Avis de la commission des finances du Sénat

sur le projet de décret d’avance
portant ouverture et annulation de crédits,
pour un montant de 303,1 millions d’euros en autorisations d’engagement
et de 384,9  millions d’euros en crédits de paiement

 Sur la base d’un rapport de motivation du Gouvernement dont elle souhaite qu’il soit publié au Journal officiel, la commission des finances du Sénat a examiné, au regard des conditions posées par la loi organique relative aux lois de finances, un projet de décret d’avance portant ouverture et annulation de 303,1 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 384,9 millions d’euros en crédits de paiement.

 Sur la base des analyses contenues dans la note explicative ci-jointe, elle a  constaté que :

1.      Le plafond de 1 % pour les crédits ouverts n’est pas dépassé ;

2.      L’équilibre budgétaire défini par la loi de finances initiale pour 2009, voté par le Parlement, n’est pas affecté, et que l’ouverture des crédits susmentionnés, dès lors qu’elle est gagée par des annulations d’un même montant, n’appelle pas le dépôt d’un projet de loi de finances rectificative ;

3.      L’urgence à ouvrir, au titre des dépenses précitées, les autorisations d’engagement et les crédits de paiement correspondants est indiscutable, sauf en ce qui concerne l’ouverture de 46,17 millions d’euros de crédits sur le programme 204 « Prévention et sécurité sanitaire » de la mission « Santé » (cf. point 6 infra) ;

4.      Les mesures relatives à l’indemnisation des collectivités touchées par des calamités naturelles, les mesures d’aide à l’Afghanistan et au Pakistan, la compensation de la baisse du prix des carburants dans certains départements d’outre-mer, le financement de la compagnie française pour l’exposition de Shanghai 2010 et celui des opérations de recherche à la suite de la catastrophe aérienne du 1er juin 2009, revêtent bien - à la différence de celles mentionnées au point 5 infra - un caractère imprévisible ;

5.      En revanche, les ouvertures de crédits relatives aux opérations immobilières du ministère de la défense ne présentent pas ce caractère d’imprévisibilité incontestable, à partir du moment où la crise immobilière rendait difficile, dès le vote de la loi de finances initiale (LFI) pour 2009, la mise en place de la structure de portage ;

6.      S’agissant de l’achat de masques de protection contre la grippe A / H1N1 prévu au titre du programme 204 susmentionné, elle émet de nettes réserves quant à l’imprévisibilité de ces acquisitions qui semblent moins résulter de l’urgence que de la mauvaise gestion des stocks de produits de santé constitués en cas de pandémie. Il s’agit, en effet, de renouveler, pour partie, des stocks périmés dont la date de péremption était connue au moment du vote de la LFI pour 2009. Par ailleurs, ces masques, dont la date de validité est dépassée, ne seront pas détruits, mais conservés, dans la mesure où leur efficacité a été démontrée.

En ce qui concerne ce dernier point, la commission des finances déplore les difficultés rencontrées pour obtenir des chiffrages précis et cohérents sur l’évaluation des nouveaux besoins. Elle invite le Gouvernement à procéder au recensement rapide et complet de l’ensemble de ses stocks et à trancher rapidement la question du sort à réserver aux produits périmés. Enfin, elle estime qu’un bilan de l’action de l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) devra être mené une fois le risque pandémique passé, afin d’apprécier l’utilité réelle de cette agence.

 SOUS RÉSERVE DE CES OBSERVATIONS, LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT A ÉMIS UN AVIS FAVORABLE AU PRÉSENT PROJET DE DÉCRET D’AVANCE.


 Note explicative de l’avis de la commission des finances du Sénat

sur le projet de décret d'avance portant ouverture et annulation de crédits, pour un montant de 303,1 millions d'euros en autorisation

EN AUTORISATIONS D’ENGAGEMENT ET DE 384,9  MILLIONS D’EUROS EN CRÉDITS DE PAIEMENT

I. Les ouvertures de crédits appelant des observations substantielles

A. Achat de masques de protection contre la grippe  A / H1N1

Le projet gouvernemental de décret d’avance portant ouverture et annulation de crédits prévoit, s’agissant de la mission « Santé », une ouverture de crédits, pour l’année 2009, de 46,17 millions d’euros, en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP).

1. Une ouverture de crédits de 46,17 millions d’euros sur l’action 16, « Réponse aux alertes et gestion des urgences, des situations exceptionnelles et des crises sanitaires », du programme 204 «Prévention et sécurité sanitaire »

Le projet de décret d’avance propose d’inscrire ces crédits sur l’action 16, « Réponse aux alertes et gestion des urgences, des situations exceptionnelles et des crises sanitaires  », du programme 204 « Prévention et sécurité sanitaire », placé sous la responsabilité du ministre de la santé et des sports.

Ils sont destinés à l’acquisition de 92,4 millions de masques pour les agents des différentes administrations et établissements (hors secteur de la santé), dont la présence, en cas de pandémie grippale, est indispensable à la continuité de l’Etat.

En effet, à la suite de l’épizootie de « grippe aviaire » en 2006, les différents ministères ont été amenés à constituer, dans le cadre de leur « plan de continuité », un stock propre de masques – distinct de celui relevant du ministère de la santé –, destinés à leurs agents identifiés comme « prioritaires » (les agents de police, par exemple, pour le ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales).

L’émergence du nouveau virus grippal A/H1N1 a conduit le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) à demander aux différents ministères de réévaluer leurs stocks. Cette consultation a fait apparaître un besoin – hors secteur de la santé – de 92,4 millions de masques qui seront acquis par l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), opérateur créé, à cet effet, en 2007[1].

Cet établissement étant opérateur de la mission « Santé », les crédits destinés à ces achats sont ouverts sur cette mission. Cependant les commandes seront financées par les différents ministères concernés, à due concurrence de leurs besoins, par le biais d’annulations de crédits, parallèlement prévues par le présent projet de décret d’avance.

En revanche, s’agissant du ministère de la santé et des sports, les nouveaux besoins en masques n’entrent pas dans le cadre du présent projet de décret d’avance. En effet, ces nouveaux besoins, évalués à 307,5 millions de masques, soit 153,75 millions d’euros, seront financés sur le budget de l’EPRUS. Le stock destiné au secteur de la santé – pour la protection des professionnels de santé et des malades – relève, en effet, de la compétence de cet établissement.

Au total, le volume de masques à acquérir s’élève donc à 399,9 millions –soit près de la moitié des stocks actuels – pour un coût de 199,92 millions d’euros. L’EPRUS sera chargé de la passation d’une commande unique destinée à répondre à l’ensemble des besoins des ministères.

2. Une dépense dont le caractère urgent et  imprévisible peut être mis en cause

Votre commission des finances ne conteste pas le caractère imprévisible de l’émergence du risque de pandémie grippale, après la découverte, à la fin du mois d’avril 2009, des premiers cas humains de « grippe A ».

Cependant, elle s’interroge fortement sur le caractère imprévisible et urgent des achats supplémentaires de masques demandés dans le cadre du présent projet de décret d’avance, ainsi que, de façon plus générale, sur la qualité de gestion de ces stocks. Cette dernière question a été soulevée, dès l’origine, par notre collègue Nicole Bricq, alors rapporteure spéciale de la mission

 « Sécurité sanitaire »[2] et, plus récemment, par notre collègue Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial de la mission « Santé », qui a fait part de ses réserves lors de sa communication d’étape de mai dernier sur la gestion par l’EPRUS du « Stock national santé »[3].

Le caractère imprévisible de ces dépenses peut, tout d’abord, être contesté, dans la mesure où les achats supplémentaires de masques sont destinés, pour partie, au renouvellement de masques périmés. L’arrivée à péremption de ces produits était donc prévisible.

Quant au caractère urgent de ces achats, il est également discutable, l’achat des nouveaux masques résultant moins de l’urgence que de l’absence de décision prise sur le sort réservé aux masques actuellement périmés. En effet, d’après les informations fournies par le ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, ainsi que par le ministère de la santé et des sports, les masques périmés ne seront pas détruits au fur et à mesure de l’acquisition des nouveaux produits, mais seront conservés, comme aujourd’hui, en vue de pallier d’éventuels besoins, des études ayant prouvé que 96 % des masques périmés demeuraient efficaces.

Le présent projet de décret d’avance ne résulte donc pas de l’absence de stocks, mais du refus d’utiliser les masques aujourd’hui conservés. Il y a donc ici une contradiction entre, d’une part, la volonté de renouveler des stocks périmés, et, d’autre part, celle de conserver – tout en refusant de les utiliser au moins dans un premier temps – des produits utilisables en dépit de leur arrivée à péremption. De deux choses l’une : soit ces masques sont réellement efficaces et peuvent être distribués, soit ils ne le sont pas et doivent, en conséquence, être détruits.

Votre commission des finances note, par ailleurs, que le présent projet de décret d’avance ne porte pas sur l’acquisition de vaccins, qui sera pourtant également nécessaire d’ici l’automne. Selon les données recueillies auprès l’EPRUS, la réservation de vaccins contre le virus A/H1N1 auprès de laboratoires pharmaceutiques est encore en cours de négociation. Elle pourrait représenter un volume compris entre 95 et 120 millions de doses, pour un coût compris entre 570 millions d’euros et 855 millions d’euros – fourchette basse – et 720 millions d’euros et 1,08 milliard d’euros – fourchette haute[4].

Plus généralement, votre commission des finances s’interroge sur la qualité de gestion de ces stocks et sur l’utilité même de l’EPRUS.

Tout d’abord, il convient de souligner les difficultés rencontrées pour obtenir des données chiffrées cohérentes et précises sur l’état actuel des stocks, ainsi que sur les évaluations des nouveaux besoins. Notre collègue Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial de la mission « Santé », avait déjà rencontré ce type de difficultés au cours de sa mission de contrôle.

Se pose, ensuite, la question de la qualité de la programmation budgétaire de l’EPRUS. En effet, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2009, notre collègue Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial de la mission « Santé », avait déposé un amendement tendant à réduire la subvention pour charge de service public de l’EPRUS de 20 millions d’euros en raison de l’importance du fonds de roulement de l’agence – 189,9 millions d’euros au 31 décembre 2007. L’amendement a été retiré en séance après que Madame Roselyne Bachelot, ministre de la santé et des sports, a assuré à notre collègue que, compte tenu du programme prévisionnel d’acquisition de l’EPRUS, le fonds de roulement de l’agence serait réduit, à la fin de l’exercice 2009, à 14 millions d’euros.

Les nouveaux besoins du ministère de la santé et des sports, qui s’élèvent, comme indiqué précédemment, à 307,5 millions de masques pour un coût de 153,75 millions d’euros, seront financés par le fonds de roulement de l’établissement. Il n’a pu cependant être précisé, à votre commission des finances, les opérations devant être reportées en raison de cet achat imprévu. Ceci pose la question de la réelle visibilité de l’EPRUS sur ses acquisitions à long terme.

Enfin, il convient de s’interroger sur l’utilité même de l’EPRUS. Cet opérateur a été créé, en 2007, dans le but de rationaliser et professionnaliser la gestion logistique des stocks de produits de santé constitués en cas d’attaque terroriste ou de pandémie, afin de pallier les difficultés rencontrées en la matière par le ministère de la santé et des sports. Figurent ainsi, parmi les missions de l’EPRUS, l’acquisition et le stockage de ces produits.

Or, deux éléments révélés par le présent projet de décret d’avance posent la question de la légitimité même de l’établissement :

- d’une part, échappent à sa gestion les stocks constitués par les différents ministères, ainsi que les stocks des collectivités territoriales, dont l’EPRUS a indiqué ne pas connaître le volume ;

- d’autre part, pour la commande de masques qui fait l’objet du présent projet de décret d’avance, de même que pour la passation de nouvelles conventions de stockage rendues nécessaires par ces nouvelles acquisitions, l’EPRUS a indiqué à votre commission des finances, qu’il passera, comme le faisait auparavant la direction générale de la santé, par l’Union des groupements d’achats publics (UGAP).

La question de l’utilité de l’EPRUS se pose d’autant plus que celui-ci est placé sous la tutelle étroite du ministère de la santé et des sports, l’EPRUS « ne [pouvant] réaliser aucune opération d’acquisition […] sans en avoir reçu préalablement l’ordre de service du ministère chargé de la santé ou de son délégataire »[5]

En conclusion, votre commission des finances émet de fortes réserves quant à l’imprévisibilité de ces nouveaux achats de masques qui semblent moins résulter de l’urgence que de la mauvaise gestion des stocks de produits de santé constitués en cas d’attaque terroriste ou de pandémie.

Elle déplore particulièrement les difficultés rencontrées pour obtenir, auprès du ministère de la santé et de l’EPRUS, des chiffrages précis et cohérents sur l’état actuel des stocks et l’évaluation des nouveaux besoins.

Elle invite donc fortement le gouvernement à procéder au recensement rapide et complet de l’ensemble des stocks actuels et à trancher rapidement la question du sort à réserver aux produits périmés qui ne seront pas détruits au fur et à mesure des nouvelles acquisitions, mais conservés pour pallier d’éventuels besoins.

Enfin, un bilan de l’action réelle de l’EPRUS devra être mené une fois le risque pandémique passé, afin d’apprécier l’utilité réelle de cette agence.

B. LES OPÉRATIONS IMMOBILIÈRES DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE

1. Le retard de perception des ressources exceptionnelles prévues pour 2009

La mission « Défense » doit être en partie financée, sur la période 2009-2014, par des ressources exceptionnelles, évaluées à 3,7 milliards d'euros par le projet de loi de programmation militaire 2009-2014. Ces ressources exceptionnelles devraient consister en quasi-totalité en cessions de biens immobiliers et de fréquences hertziennes, initialement évaluées à respectivement environ 1,9 milliard d'euros et 1,5 milliard d'euros. Elles doivent transiter par deux comptes d'affectation spéciale, « Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien » et « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat ». En ce qui concerne les biens immobiliers, il s'agit de céder les principaux immeubles parisiens (dans la perspective du futur regroupement des services parisiens sur le site du Balard en 2013) à une société de portage en cours de création, qui serait une filiale de la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM) et de la Caisse des dépôts et consignations.

Pour l'année 2009, les ressources exceptionnelles ont été initialement évaluées à 1,6 milliard d'euros, dont 1 milliard d'euros pour les actifs immobiliers et 0,6 milliard d'euros pour les fréquences hertziennes.

Dans le cas des fréquences hertziennes, le ministre de la défense a déclaré, le 8 juin 2009, lors de l'examen du projet de loi de programmation militaire 2009-2014 par l'Assemblée nationale, qu'aucune recette ne serait perçue en 2009. Dans le cas des biens immobiliers, environ 0,3 milliard d'euros a déjà été perçu (solde du compte spécial de 2008 et  « soulte » versée par la Société nationale immobilière), mais le ministre de la défense a indiqué que la création de la société de portage, sans cesse décalée depuis le début de l'année, devrait avoir lieu seulement en octobre 2009.

Le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique a exprimé un point de vue plus circonspect lors de son audition par la commission de la défense de l’Assemblée nationale, le 10 mars 2009, déclarant en particulier : « Nous ne sommes pas sûrs de créer une société de portage » et « Je ne veux pas que l’État brade ses actifs fonciers ».

Conformément à l'article 21 de la LOLF, les comptes d'affectation spéciale ne peuvent financer que des dépenses « par nature, en relation directe » avec les recettes concernées. Les ressources tirées de la cession de fréquences hertziennes doivent donc financer des radars et des moyens de télécommunication et de renseignement électromagnétique, et celles tirées de la cession de biens immobiliers des dépenses immobilières (qui concernent les dépenses immobilières « ordinaires » du ministère [le projet de regroupement sur le site de Balard devant être financé par un partenariat public-privé]).

2. Une « logique de virement » selon le présent projet de décret d'avance

Le présent projet de décret d'avance ne prévoit pas d'augmenter les ressources globales du ministère de la défense en 2009, mais de réorienter certains crédits de paiement de la mission « Défense » vers les dépenses immobilières, afin de compenser partiellement le retard des produits de cessions immobilières :

1° des crédits de paiement seraient annulés sur les programmes 146 « Équipement des forces » et 178 « Préparation et emploi des forces », pour 245 millions d'euros ;

2° des crédits de paiement seraient ouverts sur le programme 212 « Soutien de la politique de défense » (que la loi de finances 2009 avait quasiment « vidé » de sa substance, la politique immobilière devant désormais être financée par le compte spécial « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat »), pour un montant équivalent ;

3° ces 245 millions d'euros seraient :

- pour 140 millions d'euros, directement utilisés par le programme 212, pour de nouveaux engagements (ce qui explique qu'il soit également prévu d'accroître les AE de 140 millions d'euros) ;

- pour 105 millions d'euros, utilisées pour abonder le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat », pour des engagements existants.

Le présent projet de décret d'avance obéit donc, en ce qui concerne la mission « Défense », à une logique de virement. Si le gouvernement n'a pas recours à un virement, c'est parce que, selon le rapport de motivation, « un virement ne permettrait pas de mobiliser les crédits nécessaires, compte tenu du plafond fixé par l’article 12 de la loi organique relative du 1er août 2001 relative aux lois de finances ». Cet article 12 prévoit en effet que « le montant cumulé, au cours d'une même année, des crédits ayant fait l'objet de virements, ne peut excéder 2 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année pour chacun des programmes concernés ».

3. Un mode de financement inadapté en période de crise immobilière ?

Selon le rapport de motivation, « cette ouverture se justifie par le caractère imprévisible de la crise économique ».

Certes la lenteur de mise en place de la société de portage découle en effet probablement, au moins en partie, de celle-ci. On ne peut cependant exclure a priori que les retards actuels auraient également eu lieu en l'absence de crise économique.

Mais votre commission des finances avait déjà lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2009 émis  de fortes réserves sur le montage pour souligner « d’importants aléas » :

- d’une part, s’agissant du statut de la société de portage, elle avait souligné le risque de voir une « fausse dette privée » devenir une « vraie dette publique » ;

- d’autre part, elle avait également insisté sur le facteur d’incertitude, lié à l’état du marché immobilier.

Pour ces raisons, elle avait d’ailleurs dans un premier temps réservé sa position sur l’article concerné.

Au total, pour un milliard d’euros de ressources initialement prévues pour la politique immobilière en 2009, ce sont environ 545 millions d’euros qui seraient disponibles (en prenant en compte les 300 millions d’euros de ressources exceptionnelles déjà perçues). 

II. les autres ouvertures de crédits répondant aux critères d’urgence et d’imprévisibilité

A. Indemnisation des collectivités touchées par des calamités naturelles

Le programme 122 « Concours spécifiques et administration » de la mission « relations avec les collectivités territoriales » d’un montant total de 311 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2009 regroupe, d’une part, les aides exceptionnelles aux collectivités territoriales et, d’autre part, les moyens servant à l’administration des programmes de la mission (moyens de la direction générale des collectivités locales), ainsi que des crédits de DGD au titre de compétences transférées concomitamment à plusieurs niveaux de collectivités.

Au titre de l’indemnisation des collectivités touchées par des calamités naturelles, le présent décret d’avance prévoit l’ouverture de crédits supplémentaires à hauteur de 45,4 millions d’euros en autorisations d’engagement et 22,2 millions d’euros en crédits de paiement.

Les dommages concernés par ces crédits d’indemnisation concernent les biens non assurables des collectivités territoriales touchées par les événements climatiques intervenus essentiellement à la fin de l’année 2008 et au début de l’année 2009 :

- inondations de mai et septembre 2008 dans le Sud-Est de la France (4,4 millions d’euros en AE et 0,2 million d’euros en CP) ;

- les intempéries de novembre et décembre 2008 dans le centre et le Sud-Est. (18 millions d’euros en AE et 9 millions d’euros en CP) ;

- dégâts liés à la tempête Klaus qui a frappé le Sud-Ouest de la France les 24 et 25 janvier 2009 (23 millions d’euros en AE et 13 millions d’euros en CP).

Les crédits en cause pour ces deux derniers évènements, inscrits dans le cadre de l’action 1 « Aides exceptionnelles aux collectivités territoriales » du programme 122, seront versés sous forme d’avance aux collectivités affectées dans l’attente d’une évaluation définitive du montant des dommages.

Les montants visés par le décret d’avance sont particulièrement importants et très sensiblement supérieurs aux crédits utilisés au titre de la ligne des « Calamités publiques » en 2008. Au cours de l’exercice passé, en effet, 6.078.689 euros en AE et 23.470.416 euros en CP ont été consacrés à ce financement.

Ce dispositif, justifié par le caractère imprévisible de ces événements climatiques et l’urgence des opérations de reconstruction et de réhabilitation pour les collectivités touchées, viendra en complément de l’intervention du fonds de solidarité en faveur des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des catastrophes naturelles, créé par la loi n° 2007-1822 de finances pour 2008 et financé par prélèvement sur la dotation de compensation de la taxe professionnelle à hauteur de 20 millions d’euros.

Ce fonds de solidarité permet de contribuer aux opérations de réparation des dégâts causés par des événements climatiques ou géologiques graves d'un montant compris entre 150.000 euros hors taxe, et 4.000.000 euros hors taxe, et réalisées sur des biens appartenant aux communes et à leurs groupements ainsi qu'aux départements et aux régions de métropole.

B. Mesures d’aide à l’Afghanistan et au Pakistan

Le présent projet de décret d’avance prévoit d’ouvrir 21 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) sur le programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement », géré par le ministère des affaires étrangères et européennes. Cette ouverture de crédits vient renforcer le soutien apporté par la France à l’Afghanistan et au Pakistan, au profit duquel un montant de 19 millions d’euros a déjà été inscrit dans la loi de finances initiale pour 2009, portant ainsi ce soutien à 40 millions d’euros.

Ce besoin additionnel de financement traduit les premières conclusions de la mission confiée par le Président de la République, le 3 mars 2009, à notre collègue député Pierre Lellouche et tendant à « renforcer le rôle de la France dans la définition et la mise en œuvre de l’engagement international » en Afghanistan et au Pakistan.

L’essentiel de ce montant, soit 19 millions d’euros, est destiné à l’Afghanistan et doit permettre de conduire diverses actions dans les domaines de l’agriculture (distribution de semences et d’engrais, installations de serres, notamment), des infrastructures rurales (construction de digues de protection, aménagement de bassins versants) et de l’éducation (formation d’enseignants, réhabilitation d’écoles, fourniture de matériel pédagogique). Ces crédits seraient principalement utilisés dans les zones de déploiement des troupes françaises, contribuant ainsi à renforcer l’action de la France dans ces régions.

Le solde de 2 millions d’euros est destiné à une aide humanitaire en faveur des populations civiles déplacées de la vallée de Swat, à la suite de l’offensive de l’armée pakistanaise contre les groupes fondamentalistes armés.

Cette ouverture de crédits répond au critère d’urgence prévu par l’article 13 de la LOLF pour les décrets d’avance, dans la mesure où l’aide humanitaire et les projets agricoles doivent être menés à bien avant l’arrivée de l’hiver, et prévoit des dépenses qui étaient imprévisibles lors du vote de la loi de finances, antérieur à la mise en place de la mission de M. Pierre Lellouche.

C. Compensation de la baisse du prix des carburants dans certains départements d’outre-mer

Le projet gouvernemental de décret d’avance portant ouverture et annulation de crédits prévoit, s’agissant de la mission « Outre-mer », une ouverture de crédits, pour l’année 2009, de 44 millions d’euros, en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP).

Le projet de décret d’avance propose d’inscrire ces crédits sur le programme 123, « Conditions de vie outre-mer ».

Ces crédits visent à compenser aux compagnies pétrolières les diminutions de prix des carburants décidées par l’Etat dans trois départements d’outre-mer : la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique. Ces baisses de prix ont été mises en œuvre suite aux mouvements sociaux nés en Guyane à la fin de l’année 2008 et étendus aux Antilles au début de l’année 2009, qui avaient notamment pour revendication une diminution du prix des carburants, jugés trop élevés. En effet, en raison des spécificités de ces départements, notamment de leur éloignement et de l’étroitesse de leur marché, les coûts d’acheminement et de production des carburants y sont plus élevés qu’en métropole.

Les baisses de prix ont nécessairement produit un manque à gagner pour les compagnies pétrolières de ces départements d’outre-mer, que l’Etat s’est engagé à indemniser afin de compenser la diminution des prix. Il en résulte ce projet d’ouverture de 44 millions d’euros (AE=CP).

 Votre commission des finances ne peut que reconnaître que ces dépenses, qui résultent directement des mouvements sociaux particulièrement violents du début de l’année, étaient imprévisibles au moment du vote de la loi de finances initiale pour 2009.

Par ailleurs, l’indemnisation des compagnies pétrolières dans des délais rapides paraît totalement justifiée pour compenser le manque à gagner résultant de la baisse des prix.

 D. financement de la Compagnie française pour l’Exposition de Shanghai 2010

Le présent décret d’avance prévoit l’ouverture de sept millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiements (CP) sur la mission « Economie » afin de compléter le financement de la compagnie française pour l’exposition universelle de Shanghai 2010 (COFRES), qui se déroulera du 1er mai au 31 octobre 2010, sur une parcelle de 6.000 m2. Cette société par actions simplifiée, dont le capital est détenu à 100% par l’Etat, est chargée de la construction et de la gestion du pavillon français.

Dans le cadre du programme n° 233 « Tourisme », l’action « Promotion de l’image touristique de la France et de ses savoir-faire » prévoit d’ores et déjà, en loi de finances initiale pour 2009, une dotation de sept millions d’euros, à charge pour la COFRES de rechercher 12 millions d’euros de financements privés pour couvrir la totalité de ses charges, estimées à 19 millions d’euros pour 2009. Cette ouverture de sept millions d’euros supplémentaires, qui porte à 14 millions d’euros la part publique du financement de la société, est justifiée par la difficulté qu’a rencontrée la COFRES à réunir, en cette période de crise, les fonds privés nécessaires : seuls cinq millions d’euros ont à ce jour été collectés.

A maintenant moins d’un an de l’inauguration de l’exposition et compte tenu de la nécessité d’honorer les frais occasionnés par la construction du pavillon français l’urgence, comme l’imprévisibilité, d’une telle ouverture de crédits ne sont pas remises en cause. A cet égard, le contexte économique défavorable souligne la fragilité non seulement des partenariats public-privé, mais aussi des « montages financiers » faisant appel à des avantages fiscaux dédiés au mécénat[6]. Aussi, nonobstant l’intérêt majeur de participer à une manifestation qui devrait accueillir près de 100 millions de visiteurs et pour laquelle 186 pays[7] et 47 organisations internationales sont inscrits, il est d’ores et déjà permis de s’interroger sur la possible dérive de la dépense publique de cette opération en 2010 dans la mesure où le budget total de la participation de la France est de l’ordre de 50 millions d’euros, pour le pavillon proprement dit et son aménagement.

E. Financement des opérations de recherche à la suite de la catastrophe aérienne du 1er juin 2009

Le présent projet de décret d’avance prévoit l’ouverture de 4,5 millions d’euros au profit du programme 614 « Transports aériens, surveillance et certification » du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».

Il s’agit de permettre le financement des opérations de recherche dans l’océan Atlantique suite à la catastrophe aérienne du 1er juin 2009 qui a entraîné la disparition en mer de l’Airbus A 330 d’Air France qui assurait la liaison Rio de Janeiro-Paris. Afin de retrouver les enregistreurs, dits « boîtes noires », un navire de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) a été mis à contribution par le ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (MEEDDAT). D’autres navires et des sous-marins participent également aux opérations de recherche. Le bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) est pour sa part chargé d’analyser les causes de la catastrophe.

Le présent projet de décret d’avance rappelle qu’il s’agit « d’opérations de grande ampleur, urgentes et imprévisibles » pour lesquelles le besoin de financement s’élève au total à 10 millions d’euros. Les crédits du BEA sont regroupés dans le programme 614 précité, au sein duquel 5,5 millions d’euros peuvent être redéployés en faveur des opérations de recherche. Le solde, soit 4,5 millions d’euros, proviendrait d’un autre programme du budget annexe, le programme 612 « Navigation aérienne ».

Le présent projet de décret d'avance obéit en fait à une logique de virement. Le rapport de motivation rappelle à cet égard qu’« un virement ne permettrait pas de mobiliser les crédits nécessaires, compte tenu du plafond fixé par l’article 12[8] de la loi organique relative du 1er août 2001 relative aux lois de finances ».

Votre rapporteur général remarque que cette procédure de virement ne sera sans doute pas suffisante, une mesure d’ouverture nette de crédits est en effet à envisager, compte tenu de la situation du budget annexe. Comme le rappelle notre collègue Yvon Collin, rapporteur spécial : « selon le rapport annuel de performance, annexé à la loi de règlement pour 2008, le résultat de l’exercice fait apparaître un prélèvement sur le fonds de roulement de 44,5 millions d’euros, qui résulte d’une part du déficit d’exploitation de 41,6 millions d’euros et, d’autre part, du déficit de la section des opérations en capital à hauteur de 2,9 millions d’euros.

Le compte de résultat enregistre une perte pour la troisième année consécutive, soit 67,7 millions d’euros en 2008. Le déficit cumulé du compte de résultat sur trois ans s’élève à près de 300 millions d’euros ».

De plus, les perspectives d’évolution du trafic aérien pour 2009 renforcent les inquiétudes sur la dégradation de la situation du budget annexe. La loi de finances rectificative du 20 avril 2009[9] a d’ailleurs prévu des ajustements pour tenter de résoudre cette situation, comme l’indiquait votre rapporteur général : « la nécessité d’équilibrer les recettes et les dépenses du budget annexe implique une compensation de la moindre recette de 130 millions d’euros attendue pour le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ». Cette compensation est mise en œuvre :

- en partie, par une augmentation des recettes du budget annexe résultant d’une avance du Trésor, à hauteur de 100 millions d’euros, inscrite sur le compte de concours financiers « Avances à des services de l’Etat ou organismes gérant des services publics ». Cette avance du Trésor correspond, au sein du budget annexe, à des emprunts et ne saurait donc constituer une recette pérenne. Elle vise uniquement à répondre, à court terme, au besoin de financement résultant des moindres recettes constatées. La direction générale de l’aviation civile indique que l’Agence France Trésor établit les échéanciers de cette avance, qui vient s’ajouter au montant d’emprunt de 116,8 millions d’euros, autorisé par la loi de finances initiale pour 2009 ;

- en partie, par une contraction budgétaire de 30 millions d’euros imputée sur le programme « Navigation aérienne » du budget annexe. Cette annulation de crédits représente 5,6 % des autorisations d’engagement et 5,9 % des crédits de paiement initialement votés pour le programme, dont les crédits regroupent les activités visant à assurer la sécurité des vols et à gérer l’espace aérien. D’après les informations recueillies par votre rapporteur général, la direction générale de l’aviation civile avait pris l’initiative, dès le début de l’année 2009, de geler une partie de ses dépenses, pour répondre à la baisse constatée du trafic aérien. L’annulation de crédit résulte donc en partie de ce gel des dépenses et devrait se traduire, par ailleurs, par un plan d’économies à moyen terme, notamment en mutualisant certaines fonctions administratives ou de support technique ».

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 En définitive, il convient de mentionner que ces crédits respectent, sous réserve des observations de la commission des finances sur le caractère d’urgence et d’imprévisibilité de certaines des mesures qu’ils financent, les règles de procédure fixées par la LOLF : le plafond de 1 % pour les crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2009 n’est pas dépassé ; l’équilibre budgétaire voté par le Parlement n’est pas affecté, dès lors que l’ouverture des crédits est gagée par des annulations d’un même montant et que le montant cumulé de ces annulations ne dépasse pas le plafond de 1,5 % des crédits ouverts en lois de finances.


[1] La loi n° 2007-294 du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur a créé l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS). Deux missions principales incombent à cet établissement : d’une part, la gestion des stocks de produits de santé constitués en cas d’attaques terroristes ou de pandémies et, d’autre part, la gestion de la réserve sanitaire.

[2] Notre collègue Nicole Bricq, en sa qualité de rapporteure spéciale de la mission « Sécurité sanitaire », avait abordé ce sujet dans son rapport d’information sur la grippe aviaire (rapport d’information n° 451 [2005-2006]), ainsi qu’à l’occasion de l’examen des projets de loi de finances pour 2006 (rapport général (2005-2006), tome III, annexe 28), pour 2007(rapport général (2006-2007), tome III, annexe 28) et pour 2008 (rapport général (2007-2008), tome III, annexe 30).

[3] Réunion de la  commission des finances du 6 mai 2009.

[4] D’après les informations fournies par l’EPRUS, le coût d’une dose de vaccin est évalué entre 6 et 9 euros.

[5] Article 2.1 de la convention cadre fixant les relations entre l’Etat et l’EPRUS dans l’exercice de ses missions.

[6] L’article 23 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 a pour objet d'inclure les dons aux sociétés, dont l'Etat est actionnaire unique, qui ont pour activité la représentation de la France aux expositions universelles parmi les dépenses ouvrant droit à une réduction d'impôt de 60 % de leur montant pour les entreprises assujetties à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés.

[7] La France a été, en 2002, le premier pays à avoir officiellement accepté l’invitation des autorités chinoises.

[8] Rappelons que selon cet article « le montant cumulé, au cours d'une même année, des crédits ayant fait l'objet de virements, ne peut excéder 2 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année pour chacun des programmes concernés ».

[9]