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Mercredi 11 décembre 2002

- Présidence de M. André Dulait, président, puis de M. Robert Del Picchia -

Hommage à la mémoire d'un sénateur décédé

A l'invitation de M. André Dulait, président, la commission a observé une minute de silence, en hommage à la mémoire de M. Robert Calméjane, décédé le 10 décembre.

Audition de S. Exc. M. Nissim Zvili, ambassadeur d'Israël en France

La commission, présidée par M. André Dulait, président, élargie aux membres du groupe sénatorial d'amitié France-Israël, a entendu M. Nissim Zvili, ambassadeur d'Israël en France.

M. André Dulait, président, a remercié M. Nissim Zvili pour sa présence devant la commission, à l'occasion de cette première audition depuis sa prise de fonctions, le 12 novembre dernier, en qualité d'ambassadeur d'Israël. M. André Dulait, président, a estimé que les analyses de l'ambassadeur seraient particulièrement intéressantes, à un moment où, avant d'importantes échéances électorales en Israël comme en Palestine, la situation sur le terrain suscite de vives inquiétudes dans un contexte de violence et de blocage de tout processus politique.

M. Nissim Zvili a alors relevé tout d'abord que les relations entre la France et Israël avaient traversé une période difficile. Israël souhaite qu'une distinction soit faite entre, d'une part, la position de la France à l'égard du dossier proche-oriental et, d'autre part, les relations entre Israël et la France, fondées sur une amitié ancienne entre les deux peuples et sur le soutien constant de la France à Israël dans les moments critiques. La France, a poursuivi M. Nissim Zvili, partage avec Israël l'idéal commun de démocratie et des droits de l'homme, qui dépasse les éventuelles divergences.

L'ambassadeur d'Israël a souhaité que la France adopte une position plus équilibrée sur le dossier complexe du conflit israélo-palestinien. La France et l'Europe doivent tenir sur ce dossier un rôle plus important, les relations spécifiques de la France avec les pays arabes pouvant s'avérer utiles à cet égard. Les Etats-Unis, comme l'Europe, peuvent aider les deux parties à résoudre leur conflit.

M. Nissim Zvili a estimé que les relations franco-israéliennes pouvaient se développer encore, notamment dans le domaine économique et commercial. Il a par ailleurs relevé que l'image d'Israël dans l'opinion publique française avait choqué dans son pays. Cette image déformée ne lui paraissant pas acceptable, il s'attacherait à la modifier.

M. Nissim Zvili a fait valoir que la résolution du conflit entre Israël et la Palestine était de l'intérêt même d'Israël. Son pays avait déjà accepté, pour la paix, des concessions majeures dans le cadre des traités conclus avec l'Egypte, la Jordanie ou encore par l'évacuation du Sud-Liban. La signature de l'accord d'Oslo avait ensuite entériné la reconnaissance, par Israël, d'un Etat palestinien et des droits légitimes du peuple palestinien. Cependant, cette reconnaissance et cet accord supposaient le respect de l'engagement souscrit par Yasser Arafat d'un arrêt complet de la violence et du terrorisme, ce qui n'avait pas été le cas.

Il est très difficile, a estimé M. Nissim Zvili, de juger des moyens de lutte contre un terrorisme toujours plus meurtrier. Il est cependant de la responsabilité du gouvernement israélien, comme de tout gouvernement, de protéger la vie de ses citoyens. Si un accord de paix est dans l'intérêt même d'Israël, celui-ci ne faiblira jamais, pour autant, face à la violence terroriste.

M. Nissim Zvili a regretté que l'évacuation militaire du Sud-Liban, acte particulièrement courageux du gouvernement de M. Barak, ait été interprétée, par quelques pays arabes et par les Palestiniens eux-mêmes, comme un signe de faiblesse israélienne et une victoire du terrorisme. Il y avait un lien direct entre cette évacuation du Sud-Liban et la décision de Yasser Arafat, prise il y a quelques mois, de recourir de nouveau à la violence pour rouvrir un dialogue politique. Or il était impossible d'attendre d'Israël des concessions supérieures à celles figurant dans le cadre de négociations établi par le Président Clinton à Camp David puis à Taba, à savoir, notamment, la dévolution à un Etat palestinien de 97 % des territoires disputés et un partage équitable de Jérusalem. Le droit au retour des réfugiés palestiniens n'était pas acceptable. Il aboutirait de facto à la création de deux Etats palestiniens, dont un au sein même d'Israël.

La deuxième Intifada, a poursuivi M. Nissim Zvili, avait détruit la confiance entre les deux peuples et la haine réciproque l'emportait aujourd'hui. Or le cadre d'un accord futur était déjà connu de tous. Chacun savait que cet accord résulterait d'une solution politique et non d'actions militaires. Mais toute avancée politique supposait la fin de la violence, et notamment une décision stratégique de l'Autorité palestinienne de cesser tout soutien aux groupes terroristes. Or aujourd'hui, la moitié des attentats sont le fait de groupes qui dépendent de l'Autorité palestinienne. Il faut espérer, a conclu l'ambassadeur d'Israël, que le processus politique pourra redémarrer après les élections.

Les commissaires ont alors débattu avec l'ambassadeur d'Israël.

M. Xavier de Villepin s'est interrogé sur la possibilité d'un gouvernement d'union nationale -Likoud et travaillistes- après les prochaines élections israéliennes. Il a également interrogé l'ambassadeur d'Israël sur l'opportunité de soutenir, en Iran -classé dans « l'axe du mal » par les Etats-Unis-, le mouvement des réformateurs et de la jeunesse de ce pays pour plus de démocratie.

M. Michel Pelchat, réaffirmant le caractère inacceptable du terrorisme, a regretté que certains points des accords d'Oslo, notamment le gel des colonies, n'aient pas été respectés par Israël. Il a estimé par ailleurs que certaines actions israéliennes -l'arrachage d'arbres, la destruction de terres cultivées- dépassaient la seule lutte contre le terrorisme. Estimant qu'il convenait de confier à une force internationale neutre la sécurité dans les territoires, il a souhaité connaître les raisons du refus d'Israël d'une telle option.

M. Hubert Durand-Chastel a interrogé l'ambassadeur d'Israël sur la réaction de son pays dans l'hypothèse d'une guerre entre l'Irak et les Etats-Unis.

M. Guy Penne a souhaité obtenir des précisions sur la situation sociale et économique en Israël. Evoquant ensuite le droit au retour, il s'est interrogé sur la réalité du risque d'un afflux massif de réfugiés palestiniens en Israël même, et sur l'opportunité de prévoir un processus d'indemnisation comme substitut au retour des réfugiés.

M. Jean-Pierre Plancade s'est inquiété de l'évolution de la société israélienne confrontée à la violence, au chômage et à la pauvreté. Il s'est également interrogé sur la pertinence d'un gouvernement d'union nationale pour aboutir à une solution politique du conflit.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a fait observer qu'en tant que représentant des Français de l'étranger, elle pouvait témoigner des souffrances subies par des franco-israéliens victimes d'attentats comme des difficultés des franco-palestiniens, dont les enfants ne pouvaient plus être scolarisés dans les lycées français de Ramallah et de Bethléem. Elle a estimé que la colonisation conduite par Israël avait aggravé la situation dans les territoires suscitant, hélas, violence et terrorisme. L'établissement de l'État juif en Palestine en 1948 était la conséquence d'une décision internationale, à une époque où les pays arabes n'étaient pas représentés dans la communauté des Etats. Aujourd'hui, a-t-elle estimé, une intervention internationale était nécessaire.

M. Christian de la Malène a reconnu, en le regrettant, que l'opinion française semblait moins favorable qu'auparavant à Israël. La cause en était, a-t-il estimé, qu'Israël semblait n'avoir pas « joué le jeu » des accords d'Oslo, notamment en poursuivant la colonisation et que, de ce fait, la confiance avait été atteinte.

Mme Danielle Bidard-Reydet a estimé que si l'amitié de la France à l'égard d'Israël était réelle, on pouvait cependant comprendre le désespoir des Palestiniens confrontés à la colonisation, aux routes de contournement, aux points de contrôle, aux bouclages, ou encore au mur de séparation. Pour dépasser cette situation, le projet d'Etat palestinien de M. Sharon ne lui paraissait pas sérieux. S'agissant de la problématique du droit au retour, elle a rappelé que les conclusions de Taba avaient prévu un retour prioritaire des réfugiés sur le territoire de l'Etat palestinien lui-même, la possibilité pour certains d'entre eux d'être accueillis dans des pays tiers, les retours en Israël même n'étant que marginaux, dans le cadre du regroupement des familles.

M. André Rouvière s'est interrogé sur la sincérité du Premier ministre israélien quant à une solution politique au conflit. Cette option politique était-elle réellement partagée en Israël et serait-elle la priorité du prochain gouvernement ? N'y avait-il pas par ailleurs une forme de provocation à exiger de Yasser Arafat qu'il combatte le terrorisme tout en le privant des moyens d'y parvenir ?

M. Robert Del Picchia a interrogé l'ambassadeur d'Israël sur les relations entre l'Irak et les Etats-Unis et sur la coopération entre son pays et l'Union européenne.

M. Jean-Guy Branger a estimé que, face à la difficulté d'un accord entre Israël et les Palestiniens, une présence internationale neutre était nécessaire.

Mme Hélène Luc s'est inquiétée des risques, pour Israël, d'une guerre en Irak.

L'ambassadeur d'Israël a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- l'histoire démontre que la première reconnaissance du peuple palestinien a été le fait d'Israël, contre les intérêts de tous les pays arabes voisins. Après la proclamation de l'Etat d'Israël en 1948, sur la base d'une décision de l'ONU, Israël, privée de réels moyens de défense, avait été attaquée par ses voisins, de même en 1967. Sans la constitution progressive de capacités de défense, c'est l'existence même d'Israël qui aurait été mise en cause ;

Pour obtenir la paix, Israël a tout rendu à l'Egypte mais aujourd'hui, 80 % de l'opinion publique égyptienne est encore hostile à l'existence d'Israël. Il en est de même en Jordanie, en dépit des concessions faites lors de la conclusion de l'accord de paix avec ce pays.

La paix est l'objectif d'Israël mais il existe des lignes rouges qui ne doivent pas être dépassées :

- à Camp David, le gouvernement israélien était d'accord avec le cadre de négociation proposé : restitution de 97 % des territoires disputés et partage de Jérusalem. Ce sont les Palestiniens qui ont refusé, accréditant auprès de la population israélienne le sentiment qu'une partie de ceux-ci ne voulait pas la paix ;

- M. Rabbin avait poursuivi les négociations en dépit des attentats car, à l'époque, israéliens et palestiniens luttaient ensemble contre le terrorisme et pour la paix. Aujourd'hui, les choses ont changé : l'Autorité palestinienne encourage et finance ces attentats qui ne sont pas le seul fait du Hamas ou du Djihad. Un terrorisme nouveau se fait jour, qui n'est plus la conséquence du désespoir, il traduit comme à New York ou à Bali, une nouvelle idéologie à l'oeuvre pour déstabiliser le monde ;

- la situation politique israélienne révèle un certain paradoxe : d'un côté, 95 % des Israéliens sont hostiles aux accords d'Oslo, qui ont d'ailleurs échoué. Mais d'un autre côté, les principes qui les ont fondés sont soutenus par quelque 65 à 70 % des Israéliens. Il existe en Israël un courant dominant qui sait que, in fine, une solution politique s'imposera, prévoyant, en échange de concessions, un Etat palestinien. Il faut espérer qu'un tel courant existe aussi parmi les Palestiniens. Mais le terrorisme est le contraire d'un acte politique, il ne peut être justifié ni compris. Alors même que le terrorisme se prolonge, le Premier ministre israélien a proposé un accord intérimaire alors que, depuis Taba, les Palestiniens n'ont fait aucune proposition ;

- l'expérience du Sud-Liban a prouvé l'échec d'une interposition internationale à prévenir la violence et le terrorisme. La solution ne peut naître que d'une décision politique des deux peuples ;

- il y a 15.000 policiers palestiniens à Gaza, mais ils ne luttent pas contre le terrorisme. L'armée israélienne ne souhaite pas s'installer dans les villes palestiniennes, mais après chaque levée de bouclage, on constate une reprise des attentats. Il est de la responsabilité de tout gouvernement de mettre en oeuvre tous les moyens possibles pour lutter contre ce fléau. Ceci n'est pas incompatible avec la volonté de trouver une issue politique ;

- les deux principaux partis regroupent l'essentiel de l'opinion israélienne. Une majorité stable est nécessaire pour progresser dans la mise en oeuvre d'un processus de paix nécessairement complexe. Israël a besoin de cette union pour surmonter les crises ;

- la chute du tourisme, la diminution des investissements étrangers ont affecté l'économie israélienne qui traverse une phase de croissance négative (- 1 %). L'accroissement des budgets dédiés à la sécurité pèse sur les budgets sociaux et une part croissante de la population israélienne vit en dessous du seuil de pauvreté. Israël est également très sensible à ce qui se passe au sein de la société palestinienne que l'on doit aider à se restructurer. C'est dans cette stratégie que s'inscrit le projet de mur de séparation, dont l'objectif a été mal compris en France et en Europe. Cette barrière électronique, alignée sur la frontière de 1967, a pour objet de renforcer la sécurité d'Israël. Il ne s'agit pas d'une frontière permanente et le commerce, les échanges, seront possibles par des postes frontières traditionnels. En obligeant les Palestiniens à restructurer leur Autorité, elle sera une étape essentielle pour l'avenir ;

- depuis Oslo, aucune nouvelle implantation n'a été réalisée dans les territoires, mais la population de ces colonies s'est développée ;

- Israël a géré la crise irakienne avec prudence et n'a aucun intérêt à une implication dans le conflit. Israël est soucieuse de voir le conflit ne pas « déraper ». L'important est ce qui pourrait survenir au lendemain d'un éventuel conflit avec le risque de déstabilisation de certains pays arabes voisins. La bonne solution serait un désarmement massif de l'Irak sans conflit. Dans le même temps, Israël est mieux préparé à une éventuelle attaque irakienne qu'en 1991 ;

- durant ces dernières années, l'évolution de la société civile iranienne a suscité un certain optimisme, mais le mouvement de réforme a perdu de son élan. Ce pays est essentiel pour la stabilité régionale. Il y existe en effet un réel mouvement au sein de la jeunesse et Israël espère l'évolution de l'Iran vers plus de démocratie et d'ouverture.