Vade Mecum relatif à l'application de l'article 40 de la Constitution


Table des matières


L'article 40 de la Constitution dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ».

De façon concrète, pour les amendements parlementaires, d'une part, pour les propositions de lois, d'autre part, comment apprécier la portée de l'article 40 de la Constitution ? Qui en vérifie, au Sénat et à l'Assemblée nationale, la bonne application, et dans quelles conditions ?

Telles sont les questions auquel le présent document tente de répondre.

I. COMMENT APPRÉCIER LA PORTÉE DE L'ARTICLE 40 DE LA CONSTITUTION POUR LES AMENDEMENTS AYANT UNE INCIDENCE FINANCIÈRE?

Lorsque l'article 40 de la Constitution est considéré comme applicable, la décision prise par la commission n'a pas à être justifiée. Cependant, il est nécessaire, tant pour les rédacteurs d'amendement que pour les membres de la commission des finances du Sénat chargés de vérifier l'applicabilité de l'article 40, de comprendre les effets juridiques de cette disposition.

A. LE CHAMP DE L'ARTICLE 40

1. Quelles sont les administrations publiques concernées par l'article 40 ?

L'article 40 de la Constitution ne précise pas à proprement parler l'étendue de la sphère publique à laquelle s'appliquent les règles de la recevabilité financière. On peut considérer que ces règles s'appliquent aux administrations qui entrent dans le calcul des déficits et de la dette publique, à savoir :

- l'Etat, qu'il s'agisse du budget général, d'un budget annexe, d'un compte spécial ou d'un fonds de concours ;

- les collectivités territoriales (communes, départements, régions) au sens large, incluant ainsi les établissements publics de coopération intercommunale ;

- les administrations de sécurité sociale ;

- les établissements publics administratifs.

2. Dans quel cas l'article 40 peut-il s'appliquer aux associations et aux entreprises publiques ?

L'article 40 ne trouve à s'appliquer que très rarement aux entreprises publiques, aux établissements publics à caractère industriel et commercial ou même aux associations. Deux critères sont fréquemment utilisés pour savoir si ces organismes sont « dans le champ » de l'article 40 :

- la prépondérance de la ressource publique dans le budget de l'organisme ;

- l'incidence de la disposition proposée en termes de subvention pour charge de service public ou pour perte d'exploitation.

B. LA DISSYMÉTRIE ENTRE LES RECETTES ET LA DÉPENSE

Deux cas bien différents sont à distinguer selon que l'amendement concerné a une incidence en termes de ressources publiques ou une incidence en termes de charge publique.

1. Pourquoi distingue-t-on les recettes et la dépense ? Pluriel et singulier...

Dans le cas des ressources publiques, l'article 40 de la Constitution utilise le pluriel, alors que dans celui de la dépense, il utilise le singulier. Par une interprétation juridique constante, il en découle donc que :

- une diminution de ressource publique peut être gagée par une augmentation à due concurrence d'une autre ressource, le niveau global des ressources restant inchangé ;

- une augmentation de charge, même modeste, est, par nature, impossible à compenser par une économie. En ce dernier cas, même s'il y a un gage, celui-ci est inopérant sur le plan juridique, et l'amendement n'est pas recevable. Une exception existe néanmoins désormais, pour les amendements portant redéploiements de crédits entre deux programmes d'une même mission, dans le cadre des amendements déposés sur un projet de loi de finances, conformément à l'article 47 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

L'interprétation juridique retenue depuis l'origine vise à dégager le maximum de marge de manoeuvre pour l'initiative parlementaire tout en respectant les dispositions de la Constitution.

2. Quelle est la base de référence pour apprécier l'augmentation d'une charge publique ?

C'est la référence la plus favorable qui s'applique : il s'agit donc, soit du droit existant (au sens large : lois, règlements et circulaires) soit, si cela est plus favorable à l'initiative parlementaire, le droit proposé (y compris les simples intentions du gouvernement, pour peu qu'elles aient été clairement exprimées).

Ainsi, une disposition d'origine parlementaire « en retrait » par rapport à un texte du gouvernement proposant l'augmentation d'une charge publique, mais suscitant néanmoins une nouvelle dépense par rapport au droit existant, est recevable.

3. Pourquoi ne compense-t-on pas une baisse des recettes par une baisse de dépense, ou une hausse de dépense par une hausse de recette ?

Là encore, il convient de se référer littéralement au texte de l'article 40 de la Constitution, qui, en interdisant aux membres du Parlement, soit une diminution des ressources publiques, soit une augmentation d'une charge publique, empêche toute compensation entre recettes et dépense dans les amendements.

C. LES RECETTES : LA POSSIBILITÉ DE LES « GAGER »

1. Comment peut-on compenser la baisse d'une ressource publique ?

S'agissant des recettes, une diminution d'une ressource publique est recevable dès lors qu'elle est gagée par l'augmentation d'une autre recette (d'où l'apparition d'un « gage de convenance » relatif à l'augmentation des droits sur les tabacs). Tout amendement portant diminution d'une recette « non gagée » est irrecevable au sens de l'article 40 de la Constitution.

2. Faut-il apprécier la réalité du gage ?

En application de la décision du Conseil constitutionnel n° 76-64 DC du 2 juin 1976, il faut que « la ressource destinée à compenser la diminution d'une ressource publique soit réelle, qu'elle bénéficie aux mêmes collectivités ou organismes que ceux au profit desquels est perçue la ressource qui fait l'objet d'une diminution et que la compensation soit immédiate ».

La réalité du gage est ainsi appréciée de deux façons :

- d'une part, l'augmentation de recettes doit compenser exactement la perte de recettes suscitée par la disposition concernée, d'où l'expression indispensable « à due concurrence » ;

- d'autre part, l'augmentation de recettes déterminée par le gage doit bénéficier à la collectivité qui subit la perte de recettes.

Dans le cas des collectivités territoriales néanmoins, compte tenu de la difficulté de déterminer avec précision, les communes, EPCI, départements, régions susceptibles de subir une perte de recettes, la compensation s'apprécie soit au niveau de chaque catégorie de collectivité, soit au niveau de l'ensemble des collectivités territoriales, s'il n'est pas possible d'affiner plus avant le gage et que la perte de recettes n'est pas circonscrite à telle ou telle catégorie de collectivité.

Le gage est écrit de manière différente selon que la perte de recettes s'applique à l'Etat, à la Sécurité Sociale ou aux collectivités territoriales.

Exemples1(*) :

La perte de recettes pour l'Etat résultant de (...) est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La perte de recettes pour les organismes de sécurités sociale résultant de (...) est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts2(*).

Pour les collectivités territoriales, le gage utilisé, dit « en cascade », est le suivant (pour les raisons juridiques qui seront évoquées infra) :

La perte de recettes éventuelle pour les collectivités territoriales résultant de (...) est compensée par la majoration à due concurrence de la dotation globale de fonctionnement.

La perte de recettes éventuelle pour l'Etat résultant du paragraphe précédent est compensée par la majoration à due concurrence des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

3. Pourquoi gage-t-on quasi systématiquement par une augmentation des droits sur le tabac ?

Sous réserve des conditions indiquées ci-dessus, les dispositions relatives à une perte de recettes devant être gagées peuvent l'être par l'augmentation de n'importe quelle ressource, à condition que celle-ci soit certaine : il y a évidemment une préférence pour une recette fiscale plutôt que, par exemple, pour une augmentation des amendes, plus difficilement recouvrables.

Il faut noter ainsi que tous les auteurs d'amendements ou de propositions de loi ne gagent pas leurs dispositions par le gage « tabac » : le choix du gage est libre.

Néanmoins, la pratique a conduit à gager de plus en plus fréquemment, par commodité, en fonction des « droits tabacs », car le gage est « idéologiquement, et économiquement, « relativement neutre ». Il a pu paraître « artificiel », mais en réalité, il ne l'est pas plus que tout autre gage : en matière de « dépense fiscale », l'évaluation de la perte financière est difficile à évaluer et à quantifier avec précision, d'où l'expression toujours utilisée : « à due concurrence ».

Peu de dispositions sont en pratique adoptées sans que le gouvernement ne « lève le gage », ce qui limite a priori le risque que pourrait faire peser sur l'équilibre du budget des administrations publiques ce gage de convenance.

4. Un crédit d'impôt est-il une réduction de recettes ?

La réduction d'impôt constitue un montant venant en déduction de l'impôt calculé, permettant d'en atténuer l'importance voire d'en annuler le montant : à ce titre, il s'agit d'une perte de recettes, susceptible d'être gagée.

Un crédit d'impôt est un montant venant en réduction de l'impôt, excédant le montant de celui-ci étant susceptible d'être versé, remboursé, restitué au contribuable : il présente donc une double nature : celui d'une diminution de recettes, puis celui d'une dépense, susceptible d'être inscrite au sein de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

Dès lors que le crédit d'impôt reste « modéré » et conserve sa double nature, sa recevabilité au sens de l'article 40, dès lors qu'il est gagé est admise. Dès lors qu'il présente le caractère d'une « subvention publique » trop appuyé, il devient augmentation de charge, par définition non gageable.

La prime pour l'emploi est aujourd'hui, de manière prépondérante, restituée à des contribuables non imposés : elle s'apparente ainsi à une dépense, par principe non gageable.

D. LA DÉPENSE : L'IMPOSSIBILITÉ DE L'AUGMENTER

Une disposition parlementaire peut bien entendu toujours diminuer la dépense. C'est l'augmentation des charges publiques qui est en cause.

1. Comment apprécie-t-on si une disposition comporte l'augmentation d'une charge publique ?

S'agissant de la dépense, toute augmentation est impossible, sauf exception dans le cadre d'un projet de loi de finances détaillée ci-après.

Il n'est pas nécessaire que l'augmentation de charge soit certaine. Ce qui compte, c'est qu'elle soit rendue possible, que ce soit :

- de manière automatique, si certaines conditions sont réunies ;

- ou de manière facultative, par exemple en ce qui concerne l'instauration d'une charge facultative des collectivités territoriales.

Une simple déclaration d'intention (comme dans une loi de planification, d'orientation, de programmation, etc.), pourvu qu'elle ne soit pas trop vague, peut être irrecevable.

Dans certains cas, si la dépense est très indirecte, ou est considérée comme « une charge de gestion », modeste, d'une disposition qui ne vise pas à proprement parler à augmenter la dépense publique, l'article 40 peut être considéré comme non applicable.

Lorsqu'il y a doute, il est admis en pratique que ceci puisse profiter à l'initiative parlementaire.

2. A quelles conditions peut-on redéployer une dépense dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances ?

L'article 47 de la LOLF ouvre la faculté pour les parlementaires de modifier le montant et la répartition des programmes d'une même mission, sous réserve de ne pas augmenter le montant de celle-ci. Cette disposition ne s'applique pas aux projets de loi « ordinaires », ou aux dispositions des projets de loi de finances ne concernant pas spécifiquement les crédits des missions.

Dans sa décision relative à la LOLF, le Conseil constitutionnel précise que l'article 47 de la LOLF s'applique :

- aux amendements aux articles de la seconde partie de la loi de finances de l'année, qui respectivement fixent « pour le budget général, par mission, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement » et « par budget annexe et par compte spécial, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ouverts ou des découverts autorisés » ;

- aux amendements s'appliquant aux modifications des mêmes articles par les lois de finances rectificatives ;

- aux amendements aux dispositions analogues figurant dans les lois visées à l'article 45 de la Constitution, c'est-à-dire des lois spéciales autorisant le gouvernement à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année ;

- aux amendements destinés à rectifier les ajustements de crédits opérés en loi de règlement.

En application du deuxième alinéa de l'article précité, l'objet des amendements portant redéploiement de crédits doit préciser sur quelles actions des différents programmes portent les modifications proposées.

Pour être recevable au sens de l'article 40 de la Constitution, l'amendement relatif à une mission doit se présenter comme suit et présenter un solde nul3(*).

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

(...)

Dont titre 2

(...)

Dont titre 2

(...)

Dont titre 2

TOTAL

SOLDE

Les redéploiements de dépenses entre missions, ou entre personnes publiques, et a fortiori l'augmentation de crédits au sein d'une mission non gagée par des économies à due concurrence, restent irrecevables.

Les amendements tendant à créer une mission sont irrecevables (article 7 de la LOLF).

E. LES PRÉLÈVEMENTS SUR RECETTES

1. Existe-t-il des dépenses qui sont assimilées à des pertes de recettes au sens de l'article 40 ? Le cas spécifique des prélèvements sur recettes

Certaines dispositions portant à première vue sur des dépenses, comme par exemple la dotation globale de fonctionnement, peuvent être, sous réserve d'être gagées, conformes à l'article 40 de la Constitution en raison d'une spécificité de nos règles budgétaires : certaines dépenses sont en réalité des prélèvements sur recettes et la pratique a été consacrée par la LOLF qui leur consacre une place à part.

Deux conséquences peuvent être tirées de l'existence des prélèvements sur recettes :

- d'une part, ceux-ci peuvent être augmentés (il s'agit en fait d'une baisse de recettes), dès lors qu'ils sont gagés à due concurrence par l'augmentation d'autres recettes au profit de l'Etat ;

- d'autre part, l'augmentation d'un prélèvement sur recettes, en l'occurrence le plus souvent la dotation globale de fonctionnement, peut servir de gage à une diminution des recettes attribuées aux collectivités territoriales, dès lors que cette augmentation de la dotation globale de fonctionnement est « à son tour » gagée par une augmentation d'autres recettes au profit de l'Etat (c'est le fameux « gage en cascade »).

Qu'est ce qu'un prélèvement sur recettes ?

Il existe deux types de prélèvements sur recettes définis strictement par la LOLF :

- le prélèvement opéré sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes ;

- les prélèvements opérés sur les recettes de l'Etat au profit des collectivités territoriales.

Ces derniers prélèvements4(*) sont détaillés dans l'annexe des voies et moyens annexés au projet de loi de finances. Il s'agit :

- de la dotation globale de fonctionnement ;

- du produit des amendes forfaitaires de la police de la circulation ;

- de la dotation spéciale pour le logement des instituteurs ;

- de la dotation de compensation des pertes de bases de la taxe professionnelle et de redevance des mines des communes et de leurs groupements ;

- de la dotation de compensation de la taxe professionnelle ;

- du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée ;

- de la compensation d'exonérations relatives à la fiscalité locale ;

- de la dotation « élu local » ;

- du prélèvement sur les recettes de l'Etat au profit de la collectivité territoriale de Corse et des départements de Corse ;

- de la compensation de la suppression de la part salaire de la taxe professionnelle ;

- du fonds de mobilisation départementale pour l'insertion.

2. Quelles sont les règles de recevabilité s'appliquant aux dotations « internes » à la dotation globale de fonctionnement ?

La dotation globale de fonctionnement est une dotation dont le taux de croissance est fixé, chaque année, par la loi de finances, pour chaque catégorie de collectivités territoriales (communes et EPCI, départements, régions).

Par ailleurs, la dotation globale de fonctionnement de chaque catégorie de collectivités territoriales est elle-même constituée de plusieurs composantes, également dénommées dotations. Elle comprend, en particulier, une ou plusieurs dotations de péréquation, qui en constituent le solde, c'est-à-dire ce qui « reste » de la dotation globale de fonctionnement une fois prise en compte l'augmentation de ses composantes n'ayant pas de fonction de péréquation5(*).

Par conséquent, les seuls amendements relatifs à la dotation globale de fonctionnement devant être gagés sont ceux qui augmentent le montant global des dotations de péréquation, ou qui augmentent explicitement le montant global de la dotation globale de fonctionnement d'une catégorie de collectivités. Par exemple, un amendement prévoyant une majoration de la dotation d'aménagement (destinée à la péréquation) de la DGF des communes et des établissements publics de coopération intercommunale doit être gagé, parce qu'il correspond à une augmentation globale de la dotation globale de fonctionnement des communes et des établissements publics de coopération intercommunale.

Ne nécessitent pas de gage les amendements :

- qui augmentent une ou plusieurs composantes de la dotation globale de fonctionnement qui ne font pas partie des dotations de péréquation (comme la dotation de base de la dotation globale de fonctionnement des communes et des établissements publics de coopération intercommunale) ;

- qui n'augmentent que certaines composantes de la dotation d'aménagement de la dotation globale de fonctionnement des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (par exemple, la seule dotation de solidarité urbaine).

De tels amendements entraînent en effet mécaniquement une diminution à due concurrence du montant global des dotations de péréquation de la dotation globale de fonctionnement de la catégorie de collectivités concernée.

II. COMMENT APPRÉCIER LA PORTÉE DE L'ARTICLE 40 DE LA CONSTITUTION POUR LES PROPOSITIONS DE LOI ?

L'article 40 de la Constitution est opposable de la même façon aux propositions de loi, qui, lorsqu'elles ont une incidence en recettes, doivent être gagées de la même façon que les amendements.

Par tradition, et suivant une autre logique que celle applicable aux amendements, le Service de la Séance accepte également le dépôt des propositions de loi augmentant une charge publique dès lors que celles-ci sont gagées, par une « augmentation à due concurrence » des recettes.

Il se conforme ainsi à une autre lecture de l'article 40, l'introduction du « gage » signalant toutefois que la proposition de loi comporte des incidences financières.

Cette pratique est identique à celle de l'Assemblée nationale.

III. QUI VÉRIFIE, AU SÉNAT ET À L'ASSEMBLÉE NATIONALE, LA BONNE APPLICATION DE L'ARTICLE 40, ET DANS QUELLES CONDITIONS ?

A. LES RÈGLEMENTS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET DU SÉNAT

1. Que dit le règlement de l'Assemblée nationale ?

L'article 98 du règlement de l'Assemblée nationale prévoit que « s'il apparaît évident que l'adoption d'un amendement aurait les conséquences prévues par l'article 40 de la Constitution, le Président en refuse le dépôt. En cas de doute, le Président décide, après avoir consulté le président ou le rapporteur général de la Commission des finances, de l'économie générale et du plan ou un membre du bureau désigné à cet effet ; à défaut d'avis, le Président peut saisir le Bureau de l'Assemblée ». A l'Assemblée nationale, un amendement irrecevable au regard de l'article 40 ne peut donc être déposé : n'étant pas distribué, il n'arrive donc jamais en séance.

2. Que dit le règlement du Sénat ?

Au Sénat, l'article 45 du règlement prévoit que « tout amendement dont l'adoption aurait pour conséquence, soit la diminution d'une ressource publique non compensée par une autre ressource, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique peut faire l'objet d'une exception d'irrecevabilité soulevée par le Gouvernement, la commission des finances, la commission saisie au fond ou tout sénateur. L'irrecevabilité est admise de droit, sans qu'il y ait lieu à débat, lorsqu'elle est affirmée par la commission des finances. L'amendement est mis en discussion lorsque la commission des finances ne reconnaît pas l'irrecevabilité ».

3. Qu'a dit récemment le Conseil constitutionnel ?

Dans sa décision n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, le Conseil constitutionnel a estimé que deux des douze dispositions considérées comme « cavaliers sociaux » auraient dû, de surcroît, être déclarées irrecevables dès leur dépôt pour cause d'aggravation d'une charge publique. Jusqu'à aujourd'hui, le Conseil constitutionnel n'appréciait pas d'office la recevabilité financière des amendements en vertu de la règle du « préalable parlementaire » qui suppose que la question de la recevabilité ait été soulevée en première lecture devant la première assemblée saisie. Tant que le Sénat ne mettra pas en oeuvre un « contrôle de recevabilité » effectif et systématique au moment du dépôt, cette règle ne s'appliquera plus aux amendements adoptés et le Conseil constitutionnel pourra les invalider, même si l'article 40 n'a pas été invoqué.

B. LA PRATIQUE AU SÉNAT À COMPTER DU 1ER JUILLET 2007

1. Qui instruit la recevabilité financière de l'amendement ?

La commission des finances examine désormais les amendements lors de leur dépôt au Service de la Séance et instruit leur recevabilité financière. Concrètement, c'est le président de la commission qui exerce cette fonction.

2. Comment est prévenu l'auteur d'un amendement tombant sous le coup de l'article 40 ?

Dans le cas d'irrecevabilité d'un amendement, son auteur, ou son premier signataire, sera alerté dans les meilleurs délais, par mail et par téléphone, par la commission des finances. L'irrecevabilité sera, en outre, confirmée par lettre du président de la commission des finances à l'auteur, ou au premier signataire.

3. Que se passe-t-il en cas de dépôt en séance d'un amendement rectifié ou d'un sous-amendement ?

Dans ces deux cas, en application du premier alinéa de l'article 45 du Règlement intérieur du Sénat, le commissaire des finances de permanence6(*) déclare, s'il y a lieu, l'irrecevabilité de l'amendement.

En cas de doute sur l'applicabilité de l'article 40, le commissaire des finances de permanence pourra demander la réserve de l'article en discussion, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 45 du règlement du Sénat7(*).

4. Quel est le sort des amendements tombant sous le coup de l'article 40 ?

Aucun amendement déclaré « article 40 » par la commission des finances n'est distribué ou diffusé et, a fortiori, ne figure sur le dérouleur de séance.

Dans le cas d'une rectification ou d'un sous-amendement en séance, le Président de séance n'appelle pas les amendements déclarés financièrement irrecevables par la commission des finances.


* 1 Le mémento pratique des amendements rédigés par le Service de la Séance à laquelle le présent document n'a pas vocation à se substituer présente de la page 179 à la page 205 l'ensemble des éléments pour « gager » les amendements ayant des incidences financières.

* 2 Ces droits « tabac » sont, en effet, affectés pour partie à l'Etat, pour partie à la Sécurité sociale.

* 3 Un solde négatif correspondant à des économies a bien entendu toujours été recevable.

* 4 Les autres dotations de l'Etat aux collectivités territoriales sont regroupées dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales », et correspondent à des crédits budgétaires. Leur augmentation n'est pas gageable et n'est donc pas recevable au sens de l'article 40 de la Constitution.

* 5 Dans un souci de simplification, on assimile ici la DGF des EPCI, qui fait partie de la dotation d'aménagement de la DGF des communes et des EPCI, à une dotation de péréquation.

* 6 Cette permanence est traditionnellement assurée à tour de rôle pour une semaine par les membres du Bureau, à l'exception du Président et du rapporteur général.

* 7« Lorsque la commission des finances n'est pas en état de faire connaître immédiatement ses conclusions sur l'irrecevabilité de l'amendement, l'article en discussion est réservé. Quand la commission des finances estime qu'il y a doute, son représentant peut demander à entendre les explications du Gouvernement et de l'auteur de l'amendement qui dispose de la parole durant cinq minutes. Si le représentant de la commission des finances estime que le doute subsiste, l'amendement et l'article correspondant sont réservés et renvoyés à la commission des finances. Dans les cas prévus au présent alinéa, la commission des finances doit faire connaître ses conclusions sur la recevabilité avant la fin du débat, autrement l'irrecevabilité sera admise tacitement ».