Table des matières


Mercredi 7 février 2001

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Audition de M. Jean-Marie Bouissou, chargé de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques, sur le Japon

La commission a tout d'abord entendu M. Jean-Marie Bouissou, chargé de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques, sur le Japon.

Pour M. Jean-Marie Bouissou, la position du Japon sur la scène internationale donne lieu à deux appréciations bien différentes. La première, classique, présente le Japon tout à la fois comme un géant économique et comme un " nain " dans le domaine de la politique extérieure, fondée sur le non-interventionnisme et sur la protection militaire américaine. La seconde souligne, à l'inverse, les ambitions extérieures de cette puissance économique, qui entend renouer avec sa suprématie régionale, perdue depuis 1945. Une troisième analyse s'ajoute à ces deux interprétations, selon laquelle le Japon incarnerait désormais une nouvelle forme d'action extérieure, basée sur une puissance civile axée sur un ambitieux programme d'aide publique au développement et sur son influence culturelle. La réalité se trouve sans doute, pour M. Jean-Marie Bouissou, au carrefour de ces trois interprétations.

M. Jean-Marie Bouissou a alors souligné que la politique étrangère du Japon reposait fondamentalement sur l'alliance avec les Etats-Unis. Les deux Etats, liés par un traité de sécurité, représentaient à eux seuls près du tiers du PIB mondial et entretenaient des relations économiques privilégiées, le Japon réalisant 25 % de ses échanges commerciaux avec les Etats-Unis. Il s'y ajoute, de la part des Japonais, une " dépendance psychologique " à l'égard des Etats-Unis, nourrie de deux sentiments contradictoires : une certaine rancoeur à l'égard de leur vainqueur de 1945 et une réelle reconnaissance pour les avoir aidés à bâtir le Japon moderne. L'objectif du Japon est de préserver cette relation particulière pour que les Etats-Unis ne se retirent pas de l'Asie, mais continuent à y exercer leur rôle de gendarme en disposant de bases militaires sur l'archipel.

Les relations entre le Japon et les Etats-Unis ont connu une transformation radicale à partir de 1989. Considéré comme la principale base militaire américaine durant toute la guerre froide, le Japon avait retiré, en contrepartie de cette alliance militaire, un avantage essentiellement économique en bénéficiant, de la part des Etats-Unis, d'une relative bienveillance à l'égard de ses pratiques commerciales fortement protectionnistes et souvent contraires aux principes de concurrence.

A partir de 1989, cette position privilégiée du Japon à l'égard des Etats-Unis s'est quelque peu dégradée. Le nouveau contexte stratégique a conduit les Américains à revenir sur les concessions économiques de la période antérieure, notamment lors des négociations sur les obstacles structurels au commerce conduites par le Président Georges Bush. Les Etats-Unis ont, par ailleurs, recentré leur politique étrangère dans la région sur des relations privilégiées avec Pékin, qui n'ont pu que susciter une certaine inquiétude à Tokyo.

La relation entre les Etats-Unis et le Japon s'est donc fragilisée. En témoigne la réaction d'une certaine hiérarchie militaire japonaise, préoccupée notamment par la trop grande dépendance technologique de ses forces armées à l'égard de Washington. Si un bouleversement du partenariat militaire nippo-américain semble, pour le moment, à exclure, le choix de l'Europe comme destination du premier voyage officiel de l'actuel ministre de la défense, M. Saito, traduit cet état d'esprit. On assiste également à l'ébauche d'un sentiment néo-nationaliste au Japon qui, bien que minoritaire, trouve un écho favorable auprès des jeunes. La relation nippo-américaine fait donc aujourd'hui problème et nécessite, de la part de Tokyo, la définition d'une nouvelle politique extérieure. Or cet exercice se heurte à plusieurs contraintes. La première réside dans l'instabilité gouvernementale qui pèse lourdement sur la définition d'une stratégie diplomatique. Une certaine versatilité de l'opinion publique constitue, selon M. Jean-Marie Bouissou, une deuxième contrainte : ouvertement pacifiste, celle-ci s'irrite néanmoins de l'absence de réelle considération du Japon sur la scène internationale. Cette attitude est largement liée à l'histoire du Japon, nation introvertie, qui ne s'est jamais considérée comme le détenteur d'un message qu'il pourrait délivrer au monde. Les désirs des Japonais de jouer un rôle dans le monde est réel, sans qu'il soit possible de le définir précisément. Il en est de même au sein des élites japonaises, partagées entre trois tendances : la néo-nationaliste, minoritaire ; la neutraliste-pacifiste, traditionnelle ; la tendance " réaliste " enfin, qui prône la bonne entente avec les Etats-Unis liée à une émancipation progressive de l'archipel. La troisième contrainte relève de la Constitution, dont l'article 9 interdit au Japon d'avoir des forces armées et qui a conduit à la création d'un outil militaire strictement défensif. Même si le Japon n'en bénéficie pas moins du second budget militaire mondial après les Etats-Unis, qui lui permet de disposer d'une armée performante, celle-ci n'est équipée d'aucun armement " offensif ", tel que les porte-avions ou les ravitailleurs en vol et, a fortiori, d'armement nucléaire.

M. Jean-Marie Bouissou a alors analysé les relations du Japon avec les principales puissances mondiales. A l'égard des Etats-Unis, le Japon est passé du statut de protégé à celui de partenaire, désormais à même, depuis la renégociation du traité de sécurité en 1996, d'accorder son soutien aux forces américaines s'il leur venait à être confrontées, à " proximité de l'archipel ", à une " situation de crise ". De telles clauses, dont la définition reste relativement imprécise, témoignent de l'évolution du positionnement traditionnellement strictement défensif du Japon.

A l'égard de la Chine, le Japon porte une appréciation positive sur l'évolution du pays et sur sa transition vers une économie plus ouverte, à même de contribuer à sa stabilité. La position japonaise est cependant ambiguë, partagée entre le souhait d'un voisin stable et fort et la perspective d'une rivalité nippo-chinoise pour le leadership en Asie.

Concernant les relations du Japon avec la Russie, M. Jean-Marie Bouissou a évoqué le jugement sévère porté par le Japon sur l'incapacité des responsables russes à gérer correctement leur pays. Il a relevé, par ailleurs, une certaine maladresse diplomatique des autorités japonaises sur le dossier de la restitution des îles Kouriles, thème qui, au demeurant, ne suscite guère l'intérêt de l'opinion publique japonaise.

Au sujet de la réunification des deux Corées, M. Jean-Marie Bouissou a relevé que sans formuler d'objection de principe à une éventuelle réunification, le Japon n'est guère empressé de la voir aboutir. Au demeurant, aucune relation diplomatique n'existe entre la Corée du Nord et Tokyo.

A l'issue de cet exposé, un débat s'est instauré entre les commissaires.

M. André Rouvière s'est interrogé sur l'évolution de la société japonaise, marquée par l'émergence de l'individualisme au détriment des valeurs collectives, et de celle de son opinion publique vis-à-vis d'une certaine rigidité institutionnelle. Il a souligné que le développement de l'économie japonaise s'était largement construit au détriment des individus et s'est inquiété d'une éventuelle paralysie du système.

Mme Danielle Bidard-Reydet s'est interrogée sur l'état des investissements français dans l'archipel.

M. André Boyer a interrogé M. Jean-Marie Bouissou sur l'éventualité de l'obtention, par le Japon, d'un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU.

M. Hubert Durand-Chastel s'est demandé si, en ouvrant le Japon au monde, la crise n'avait pas provoqué un changement de mentalité, rompant avec la tradition protectionniste du pays.

M. Charles-Henri de Cossé-Brissac a rappelé que les entreprises japonaises implantées en France employaient de nombreux Français dans leurs états-majors et a souligné l'importance de la récente implantation de Toyota en Europe, comparable à celle de Renault au Japon.

M. Emmanuel Hamel s'est demandé si la récente visite en Afrique du Premier ministre japonais, M. Yoshio Mori, correspondait à une volonté du Japon de promouvoir son influence sur le continent. Il a également demandé des précisions sur la position japonaise face au projet américain de défense antimissile (NMD).

M. Xavier de Villepin, président, rappelant que le statut de membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU constituait un objectif récurrent de la politique étrangère japonaise, s'est étonné de l'absence de démarche de " repentance " du Japon qui, à l'inverse de l'Allemagne, ne semblait pas avoir reconnu la réalité des atrocités perpétrées, pendant la seconde guerre mondiale, par ses troupes d'occupation, dans plusieurs pays de la zone. Il a également demandé des précisions sur les causes de la longue crise économique qui affecte le Japon depuis une décennie.

En réponse aux questions des sénateurs, M. Jean-Marie Bouissou a apporté les précisions suivantes :

- la revendication du siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU repose avant tout sur des considérations de prestige et de statut. Un tel objectif, dans l'hypothèse, encore éloignée, d'une réforme substantielle et complexe du Conseil de sécurité, n'est pas sans susciter certaines réserves dans l'opinion publique qui s'interroge sur les avantages réels que le pays pourrait en retirer en termes d'influence ;

- sans être liée à un projet diplomatique précis, 1a visite officielle en Afrique du Premier ministre japonais, M. Mori, correspond néanmoins à un intérêt croissant du Japon à l'égard du continent. Cet intérêt repose moins sur l'attente de bénéfices économiques, dans un pays dont l'évolution politique apparaît, par ailleurs, fort complexe, que sur l'image humanitaire que le Japon entend développer et qui, pour les autorités nippones, est associée au statut de grande puissance. C'est dans ce cadre que Tokyo serait désireux de coopérer avec la France, créditée dans ce domaine d'une expérience et d'une capacité spécifiques ;

- les Japonais font actuellement preuve de prudence dans la mise en oeuvre du projet de bouclier antimissiles américain pour lequel, cependant, des crédits d'études de faisabilité ont été votés et qui a entraîné des accords de coopération technologiques avec les Etats-Unis. Le pays entend également prendre en compte les positions négatives de la Chine, mais aussi de la Corée et de Taïwan sur le sujet, ce qui laisse à Tokyo une marge de manoeuvre très réduite ;

- les dix années de crise qui ont affecté le Japon se traduisent par la stagnation de la production industrielle, un indice boursier qui est revenu à son niveau de 1985, un taux de chômage réel proche de 9 % et un " trou " bancaire avoisinant 5.200 milliards de francs. La situation de certaines entreprises nippones entraîne des opportunités d'investissements pour les opérateurs étrangers, notamment français. A cet égard, l'exemple de l'entrée de Renault dans le capital de Nissan, ou les implantations d'Axa et de Carrefour, ont contribué à valoriser la crédibilité industrielle française ;

- la crise a révélé une société " verrouillée ", dont la jeunesse ne veut plus. L'individualisme et un certain hédonisme se font jour, en même temps que le traditionnel dévouement, une vie durant, à l'entreprise, tend à s'émousser. Ce contexte peut s'avérer favorable à la créativité industrielle, à l'instar de ce qui s'était produit au lendemain de la guerre. L'arrivée d'une nouvelle génération d'entrepreneurs, l'existence d'un réel savoir-faire dans les domaines de la haute technologie et les caractéristiques de la société japonaise constituent des atouts pour une future sortie de la crise actuelle. La mentalité évolue également : les résultats du " sondage sur le caractère national ", effectué régulièrement depuis 1952 auprès des Japonais, démontrent que le sentiment de supériorité à l'égard des occidentaux, qui était celui des anciennes générations, tend à s'estomper aujourd'hui.

- le regard du Japon sur les agissements perpétrés par ses troupes pendant la seconde guerre mondiale, et qui constituent aujourd'hui encore un problème dans les relations du Japon avec le reste de l'Asie, a connu une lente, mais réelle, évolution. Les exactions des militaires japonais n'ont fait l'objet d'aucune action explicite de " repentance " jusqu'en 1993, en raison notamment de l'influence de l'important lobby électoral des anciens combattants, mais aussi du retour aux responsabilités, à partir de 1952, de certaines élites politiques qui avaient participé au gouvernement pendant la guerre. Tout en déplorant les agissements de ses forces et reconnaissant les souffrances qu'elles avaient pu engendrer, les autorités japonaises se sont longtemps refusé à qualifier leur participation au second conflit mondial comme une " guerre d'agression " et à présenter des excuses officielles. En 1998, cependant, le Japon a présenté des excuses écrites à la Corée, mais n'a pas étendu cette démarche à la Chine, en dépit des demandes réitérées de Pékin en ce sens.

M. Jean-Guy Branger s'est interrogé sur les raisons et l'ampleur des pertes du système bancaire japonais.

M. André Rouvière s'est, quant à lui, interrogé sur le rôle de la famille impériale dans la société japonaise contemporaine.

M. Emmanuel Hamel a souhaité obtenir des précisions sur les critiques émises par l'organisme public de surveillance des marchés financiers japonais visant la succursale japonaise du Crédit Lyonnais.

En réponse à ces interrogations, M. Jean-Marie Bouissou a apporté les éléments suivants :

- l'organisme de surveillance des marchés financiers entend intervenir de plus en plus dans le cadre des importants projets de rachat concernant des établissements bancaires japonais par des opérateurs occidentaux ;

- le rôle de l'empereur dans la société japonaise est avant tout symbolique, en raison notamment de l'impossibilité qui est la sienne d'adopter une position distincte de celle du gouvernement dans le débat public, ainsi que de sa faible audience médiatique ;

- l'ampleur des pertes bancaires, d'une valeur équivalant à celle du PIB annuel de l'Union européenne, s'explique par le triplement des indices boursiers et immobiliers provoqué par la " bulle " spéculative des années 1985-1990, période durant laquelle les établissements ont octroyé des crédits gagés sur des anticipations spéculatives largement démenties par le marché. A cet égard, le montant des créances aujourd'hui considérées irrécupérables représente l'équivalent des PIB suisse, autrichien, suédois et danois réunis.

Mission d'information - Jérusalem (19-24 janvier 2001) - Communication

Puis la commission a entendu une communication de Mme Danielle Bidard-Reydet, à la suite d'un déplacement effectué, du 19 au 24 janvier 2001, à Jérusalem.

Mme Danielle Bidard-Reydet a indiqué que son déplacement avait été organisé dans le cadre de l'association " Pour Jérusalem ", qui réunit notamment des parlementaires de différents horizons politiques, des universitaires et des élus locaux. Forte de 200 membres, elle a pour but de favoriser les rencontres entre Israéliens et Palestiniens qui sont favorables à la conclusion d'une paix négociée, seule possibilité pour un règlement durable du conflit. Elle a précisé que la délégation qu'elle conduisait avait eu l'occasion de rencontrer des parlementaires israéliens et palestiniens, des responsables d'associations et de visiter les universités hébraïque de Jérusalem-ouest et palestinienne à Abu Dis.

Ce voyage, qui intervenait pendant les discussions de Taba, en Egypte, où selon ses interlocuteurs palestiniens des solutions concrètes, jamais abordées jusque là, avaient été évoquées, a permis de faire le point sur les cinq sujets sur lesquels a buté, pour l'instant, la conclusion d'un accord. Evoquant tout d'abord la question des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens, Mme Danielle Bidard-Reydet a précisé que leur nombre et leur étendue géographique n'avaient jamais cessé de croître depuis les accords d'Oslo. Traitant ensuite des frontières du futur Etat palestinien, elle a fait remarquer que, s'il fallait évidemment délimiter la frontière avec Israël, il était également indispensable que cet Etat dispose d'une frontière avec la Jordanie pour ne pas être totalement inclus à l'intérieur de l'Etat hébreu. Elle a en outre expliqué que la question de Jérusalem avait considérablement évolué depuis deux ans, le principe paraissant désormais acquis, depuis le sommet de Camp David, que Jérusalem pourrait être la capitale des deux Etats, sans toutefois que les modalités concrètes de ce partage fussent fixées. Le problème de l'eau, a souligné Mme Danielle Bidard-Reydet, est également très important pour la viabilité et le développement de l'économie d'un futur Etat palestinien, la grande majorité des zones aquifères étant aujourd'hui contrôlée par Israël. Enfin, abordant le sort des réfugiés, elle a souhaité qu'au-delà de la reconnaissance de principe d'un droit au retour, une solution pragmatique et satisfaisante pour les deux parties soit trouvée, car il était évidemment irréaliste que les quelque trois millions de réfugiés palestiniens reviennent s'installer en Israël même.

Mme Danielle Bidard-Reydet, commentant la carte des territoires palestiniens, a précisé que, dans la bande de Gaza, près d'un million de Palestiniens vivaient sur 30 % des terres cultivables, contre 70 % détenus par quelque 10 à 15 000 colons israéliens, créant une situation particulièrement conflictuelle. Elle a relevé que, si ce territoire pouvait offrir au futur Etat palestinien un débouché vers l'Egypte, il était totalement séparé de la Cisjordanie. En Cisjordanie même, l'état actuel des retraits israéliens et les propositions faites à Camp David ne pourraient permettre, selon les Palestiniens, la constitution d'un Etat viable, les territoires qu'ils contrôleraient constituant des enclaves au sein de l'Etat d'Israël. Toute circulation entre le nord et le sud de la Cisjordanie obligeant de passer par des points de contrôle tenus par l'armée israélienne ou d'emprunter des routes de contournement. Un tel Etat n'aurait ni continuité territoriale, ni accès significatif à l'eau, ni frontières internationales avec la Jordanie.

La démarche de M. Ehud Barak pour les négociations, visant, en priorité, à discuter directement du règlement final, plutôt que de poursuivre sur la base des accords intérimaires envisagés par les accords d'Oslo, avait pesé sur la possibilité de conclure un accord de paix. Mme Danielle Bidard-Reydet a d'ailleurs fait remarquer que les propositions formulées n'avaient pas semblé suffisantes aux négociateurs palestiniens. Mme Danielle Bidard-Reydet a en outre souligné que, depuis 1993, les Israéliens avaient poursuivi l'implantation de colonies dans la partie orientale de Jérusalem, avec, pour résultat, de couper la partie arabe de la ville du reste de la Cisjordanie, et notamment d'agglomérations palestiniennes importantes comme Bethléem ou Ramallah.

Abordant les discussions de Taba, Mme Danielle Bidard-Reydet a indiqué que, selon les informations fournies par ses interlocuteurs palestiniens, il aurait été envisagé d'accorder au futur Etat palestinien une frontière internationale avec la Jordanie, de diminuer l'étendue des colonies et de limiter dans le temps leur implantation, un grand nombre de zones aquifères restant toutefois sous contrôle israélien. Au surplus, dans l'hypothèse où Jérusalem deviendrait capitale de l'Etat palestinien, la ville serait soumise à un découpage administratif complexe distinguant la vieille ville, les lieux saints et le reste de l'agglomération. Mme Danielle Bidard-Reydet a relevé que ce découpage ne correspondait pas aux voeux des Palestiniens qui souhaitaient un retour à la situation d'avant 1967, dans le cadre du droit international, et préconisaient la constitution de deux municipalités, l'une, israélienne, à l'ouest, l'autre, palestinienne, à l'est, l'ensemble relevant d'une structure de coordination.

En conclusion, Mme Danielle Bidard-Reydet a souligné l'expression du sentiment de défiance qui animait les deux communautés, malgré leur souhait réciproque de vivre en sécurité. Il lui a semblé que, pour aboutir à un accord de paix, il était nécessaire de prendre en considération les résolutions de l'ONU, afin que les droits des deux parties soient reconnus. Elle a indiqué que les Palestiniens étaient demandeurs, pour contrebalancer le poids des Etats-Unis dans la négociation, d'un plus grand investissement de l'Europe et, notamment, de la France, dont l'action est ressentie comme très positive. Elle a souligné que chacune des deux parties était consciente de l'absence d'alternative aux négociations de paix, les Palestiniens n'ayant pas la capacité d'entreprendre une action militaire contre l'armée israélienne et étant déterminés à faire prévaloir leurs droits. Elle s'est toutefois inquiétée, en dernier lieu, des positions que pourrait prendre le nouveau gouvernement israélien dirigé par M. Ariel Sharon.

M. Xavier de Villepin, président, s'est alors demandé si un document avait concrétisé l'acquis des négociations de Taba et si la paix aurait pu réellement être conclue par M. Arafat.

Mme Danielle Bidard-Reydet a indiqué que les négociations de Taba n'avaient donné lieu à la rédaction d'aucun document écrit et que la partie palestinienne avait été déçue par les propositions de M. Barak. A la suite de l'accession au poste de Premier ministre de M. Ariel Sharon, les Palestiniens espèrent que les pays occidentaux exerceront sur son gouvernement une pression plus importante en vue de la conclusion d'un accord de paix.

Nomination de rapporteurs

Enfin, la commission a procédé à la désignation de rapporteurs sur deux projets de loi, en cours d'examen par l'Assemblée nationale. Ont été nommés :

- Mme Danielle Bidard-Reydet comme rapporteur sur le projet de loi n° 2879 (AN, 11e législature) autorisant l'approbation de la convention d'Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (ensemble une annexe) ;

- M. André Boyer comme rapporteur sur le projet de loi n° 2880 (AN, 11e législature) autorisant l'approbation de la convention pour la protection du Rhin (ensemble une annexe et un protocole de signature).

Jeudi 8 février 2001

- Présidence de M. Xavier de Villepin, président -

Audition de M. Jean-Pierre Jouyet, directeur du Trésor, sur le dispositif français d'aide au développement

La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Pierre Jouyet, directeur du Trésor, sur le dispositif français d'aide au développement.

M. Jean-Pierre Jouyet
a d'abord indiqué que l'aide française au développement poursuivait trois objectifs prioritaires : la stabilité financière internationale afin de promouvoir un développement durable, la concentration de l'aide sur les pays les moins avancés et l'optimisation de l'efficacité de nos interventions. Il a ajouté que notre action reposait sur la combinaison d'instruments nationaux et multilatéraux. La contribution française à l'aide publique au développement représentait 0,39 % du PIB en 1999, soit 34,7 milliards de francs et plaçait la France au premier rang du groupe des sept pays les plus industrialisés.

Le directeur du Trésor a alors observé que la réforme de l'aide publique au développement reposait sur quatre principes :

- la définition des orientations de la politique de coopération dans le cadre du comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID), réuni une fois par an et préparé par des réunions trimestrielles, associant le Trésor et la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) du ministère des affaires étrangères ;

- le renforcement du dialogue avec la société civile dans le cadre du Haut conseil pour la coopération internationale (HCCI) ;

- la concentration de l'aide bilatérale sur la zone de solidarité prioritaire, désormais bénéficiaire de près de la moitié des dotations au titre de la politique de coopération ;

- la spécialisation des instruments d'aide, grâce notamment au rôle plus important dévolu à l'Agence française de développement (AFD), devenue opérateur principal de projets bilatéraux dans les pays de la zone de solidarité prioritaire (ZSP).

Le directeur du Trésor a ensuite évoqué les objectifs poursuivis par la France dans le cadre de ses relations avec les organisations internationales. S'agissant du Fonds monétaire international (FMI), notre pays cherchait à renforcer l'universalité de cette institution et faisait valoir que la nouvelle répartition des voix et des quotes-parts doit se fonder sur la richesse nationale et prendre également en compte les critères d'ouverture économique et commerciale. M. Jean-Pierre Jouyet a ajouté que notre pays cherchait également à renforcer la coordination du FMI avec les autres bailleurs de fonds multilatéraux, à favoriser une meilleure prise en compte de l'impact social des programmes d'ajustement et, enfin, à développer l'évaluation indépendante des actions conduites par le FMI.

Les priorités de la France dans le cadre de ses relations avec la Banque mondiale portaient, a indiqué le directeur du Trésor, sur la lutte contre la pauvreté, le maintien d'une action forte sur le continent africain, l'accès aux biens publics internationaux (santé, stabilité financière, environnement). Il a souligné, en outre, l'attention particulière accordée par notre pays à la qualité de gestion des ressources de cette institution et relevé l'implication de la France, notamment grâce à l'atout que constituent nos représentations dans ces pays, dans la mise en oeuvre, par la Banque, des stratégies de réduction de la pauvreté et d'allégement de la dette. Il a cité, à titre d'exemple, la décision récente prise, à l'initiative de la France, de concentrer 10 milliards de dollars sur la lutte contre le sida conduite avec l'appui de la Banque mondiale, de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et d'ONUSIDA. Evoquant alors les débats dont les activités de la Banque étaient aujourd'hui l'objet, il a relevé que la situation financière de cette institution était satisfaisante, et rappelé que la France souhaitait une meilleure articulation du rôle de l'institution avec les banques régionales de développement, le renforcement de la sélectivité de ses interventions et une clarification des relations nouées avec les pays à revenus intermédiaires.

M. Jean-Pierre Jouyet a alors évoqué deux axes importants de la stratégie mise en oeuvre par la France en matière de développement. Il a d'abord souligné la volonté de transparence des pouvoirs publics à travers le renforcement de l'information du Parlement et le développement des relations avec les organisations non gouvernementales qui peuvent constituer un appui important pour les actions de coopération. Le directeur du Trésor a ensuite attiré l'attention des commissaires sur l'initiative prise par la France en faveur des " pays pauvres très endettés " (PPTE), en rappelant la responsabilité particulière qui incombait à notre pays au titre, d'une part, de la présidence du Club de Paris et, d'autre part, de l'importance des concours bilatéraux accordés à ces Etats. Il a rappelé la décision annoncée par le Président de la République lors du sommet France-Afrique de Yaoundé d'accélérer la mise en oeuvre des opérations d'annulation de la dette, ce qui conduira à annuler 500 millions de francs plus tôt. Il a observé que l'initiative PPTE, qui bénéficiait aujourd'hui à 22 pays -même si la permanence de conflits pouvait parfois limiter son champ d'application- se caractérisait par une obligation de résultat en matière de lutte contre la pauvreté et représentait un effort majeur pour la communauté internationale (28 milliards d'annulations répartis pour moitié entre la dette bilatérale et la dette multilatérale). Il convenait cependant, a estimé M. Jean-Pierre Jouyet, de veiller à une articulation satisfaisante entre les opérations d'allégement de dette et le renforcement de la bonne " gouvernance " des pays bénéficiaires à travers, notamment, la réduction des dépenses improductives, telles que celles consacrées à l'armement, et la lutte contre la corruption. Le directeur du Trésor a également indiqué qu'il conviendrait également de réfléchir aux conséquences, sur le mode de financement des pays bénéficiaires de l'initiative PPTE, c'est-à-dire soit l'utilisation de nouveaux prêts, soit de dons. Il a souligné, enfin, la nécessité de renforcer la qualité de l'aide en liant les allégements de dette à un meilleur accès des pays bénéficiaires aux biens publics internationaux et de rechercher une articulation optimale entre les interventions de l'AFD et celles liées à la mise en oeuvre de l'initiative sur la dette.

A la suite de l'exposé de M. Jean-Pierre Jouyet, un débat s'est engagé avec les commissaires.

M. Christian de La Malène s'est interrogé sur les conditions dans lesquelles étaient arrêtées les orientations politiques en matière de coopération.

M. André Rouvière a souhaité obtenir des précisions sur la façon dont les crédits accordés aux pays en développement, qui font aujourd'hui l'objet des opérations d'annulation, avaient été utilisés par les bénéficiaires. Il s'est interrogé par ailleurs sur la prise en compte de l'annulation de la dette dans l'évaluation de l'aide publique au développement, ainsi que sur la part respective de la France et des autres bailleurs de fonds dans la prise en charge du coût de l'initiative PPTE. Il s'est enfin enquis de la place qui revenait à la promotion de la langue française dans l'aide publique.

Après avoir interrogé le directeur du Trésor sur le montant de la dette des pays en développement due à la France et fait état de son scepticisme sur les perspectives de remboursement, M. Emmanuel Hamel s'est demandé si notre pays ne pourrait pas prendre l'initiative d'annuler la totalité de ses créances.

M. Michel Charasse s'est interrogé sur le rôle de la direction du Trésor en matière d'aide au développement et sur la marge d'appréciation dont elle pouvait parfois disposer par rapport aux orientations fixées par le gouvernement. Il s'est étonné du rôle dévolu à certaines ONG, dont le fonctionnement et la gestion pouvaient prêter à la critique. Il a regretté que les contributions de la France, dans le cadre de l'aide multilatérale, ne permettent pas d'assurer la visibilité de nos interventions et il a souhaité, s'agissant de l'aide bilatérale, que la France ne participe à aucun cofinancement dans lequel la part de notre pays n'apparaîtrait pas clairement.

M. Xavier de Villepin, président, a demandé à M. Jean-Pierre Jouyet s'il serait possible que la commission dispose d'un document retraçant, pays par pays, le montant de l'aide apportée par le ministère de l'économie et des finances. Il s'est interrogé par ailleurs sur les moyens de mieux coordonner nos actions avec celles conduites par l'Union européenne, ainsi que sur la façon dont pourrait être réduit le risque de dispersion de nos actions.

En réponse aux commissaires, M. Jean-Pierre Jouyet a apporté les précisions suivantes :

- les actions de coopération s'inscrivent dans le cadre d'une stratégie axée, d'une part, sur une lutte plus efficace contre la pauvreté et, d'autre part, sur l'amélioration de l'accès aux biens publics internationaux ; cette politique suppose le renforcement de la sélectivité des projets et de la transparence de nos interventions ; elle requiert également une bonne articulation entre les actions bilatérales et l'aide multilatérale, qui peut avoir un fort effet démultiplicateur, même si une clarification s'avère sans doute indispensable, notamment au niveau des concours extérieurs européens ; la direction du Trésor conduit son action sur la base des orientations définies par l'autorité politique qu'elle souhaite les plus claires possible ; au sein des différentes instances de décision en matière d'aide au développement auxquelles le Trésor est associé, le représentant de cette direction intervient comme administrateur, avec des responsabilités particulières ; une administration comme le Trésor a aussi pour rôle de contribuer à éclairer les instances politiques à qui, naturellement, la décision incombe in fine ;

- les opérations d'allégement de la dette prennent en compte différents critères, tels que le montant de remboursement supportable par le pays intéressé, son niveau de développement, les origines de l'endettement, l'utilisation des marges permises par l'allégement de la dette ;

- l'aide publique au développement française représente 0,39 % du PIB contre 0,26 % pour le Royaume-Uni, 0,23 % pour l'Allemagne, 0,15 % pour l'Italie, 0,35 % pour le Japon, 0,28 % pour le Canada et 0,10 % pour les Etats-Unis ;

- l'encours de la dette dû à la France par les 35 pays pauvres très endettés, qui sera annulé, représente aujourd'hui un montant de 10 milliards de dollars (contre 8 milliards de dollars pour le Japon, 6 milliards de dollars pour l'Allemagne, 5 milliards de dollars pour les Etats-Unis, 4 milliards de dollars pour l'Italie) ; l'encours équivalent de la dette due aux deux pays qui ont pris les initiatives les plus spectaculaires en matière d'annulation de dettes, le Royaume-Uni et le Canada, s'élève respectivement à 1,7 milliard de dollars et 680 millions de dollars ; l'annulation ne constitue pas une fin en soi, elle s'inscrit dans le cadre d'une stratégie de lutte contre la pauvreté ; il est donc nécessaire de s'interroger sur l'utilisation, par les pays bénéficiaires, des ressources libérées par les opérations d'allégement de la dette, ainsi que sur les conditions -dons ou prêts- dans lesquelles pourraient intervenir les prochains flux financiers en faveur des pays en développement.

M. Xavier de Villepin, président, a regretté que certains pays bénéficiaires d'annulations de dettes aient décidé d'augmenter leurs dépenses d'armement. M. Michel Charasse a observé que les remises de dettes répondaient désormais à des exigences plus rigoureuses. Il a jugé utile que puisse être présenté un bilan des politiques suivies par les différents pays bénéficiaires de ces opérations.

M. Jean-Pierre Jouyet a alors précisé que le processus de mise en oeuvre des allégements de la dette décidés dans le cadre de l'initiative PPTE en était encore à ses débuts, en indiquant que toutes les informations nécessaires seraient communiquées lorsqu'un premier bilan pourrait être dressé. Il a estimé souhaitable que ces allégements ne puissent bénéficier à des dépenses improductives et prennent en compte les principes de bonne " gouvernance ". Il convenait en outre, a-t-il ajouté, de veiller à la sélectivité de nos interventions et d'éviter la dispersion de nos moyens.