COMMUNIQUÉ DE M. PHILIPPE MARINI, RAPPORTEUR, SUR LES DISPOSITIONS DES ARTICLE L. 544-5 ET L. 544-6 DU CODE MONÉTAIRE ET FINANCIER, RELATIVES À LA RESPONSABILITÉ DES AGENCES DE NOTATION


Lors de sa réunion du 14 septembre 2010, la commission des finances a donné mandat au rapporteur du projet de loi de régulation bancaire et financière pour approfondir la question de la responsabilité des agences de notation et proposer toute modification qu’il jugerait nécessaire à l’article 3 du projet de loi.
Le rapporteur a ainsi présenté, lors de l’examen du texte en séance publique le 1er octobre 2010, un amendement n° 164 qui a été adopté par le Sénat.
A l’appui des débats publiés au Journal officiel, le présent communiqué vient compléter le rapport n° 703 (2009-2010) de la commission des finances et entend éclairer les parties prenantes sur l’intention du législateur au regard de la nouvelle rédaction de l’article 3(1) et sur les nouveaux articles L. 544-5 et L. 544-6 qu’il a introduits dans le code monétaire et financier.

I. RAPPEL DES MODIFICATIONS A L’ARTICLE 3 INITIALEMENT APPORTÉES PAR LA COMMISSION DES FINANCES, LE 14 SEPTEMBRE 2010


En première analyse, sur proposition de son rapporteur et avec l’accord du Gouvernement, la commission avait adopté l’article 3 dans les termes rappelés ci-dessous.
Elle avait maintenu la disposition selon laquelle les agences de notation sont responsables des fautes et manquements qu’elles commettent dans la mise en oeuvre des obligations du règlement européen du 16 septembre 2009 sur les agences de notation(2) (nouvel article L. 544-5 du code monétaire et financier).

Elle avait supprimé, au sein du nouvel article L. 544-6, l’interdiction des clauses limitatives de responsabilité dans les contrats de notation. Cette interdiction constituait une atteinte trop flagrante aux principes d’équilibre et de liberté contractuels qui prévalent en droit français. De surcroît, cette disposition portait le risque d’une « délocalisation » des contrats de notation si les parties contractantes décidaient de placer leurs contrats sous l’empire d’un droit étranger, voire, tout simplement, d’une délocalisation des agences si elles devaient estimer que le droit qui leur est applicable en France devient trop contraignant.

En revanche, la commission a tenu à réaffirmer le principe selon lequel les clauses exonératoires de responsabilité sont interdites dans les contrats liant une agence et un émetteur. Une agence ne saurait se libérer a priori et de manière absolue de ses obligations et de sa responsabilité par le jeu d’une clause exonératoire de responsabilité. Il en va, là encore, de l’équilibre de la relation contractuelle.

Par ailleurs, l’interdiction des clauses exonératoires de responsabilité a été qualifiée de « loi de police », au sens du règlement européen dit « Rome I »(3), qui permet à un Etat membre de l’Union européenne, pour défendre ses intérêts supérieurs de rendre applicable sa loi interne à tous les contrats, même ceux qui auraient délibérément choisi de se placer sous l’empire d’un droit étranger.

II. LE TEXTE ADOPTÉ PAR LE SÉNAT LORS DE LA SÉANCE PUBLIQUE DU 1ER OCTOBRE 2010

A. EXPOSÉ DU PROBLÈME

Dans le cadre du mandat que lui avait confié la commission des finances, le rapporteur a entendu répondre à deux questions :

  1. Quelle est la loi applicable en matière de responsabilité des agences ? Et, plus spécifiquement, dans quelles circonstances la loi française pourra-t-elle s’appliquer ?
  2. Quel est le juge compétent pour examiner les différends relatifs à la responsabilité d’une agence ?

L’analyse doit, par ailleurs, se dérouler en deux temps puisqu’il convient de distinguer la responsabilité contractuelle de la responsabilité délictuelle.

B. UN CADRE COMMUNAUTAIRE DE PLUS EN PLUS STRUCTURANT

La principale difficulté pour appréhender la responsabilité des agences réside dans le fait que le travail des agences de notation n’est pas localisable. Si une certaine proximité géographique est nécessaire entre le ou les analystes de l’agence et l’émetteur, rien n’oblige qu’ils résident dans le même pays. Les agences peuvent donc facilement se jouer des frontières nationales et user, voire abuser, de l’arbitrage réglementaire.

Le droit de l’Union européenne, et plus spécifiquement le règlement n° 1060/2009 du 16 septembre 2009 sur les agences de notation, permet cependant de relativiser ce constat.

En effet, ledit règlement européen oblige les investisseurs de l’Union européenne, dès lors qu’ils utilisent la notation à des fins réglementaires, à ne faire référence qu’à des notes émises par des agences enregistrées dans l’Union européenne
ou, à tout le moins, avalisées par ces dernières(4).

Par conséquent, les agences ont une motivation économique puissante pour s’installer et s’enregistrer en Europe. De fait, toutes les grandes agences ont suivi cette procédure.

Dès lors, les émetteurs européens ont tout intérêt à recourir à des agences enregistrées et contrôlées dans l’Union européenne pour lesquelles le règlement précité garantit un niveau minimal d’obligations – en termes d’organisation interne, de gestion des conflits d’intérêts, de publication des informations essentielles, etc.

Il apparaît raisonnable de présumer que les agences seront soumises au droit communautaire car localisées dans l’Union. Par conséquent, l’analyse de leur responsabilité doit d’abord et avant tout être conduite au regard de l’ordre juridique européen.

C. EN CE QUI CONCERNE LA RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE

1. La loi applicable est, en principe, celle du lieu du dommage

Le considérant 69 du règlement européen du 16 septembre 2009 dispose que « tout recours visant des agences de notation en relation avec une violation des dispositions du présent règlement devrait être effectué conformément au droit national applicable en matière de responsabilité civile ».

Le règlement demeure muet sur la responsabilité civile dont il s’agit. Il faut donc l’interpréter. Une rapide analyse des motivations dudit règlement permet de constater qu’il a été élaboré pour l’ensemble de la collectivité financière et non pour le bénéfice des seuls contractants. Son considérant 7 rappelle que « l’objectif principal du présent règlement est de protéger la stabilité des marchés financiers et les investisseurs ».

Le rapporteur souhaite donc énoncer le principe – et en cela poser un jalon pour l’évolution du droit communautaire – que tout manquement au règlement engage la responsabilité délictuelle de l’agence, y compris à l’égard de ses clients. Ceux-ci ne sont pas pour autant infondés à poursuivre l’agence sur le terrain de la responsabilité contractuelle (cf. infra).

Ce raisonnement rejoint celui de la Cour de justice de l’Union européenne qui considère que « la violation de règles de droit », au sens d’obligations fixées par la loi et qui préexistent au contrat, engage la responsabilité non contractuelle de l’auteur de la violation(5).

Par cette interprétation, le législateur entend clairement affirmer que le respect des obligations du règlement européen s’impose de manière impérative à l’agence en dehors de tout contrat.

De surcroît, cette qualification de responsabilité délictuelle emporte une conséquence importante. En effet, le règlement « Rome II »(6) dispose que la loi applicable en matière de responsabilité délictuelle est, en principe, la loi du lieu où survient le dommage (article 4 dudit règlement).

Par exemple, un investisseur est lésé en France par une agence de notation enregistrée dans l’Union européenne, la loi française sera alors toujours applicable.

Pour un émetteur, en revanche, il faut distinguer deux cas :

- soit le contrat qu’il a signé ne comporte aucune clause particulière, alors la loi française s’applique de jure ;
- soit le contrat stipule que l’émetteur et l’agence acceptent a priori que la loi d’un autre Etat sera applicable. Il convient alors que cette clause découle d’un « accord librement négocié », selon les termes du règlement européen « Rome II » (article 14.1).

Dans ce dernier cas, il semble que les contrats d’adhésion doivent être exclus et que les cocontractants doivent réellement engager une discussion sur la clause de choix de loi. Le juge sera alors amené à examiner la réalité de cette négociation et, surtout, son caractère libre et non contraint.

2. La limitation des clauses attributives de compétence

La question du juge compétent pour examiner un différend relatif à la responsabilité des agences de notation apparaît au moins aussi importante que celle de la loi applicable.

Trois cas doivent être distingués. Admettons au préalable que la loi française est applicable, en vertu du raisonnement exposé plus haut.

Cas n° 1 : un investisseur subit un dommage en France.

Lorsqu’un investisseur engage une action en responsabilité délictuelle dans l’Union européenne, le droit communautaire7 est très clair : il lui est toujours possible de saisir la juridiction de son domicile si le dommage survient dans le ressort de cette juridiction(7).

Un investisseur qui subit un dommage en France pourra toujours attraire l’agence dans notre pays, même si cette agence ou ses équipes sont installées ailleurs dans l’Union.

Cas n° 2 : un émetteur français subit un dommage en France mais a accepté, par contrat, la compétence d’un juge d’un autre Etat membre de l’Union européenne.

Un contrat peut toujours prévoir que le juge compétent est celui d’un autre Etat-membre pour autant qu’une des deux parties a son domicile dans cet Etat membre. Cela étant parfaitement admis par le droit communautaire (article 23 du règlement «Bruxelles I »(8)), le législateur national ne saurait s’y opposer. Quoi qu’il en soit, le juge ainsi désigné est tenu par le critère de la loi applicable, en vertu du règlement « Rome II » qui s’impose à lui aussi.

Un émetteur peut accepter que son litige soit jugé, par exemple au Royaume-Uni, mais le juge anglais sera alors obligé d’appliquer la loi française si le dommage survient en France.

Cas n° 3 : un émetteur français subit un dommage en France mais a accepté, par contrat, la compétence d’un juge extérieur à l’Union européenne.

Envisageons enfin que le contrat prévoit la compétence du juge de l’Etat de New-York. Il est possible que celui-ci ne se sente pas lié ni par le droit communautaire, ni par la loi française.

Le droit communautaire reste muet sur une telle clause contractuelle. Dès lors, le législateur national a une marge de manoeuvre et il lui est possible de l’interdire. C’est l’objet du second alinéa de l’article L. 544-5 du code monétaire et financier tel qu’il résulte de l’amendement n° 164 adopté par le Sénat.

Aux termes de cet alinéa, est interdite et réputée non écrite une clause contractuelle « qui a pour effet de soumettre, par avance et exclusivement, aux juridictions d’un Etat tiers à l’Union européenne un litige relatif aux dispositions [du règlement européen sur les agences de notation] alors que les juridictions françaises auraient été compétentes pour en connaître à défaut d’un tel accord ».

Le législateur entend bien bannir, ex ante et de manière absolue, ce type de clauses, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un juge pour le constater ex post.

D. EN CE QUI CONCERNE LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE

1. La suppression de la référence aux « lois de police »

Le texte établi par la commission érigeait explicitement l’interdiction des clauses exonératoires de responsabilité en « loi de police », telle que définie par le droit communautaire. L’effectivité de cette démarche est toutefois apparue incertaine.

Elle pourrait même être jugée contraire à nos engagements communautaires. Une telle référence est toujours risquée puisqu’elle consiste à invoquer un intérêt national supérieur pour imposer la loi nationale même lorsque les cocontractants ont entendu se placer sous l’empire d’une loi étrangère. Elle conduit de facto à faire une entorse aux principes du droit communautaire. Dès lors, la Cour de justice de l’Union européenne en fait une interprétation très stricte. Il n’est pas avéré que le raisonnement qui avait conduit la commission à introduire cette référence serait entériné par la Cour de justice.

Elle a donc été supprimée lors de l’examen du texte en séance publique.

2. Le législateur n’a pas entendu interdire les recours sur le fondement de la responsabilité contractuelle

Le nouvel article L. 544-6 du code monétaire et financier pose le principe de l’interdiction des clauses exonératoires de responsabilité dans les contrats de notation. Au cours des débats, le législateur a souhaité maintenir la possibilité de recourir à des clauses limitatives de responsabilité.

Par conséquent, il ressort clairement des travaux préparatoires que la responsabilité contractuelle demeure une des modalités d’engagement de la responsabilité des agences de notation et le législateur n’a pas entendu circonscrire la responsabilité des agences au seul terrain délictuel.
Le nouvel article L. 544-5 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue des travaux du Sénat, vise la « responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle » pour les seules « conséquences dommageables des fautes et manquements […] dans la mise en oeuvre des obligations définies » dans le règlement européen, du 16 septembre 2009, sur les agences de notation de crédit.

Les dispositions du nouvel article L. 544-5 du code monétaire et financier ne modifient en rien les modalités habituelles d’engagement de la responsabilité contractuelle, telles qu’elles résultent du code civil et de la jurisprudence de la Cour de cassation.

En ce qui concerne les obligations résultant des stipulations contractuelles, la responsabilité sera contractuelle ; pour celles résultant des dispositions du règlement européen sur les agences de notation, elle sera délictuelle.

La première, relevant du champ contractuel, résulte uniquement de la volonté des parties. La seule modification apportée par le texte adopté par le Sénat au régime actuel de responsabilité contractuelle est l’interdiction des clauses exonératoires de responsabilité.

La seconde, plus circonscrite, relève du champ délictuel. Elle vise à articuler les deux régimes de responsabilité pour rappeler que les agences ne peuvent se retrancher derrière la relation contractuelle lorsqu’un dommage résulte d’un manquement au regard du droit européen.

L’émetteur, pour sa protection, peut invoquer le règlement européen quand bien même le contrat serait correctement exécuté. Envisageons, par exemple, que le contrat ne comporte aucune clause sur les modalités de publication de la notation ; le règlement européen vient le suppléer et sa méconnaissance autorise à poursuivre l’agence sur le terrain de la responsabilité non contractuelle.

En revanche, l’émetteur ne saurait « choisir » le terrain de la responsabilité délictuelle lorsque le dommage se rattache à l’exécution d’une obligation contractuelle. Poursuivons l’exemple précédent, le contrat comporte des clauses relatives à la publication de la notation, l’émetteur ne serait alors pas fondé à invoquer la responsabilité délictuelle du simple fait que la violation de l’engagement contractuel constitue également un manquement au regard du droit européen.


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Au total, le législateur a souhaité accorder une protection élevée tant aux investisseurs qu’aux émetteurs tout en ne dissuadant pas les agences de notation de s’intéresser au marché français. Par l’effet des présentes dispositions, même une agence installée ailleurs dans l’Union européenne pourra voir sa responsabilité engagée en France et selon les règles du droit français. Pour autant, il serait plus satisfaisant que les négociations européennes reprennent à leur compte la question de la responsabilité des agences pour garantir l’application de règles identiques dans toute l’Union européenne.

(1) Article 10 du texte définitif.
(2) Règlement (CE) n° 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur les agences
de notation de crédit.
(3) Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable
aux obligations contractuelles (Rome I).
(4) Une notation émise dans un pays tiers peut être utilisée dans l’Union européenne à condition qu’elle soit
avalisée par des agences établies et enregistrées dans l’Union européenne et dans des conditions déterminées par le règlement européen sur les agences de notation.
(5) CJCE, 17 septembre 2002, aff. C-334/00, arrêt Tacconi.
(6) Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable
aux obligations non contractuelles (« Rome II »).
(7) Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit règlement « Bruxelles I ».
(8) Article 5.3 du règlement « Bruxelles I » : « Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre
peut être attraite, dans un autre État membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal
du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».