V. RAPPORT SÉNAT N°107 (2011-2012) TOME II

Commentaire : le présent article vise à supprimer l'abattement d'un tiers de la base imposable à l'impôt sur les sociétés en faveur des exploitations situées dans les départements d'outre-mer (DOM) lorsqu'elles appartiennent aux secteurs éligibles à la défiscalisation outre-mer.

I. LE DROIT EXISTANT

A. UNE NICHE FISCALE AU BÉNÉFICE DES ENTREPRISES ULTRAMARINES

L'article 217 bis du code général des impôts (CGI) prévoit que « les résultats provenant d'exploitations situées dans les départements d'outre-mer [...] ne sont retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés situées que pour deux tiers de leur montant » 1 ( * ) .

Cet abattement est toutefois réservé aux exploitations qui appartiennent aux secteurs éligibles au dispositif classique de défiscalisation des investissements productifs en outre-mer, prévu par l'article 199 undecies B du CGI. Le champ d'application de la mesure est donc défini de manière très large puisque l'ensemble des secteurs sont éligibles, à l'exception de ceux expressément exclus.

Le tableau ci-après récapitule les secteurs exclus de l'application du dispositif ainsi que les exceptions à ces exclusions prévues par la loi.

Champ d'application de l'article 217 bis du CGI

Secteurs exclus

Exceptions (secteurs éligibles)

Commerce

Cafés, débits de tabac, débits de boisson, restauration

Restaurants dont le dirigeant est titulaire du titre de maître-restaurateur

Restaurants de tourisme classés

Conseils ou expertise

Education, santé et action sociale

Banque, finance et assurance

Activités immobilières

Navigation de croisière, réparation automobile, locations sans opérateurs

Location directe de navires de plaisance et location au profit de personnes physiques utilisant pour une durée n'excédant pas deux mois des véhicules de tourisme

Services fournis aux entreprises

Maintenance, nettoyage, conditionnement et centres d'appel

Activités de loisirs, sportives et culturelles

Activités s'intégrant directement et à titre principal à une activité hôtelière ou touristique et ne consistent pas en l'exploitation de jeux de hasard et d'argent

Production et diffusion audiovisuelles et cinématographiques

Activités associatives

Activités postales

Source : commission des finances

En outre, l'article 217 bis précité prévoit que le bénéfice de cet abattement est applicable aux exercices clos jusqu'au 31 décembre 2017 et s'éteint donc à compter de l'année 2018 .

B. UN COÛT CROISSANT POUR LE BUDGET DE L'ETAT, ÉVALUÉ À 100 MILLIONS D'EUROS EN 2011

Le projet annuel de performances de la mission « Outre-mer » annexé au projet de loi de finances pour 2012 évalue2 ( * ) à 100 millions d'euros , en 2010 comme en 2011, le coût pour l'Etat de la dépense fiscale que constitue cet abattement. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2011, le coût de la mesure avait été estimé à 90 millions d'euros pour l'année 2010.

Evolution du coût de la dépense fiscale depuis 2000

(en millions d'euros)

Source : Rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales présidé par M. Henri Guillaume, juin 2011

Comme l'indique le graphique ci-dessus, le coût de la dépense fiscale prévue par l'article 217 bis précité est dynamique puisqu'il croît en moyenne de 9 % par an sur les dix dernières années .

C. UNE ÉVALUATION TRÈS CRITIQUE DE CETTE NICHE FISCALE PAR LE RAPPORT « GUILLAUME »

Il ressort du rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, de juin 2011, présidé par M. Henri Guillaume, que l'abattement d'un tiers à l'impôt sur les sociétés n'a pas pour effet de contribuer à compenser les handicaps structurels des territoires d'outre-mer . Ainsi, les auteurs estiment que cette mesure « s'apparente à une absence de contribution complète aux charges publiques des entreprises ayant réussi à devenir rentables, notamment grâce aux aides fiscales sur les facteurs de production, et renforce les inégalités sans nourrir d'objectif déterminé ».

Le rapport « Guillaume » met également en avant la possibilité pour les exploitations des DOM de cumuler cette niche fiscale avec d'autres dispositifs fiscaux visant à abaisser le coût du capital . C'est le cas notamment de la défiscalisation des investissements productifs réalisés en outre-mer, du dispositif de la TVA dite « non perçue récupérable » et des exonérations de charges sociales spécifiques aux territoires ultramarins.

Enfin, il ressort des éléments d'évaluation fournis par le rapport que l'abattement d'un tiers sur l'assiette imposable à l'IS se cumule avec d'autres dispositifs de défiscalisation à l'IS 3 ( * ) ce qui, en pratique, « conduit à effacer le taux d'imposition de certaines entreprises » . Le rapport ne parvient pas à identifier précisément les secteurs d'activité et les tailles des entreprises qui parviennent à annuler leur imposition mais fournit deux cas types qui modélisent l'effet de l'enchaînement des dispositifs sur le taux effectif d'IS versé pour une entreprise réinvestissant les deux tiers de son résultat fiscal et bénéficiant d'un abattement ZFA de droit commun de 50 % plafonné à 150 000 euros :

Résultat fiscal

Assiette après abattement ZFA

Assiette après abattement du tiers

Assiette après déduction des investissements productifs

Taux effectif d'IS avec un taux à 33 %

300 000 €

150 000 €

100 000 €

0 €

0 %

1 000 000 €

850 000 €

566 667 €

233 333 €

7,7 %

Source : Rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales présidé par M. Henri Guillaume, juin 2011

Par ailleurs, il apparaît que, de manière générale :

- 74 % des bénéficiaires du dispositif réalisent un chiffre d'affaires de moins de 2 millions d'euros mais ils ne perçoivent que 24 % de l'avantage fiscal total. A l'inverse, 6 % des entreprises bénéficiaires, disposant d'un chiffre d'affaires entre 5 et 150 millions d'euros, bénéficient de plus de la moitié de l'avantage fiscal ;

- les secteurs d'activité les plus représentés parmi les entreprises bénéficiaires sont le commerce (24 % du coût de la mesure), les services aux entreprises et les activités financières , avec chacun 18 % du coût et les activités immobilières (10 % du coût de la mesure). Comme l'indique le rapport « Guillaume », ce sont des secteurs d'activité en théorie non éligibles à l'abattement qui semblent bénéficier principalement de la mesure fiscale . Le rapport indique que cela « peut notamment tenir à un effet de classement statistique des sociétés détenant des participations dans des activités diverses, dont certaines éligibles à la mesure ». Ce constat incite donc à penser que la limitation du bénéfice de cette dépense fiscale à certains secteurs d'activités ne parvient pas, en pratique, à cibler ses effets comme le souhaiterait le législateur.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

S'appuyant sur les critiques formulées par le rapport « Guillaume » précité, le présent article propose de supprimer intégralement, dès l'exercice 2012, l'abattement d'un tiers à l'impôt sur les sociétés pour les entreprises éligibles des DOM. A cet effet, le C du I du présent article abroge l'article 217 bis du CGI.

Les autres dispositions du présent article opèrent des coordinations au sein du CGI et du code du travail.

Le A du I opère les coordinations nécessaires avec les dispositions du CGI traitant des zones franches d'activités.

Les B et D du I du présent article effectuent de manière identique les modifications qu'implique l'abrogation de l'article 217 bis du CGI aux articles 199 undecies B, 199 undecies C et 217 undecies du même code, qui traitent des dispositifs de défiscalisation des investissements productifs et des logements neufs en outre-mer.

Les E, F et G du I modifient les dispositions des articles du CGI qui traitent des modalités d'imposition à l'IS des groupes de sociétés pour tirer les conséquences de l'abrogation de l'article 217 bis précité.

Enfin, le II du présent article supprime la référence à l'article 217 bis précité au sein de l'article L. 3324-1 du code du travail, qui traite des modalités de calcul de la réserve spéciale de participation des salariés.

*

* *

L'Assemblée nationale a adopté le présent article sans modification .

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre rapporteure générale souscrit aux critiques formulées par le rapport « Guillaume » s'agissant de la niche fiscale que le présent article propose de supprimer.

Elle souligne en particulier que les entreprises qui bénéficient le plus de l'avantage fiscal que constitue l'abattement d'un tiers sur la base de l'IS appartiennent à des secteurs d'activité exclus de la défiscalisation et censés, par conséquent, être également exclus du bénéfice de cette mesure. Ce constat suffit à démontrer que la niche fiscale que le présent article propose de supprimer n'atteint pas son objectif puisqu'il ne bénéficie pas aux entreprises auxquelles il est censé bénéficier.

En outre, il apparaît que cette disposition fiscale, créée pour compenser les handicaps structurels des territoires d'outre-mer, bénéficie en réalité aux entreprises les plus rentables des collectivités ultramarines puisque plus l'assiette fiscale à l'IS de l'exploitation est importante, plus celle-ci bénéficie d'un avantage . Il en ressort que les entreprises bénéficiaires ne sont pas celles qui mériteraient le plus d'être soutenues par les pouvoirs publics et que la mesure pourrait au contraire aggraver les inégalités entre les entreprises rentables et les autres.

Enfin, le fait que certaines entreprises puissent totalement s'exonérer d'IS , par l'application cumulée des divers avantages fiscaux applicables en outre-mer (abattement d'IS, zones franches d'activités, défiscalisation des investissements productifs), n'est pas satisfaisant au regard de leur nécessaire contribution aux charges publiques .

Pour l'ensemble de ces raisons, qui conduisent le rapport « Guillaume » à classer la niche fiscale que le présent article propose de supprimer dans la catégorie des mesures inefficaces , auxquelles est attribué un score de 04 ( * ), votre rapporteure générale est favorable à l'adoption du présent article.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.


* 1 Les territoires concernés sont seulement la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion, le code général des impôts ne devenant pleinement applicable à Mayotte qu'à compter du 1 er janvier 2014 en application du I de l'article 11 de la loi n° 2010-1487 du 7 décembre 2010 relative au département de Mayotte.

* 2 Ce chiffrage est qualifié « d'ordre de grandeur ».

* 3 Notamment le dispositif des zones franches d'activités (ZFA), adopté dans le cadre de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) n° 2009-594 du 27 mai 2009, qui permet aux petites et moyennes entreprises des DOM de bénéficier, dans la limite de 150 000 euros, d'un abattement de 50 % sur leur bénéfice imposable lorsqu'elles appartiennent aux secteurs éligibles à la défiscalisation des investissements productifs.

* 4 37 % des mesures fiscales représentant 19 % du coût total de ces mesures ont obtenu un score de 0, les plus efficientes obtenant un score de 3.