Travaux de la commission des finances



- Présidence de M. François Trucy, puis de M. Jean Arthuis, président.

LOLF - Audition de MM. Loïc Philip, professeur émérite à l'université d'Aix-Marseille, et Michel Lascombe, professeur de droit constitutionnel et de finances publiques à l'IEP de Lille

La commission a procédé à l'audition de MM. Loïc Philip, professeur émérite à l'université d'Aix-Marseille, et Michel Lascombe, professeur de droit constitutionnel et de finances publiques à l'IEP de Lille.

A titre liminaire, M. François Trucy, président, a rappelé que cette audition s'inscrivait dans le cycle d'auditions organisé par la commission des finances en vue de la prochaine mise en oeuvre intégrale de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Il a souligné l'intérêt que la commission attachait aux analyses qui allaient être exposées, notamment en ce qui concernait les aspects, éventuellement problématiques, de ce texte.

S'exprimant le premier, M. Loïc Philip a d'abord pointé certains aspects de chacun des deux rapports des commissions parlementaires des finances, publiés en mars 2005, concernant les objectifs et les indicateurs de performance. S'agissant du rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale, il a ainsi relevé, avec satisfaction, le souci marqué par les signataires de préserver un esprit consensuel et non idéologique sur le sujet, mais a indiqué la difficulté qu'il y aurait probablement, selon lui, à conserver cette approche dans la pratique. A partir du plan retenu par le rapport de la commission des finances du Sénat, il a distingué les deux prérogatives du Parlement en matière de finances publiques : d'une part, un droit à l'information, auquel il a rattaché la mise en oeuvre de la LOLF d'une manière générale et, plus particulièrement, la discussion parlementaire du projet de loi de finances initiale ; d'autre part, une mission de contrôle, dont il a souligné qu'elle prenait essentiellement appui sur la discussion du projet de loi de règlement. Il a signalé, par ailleurs, l'ignorance qui environnait, hormis dans les administrations, la prochaine mise en oeuvre de la LOLF, et est revenu sur l'importance de la communication et de la pédagogie dont cette situation allait exiger le déploiement, en réponse à des risques d'incompréhension, voire d'opposition. Indiquant que cette réforme budgétaire commanderait, en effet, un changement dans les mentalités et les comportements, notamment de la part des responsables politiques, il a précisé, en outre, que le moment décisif de cette rupture n'interviendrait pas tant lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2006 qu'à l'occasion de l'examen de la loi de règlement afférente à cette dernière. Dans cette perspective, il a appelé à un renversement des hiérarchies de valeur, dans les esprits, entre la loi de finances initiale et la loi de règlement.

M. François Trucy, président, ayant mentionné que cette préconisation rejoignait parfaitement les orientations adoptées par la commission des finances, M. Loïc Philip a souhaité que celles-ci fussent diffusées afin d'être mieux comprises, également, à l'extérieur du Parlement.

M. Michel Lascombe a pour sa part commencé par relativiser la « révolution » souvent annoncée avec l'entrée en vigueur de la LOLF, dont il a souligné qu'elle constituait un instrument moderne de gestion publique mais qui n'instaurait de véritable rupture qu'avec l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959. Il a, ainsi, mis en exergue que le texte constitutionnel, lui-même, demeurerait inchangé, de telle sorte, notamment, que l'initiative en matière financière continuerait de ressortir de la compétence de l'exécutif, de même que l'irrecevabilité financière pourrait toujours être opposée aux amendements parlementaires tombant sous le coup de l'interdiction de l'article 40 de la Constitution. S'appuyant sur l'exemple de l'application de la « rationalisation des choix budgétaires » (RCB) en France, il a d'autre part relevé qu'un contexte de croissance économique modeste, et, partant, de faible marge de manoeuvre pour les finances publiques, rendait assurément difficile la mise en place d'une réforme budgétaire. Rejoignant M. Loïc Philip pour estimer que la LOLF contribuerait, avant tout, à clarifier le débat budgétaire en introduisant une transparence nouvelle sur les crédits, il a insisté sur l'enjeu démocratique de cette réforme et l'intérêt qu'elle devrait représenter pour les citoyens. Revenant sur les rapports précités des commissions parlementaires des finances, il s'est également félicité du dialogue constructif que la majorité et l'opposition parlementaires avaient ainsi noué sur le sujet, et a déclaré espérer que les analyses critiques de ces rapports rempliraient la fonction d'un « aiguillon » pour le gouvernement, en vue de l'amélioration de certains indicateurs. Par ailleurs, il a insisté avec force sur l'importance croissante qu'à l'avenir, grâce à la LOLF, devait revêtir le contrôle parlementaire sur l'exécutif et, dans cette optique, a émis le voeu que le Parlement tire un meilleur parti des différents rapports rendus par la Cour des comptes, ce que, jusqu'à présent, il n'avait su faire, selon lui.

Les deux intervenants ont ensuite exprimé leur opinion quant à l'articulation entre lois de finances et lois d'orientation et/ou de programmation. Selon M. Loïc Philip, il s'agissait là du « point faible de la LOLF », dans la mesure où ce texte, en supprimant la notion d'autorisation de programme, même s'il laissait subsister parallèlement la possibilité de reports de crédits, marquait un recul par rapport aux programmations pluriannuelles que permettait l'ordonnance organique de 1959. Il a néanmoins précisé que le problème, à cet égard, s'avérait moins juridique que politique, et, ayant reconnu que l'efficacité de l'action publique résidait, aujourd'hui, dans la programmation pluriannuelle davantage que dans le respect d'une stricte annualité budgétaire, a fait valoir qu'il reviendrait aux décideurs politiques de définir les priorités susceptibles de faire l'objet de lois de programmation et de maintenir, dans la durée, l'exécution de ces dernières.

M. François Trucy, président, a fait observer qu'il fallait sans doute d'autant moins regretter la souplesse perdue, avec la disparition des autorisations de programme, en matière de programmation pluriannuelle, que les lois de programmation, dans la période récente, avaient rarement été respectées en tant que telles.

M. Michel Lascombe, de son côté, a estimé que, dans ce nouveau contexte où le principe de l'annualité budgétaire prédominerait, les lois de programmation rencontreraient plus de difficultés encore à s'imposer en cas d'alternance politique. Il a cependant tenu à faire remarquer que les lois d'orientation et/ou de programmation jusqu'à présent adoptées s'étaient révélées, souvent, des lois « bavardes », sans contenu législatif réel, et que la récente jurisprudence du Conseil constitutionnel, désormais, risquait de déboucher sur la sanction de tels textes.

Concernant l'obligation nouvellement imposée par la LOLF de crédits « justifiés au premier euro », M. Loïc Philip a considéré que l'examen des crédits sous cet angle par le Parlement ne posait, du point de vue juridique, aucun problème. M. Michel Lascombe, néanmoins, tout en se réjouissant de la suppression ainsi réalisée de la notion de « services votés », s'est inquiété du risque de dévoiement de l'obligation si les justifications données restaient très générales et, ce faisant, artificielles. Répondant à une question de M. Jean-Jacques Jégou, qui rappelait le rôle du Parlement dans le contrôle de l'efficacité de la dépense, il a précisé que la seule façon de ne pas rétablir en pratique, du fait de justifications trop vagues, des services votés, consisterait dans la redéfinition régulière de leurs besoins par les administrations, « au premier euro » ; il a indiqué que certaines administrations seulement s'étaient d'ores et déjà engagées dans cette voie. Il a ajouté que, au surplus, l'obligation instaurée par la LOLF imposait surtout de justifier, non le « premier euro » des crédits en tant que tel, mais la somme dans sa totalité, en vue des objectifs assignés à la dépense.

MM. Loïc Philip et Michel Lascombe ont ensuite l'un comme l'autre souscrit aux propos deM. Jean Arthuis, président, relevant que, si la création d'une mission à statut particulier était légitime s'agissant de la Cour des comptes (dans la mesure où celle-ci se trouvait chargée de certifier les comptes de l'Etat), l'inclusion dans une telle mission des autres juridictions financières et des juridictions administratives comportait un risque de « contagion », notamment pour les juridictions judicaires.

Puis, s'agissant des « responsables de programmes », M. Michel Lascombe s'est interrogé sur les modalités, non réglées par la LOLF, de leur responsabilité effective, comme sur l'articulation de celle-ci, de type managérial, avec la responsabilité politique des ministres. M. Loïc Philip et lui ont, semblablement, estimé que, bien que le principe en fût expressément posé, cette responsabilité des « responsables de programmes », en l'état des textes, ne présentait guère de consistance juridique. M. Loïc Philip a indiqué que seule une forte pression du Parlement sur l'exécutif pourrait conduire à l'éventuelle sanction d'une équipe administrative par le ministre concerné ; M. Michel Lascombe a cependant fait observer que l'existence de missions interministérielles compliquait singulièrement la situation. M. Jean Arthuis, président, soulignant la nécessité d'un changement des attitudes de chacun en la matière, a alors mentionné le souhait de la commission des finances que les ministres qui n'auraient pas atteint les objectifs fixés se trouvent invités à en débattre devant le Parlement, préalablement au débat d'orientation budgétaire. M. Jean-Jacques Jégou a relevé que cette procédure rendrait conséquente la notion de performance défendue par la LOLF.

Un très large débat s'est ensuite instauré au sujet des conditions d'exercice du droit d'amendement parlementaire dans le cadre de la LOLF, concernant en particulier le régime de l'irrecevabilité financière. M. Michel Lascombe, ayant noté la fréquence des gages purement formels - et, selon lui, rarement justifiables au sens de la LOLF - dans les propositions parlementaires entraînant la diminution d'une ressource publique, a en particulier défendu l'idée d'instituer une règle d'irrecevabilité à l'encontre des gages « irréalistes ». MM. Jean Arthuis, président, Jean-Jacques Jégou et François Trucy, semblablement, se sont toutefois interrogés sur le critère de l'« irréalisme » en ce domaine, comme sur l'instance à laquelle devrait revenir la charge d'en juger, et sur les procédures pertinentes pour la justification requise.M. Jean Arthuis, président, s'est en particulier interrogé sur la définition d'un critère objectif, irréprochable sur le plan juridique et admissible du point de vue politique, afin d'éviter d'éventuels abus de parole en séance publique, notant qu'en ce qui concernait les projets de loi de finances, la nécessité de respecter les délais constitutionnels d'adoption conférait à ce problème une particulière acuité. M. Loïc Philip a rappelé la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel suivant laquelle une disposition qui restreindrait les conditions du droit d'amendement ne serait pas, pour autant, contraire à la Constitution, dès lors qu'elle n'emporterait pas d'obstacles à l'exercice effectif de ce droit ; il a indiqué que, de la sorte, la définition du caractère « irréaliste » des gages, le cas échéant, pourrait revenir au règlement des assemblées ou, à défaut, à la pratique parlementaire.

M. Michel Lascombe s'est encore attaché à signaler que le Parlement, dans la mesure où il ne disposait toujours pas de l'initiative budgétaire, s'il pouvait proposer la réduction des crédits d'un ou de plusieurs programmes au sein d'une mission, ne pourrait en revanche ni créer de mission nouvelle, ni, en vertu du principe de parallélisme des formes, en supprimer. Répondant aux interrogations concomitantes de M. Jean Arthuis, président, et de M. Jean-Jacques Jégou, il a précisé que, selon lui, la réduction à zéro euro de l'ensemble des programmes constitutifs d'une mission, réalisant en fait une suppression, risquerait très vraisemblablement d'encourir, à ce titre, la « censure » du juge constitutionnel. Il a ajouté que, de la même façon, le Parlement était en droit de modifier l'intitulé d'une mission, à la condition que ce changement demeurât d'ordre rédactionnel, mais ne pourrait valablement proposer de changements d'intitulés qui tendraient à opérer la redéfinition du périmètre réel des missions en cause.

Pour conclure, approuvant les propos qu'avait tenus au début de cette audition M. Loïc Philip, M. Michel Lascombe a souligné que le plus substantiel apport de la LOLF consisterait dans la revalorisation des lois de règlement en tant que moment privilégié de la discussion parlementaire concernant le budget, et que, dans ces conditions, le débat d'orientation budgétaire pourrait véritablement permettre la préparation du débat sur le projet de loi de finances initiale. Après une intervention de M. Paul Girod déclarant partager cette analyse, M. Jean Arthuis, président, a remercié les intervenants pour l'éclairage enrichissant qu'ils avaient apporté à la réflexion de la commission des finances sur les modalités de mise en oeuvre de la LOLF, et, par ailleurs, s'est réjoui que ce texte amenât les décideurs politiques à se poser, aujourd'hui, des questions, dont la force des habitudes prises sous l'empire de l'ordonnance organique de 1959 les avait laissés, naguère, insoucieux.

Organismes extraparlementaires - Désignation de candidats proposés à la nomination du Sénat

La commission a désigné M. Jean-Jacques Jégou comme candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger au sein du Comité de surveillance de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) et du Conseil de surveillance du fonds de réserve pour les retraites (FRR), ainsi que comme candidat proposé à la nomination du Sénat pour siéger au sein du Conseil de surveillance du fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie.