ARTICLE 6 BIS : MONTANT DES RETRAITES CHAPEAU

I. DÉBATS ASSEMBLÉE NATIONALE DU 21 OCTOBRE 2010

Débats AN première lecture

Troisième séance du jeudi 21 octobre 2010

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, n os 33 et 502.

L'amendement n° 33 est présenté par M. Carrez, rapporteur général au nom de la commission des finances, M. de Courson, M. Perruchot et M. Vigier.

Et l'amendement n° 502 est présenté par M. de Courson, M. Perruchot et M. Vigier.

Ces amendements sont ainsi rédigés :

Après l'article 6, insérer l'article suivant :

Après l'article L. 225-185 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-185-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 225-185-1 . - I.- Il ne peut être consenti au président du conseil d'administration et au directeur général d'une société visée par les articles L. 225-17 à L. 225-56, ou au président du directoire et aux membres du conseil de surveillance d'une société visée par les articles L. 225-57 à L. 225-93, un régime différentiel de retraite, ou « retraite chapeau », supérieur à 30 % de sa rémunération au titre de la dernière année de l'exercice de sa fonction. Les charges afférentes à ce dispositif ne sont pas déductibles au regard de l'impôt sur les sociétés.

« II. - Le présent article est réputé d'ordre public. ».

La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson . Cet amendement adopté par la commission concerne les retraites chapeaux. Il consiste à en limiter les montants à 30 % du montant de la rémunération reçue la dernière année d'exercice, ce qui n'est déjà pas si mal.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre du budget . Je suis partagé sur ce sujet. En réalité, le Gouvernement a déjà beaucoup fait en prévoyant notamment un alourdissement supplémentaire, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, sur les retraites dites chapeaux. Cela représentera une contribution à hauteur de 110 millions. Vous souhaitez aller encore plus loin. Logiquement, et compte tenu de ce que je viens d'indiquer, le Gouvernement pencherait pour un rejet, mais je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

M. Jean Launay. On va vous départager !

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert.

M. Christian Eckert. Cet amendement est relativement mesuré par rapport à d'autres dispositions qui ont pu être proposées, y compris par nous-mêmes.

M. Dominique Baert. On aurait voulu faire plus !

M. Christian Eckert. Nous avons été fortement sollicités à ce sujet car, dans un certain nombre d'entreprises sidérurgiques, de Lorraine notamment, les retraites chapeaux ne sont pas limitées aux seuls dirigeants ou mandataires. L'amendement tel qu'il est rédigé me semble parfaitement équilibré et répondre aux inquiétudes qui nous ont été exprimées ces derniers jours.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot.

M. Nicolas Perruchot. Je rejoins ce que vient de dire notre collègue, qui est partagé, je pense, par beaucoup d'autres sur ces bancs. Nous essayons de proposer un seuil acceptable.

On distingue deux catégories de retraites chapeaux. Il y a les retraites classiques, d'un montant normal par rapport aux dernières rémunérations des différents dirigeants ou cadres supérieurs d'une entreprise, qui sont négociées dans le cadre contractuel normalisé et qui permettent d'avoir quelques garanties en cas de sortie, anticipée ou pas, de l'entreprise, qu'elle soit moyenne ou grande. Et puis, il y a les retraites qu'on pourrait qualifier de sud-américaines - pour ma part, je les appelle les retraites « sombreros ». Ce sont celles des gens qui exagèrent. On en a vu, malheureusement, des dirigeants de grandes banques, de très grandes entreprises françaises et internationales...

M. Jean-Pierre Brard. Dans le BTP, par exemple.

M. Nicolas Perruchot. ...qui, même pendant la crise financière, exagéraient. Ils nous obligent aujourd'hui à légiférer pour revenir à des comportements plus raisonnables.

Il est important d'accepter cet amendement, car il est très choquant, en temps de crise ou pas, de voir des gens, après parfois quinze, seize ou dix-huit mois maximum d'activité, se payer sur la bête en prenant des retraites aux coefficients multiplicateurs énormes.

C'est aussi un amendement de moralisation du capitalisme que nous devons adopter ce soir.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le ministre vous estimez avoir beaucoup fait. Non, vous avez seulement réduit l'immoralité, la situation est « moins pire » qu'avant, ce qui n'est pas tout à fait la même chose.

Nous pensons tous aux dirigeants de Vinci ou d'Alcatel-Lucent, des voleurs partis avec le magot, alors qu'ils avaient déjà des salaires mirobolants !

M. Jean-François Mancel. Jaloux !

M. Jean-Pierre Brard. Ces retraites chapeaux devraient être supprimées, monsieur Chartier. L'amendement de Nicolas Perruchot ou Charles de Courson - je les confonds, ce soir - va dans le bon sens et améliore la situation, mais il faudrait aller jusqu'à supprimer ces retraites chapeaux.

Qui en touche dans les usines, à part les dirigeants ? Cela ne peut pas continuer.

Nous voterons pour cet amendement parce qu'il va dans le bon sens, mais il reste encore du chemin à parcourir.

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Je comprends cet amendement.

Comme l'a indiqué notre collègue, quand nous examinons ce type de dispositions ou celles qui sont dans le PLFSS, nous devons être attentifs aux régimes qui ont fait l'objet d'accords d'entreprise et qui, pour certains, ont même été soumis à agrément ministériel en leur temps.

Ces retraites d'entreprise ne concernent alors pas seulement quelques hauts dirigeants mais une grande partie des personnels, notamment dans les secteurs de la métallurgie, de l'électrométallurgie, des alumineries, où elles ont été très développées.

Comme le permet l'amendement, nous devons être capables de distinguer les mesures exceptionnelles des retraites d'entreprise. À un moment où nous souhaitons encourager les retraites complémentaires compte tenu des problèmes de financement à venir, il ne faut pas décourager ce type d'initiative par des mesures couperet.

M. Jean-Pierre Brard. Il faut augmenter les salaires, cela fera de meilleures retraites !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Chartier.

M. Jérôme Chartier. Monsieur Brard, si vous commencez à confondre M. de Courson et M. Perruchot, il va falloir consulter un oculiste.

M. Nicolas Perruchot. Il est tard !

M. Jean-Pierre Brard. C'est le même centre !

M. Jérôme Chartier. C'est peut-être l'heure, en effet, mais vous devriez vous méfier de vos lunettes ou de votre vue.

S'agissant des retraites chapeaux, je pense que cet amendement est équilibré.

D'une part, il propose un plafond par rapport à la dernière rémunération de l'année. Ce dispositif de bonne mesure est complémentaire des systèmes classiques qui existent par ailleurs. Par conséquent, il ne s'agit pas de réduction d'une retraite eu égard à un salaire parfois mirobolant.

De surcroît, les retraites chapeaux ont le défaut d'être décidées dans un cénacle au moment du départ. Il faut se méfier des cadeaux de départ qui, parfois, peuvent être destinés à précipiter le départ. Il faut donc bien les encadrer pour éviter tout débordement.

Cela étant, je vous invite à réfléchir sur le fait que, dans une économie mondialisée, les retraites chapeaux concernent généralement des dirigeants de multinationales qui possèdent des succursales un peu partout.

Le dispositif envisagé s'adressera à des dirigeants français pour les rémunérations perçues en France. Comment va-t-on contrôler les éléments de rémunération versées par une filiale située à l'étranger ?

M. Jean-Pierre Brard. Comme les Américains !

M. Jérôme Chartier. Je soumets cette question à votre réflexion. La piste évoquée par Patrice Martin-Lalande me semble la bonne : nous allons devoir rapidement situer le débat à un niveau supranational, pas celui de l'Europe mais celui du G20.

Des décisions devront y être prises concernant notamment les bonus des traders qui ont déjà fait l'objet de réflexions du G20 traduites par des mesures dans la loi de régulation bancaire et financière ou d'autres formes de taxation.

Au fil du temps, le G20 s'affirme comme le niveau pertinent pour toutes les décisions qui concernent des entreprises mondiales.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Je souscris aux remarques de Michel Bouvard et je pense que cet amendement sera sans conséquence sur les salariés dont il évoquait le cas.

M. Michel Bouvard. L'amendement ne pose pas de problème !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission. Il s'agit de salariés d'entreprises nationalisées qui ont été privatisés. Lors de la privatisation, ce type de retraite leur a été garanti en échange de l'abandon de la garantie du secteur public. La parole de l'État doit être respectée, mais cet amendement est sans conséquence pour eux.

Je souscris également aux remarques de Nicolas Perruchot. Au moins deux noms me viennent à l'esprit et on peut les citer sans faire de délation puisqu'ils sont connus de tous : Dexia et Alcatel-Lucent.

La personne qui présidait aux destinées de Dexia avec le succès que l'on sait est partie avec une retraite chapeau.

M. Michel Bouvard. Oui !

M. Charles de Courson. Énorme !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission. La dirigeante d'Alcatel-Lucent, - il se trouve que c'était une femme - qui a quitté l'entreprise en la laissant dans l'état que l'on sait, est partie avec une retraite chapeau.

M. Lionel Tardy. L'amendement ne règle rien !

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission. Rien ne justifie de telles pratiques à l'avenir. Il est plus que temps que le Parlement se saisisse de ce cas et encadre ce type de rémunérations complémentaires ou accessoires mais néanmoins très importantes.

( Les amendements identiques n os 33 et 502 sont adoptés .)