VI. DÉBATS SÉNAT PREMIÈRE LECTURE DU 4 DÉCEMBRE 2010

Article 96

M. le président. « Art. 96. - I. - Il est institué en 2011 trois prélèvements sur le fonds mentionné à l'article L. 6332-18 du code du travail :

1° Un prélèvement de 124 millions d'euros au bénéfice de l'institution nationale publique mentionnée à l'article L. 5312-1 du même code, dont 74 millions d'euros sont affectés au financement de l'aide à l'embauche des jeunes de moins de 26 ans en contrat de professionnalisation et 50 millions d'euros au financement des actions mises en oeuvre par cette institution en faveur de la convention de reclassement personnalisée, définie par les articles L. 1233-65 à L. 1233-70 du même code ;

2° Un prélèvement de 50 millions d'euros au bénéfice de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes mentionnée au 3° de l'article L. 5311-2 du même code destiné à financer la mise en oeuvre des titres professionnels délivrés par le ministre chargé de l'emploi conformément à l'article L. 335-6 du code de l'éducation ;

3° Un prélèvement de 126 millions d'euros au bénéfice de l'Agence de services et de paiement mentionnée à l'article L. 313-1 du code rural et de la pêche maritime destiné à financer la rémunération des stagiaires relevant des actions de formation, définie par les articles L. 6341-1 à L. 6341-7 du code du travail.

II. - Le versement de ce prélèvement est opéré en deux fois, avant le 31 janvier 2011 et avant le 31 juillet 2011. Le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions relatifs à ces prélèvements sont régis par les règles applicables en matière de taxe sur les salaires.

III. - Un décret pris après avis du fonds mentionné à l'article L. 6332-18 du code du travail précise les modalités de mise en oeuvre des prélèvements ainsi établis.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° II-23 est présenté par M. Dassault, au nom de la commission des finances.

L'amendement n° II-348 est présenté par Mme Le Texier, MM. Jeannerot et Godefroy, Mmes Jarraud-Vergnolle, Alquier, Campion, Demontès, Printz, Ghali, Schillinger et San Vicente-Baudrin, MM. Cazeau, Daudigny, Kerdraon, Desessard, Le Menn, Teulade, S. Larcher, Gillot et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° II-368 est présenté par Mme David, M. Fischer, Mmes Pasquet et Hoarau, M. Autain et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le rapporteur général, pour présenter l'amendement n° II-23.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Cet article 96 s'inscrit dans une longue tradition de prélèvements sur les fonds alimentés par les partenaires sociaux, pour renflouer les caisses de l'État, qui en ont bien besoin.

On peut regretter, à l'instar de notre excellent collègue Serge Dassault, que cette habitude se poursuive, madame la secrétaire d'État, alors même que la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, chère à Jean-Claude Carle, a créé les conditions d'une responsabilisation des partenaires sociaux en instaurant le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels.

Il est manifeste que, pour tenir en affichage sa norme de dépense, l'État débudgétise de plus en plus des dépenses qui relevaient auparavant de la mission « Travail et emploi », en les faisant prendre en charge par l'AFPA, l'Association pour la formation professionnelle des adultes, ou par Pôle emploi.

Il est donc compréhensible qu'avec sa rigueur bien connue notre collègue Serge Dassault ait été agacé par cette accumulation de mauvais signaux, et ait proposé à la commission un amendement de principe - je vous rassure tout de suite, madame la secrétaire d'État - tendant à supprimer l'article.

Je souhaite interroger le Gouvernement sur les raisons pour lesquelles il est essentiel d'accorder en 2011 50 millions d'euros à l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, 126 millions d'euros à l'Agence de services et de paiements, et 124 millions d'euros à Pôle emploi.

S'il apparaissait que, en l'absence de prélèvement, l'État soit contraint de prendre en charge lui-même les dépenses, alors l'amendement n° II-23 devrait être retiré et, par voie de conséquence, le Sénat devrait à mon sens repousser les amendements identiques n os II-348 et II-368.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour présenter l'amendement n° II-348.

Mme Raymonde Le Texier. Nous souscrivons aux propos de M. le rapporteur général concernant l'objet de son amendement de suppression, même si nous ne sommes pas tout à fait d'accord sur l'idée qu'une ponction par conventionnement serait préférable.

En fait, c'est la ponction qui pose problème. Encore une fois, on ne peut affirmer sa préoccupation pour la formation tout au long de la vie, et se livrer ensuite à des opérations de débudgétisation, de désengagement de l'État que l'on compense en faisant les poches des partenaires sociaux !

Mais il nous faut nous souvenir que le Fonds paritaire était nommé, dans la rédaction initiale du projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle de 2009, « Fonds national ». Ce n'est pas une différence sémantique anodine. Chacun avait alors compris que le Gouvernement avait déjà l'intention de récupérer une partie des sommes pour boucher les trous de son budget.

Ce procédé est tout à fait inacceptable ! Il est d'ailleurs en contradiction avec les engagements que le Gouvernement a pris avec les partenaires sociaux dans la convention-cadre État-FPSPP du 15 mars 2010.

Les partenaires sociaux gestionnaires du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels ont d'ailleurs décidé de limiter le prélèvement sur les organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA, non plus à 13 % mais à 10 % en 2011. Sans doute considèrent-ils qu'ils n'ont pas à prendre la place de l'État et que les sommes destinées à la formation ont toute justification à le rester.

Ce faisant, ils préservent l'avenir, puisque les excédents éventuels du FPSPP au 31 décembre de chaque année constituent pour l'année suivante les ressources de ce fonds. Mais, le FPSPP n'ayant qu'un an d'existence, il ne dispose pas encore d'excédents, et c'est donc sa propre faculté d'intervention qui est ici menacée.

Enfin, l'artifice budgétaire laisse entière la question du financement, en 2012 et 2013, des dispositifs qui bénéficient du transfert, qu'il s'agisse de la prime relative aux contrats de professionnalisation, des actions de formation dans le cadre des conventions de reclassement personnalisé ou de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle.

Pour ces raisons, nous proposons la suppression de cet article 96.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour présenter l'amendement n° II-368.

Mme Marie-France Beaufils. À l'instar du rapporteur spécial de la commission des finances, nous entendons supprimer cet article dont l'objet est de ponctionner de 300 millions d'euros en 2011 le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels.

Il est d'ailleurs assez singulier de constater que l'État décide unilatéralement de ponctionner un fonds prétendument paritaire. Drôle de conception de la parité ! (M. Jean Desessard applaudit .)

Nous avions d'ailleurs dénoncé ce racket de l'État dès le mois de juillet, tout comme nous avions dénoncé, lors de l'examen de la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, ce nouveau mode de gestion de ce fonds paritaire, marqué par la mainmise de l'État sur les sommes dont dispose le FPSPP. Force est de constater que l'État n'a pas tardé à passer à l'acte !

Ce prélèvement contreviendrait au principe édicté dans la loi du 24 novembre 2009, selon lequel « les sommes dont dispose le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels au 31 décembre de chaque année constituent, l'année suivante, des ressources de ce fonds ».

Mais, au-delà de cette entorse, les conséquences de ce prélèvement seraient désastreuses, car, contrairement à ce qui a été dit, ce fonds est loin de disposer d'une réserve de trésorerie suffisante pour honorer un tel prélèvement !

Loin de disposer d'excédents, il est au contraire confronté à un déficit de financement des engagements qu'il a pris vis-à-vis des organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA, des organismes paritaires agréés au titre du congé individuel de formation, les OPACIF, et des autres partenaires avec lesquels il est maintenant habilité à contracter dans le cadre de sa mission de qualification et de requalification des salariés et des demandeurs d'emploi.

Le déficit de couverture des engagements est en progression rapide : d'ici à la fin de 2010, il manquera à l'AFPA 650 millions d'euros pour tenir ses engagements. Aussi, ces 300 millions d'euros viendraient s'ajouter à ces insuffisances déjà constatées, ce qui porterait le déficit à près de 1 milliard d'euros et aurait pour conséquence de priver de leur droit à formation des milliers de salariés !

Vous faites ainsi le choix que nous redoutions et qu'Annie David avait exprimé ici même lors de la discussion des conclusions de la CMP sur le texte relatif à la formation professionnelle : vous préférez épargner sur le budget de l'État plutôt que de répondre à de réelles priorités comme la formation des salariés.

Au fond, vous ne voyez dans la formation qu'une seule utilité, permettre l'employabilité des salariés, et vous persistez dans votre idéologie qui consiste à vouloir mettre l'humain au service de l'économie.

Cette conception bien étroite et restrictive de la formation me conduit à vous demander d'adopter cet amendement, mes chers collègues.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Il s'agit ici de mobiliser un excédent ponctuel de trésorerie du nouveau Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Le FPSPP a recouvré 100 % de ces recettes annuelles en 2010, soit près de 900 millions d'euros, alors que ses dépenses seront très limitées pour la première année de mise en oeuvre.

Nous ne remettons pas en cause la capacité du Fonds à mener les actions prévues, puisque nous ne mobilisons que cette trésorerie inemployée. Nous ne réduisons donc pas les moyens disponibles, en régime de croisière pour les bénéficiaires de la formation professionnelle.

Nous restons par ailleurs dans le cadre de l'objet du fonds, puisque les moyens seront affectés à des dépenses de formation professionnelle et se répartiront de la manière suivante : 124 millions d'euros à Pôle emploi, dont 74 millions d'euros pour le financement de la prime à l'embauche des jeunes de moins de vingt-six ans en contrat de professionnalisation, et 50 millions d'euros pour la convention de reclassement personnalisé, la CRP, 50 millions d'euros à l'AFPA pour la mise en oeuvre de titres professionnels, 126 millions d'euros à l'Agence des services de paiement pour la rémunération des stagiaires relevant des actions de formation.

Ces opérateurs ont réellement besoin de ces moyens financiers. À défaut, l'État devrait payer leurs dépenses, ce qui dégraderait le déficit public.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à ces amendements.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Mme la secrétaire d'État a bien voulu avouer la débudgétisation. Or faute avouée est à moitié pardonnée ! (Sourires.)

Dans ces conditions, nous retirons l'amendement n° II-23, monsieur le président, et nous confirmons l'avis défavorable de la commission des finances sur les deux autres amendements identiques de suppression.

M. le président. L'amendement n° II-23 est retiré.

Je mets aux voix les amendements identiques n os II-348 et II-368.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 96.

(L'article 96 est adopté.)