Travaux de la commission des finances



- Présidence de M. Jean Arthuis, président.

Transports - Entreprises de transport aérien et Air France - Demande de renvoi pour avis et nomination d'un rapporteur

La commission a tout d'abord décidé de se saisir pour avis du projet de loi n° 281 (2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 2003-322 du 9 avril 2003 relative aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air-France.

Elle a ensuite nommé M. Yvon Collin rapporteur pour avis de ce projet de loi.

Droits de succession - communication

M. Gérard Miquel a évoqué le rappel au règlement formulé la veille en séance publique par M. Michel Charasse à propos des allégements de droits de succession annoncés par le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui posaient le problème de l'anticipation, sur son vote, par le Parlement, de la mise en oeuvre d'une mesure à caractère fiscal. M. Michel Moreigne a précisé le contexte dans lequel était intervenu ce rappel au règlement, qui était celui de la large publicité déjà faite à ladite mesure auprès de tous les maires. D'une façon plus générale, M. Jacques Oudin a déploré l'absence de doctrine applicable à ce type de situation. M. Jean Arthuis, président, a alors indiqué qu'une telle mesure, certes contestable sur la forme, n'était pas sans précédent, et cela, quel que soit le gouvernement. Au demeurant, il a estimé qu'elle devait être accueillie avec pragmatisme, précisant qu'un texte ad hoc serait vraisemblablement soumis au Sénat à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet.

Audition de M. Jean-Philippe Cotis, chef économiste et chef du département des affaires économiques de l'OCDE

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Philippe Cotis, chef économiste et chef du département des affaires économiques de l'OCDE.

M. Jean Arthuis, président, a préalablement rappelé que les prévisions de l'OCDE concernant la croissance de l'économie française, qui s'élevaient à 2 % pour 2004 et à 2,6 % pour 2005, étaient sensiblement plus favorables que celles du consensus des conjoncturistes, qui s'élevaient à 1,7 % pour 2004 et à 2,1 % pour 2005, et que les prévisions gouvernementales, établies à 1,7 % pour 2004 et à 2,5 % pour 2005. Il a donc estimé cette audition particulièrement opportune au regard des interrogations existant actuellement quant au niveau de la croissance, notamment en Europe.

M. Jean-Philippe Cotis a alors précisé le contexte international de cette prévision, indiquant que l'hypothèse retenue était celle d'une reprise mondiale rigoureuse, avec un taux de croissance de 3,5 % en 2004 et en 2005. Il a jugé que la croissance était particulièrement forte en Amérique du Nord et en Asie, tout particulièrement en Chine, qui « frisait » la surchauffe avec un taux de croissance annuel approchant les 10 %. Il en résultait, selon lui, une forte progression des importations chinoises, entraînant notamment la reprise des exportations japonaises, qui dynamisaient enfin l'économie nipponne, demeurée longtemps atone.

M. Jean-Philippe Cotis a indiqué que cette reprise touchait beaucoup moins l'Europe continentale que l'Europe du Nord, le Royaume-Uni et l'Espagne. Au sein des grands pays d'Europe continentale, la situation de la France était toutefois moins critique que celle de l'Allemagne, dont la demande intérieure était en panne, et de l'Italie, qui souffrait d'un problème de compétitivité à l'exportation. Il a considéré que l'Europe continentale était globalement portée par le flux mondial, sans connaître toutefois de véritable dynamique autonome. Au total, s'il était attendu, en 2005, un ralentissement de la croissance américaine, ramenée à 3,5 %, il a précisé que la croissance européenne devrait tout de même progresser, pour s'établir à 2,5 % en 2005.

Puis M. Jean-Philippe Cotis a souligné que certains risques pesaient sur ce scénario. Il a d'abord évoqué le risque sur le prix du pétrole, le prix du « brent » s'élevant déjà à 38 dollars, alors que les prévisions de l'OCDE étaient fondées sur un prix de 32 dollars, cette différence amputant d'environ 2/10e de point les taux de croissance du produit intérieur brut (PIB), et ajoutant autant à l'inflation. Toutefois, l'impact de la hausse du pétrole devait être, selon lui, relativisé, car si depuis la fin du conflit irakien le prix du « brent », exprimé en dollars, avait progressé de 28 %, ce prix, exprimé en droits de tirages spéciaux (DTS), n'avait pas augmenté, en raison notamment de la dépréciation du dollar par rapport à l'euro.

Il s'est ensuite inquiété de l'importance du déficit américain, de l'ordre de 5 % du PIB, et qui était susceptible de se dégrader encore, au danger de provoquer d'importantes turbulences sur le marché des changes, l'euro connaissant ainsi un risque d'appréciation important. En outre, il a précisé que l'essentiel de la reprise passant par l'investissement et la plupart des grands pays connaissant actuellement des déficits très élevés (à l'exception notable du Canada), la concurrence entre les demandes publique et privée sur les marchés financiers portait le risque d'une hausse des taux d'intérêt préjudiciable à la durabilité de la croissance.

Il a également formulé la crainte d'un approfondissement d'une « OCDE à deux vitesses », en raison de la faiblesse du redémarrage européen, et indiqué que l'OCDE estimait souhaitable que la Banque centrale européenne réduise les taux d'intérêt à court terme pour appuyer la reprise et que les efforts de réduction des déficits nationaux soient accrus en Europe.

Partant du constat de la médiocrité des performances européennes, M. Jean-Philippe Cotis a rappelé que, jusqu'aux années quatre-vingt, le PIB par tête, en Europe, s'était rapproché du PIB par tête aux Etats-Unis, avant de s'en éloigner à partir des années quatre-vingt-dix, si bien que l'écart de PIB par tête entre l'Europe et les Etat-Unis, qui atteignait aujourd'hui 30 %, était le même qu'en 1970. Ce différentiel de croissance pouvait être attribué, selon lui, à l'insuffisance et à la fragmentation des dépenses de recherche et de développement en Europe, ainsi qu'à la faiblesse de la part du PIB consacrée à l'enseignement supérieur, qui n'excédait guère 1 % en Europe continentale.

Il a constaté, en outre, l'absence de « résilience » des grands pays continentaux, dont la croissance était toujours peu flexible aux phases de redémarrage de l'économie mondiale, mais désormais très flexible à son ralentissement. Cette langueur s'expliquait, selon lui, notamment, par la faiblesse de la demande des ménages, tout particulièrement en Allemagne, en raison d'un marché du travail fortement dual, engendrant une forte épargne de précaution. En effet, il a développé la thèse selon laquelle les personnes travaillant dans le secteur protégé savaient qu'en cas de perte d'emploi, il leur serait particulièrement difficile d'en retrouver un autre, et jugé que, dans une assez large mesure, cette analyse pouvait être transposée à la France.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Aymeri de Montesquiou s'est inquiété de l'incidence d'une hausse des taux d'intérêt dans les pays ayant de forts déficits budgétaires, et des conséquences de la hausse du pétrole sur la croissance chinoise. Il s'est également posé la question de l'impact favorable, sur l'économie allemande, de l'entrée, dans l'Union européenne, d'Etats ayant des liens privilégiés avec l'Allemagne.

M. Maurice Blin, au vu de la situation de la Grande-Bretagne, s'est interrogé quant à l'impact négatif, sur la croissance, qu'entraînerait l'appartenance à la zone euro, puis il a analysé la faiblesse particulière de la consommation des ménages en Allemagne au regard du vieillissement de sa population.

M. Gérard Braun a demandé à M. Jean-Philippe Cotis si la situation de l'Inde, qui connaissait une forte croissance, de l'ordre de 8 %, ne méritait pas, notamment, au vu du dynamisme de sa croissance démographique, des développements particuliers.

M. Jacques Oudin a résumé les causes de la faiblesse de la reprise européenne, en répertoriant cinq blocages : la dépréciation du dollar face à l'euro, la faiblesse de l'enseignement supérieur, l'insuffisance des dépenses de recherche et de développement, une protection trop rigoureuse de l'emploi et un niveau d'épargne excessif.

Enfin, M. Jean Arthuis, président, a demandé à M. Jean-Philippe Cotis quel niveau de déficit public pouvait être prévu en 2005 pour la France, puis il lui a demandé s'il estimait judicieux de privilégier les impôts sur les produits aux dépens des impôts pesant sur la production en vue de lutter contre le « nomadisme économique », citant, à ce titre, l'exemple du Danemark et l'éventualité de l'instauration d'une TVA sociale.

En réponse à ces intervenants, M. Jean-Philippe Cotis a d'abord confirmé le risque d'éviction de l'investissement privé en cas de hausse des taux d'intérêt, compte tenu de l'importance des déficits publics. Puis il a indiqué que le ralentissement de l'économie chinoise qu'entraînerait la hausse du pétrole était, selon lui, salutaire en raison de son état de surchauffe.

Concernant les nouveaux entrants dans l'Union européenne, il a souligné que la hausse annuelle de leur PIB par tête, contenue à 4 % par an, était de nature à relativiser l'importance des débouchés qu'ils offraient.

M. Jean-Philippe Cotis a ensuite confirmé l'importance de la démographie dans le potentiel de croissance, tout en opposant la situation de la France, dont la population en âge de travailler avait augmenté de 12 % entre 1980 et 1995, sans pour autant se traduire par une augmentation du nombre d'emplois, à celle des Etats-Unis, où la population en âge de travailler avait augmenté de 14 % entre 1980 et 1995, avec un report intégral sur le nombre d'emplois.

Puis après avoir précisé que, faute de contacts satisfaisants, il était difficile de mener une expertise suffisamment fiable sur l'Inde, il a confirmé l'analyse faite par M. Jacques Oudin quant aux blocages pesant sur l'économie française.

Enfin, M. Jean-Philippe Cotis a indiqué à M. Jean Arthuis, président, que les déficits publics seraient probablement ramenés, en 2005, de 3,8 % à 3,6 % du PIB, la cible des 3 % semblant difficilement atteignable. Concernant la TVA sociale, il a indiqué que son instauration ne se heurtait pas, en théorie, à la doctrine de l'OCDE, qui prônait, concernant les prélèvements obligatoires, l'élargissement des assiettes et la diminution des taux, et privilégiait donc la fiscalité indirecte.

M. Jacques Oudin a alors demandé à M. Jean-Philippe Cotis comment s'expliquait la perte des 12 % d'augmentation de la population active, entre 1980 et 1995, pour l'économie française. M. Jean-Philippe Cotis l'a expliquée par la vision malthusienne qui avait prévalu dans les grands pays d'Europe occidentale, où s'étaient notamment accumulées les « désincitations » au travail aux dépens des salariés âgés de plus de 50 ans. Il a donc estimé que, malgré la récente politique d'augmentation du taux d'activité des travailleurs les plus âgés, le problème de l'inclusion, dans le marché du travail, de la génération intermédiaire, pour laquelle l'investissement dans la formation continue avait été insuffisant, allait se poser.

Concernant la faiblesse de la part du PIB consacrée à l'enseignement supérieur en Europe, M. Jean-Philippe Cotis a tenu à indiquer que nulle part, la part financée par l'Etat n'excédait 1 % du PIB, mais que les étudiants étaient parfois beaucoup plus sollicités, ce qui se traduisait, le cas échéant, par un poids plus important des dépenses d'enseignement, en termes de part de PIB. Sans rejoindre la « brutalité » du modèle américain, le modèle anglo-saxon, qui reposait sur des prêts d'Etat à faibles taux accordés aux étudiants et donnant lieu à remboursement automatique quand ils franchissaient un certain seuil de revenus, lui apparaissait comme de nature à permettre de concilier humanité, équité et efficacité.