Sommaire

  • Mercredi 23 juin 2004
    • Prolifération nucléaire - Audition de M. Philippe Carré, directeur des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement au ministère des affaires étrangères
    • Conseil européen de Bruxelles (17 et 18 juin) - Audition de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes

Mercredi 23 juin 2004

- Présidence de M. André Dulait, président -

Prolifération nucléaire - Audition de M. Philippe Carré, directeur des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement au ministère des affaires étrangères

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Philippe Carré, directeur des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement au ministère des affaires étrangères, sur la prolifération nucléaire.

En préambule, M. Philippe Carré a indiqué que la lutte contre la prolifération nucléaire constituait aujourd'hui un point central de la problématique de sécurité de la France. En effet, alors que sont survenues plusieurs crises qui ont posé la question de l'efficacité des régimes de non-prolifération, un échec dans ce domaine entraînerait des dangers sans commune mesure avec ceux inhérents aux autres risques pour la sécurité internationale.

M. Philippe Carré a ensuite dressé un panorama du système élaboré par la communauté internationale pour endiguer la prolifération nucléaire, en soulignant qu'il s'agissait d'une construction empirique, bâtie au fil des décennies, et comportant nécessairement, de ce fait, des lacunes ou des imperfections. Ce système a fait l'objet d'un renforcement à la suite de la première guerre du Golfe et de la découverte des activités nucléaires irakiennes, notamment à travers l'amélioration du régime des garanties de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Une nouvelle étape est désormais nécessaire pour répondre aux défis lancés par les crises récemment intervenues.

Schématiquement, la lutte contre la prolifération nucléaire repose sur deux séries d'outils de nature différente :

- des instruments internationaux, tels que le traité de non-prolifération (TNP), le traité d'interdiction complète des essais nucléaires, les accords de garanties de l'AIEA et leurs protocoles additionnels, la convention sur la protection physique des matières nucléaires ; la mise en oeuvre de ces instruments relève de la responsabilité d'organisations internationales comme l'AIEA ou la commission préparatoire de l'Organisation du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (OTICE) ;

- des règles juridiquement non contraignantes ou des codes de conduite adoptés par certains pays disposant de moyens particuliers dans le domaine nucléaire, comme le groupe des fournisseurs nucléaires (Nuclear suppliers group - NSG), qui s'est élargi progressivement et auquel la Chine vient d'adhérer.

L'existence de ces différents outils repose sur l'idée que la prolifération nucléaire doit être traitée selon une approche coopérative. Les Etats qui y participent reconnaissent que leur sécurité sera mieux assurée s'ils renoncent à développer des armes nucléaires. Ils acceptent les contraintes liées à la vérification en échange d'assurances sur leur accès aux applications civiles de l'énergie nucléaire.

La pertinence de cette approche coopérative a pu être contestée par certains analystes, notamment dans des cercles proches de l'actuelle administration américaine, leurs préférences allant à une logique de contre-prolifération impliquant des mesures défensives, par exemple contre les missiles balistiques, ou le cas échéant des actions préventives. La logique de contre-prolifération s'est toutefois heurtée à certaines limites et l'on constate aujourd'hui une plus grande acceptation, par les Etats-Unis, de l'approche coopérative.

M. Philippe Carré a estimé que, pour être complet, le régime international de non-prolifération devrait sans doute englober également des instruments relatifs aux missiles, point sur lequel on en est resté jusqu'à présent à un régime de fournisseurs et à un code de conduite, ainsi qu'un traité sur l'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires (cut-off), cette dernière négociation étant toujours bloquée au sein de la Conférence du désarmement, du fait de la volonté de certains Etats de lier cette question au désarmement nucléaire et à la démilitarisation de l'espace. Il a cependant considéré, qu'en dehors de ces deux points particuliers, il ne semblait pas nécessaire d'envisager l'édiction de nouveaux instruments internationaux ou le regroupement, dans un seul traité à vocation exhaustive, de l'ensemble des volets de la non-prolifération.

M. Philippe Carré a ensuite énuméré les difficultés ou les limites que les crises récentes avaient permis d'identifier dans cet édifice.

Premièrement, l'universalité du TNP n'est pas achevée. L'Inde et le Pakistan posent comme condition préalable à leur adhésion la reconnaissance de leur statut nucléaire, mais cette exigence n'est pas compatible avec le fondement même du Traité, à savoir un principe de renoncement général assorti d'exceptions historiques, et non sur la volonté de maintenir structurellement une distinction entre deux catégories d'Etats, dotés ou non dotés de l'arme nucléaire. Israël, pour sa part, n'a pas manifesté son intention d'adhérer au TNP. Enfin, la Corée du Nord a annoncé son retrait du Traité, même si, au plan juridique, les conditions de ce retrait ne sont pas reconnues comme valides par la communauté internationale et notamment la France.

Deuxièmement, seuls, une cinquantaine de pays ont mis en oeuvre un protocole additionnel à leur accord de garanties avec l'AIEA permettant à celle-ci d'exercer efficacement la vérification du respect des engagements souscrits. Il est préoccupant que de nombreux pays arabes ou asiatiques n'aient toujours pas adopté cet instrument. En revanche, il faut noter que l'Iran, puis la Libye, l'ont signé et mis en oeuvre par anticipation.

Troisièmement, les crises récentes ont révélé plusieurs cas de non-respect par des Etats des obligations qu'ils ont contractées à l'égard du TNP ou de l'AIEA. Certes, on peut estimer qu'il s'agit là de cas très particuliers et de pays se situant en marge de la communauté internationale. Toutefois, ces exceptions ont un effet très négatif sur la crédibilité des régimes internationaux auprès des pays qui ont accepté les contraintes qu'exige leur respect. Par ailleurs, des exceptions, même marginales, ne peuvent être acceptées dans un domaine aussi porteur de risques que la prolifération nucléaire.

Face aux limites des régimes internationaux, M. Philippe Carré a souhaité néanmoins mentionner quelques évolutions positives : le règlement par l'AIEA du dossier nucléaire irakien, la renonciation de la Libye aux armes de destruction massive, les négociations en cours avec l'Iran. Des crises sont survenues, mais l'arme nucléaire n'a jamais été employée dans les conflits des dernières décennies et le nombre des pays qui y ont définitivement renoncé n'a jamais cessé de croître. On constate donc une évolution générale vers un ralliement extrêmement large à la non-prolifération, contrebalancée il est vrai par des crises en nombre limité, dont on ne peut se satisfaire. Par ailleurs, les risques liés au contrôle des installations nucléaires de l'ex-URSS et à l'émergence de réseaux privés de trafic nucléaire, comme celui du Dr Khan, suscitent des inquiétudes. Il en va de même de l'intérêt que pourraient porter aux armes nucléaires des groupes terroristes, ces derniers n'étant pas animés, à la différence des Etats, par une logique de protection et de dissuasion, mais par un objectif non rationnel de destruction.

M. Philippe Carré a ensuite présenté la politique française de lutte contre la prolifération nucléaire. Il a mentionné les nombreuses initiatives que la France avait favorisées ou qu'elle avait soutenues au cours des derniers mois : l'engagement d'un dialogue avec l'Iran, aux côtés du Royaume-Uni et de l'Allemagne ; les différentes propositions émises au sein du G8 ou du groupe des fournisseurs nucléaires, qui témoignent d'un souci de mieux contrôler les transferts de technologies les plus sensibles, sans remettre en cause la possibilité d'accès à l'énergie nucléaire ; l'adoption, au sein du G8, d'un plan d'action sur les sources radioactives ; l'élaboration, par l'Union européenne, d'une stratégie de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, ainsi que d'une clause de non-prolifération destinée à être incluse dans les accords avec les pays tiers ; l'adoption, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de la résolution n° 1540 engageant les Etats à se doter d'instruments internes de contrôle des exportations et à criminaliser les activités illicites liées à la prolifération. Sur ces différentes questions, la France a travaillé en concertation étroite et confiante avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, mais également avec la Russie.

M. Philippe Carré a conclu en précisant que les priorités de la politique française de non-prolifération se portaient désormais sur l'universalisation des accords internationaux, le soutien à l'AIEA, le renforcement du rôle du Conseil de sécurité des Nations unies et le renforcement des régimes de fournisseurs. La France participe activement à l'initiative de sécurité contre la prolifération (proliferation security initiative - PSI) qui ne vise pas des Etats en particulier, mais s'exerce à l'encontre des activités illicites, par le biais d'interceptions maritimes. Elle participe également à la mise en oeuvre du partenariat mondial du G8 contre les armes de destruction massive, même si, ici, les actions conduites sont limitées par les contraintes budgétaires et les difficultés de mise au point du cadre de coopération avec la Russie.

A la suite de cet exposé, M. Xavier de Villepin a souhaité savoir si les positions iraniennes dans les négociations avec l'AIEA s'étaient durcies depuis les dernières élections législatives et à la suite des difficultés rencontrées par la coalition en Irak. Il a relevé le manque de résultats concrets obtenus jusqu'à présent dans le cadre des pourparlers à six sur le programme nucléaire nord-coréen et s'est interrogé sur l'unité de vues des différents partenaires. S'agissant du renforcement des régimes de non-prolifération, il a observé que de très nombreuses propositions avaient été émises et il s'est demandé quelles étaient celles ayant les plus fortes chances de réunir un consensus et de pouvoir être mises en oeuvre rapidement. Enfin, il a demandé si la clause de non-prolifération, récemment décidée par l'Union européenne, était déjà prise en compte dans les négociations d'accords de partenariat avec des pays-tiers.

M. Robert Del Picchia a souligné la difficulté que rencontrait l'AIEA pour effectuer des contrôles efficaces et déceler des activités clandestines. Il a demandé des précisions sur l'effectivité du système de surveillance international des essais nucléaires. Il s'est inquiété de l'incertitude totale dans laquelle se trouvait la communauté internationale au sujet des activités nucléaires conduites par la Corée du Nord depuis l'expulsion des inspecteurs de l'AIEA. Enfin, s'agissant du partenariat mondial contre les armes de destruction massive, il a souligné les difficultés rencontrées par la France pour traduire en moyens budgétaires et en programmes concrets les engagements qu'elle avait pris au sein du G8. Évoquant le foisonnement de propositions sur la lutte contre la prolifération nucléaire dans diverses enceintes, il s'est demandé dans quelle mesure on pouvait en attendre des progrès concrets et des solutions efficaces pour régler les crises en cours.

M. André Dulait a demandé des précisions sur les positions adoptées, vis-à-vis de la prolifération nucléaire, par Israël, l'Arabie saoudite, l'Afrique du Sud et le Brésil.

À la suite de ces interventions, M. Philippe Carré a indiqué que face aux différentes crises de prolifération, il ne s'agissait pas de chercher à rassurer, mais au contraire de bien faire prendre conscience des réels motifs d'inquiétude qu'elles doivent susciter et des risques que ferait courir un échec, par exemple sur le dossier nord-coréen ou sur celui de l'Iran. Il a estimé qu'un large consensus existait au sein de la communauté internationale en faveur d'une efficacité accrue de la lutte contre la prolifération nucléaire, mais qu'il n'était pas possible d'apporter une réponse globale à cette question, ce qui impliquait en conséquence de la traiter sous différents angles et le cas échéant dans différentes enceintes, en utilisant dans leur diversité les moyens les plus appropriés. En réponse aux questions posées, il a ensuite apporté les précisions suivantes :

- certaines des réactions négatives exprimées en Iran à l'égard de la coopération avec l'AIEA peuvent s'expliquer par le fait que le processus d'inspection et de vérification s'est sans doute révélé plus intrusif que ne le supposaient les autorités iraniennes lorsqu'elles l'ont accepté ; on constate cependant qu'en dépit des insuffisances ou des tensions momentanées, cette coopération permet d'aller vers une meilleure connaissance des activités de l'Iran ; de même, si elles suscitent souvent des réticences dans un premier temps, les demandes de l'AIEA finissent généralement par être acceptées dans leur principe, puis satisfaites en termes d'informations fournies ; depuis les dernières élections législatives, la tonalité est plus critique en Iran à l'égard de l'AIEA mais, alors que nombre de questions demeurent non résolues, l'Iran doit comprendre qu'il lui serait dommageable d'abandonner la voie de la négociation ou de revenir sur son engagement de suspendre les activités d'enrichissement ;

- depuis septembre 2003, date de la première résolution du Conseil des gouverneurs de l'AIEA, des progrès ont été réalisés dans la compréhension du programme nucléaire iranien ; certains analystes redoutent qu'une prolongation des négociations accentue le risque de voir s'accomplir des activités non connues à ce jour, mais qui pourraient avoir une incidence irréversible sur les capacités de l'Iran en matière nucléaire militaire ; il paraît injustifié de considérer que le délai très bref écoulé depuis l'engagement des négociations ait pu favoriser ce type de scénario ;

- les intentions réelles de l'Iran sur le long terme ne sont cependant toujours pas clarifiées ; rien de ce que nous connaissons des projets énergétiques civils iraniens ne semble justifier l'ampleur des capacités d'enrichissement et de retraitement dont Téhéran souhaite se doter ; les autorités iraniennes évoquent un souci d'indépendance et d'autosuffisance en combustible nucléaire mais la Russie s'est engagée à fournir le combustible pour la centrale de Bouchehr et la France est pour sa part disposée à étudier les moyens d'accorder à l'Iran une garantie de fourniture de combustible à des conditions de marché acceptable, ce qui rendrait inutiles les capacités d'enrichissement et de retraitement projetées ;

- dans le cadre des pourparlers à six, les cinq partenaires de la Corée du Nord ont maintenu jusqu'à présent une relative unité de vues, ce qui est un atout dans la négociation, même s'il peut se produire des divergences ponctuelles ; la Chine semble en particulier user de son influence pour faire évoluer les positions de Pyongyang ; les difficultés du processus tiennent au fait que la Corée du Nord dispose probablement déjà d'une arme nucléaire, ce qui renforce ses positions dans la négociation, ainsi qu'à l'inclusion, dans cette dernière, de questions qui dépassent le seul volet nucléaire et qui touchent à la sécurité de toute la région ; si les négociations évoluent positivement, il sera probablement nécessaire d'y associer à un moment ou à un autre le groupe des cinq puissances nucléaires reconnues ainsi que l'Union européenne, notamment pour le volet économique et financier ;

- la clause de non-prolifération sera incluse dans tous les nouveaux accords conclus par l'Union européenne et, lors de leur renouvellement, dans ceux qui arriveront à échéance ; elle figurera dans les prochains accords avec les pays ACP et avec le Mercosur ; cette clause constitue aujourd'hui un point difficile dans la négociation d'un accord avec la Syrie ;

- réduites dans le cadre des accords de garanties, les possibilités d'investigation et de contrôle de l'AIEA sont en revanche beaucoup plus étendues lorsqu'un protocole additionnel a été conclu ;

- les différents moyens de surveillance permettent aujourd'hui une bonne détection des essais nucléaires ;

- la France s'est engagée sur une contribution de 750 millions d'euros en dix ans dans le cadre du partenariat mondial du G8 sur les armes de destruction massive ; outre les contraintes budgétaires, certaines difficultés techniques, telles que la mise en place d'un régime approprié de responsabilité civile, retardent la réalisation des projets ; il est également nécessaire que les deux parties s'accordent sur le choix des projets ; la partie russe privilégie le démantèlement des sous-marins nucléaires et la destruction des stocks d'armes chimiques alors que les Occidentaux mettent l'accent sur l'élimination des stocks de plutonium en excès ;

- l'Afrique du Sud est résolument engagée dans la lutte contre la prolifération nucléaire et joue un rôle très utile, vis-à-vis de pays comme l'Iran, pour montrer les bénéfices d'un renoncement au nucléaire militaire ;

- diverses déclarations des autorités brésiliennes ont suscité des interrogations mais rien ne semble indiquer que le Brésil envisage de modifier sa position à l'égard des régimes de non-prolifération ;

- l'Arabie Saoudite n'a pas conclu d'accord de garanties ni de protocole additionnel avec l'AIEA ;

- Israël ne reconnaît pas l'existence de moyens, ni ne revendique de statut par rapport au TNP ; il ne fait pas de sa capacité nucléaire présumée un instrument de sa diplomatie ; la question du statut d'Israël au regard des régimes de non-prolifération peut difficilement être abordée en dehors d'un règlement global des questions de sécurité régionale ;

- les défis soulevés par la prolifération nucléaire sont beaucoup plus divers qu'il y a une vingtaine d'années, si bien qu'aucune réponse unique ou globale ne s'impose pour améliorer de manière décisive la lutte contre la prolifération ; deux priorités semblent cependant se dégager : l'accentuation des efforts dans le domaine du renseignement et un contrôle renforcé sur les activités du cycle du combustible nucléaire - enrichissement et retraitement - qui constituent la clef de l'accès aux matières fissiles à usage militaire.

En conclusion, M. Philippe Carré a estimé que la lutte contre la prolifération nucléaire répond à des objectifs ambitieux et peut parfois provoquer des tensions diplomatiques avec certains pays. Cette politique a un coût, mais elle porte sur un enjeu majeur pour la sécurité internationale.

Conseil européen de Bruxelles (17 et 18 juin) - Audition de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, conjointement avec la délégation pour l'Union européenne, la commission a procédé à l'audition de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les conclusions du Conseil européen de Bruxelles (17 et 18 juin).

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, a souligné l'importance historique de l'adoption du projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe les 17 et 18 juin 2004. Cette constitution permettra à l'Europe élargie d'échapper à la paralysie qui l'aurait menacée en l'absence de réforme. Ce succès permettrait à l'Union européenne de réaffirmer sa cohésion, après les problèmes liés au conflit en Irak et d'adresser un signal fort aux citoyens européens, après le taux d'abstention aux élections européennes.

Elle a regretté que les 25 n'aient pas pu se mettre d'accord sur la nomination du Président de la nouvelle Commission, ni M. Verhofstadt, ni M. Patten n'ayant rassemblé une majorité qualifiée. Les critères français pour le choix du Président de la Commission sont : d'avoir une vision pour l'Europe, d'organiser la gestion d'une équipe, d'être issu d'un pays participant à l'ensemble des politiques communes et enfin de pouvoir s'exprimer en français.

Elle a évoqué brièvement quelques sujets abordés en dehors de la constitution européenne :

- en matière de justice intérieure, le Conseil, dressant le bilan du programme de Tampere, a salué les progrès substantiels réalisés depuis 5 ans, qu'il s'agisse d'asile, d'immigration, de coopération judiciaire et policière. Un nouveau programme (Tampere II) pourrait accorder la priorité à l'asile et à l'immigration (Agence européenne de coopération aux frontières extérieures), à la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue ;

- en matière économique et sociale, elle a souligné que le Conseil européen avait salué les progrès réalisés dans le cadre de la stratégie de Lisbonne et identifié certaines priorités (mobilité des chercheurs, services d'intérêt général).

En ce qui concerne les relations extérieures, elle a indiqué que le Conseil avait abordé les perspectives d'adhésion de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie :

- les candidatures bulgare et roumaine ne devront pas être dissociées et les négociations pourraient s'achever à la fin de cette année ;

- la Croatie s'est vu reconnaître le statut de candidat mais le Conseil n'a pris aucun engagement sur les dates d'achèvement des négociations et d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne.

Quant à la Turquie, Mme le ministre a précisé que le Conseil avait confirmé ses engagements de Copenhague (décembre 2002) et constaté que des efforts importants avaient été réalisés, mais que d'autres étaient encore nécessaires dans les domaines des droits de l'homme, de la protection des minorités religieuses et culturelles, de la réforme de la justice. Elle a souligné qu'à la demande de la France, le langage du Conseil européen avait été renforcé, précisant que les progrès devraient être garantis et mis en oeuvre de façon intégrale dans l'ensemble du pays, ces conditions étant indispensables pour l'ouverture de négociations.

En ce qui concerne la Constitution proprement dite, Mme le ministre a déclaré que son succès tenait notamment à la démarche adoptée par la Convention. Le pluralisme et la transparence ont permis d'aboutir à un consensus ambitieux centrés sur trois objectifs : une Europe plus démocratique, plus efficace et plus proche des citoyens.

Elle a relevé que le bilan de la Conférence intergouvernementale (CIG) était globalement positif et que si certains reculs avaient été enregistrés, notamment en matière de majorité qualifiée, ils avaient pu être limités.

Elle a fait état du rôle de la France dans certaines avancées obtenues par rapport au texte de la Convention (commission, gouvernance économique, politique de sécurité et de défense). Elle a souligné que la France avait joué un rôle majeur dans l'élaboration de la Constitution en faisant partie des principaux initiateurs du projet avec, notamment, le discours du Président de la République au Bundestag en 2000 et la participation active des conventionnels français sous la Présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing.

Mme la ministre a relevé l'importance des contributions franco-allemandes à la Convention et cité plusieurs améliorations sur lesquelles notre pays avait obtenu satisfaction :

- renforcement de l'action de l'Union en matière de santé publique ;

- prise en compte des objectifs sociaux dans l'ensemble des politiques de l'Union (« clause sociale horizontale ») ;

- renforcement des outils du dialogue social avec l'inscription dans la constitution du sommet tripartite pour la croissance ;

- renforcement de la capacité de décision pour les Etats membres de la zone euro ;

- rééquilibrage des pouvoirs du Parlement et du Conseil dans la procédure budgétaire.

Elle a ajouté que le rôle de la France avait été également essentiel pour consolider les avancées du volet Défense.

Elle a estimé que le projet de Constitution répondait au mandat donné à la Convention par le Conseil européen de Laeken  (décembre 2001) : « L'Union doit devenir plus démocratique, plus transparente et plus efficace ».

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, a fait valoir que la Constitution augmentait la légitimité démocratique de l'Union en incorporant la Charte des droits fondamentaux, en étendant la codécision, qui renforcera le rôle du Parlement européen en matière législative et budgétaire, en portant à six le nombre minimal de députés par Etat, en basant l'élection du président de la Commission sur les résultats des élections européennes, en permettant le contrôle du respect de la subsidiarité par les parlements nationaux, grâce à un « mécanisme d'alerte précoce ». Enfin, l'instauration d'un droit d'initiative citoyenne permettra à un million de citoyens de l'Union, issus de différents Etats membres, d'inviter la Commission à soumettre une proposition législative.

En ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité du processus décisionnel et le fonctionnement des institutions, la ministre a souligné que celle-ci serait favorisée par plusieurs avancées : la présidence stable du Conseil européen ; la réduction de la taille de la Commission ; la réforme de la majorité qualifiée au Conseil, avec le passage à la double majorité à partir de 2009 (55 % des Etats représentant 65 % de la population), qui permettra de renforcer la capacité décisionnelle du Conseil, et de prendre en compte, de façon équitable, le poids global des grands Etats membres comme la France qui passe de 8,4 % du nombre total de voix au Conseil sur la base de Nice à 12,4 % dans le nouveau dispositif ; enfin, la création d'un Ministre des affaires étrangères et du service diplomatique européen.

En matière de sécurité et de défense, la Constitution consacre plusieurs avancées majeures, une clause de défense mutuelle et une clause de solidarité affirmant pour la première fois dans le cadre de l'Union le principe d'un devoir d'assistance mutuelle entre Européens, y compris par des moyens militaires, face à tout type de menace. Une « coopération structurée » est prévue entre les Etats les plus engagés dans l'effort de défense.

La proximité de l'Europe à l'égard des citoyens sera également améliorée sur plusieurs points : une identité plus claire de l'Union européenne (disparition des Communautés européennes et Constitution unique fusionnant le Traité sur l'Union européenne et le Traité sur la Communauté européenne) ; une simplification des instruments et des procédures ; une répartition des compétences plus claire, la consécration du dialogue avec la société civile (sommet tripartite avec les partenaires sociaux) ; de nouveaux objectifs plus proches des préoccupations concrètes des citoyens (justice sociale, progrès social, plein emploi, économie sociale de marché, combat contre l'exclusion sociale, cohésion territoriale). L'exception culturelle est enfin protégée par l'exigence d'unanimité dans le cadre des négociations commerciales et étendue à la santé et à l'éducation.

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, a déploré certaines insuffisances du Traité constitutionnel, notamment en ce qui concerne les modalités de révision de la Constitution et le champ de la majorité qualifiée, moins étendu qu'on aurait pu le souhaiter. Elle a rappelé toutefois que le Traité comportait des éléments de souplesse qui permettraient d'étendre ultérieurement le champ de la majorité qualifiée, ou d'aller de l'avant dans le cadre de coopérations renforcées. Elle a conclu que cette Constitution conférait à l'Union une identité et une unité qui faisaient d'elles une Europe politique correspondant à la vision française d'une Europe-puissance.

Un débat a suivi l'exposé du ministre.

M. Xavier de Villepin s'est interrogé sur les difficultés de l'Europe à organiser une gouvernance économique. En effet, l'emploi, la fiscalité et les questions sociales sont au coeur des préoccupations des citoyens et c'est le retard économique de l'Europe qui est leur plus grande source d'inquiétude.

M. André Dulait, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a souhaité savoir comment serait organisé le service diplomatique européen afin de conférer au ministre des Affaires étrangères une capacité d'analyse autonome sur la situation internationale.

M. Pierre Mauroy a fait état de ses réserves et de sa déception sur le texte du Traité constitutionnel, à peine plus satisfaisant que celui du Traité de Nice. Malgré certaines avancées, les institutions européennes seront encore vraisemblablement perçues comme confuses par les populations et les progrès attendus dans le domaine social n'ont pu être obtenus. Le risque d'un rejet est réel et un effort considérable de pédagogie et de conviction sera nécessaire pour convaincre les citoyens. Il est donc important de connaître à la fois le calendrier et le mode de ratification retenus pour s'engager dans ce travail de conviction.

M. Serge Vinçon a souligné les progrès accomplis dans le domaine de la défense. L'Agence européenne de défense, les coopérations structurées ainsi que la clause de défense mutuelle sont à la hauteur des ambitions dans ce domaine. Il s'est interrogé sur les modalités de participation aux coopérations structurées et sur la portée effective de la clause de défense mutuelle.

M. Robert Del Picchia s'est félicité de ce qu'un accord ait pu être trouvé. A défaut, la situation de l'Europe aurait été plus grave. Il a interrogé la ministre sur la nomination du président de la commission, sur la teneur du rapport de la commission relatif à la Turquie, attendu pour le mois d'octobre et a souhaité savoir si la création d'un ministre européen de l'économie pouvait être envisagée. Il s'est déclaré en faveur d'une ratification par référendum, estimant qu'un vote positif n'était pas exclu.

M. Denis Badré a considéré que, bien qu'imparfaite, la Constitution européenne était un véritable symbole. Il a également souligné l'importance de la gouvernance économique pour permettre à l'Europe de dialoguer avec d'autres acteurs internationaux. Il a plaidé pour que l'Europe soit dotée d'un véritable budget dont les recettes, comme les dépenses, seraient votées par le Parlement européen. Un référendum, a-t-il estimé, nécessitera beaucoup de pédagogie mais on ne peut en priver les citoyens. Il a enfin insisté sur la nécessité d'un discours clair et positif sur la Constitution, s'interrogeant sur le devenir de l'Europe en cas de non-ratification.

M. Jacques Blanc a évoqué la ratification du Traité de Maastricht, rappelant qu'un véritable débat européen avait eu lieu à cette occasion. L'adhésion au texte constitutionnel est la seule réponse à une situation où l'élargissement de l'Europe a précédé la réforme de ses institutions. Il a par ailleurs souhaité savoir comment le Comité des régions serait associé au contrôle du respect du principe de subsidiarité et a enfin évoqué le processus de négociation avec la Turquie.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, s'est interrogé sur la conformité du traité constitutionnel à notre propre Constitution et a souhaité savoir quand le Conseil constitutionnel serait saisi de cette question.

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, a apporté les éléments de précision suivants :

- le calendrier de ratification prévoit une signature du traité en octobre ou novembre 2004, la saisine du Conseil constitutionnel ayant lieu à la même période, pour une décision attendue en janvier 2005. Une éventuelle révision constitutionnelle pourrait intervenir en mars 2005 pour une ratification au printemps. La suggestion de réserver une période relativement courte au mois de mai pour la ratification par l'ensemble des Etats européens a été soumise à la future présidence néerlandaise pour favoriser, à cette occasion, un débat véritablement européen. A cette fin, dans notre pays, un comité de réflexion chargé de mettre en place un dialogue permanent sur l'Europe sera mis en place prochainement et pourrait associer des parlementaires. En tout état de cause, la décision sur le mode de ratification reviendra au Président de la République ;

- le renforcement de la gouvernance économique est confronté à plusieurs réticences : certains Etats sont ainsi hostiles à toute harmonisation en matière fiscale, qui reste cependant ouverte par la voie des coopérations renforcées. Il n'en reste pas moins que la Constitution marque dans ce domaine de réelles avancées, y compris par rapport au texte de la Convention : l'eurogroupe se voit reconnu par le traité, il élit son président, sa capacité décisionnelle est sensiblement renforcée, il se prononce notamment sur l'entrée d'un nouveau membre dans la zone euro ;

- le ministre des affaires étrangères reprendra les fonctions du commissaire chargé des relations extérieures et du Haut Représentant et présidera le Conseil Affaires étrangères. Le service diplomatique européen ne sera plus placé sous responsabilité unique de la Commission ;

- en matière de défense, les coopérations structurées sont ouvertes aux Etats qui s'engagent à participer aux principaux programmes européens d'équipements et disposent de troupes rapidement disponibles pour des opérations ;

- la Constitution ne reconnaît pas le statut d'institution au Comité des régions, mais celui-ci a la capacité de saisir la Cour de justice pour l'application du principe de subsidiarité ;

- la nomination du Président de la Commission devrait intervenir sous présidence irlandaise. M. Juncker, pour sa part, a réaffirmé qu'il n'était pas candidat à ce poste.