la République, qui avait permis de mieux mettre en valeur la place de l'Afrique. Elle a, en outre, rappelé la qualité de l'accueil réservé par le Président Biya à la délégation française et la remarquable organisation mise en place à cette occasion. Enfin, elle a jugé très réconfortant l'attachement manifesté par les Africains à la présence de la France.

M. Emmanuel Hamel a souhaité obtenir des précisions sur l'état actuel de la dette des Etats africains à l'égard de la France à la suite des récentes opérations d'annulations.

M. Pierre Mauroy a souligné que le Sommet de Yaoundé pouvait être considéré comme un succès pour notre pays. Après avoir fait part de quelques réserves sur la situation intérieure du Cameroun, il a relevé des signes encourageants dans les évolutions les plus récentes de la Côte d'Ivoire. Il s'est, par ailleurs, félicité des mesures d'annulation de dettes décidées par la France. Enfin, il s'est interrogé sur les positions de M. Joseph Kabila concernant le processus de paix dans son pays, en rappelant que les Nations unies pouvaient jouer un rôle positif dans le règlement de ce conflit.

M. Xavier de Villepin, président, a interrogé, pour sa part, le ministre sur les perspectives, pour la Côte d'Ivoire, de renouer avec les bailleurs de fonds internationaux.

En réponse aux commissaires, M. Hubert Védrine a d'abord précisé que les décisions annoncées à l'occasion du Sommet de Yaoundé avaient porté sur l'annulation d'une partie de la dette commerciale des pays pauvres très endettés (PPTE). Il a rappelé que la dette de ces pays s'élevait encore à 330 milliards de dollars, soit 60 % de leur PIB. M. Guy Penne a relevé, à cet égard, que parmi les pays créanciers, la France avait consenti à l'effort d'annulation le plus considérable.

Le ministre des affaires étrangères a ajouté qu'à la suite du Sommet de Yaoundé, le contexte paraissait désormais plus favorable à la reprise des relations entre ces pays et les institutions de Bretton Woods. Il a rappelé enfin, s'agissant de la République Démocratique du Congo, que les accords de paix de Lusaka avaient notamment prévu le retrait des forces étrangères de ce pays et la mise en place d'une force des Nations unies.

La commission a alors interrogé M. Hubert Védrine sur la situation de l'Union européenne après le Conseil européen de Nice.

M. Christian de La Malène, après avoir rappelé que les élargissements devaient, en principe, être subordonnés à une réforme profonde des institutions, a regretté la faiblesse des résultats obtenus lors du dernier Conseil européen. Il a demandé, par ailleurs, au ministre des précisions sur l'évolution des positions allemandes relatives à la construction européenne.

M. Hubert Durand-Chastel a observé que les progrès de la construction européenne avaient, pour une large part, reposé sur le couple franco-allemand et s'est interrogé sur l'évolution des relations entre les deux pays.

M. Philippe de Gaulle s'est demandé dans quelle mesure les résultats du Conseil de Nice avaient permis de satisfaire les intérêts de notre pays.

Le ministre des affaires étrangères a observé que les résultats du Conseil européen de Nice devaient être jugés au regard des différentes positions des Etats-membres exprimées lors de la Conférence intergouvernementale. Il a rappelé, à cet égard, que la réforme institutionnelle avait été, au départ, demandée par trois pays seulement : la France, la Belgique et l'Italie. Il a noté que, dans ce contexte, un échec ne pouvait être exclu et que, finalement, les résultats obtenus par le Conseil de Nice, dans le domaine institutionnel, étaient loin d'être négligeables.

M. Hubert Védrine a estimé que, parallèlement au processus de ratification du traité de Nice, les Quinze devaient poursuivre les autres grands chantiers en cours de la construction européenne : la mise en place de l'euro et l'harmonisation des politiques économiques, la coopération en matière de défense, les négociations d'élargissement, enfin, les futures évolutions institutionnelles. Sur ce dernier point, il a relevé que l'Allemagne avait demandé, lors du Conseil européen de Nice, et que les Quinze avaient accepté, que la question de la répartition des compétences respectives des institutions européennes et des Etats fasse l'objet d'une nouvelle Conférence intergouvernementale en 2004, précédée d'un large débat démocratique. Il a relevé que certaines pressions se manifestaient aujourd'hui pour anticiper sur cette échéance.

Le ministre des affaires étrangères a jugé, pour sa part, indispensable le maintien d'une relation privilégiée entre la France et l'Allemagne, au service d'une vision ambitieuse pour l'Europe et fondée sur la reconnaissance mutuelle des intérêts respectifs des deux partenaires. Il a précisé, par ailleurs, à l'intention de M. Aymeri de Montesquiou, que le refus des Britanniques d'appliquer le mécanisme des coopérations renforcées à la défense, s'expliquait, pour une large part, par leur réticence vis-à-vis d'une intervention de la Commission et du Parlement européens dans ce domaine. Cette position, a-t-il ajouté, ne constituait pas un revers pour l'Europe, dans la mesure où des progrès peuvent être obtenus dans ce domaine indépendamment des traités. Il a partagé, en revanche, la préoccupation exprimée par MM. Xavier de Villepin, président, et Aymeri de Montesquiou, quant au récent accord industriel entre Londres et Washington, sur l'avion de combat futur JSF (Joint Strike Fighter). Par ailleurs, M. Hubert Védrine a indiqué à M. Robert Del Picchia que le processus de ratification du traité de Nice serait engagé une fois celui-ci signé.

Audition de M. Alain Richard, ministre de la défense

Au cours d'une deuxième séance, tenue dans l'après-midi, la commission a entendu M. Alain Richard, ministre de la défense.

M. Alain Richard a tout d'abord rappelé les interrogations de plusieurs de nos partenaires européens quant aux liens entre les leucémies dont sont atteints plusieurs soldats qui ont servi dans les Balkans et l'utilisation, par l'OTAN, de munitions contenant de l'uranium appauvri. Il a apporté à la commission les précisions concernant l'état des connaissances scientifiques aujourd'hui disponibles sur ce sujet, ainsi que des mesures de contrôle et de suivi mises en oeuvre dans ce domaine depuis plusieurs années.

M. Alain Richard a rappelé les propriétés générales de l'uranium appauvri, globalement identiques à celles de l'uranium naturel, largement répandu dans la nature, ainsi que dans l'eau de boisson et l'alimentation. Il a souligné que, selon les experts, les conditions habituelles et normales de manipulation et d'utilisation de l'uranium appauvri n'étaient pas dangereuses, et que dans le cas d'une contamination interne, l'uranium appauvri demeure moins radioactif que l'uranium naturel. En outre, il a rappelé les diverses utilisations de l'uranium appauvri à la fois dans le domaine militaire, sous la forme d'uranium métal pour la fabrication d'armes antichars et dans le domaine civil, notamment dans la fabrication des quilles de voiliers, des ailes de certains avions ou encore de ballasts dans les satellites. Il a enfin rappelé la provenance de notre stock national d'uranium appauvri, géré par la Cogema, dont une part, d'origine américaine, est utilisée par Giat-Industries pour la fabrication de flèches pour les obus français.

M. Alain Richard a ensuite exposé les différentes mesures de protection prises dans les établissements de la DGA procédant aux tirs de projectiles contenant de l'uranium appauvri, limités à deux centres d'essais, l'établissement technique de Bourges (ETBS) et le centre d'études de Gramat (CEG). M. Alain Richard a rappelé les mesures de protection très contraignantes prises pour la protection des personnels et de l'environnement, sous l'aval du service de protection radiologique du service de santé des armées (SPRA). Les personnels permanents et occasionnels, ayant accès aux zones contrôlées, doivent revêtir leur équipement de protection, comprenant notamment un dosimètre faisant l'objet d'un contrôle mensuel par le service de protection radiologique. Lors des tirs, ils demeurent dans des abris distants d'au moins trois cents mètres de la zone concernée. Ils doivent en outre se soumettre, tous les six mois, à des analyses sanguines.

M. Alain Richard, ministre de la défense, rappelant que le service de protection radiologique des armées procédait à des mesures de la radiation dans les locaux de stockage de munitions contenant de l'uranium appauvri, a rappelé que le risque d'une contamination à la radioactivité, pour les personnels y effectuant des rondes et soumis à une exposition, qui reste largement inférieure à la limite annuelle tolérée pour le public, s'avérait très minime. Il a souligné que les munitions flèches antichars, contenant de l'uranium appauvri, n'étaient pas tirées lors des entraînements et étaient réservées à des tirs expérimentaux réalisés dans les établissements spécialisés de la DGA. En outre, M. Alain Richard a indiqué que la durée de présence des personnels dans les chars où sont stockées de telles armes ne présente pas de danger.

Le ministre de la défense, rappelant l'étroite surveillance qu'exerçait le service de protection radiologique sur la pollution de l'eau, a précisé que les conditions du transport de ces munitions étaient conformes à la réglementation relative aux marchandises dangereuses. S'agissant du stockage dans le site de Brienne-le-Château, déclaré installation classée pour la protection de l'environnement (ICTE), M. Alain Richard a souligné qu'un dispositif réglementaire spécifique aux zones militaires sensibles permettait également d'en assurer le confinement, la surveillance et la protection physique. Il a rappelé que les différentes mesures de sécurité sanitaire et environnementales témoignaient du souci constant des pouvoirs publics de prévenir tout risque.

M. Alain Richard, ministre de la défense, a ensuite détaillé les différentes mesures prises pour connaître l'origine des symptômes dont souffrent plusieurs de nos militaires, atteints d'hémopathie maligne et ayant participé aux opérations dans les Balkans. Relevant que des travaux épidémiologiques étaient également conduits dans plusieurs autres Etats, il a évoqué l'étroite collaboration entre le secrétariat d'Etat à la santé et le ministère de la défense, pour conduire des investigations sur les causes potentielles de telles pathologies. S'engageant à communiquer aux commissions de la défense de l'Assemblée nationale et du Sénat les résultats de ces analyses, qui feront l'objet d'un examen par le groupe d'experts indépendants présidé par le Professeur Salomon, M. Alain Richard a évoqué les différentes mesures prises à l'issue du conseil atlantique des 9 et 10 janvier derniers. Il a en ce sens rappelé la demande d'un rapport détaillé sur l'usage des munitions en uranium appauvri en Bosnie formulée aux autorités militaires et destiné au Programme des Nations unies pour l'Environnement (PNUE), ainsi que la création d'un comité ad hoc, réunissant les alliés, le SHAPE (quartier général des forces alliées en Europe), le comité médical, les pays contributeurs de troupes à la SFOR et la KFOR. Il a, en outre, évoqué la création, par la Commission européenne, d'un groupe d'experts chargé d'évaluer les conséquences sanitaires de l'usage de ces munitions. Il a, enfin, souligné que les premiers résultats de l'évaluation conduite dans les Balkans depuis 1999 par la Task Force Balkan (BTF) constituée par le PNUE, devraient être rendus publics en mars prochain.

Rappelant le soutien de la France aux initiatives prises par les Nations unies et l'Union européenne, pour mesurer les éventuelles conséquences de l'usage de munitions à uranium appauvri au Kosovo, M. Alain Richard a souligné l'intérêt d'une collaboration étroite avec l'OTAN dans ce domaine. Il a cependant relevé qu'à ce jour aucun lien entre l'utilisation de ces munitions et les maladies cancéreuses constatées chez certains militaires n'était établi. Par ailleurs, la connaissance des conséquences induites par l'inhalation et l'ingestion de microparticules générées lors de l'impact d'obus antichars sur leur cible, a conduit les autorités françaises, respectueuses du principe de précaution, à éloigner les personnels des sites où avaient eu lieu des frappes contre les chars lors de la campagne du Kosovo.

M. Alain Richard, rappelant que la détection de traces d'uranium appauvri dans l'organisme humain relevait d'une technique désormais parfaitement maîtrisée et pouvait être effectuée dix ans après une éventuelle contamination, a souligné l'absence de cette substance dans les résultats des examens pratiqués sur près de cinquante militaires, dont six souffrent d'hémopathie maligne. Il a, enfin, estimé que les travaux aujourd'hui conduits par les organismes d'experts, les parlementaires et le gouvernement, apporteront une meilleure connaissance dans ce domaine.

A la suite de l'exposé du ministre, un débat s'est engagé avec les membres de la commission.

M. Michel Pelchat, évoquant les risques sanitaires liés à l'utilisation de l'uranium appauvri, a déploré l'effet produit sur le grand public par la diffusion d'informations partielles ou de données imprécises qui, loin d'améliorer la compréhension des phénomènes scientifiques, sont susceptibles d'engendrer la confusion et d'être utilisées à des fins autres que scientifiques.

M. Christian de La Malène a interrogé le ministre sur les suites données aux déclarations de certains responsables politiques allemands demandant un moratoire sur l'utilisation des munitions à uranium appauvri.

M. Alain Richard a tout d'abord indiqué que seuls, le Royaume-Uni, la France, le Portugal et la Grèce disposaient en Europe de munitions à uranium appauvri, ce qui pouvait expliquer les positions exprimées dans d'autres pays en faveur d'un moratoire. Il a ajouté que si le Parlement européen et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'étaient prononcés en ce sens, aucun gouvernement européen n'avait en revanche pris officiellement position en faveur d'un moratoire, en dépit de certaines déclarations effectuées sous l'effet de l'émotion provoquée dans l'opinion publique par le " syndrome des Balkans ". S'agissant des différents pays européens ayant déployé des troupes au sol, aucun d'entre eux n'a, à ce jour, constaté que le taux de maladies malignes chez les soldats ayant séjourné dans les Balkans était supérieur à celui relevé dans la population civile adulte. La situation en Italie, où l'on a évoqué initialement près de 30 cas, soit un taux très supérieur à celui relevé dans la population adulte, fait actuellement l'objet d'un examen approfondi dont les résultats ne sont pas encore connus.

En réponse à une question de M. Xavier de Villepin, président, sur l'utilisation militaire des munitions à uranium appauvri, M. Alain Richard a précisé que les seules munitions de ce type tirées dans les Balkans l'avaient été par des avions américains, les Européens ne disposant que de munitions utilisables depuis le sol.

Abordant ensuite la situation du porte-avions Charles-de-Gaulle, M. Xavier de Villepin, président, a interrogé le ministre sur les conséquences opérationnelles du remplacement de ses hélices.

M. Christian de La Malène a souhaité obtenir confirmation que les capacités de l'industrie française et de l'administration de l'armement n'étaient pas en cause dans l'incident survenu sur l'hélice du porte-avions et que ce problème pourrait être rapidement surmonté.

M. Alain Richard, ministre de la défense, a indiqué que l'enquête technique effectuée par le ministère de la défense avait démontré que la fragilité anormale de l'hélice du porte-avions n'était pas imputable à sa conception, mais à un défaut de réalisation du fait de l'industriel ayant procédé à la fonte de la pièce. Cette enquête a, en revanche, mis en évidence les faiblesses liées à l'organisation de la DCN au sein de laquelle, au moment où l'hélice a été réceptionnée, la chaîne de contrôle qualité ne bénéficiait pas de l'indépendance habituelle dans d'autres entreprises. Le ministre a ajouté qu'en évoluant désormais vers un fonctionnement d'entreprise, DCN disposait aujourd'hui d'une chaîne de qualité indépendante. Aussi peut-on considérer que si elle avait été réalisée postérieurement à 1999, date de cette réorganisation, l'hélice défectueuse n'aurait certainement jamais été réceptionnée.

Le ministre a rappelé que la conception audacieuse de cette hélice résultait de la nécessité de répondre aux exigences de performance d'un porte-avions déplaçant 40.500 tonnes, au lieu des 36.500 prévues à l'origine. Il a souligné les inconvénients qu'il y avait eu à recourir à une entreprise sous-traitante, dont la taille et la situation financière ne lui permettaient pas de discuter d'égal à égal avec le maître d'oeuvre. Il a estimé qu'il serait injuste de mettre en cause la fiabilité du travail de DCN, alors que les bâtiments qu'elle livre depuis plusieurs décennies à la marine nationale enregistrent des taux de défaillance et d'avarie parmi les plus bas au monde.

S'agissant du porte-avions Charles-de-Gaulle, M. Alain Richard a indiqué que les vérifications effectuées jusqu'à présent ont confirmé que la rupture de l'hélice n'avait pas provoqué de dommages sur la ligne d'arbre. Il était donc désormais possible de monter sur le porte-avions les deux hélices de rechange du Foch. Cette solution de remplacement, qui perdurera environ un an, permettra au Charles-de-Gaulle de reprendre, comme prévu, le service actif au mois de mars, avec une vitesse maximale réduite de 28 à 25 noeuds. Parallèlement, le ministère de la défense va lancer un appel d'offres pour la réalisation de quatre nouvelles hélices, étant entendu que deux hélices ont déjà été commandées fin 2000.

A la suite d'une question de M. André Dulait, le ministre a précisé que, s'agissant d'équipement de défense, le ministère n'était pas tenu de procéder à un appel d'offres européen. Pour autant, il est envisagé de procéder, autant que possible, à la mise en concurrence de plusieurs fournisseurs. Il faut toutefois rappeler que lors du précédent contrat, les industriels britanniques et américains ne s'étaient pas manifestés pour un marché somme toute modique, de l'ordre de 40 à 50 millions de francs, auquel seules les Fonderies de l'Atlantique avaient répondu positivement.

Evoquant ensuite certains commentaires relatifs à la motorisation du Rafale, M. Michel Pelchat a interrogé le ministre sur les perspectives d'exportation de cet appareil.

M. André Dulait s'est interrogé sur les conséquences, en matière de recrutement dans la gendarmerie, de la recrudescence d'actes de violence dont étaient victimes les représentants des forces de l'ordre.

M. Xavier de Villepin, président, a interrogé le ministre sur les conditions d'exécution du budget de la défense en 2000 et sur le calendrier d'examen de la future loi de programmation militaire.

M. Alain Richard a précisé qu'à titre de précaution, le moteur du Rafale marine faisait l'objet d'une visite toutes les 150 heures de vol. Ces contraintes, liées au caractère novateur et hautement technologique du moteur M88, sont bien entendu provisoires, l'objectif étant de revenir, pour les révisions complètes, à la fréquence habituelle de 500 heures de vol, qui devrait être de règle lorsque sera constituée la première flottille complète d'appareils embarqués. Par ailleurs, le gouvernement soutient très fermement les perspectives d'exportation du Rafale auprès des pays intéressés. Pour cela, l'Etat est disposé à participer, à hauteur d'environ 3 milliards de francs supplémentaires, sur les cinq prochaines années, au financement intégral des différents standards du Rafale. Les industriels, de leur côté, doivent financer des développements ne correspondant qu'aux besoins spécifiques d'un éventuel client, et non à ceux de nos armées. Le ministre s'est déclaré convaincu que l'avance technologique du Rafale, tout comme son entrée en service dans l'armée française, constitueraient d'importants atouts pour son exportation.

M. Alain Richard, ministre de la défense, après avoir déploré les récentes agressions mortelles dont avaient été victimes les forces de l'ordre, notamment dans la gendarmerie, a reconnu que de tels événements pouvaient avoir une influence ponctuelle sur le recrutement. La gendarmerie conserve cependant une image forte et positive qui lui permet d'enregistrer de bons résultats dans le recrutement de sous-officiers ou de gendarmes adjoints.

S'agissant de la future loi de programmation militaire, le ministre a indiqué que les travaux en cours au sein de l'exécutif permettaient d'envisager une adoption du projet de loi par le Conseil des ministres dans le courant du printemps prochain.

M. Alain Richard a enfin donné des précisions sur l'exécution du budget de la défense en 2000. Il a souligné que l'effort d'amélioration de la consommation des crédits s'était traduit par un relèvement du niveau des paiements qui atteindra, en 2000, 79 milliards de francs. D'autre part, le niveau d'engagement des autorisations de programmes s'est élevé à 105,2 milliards de francs, montant ne comprenant pas les 20 milliards de francs d'autorisations de programmes inscrites, mais non engagées au titre du programme d'avion de transport A400M. Observant qu'au cours des trois dernières années, le niveau moyen d'engagement annuel s'élevait à environ 95 milliards de francs, le ministre a indiqué qu'il en résulterait nécessairement pour les prochaines années un relèvement des besoins de paiement qui devra être pris en compte par la prochaine loi de programmation militaire.

A la suite d'une question de M. Xavier de Villepin, président, qui l'interrogeait sur la reconduction, au cours des prochaines années, des contributions du ministère de la défense au budget civil de recherche et de développement (BCRD), le ministre a estimé que les travaux des grands organismes civils de recherche n'étaient pas sans retombées pour la défense, mais que ces dernières n'atteignaient certainement pas les niveaux de contribution au BCRD demandés ces dernières années au ministère de la défense. Il s'est également demandé si la prochaine loi de programmation militaire ne devrait pas être l'occasion de transférer à un budget autre que celui de la défense la charge financière des compensations accordées à la Polynésie française, à la suite de l'arrêt des essais nucléaires.