III. RAPPORT SÉNAT N°107 (2011-2012) TOME II

Commentaire : le présent article, introduit par l'Assemblée nationale à l'initiative de sa commission des finances, propose de renforcer les clauses anti-abus du régime de taxation réduite (15 % au lieu de 33,1/3 %) des concessions de brevets :

- la clause anti-abus relative aux entreprises sous-concédantes introduite par la loi de finances initiale pour 2011 serait corrigée par un dispositif complexe, afin d'empêcher certaines pratiques d'optimisation ;

- la clause anti-abus relative aux entreprises liées, introduite en 1971 et modifiée par la loi de finances rectificative pour 2001 et la loi de finances initiale pour 2011, serait alignée sur celle actuellement en vigueur dans le cas des entreprises sous-concédantes.

I. LE DROIT ACTUEL

A. LA TAXATION RÉDUITE DES PLUS-VALUES DE CESSIONS ET DES CONCESSIONS DE BREVETS : UNE MESURE COÛTEUSE À L'EFFICACITÉ INCERTAINE

1. Un taux réduit d'IS de 15 % coûtant 850 millions d'euros

Le présent article concerne la dépense fiscale intitulée « taxation au taux réduit des plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets ».

Cette dépense fiscale, qui porte le numéro 320139, a pour base les articles 39 terdecies et 219 du code général des impôts.

Les principales dispositions fixant le régime de la taxation au taux réduit des plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets

Objet

Article 39 terdecies

Taxation au taux réduit des plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets

Article 219

Fixation du taux normal de l'IS à 33,1/3 % et du taux réduit à 15 %

Remarque : le 12 de l'article 39 du code général des impôts concerne un sujet connexe et en pratique indissociable de la dépense fiscale, celui des modalités de déduction de la redevance par l'entreprise concessionnaire .

Le principe de cette dépense fiscale est que le régime des plus-values à long terme s'applique aux plus-values de cession de brevets et d'inventions brevetables ainsi qu'au résultat net de la concession de licence d'exploitation de ceux-ci. Ainsi, le taux qui s'applique alors n'est pas le taux normal d'impôt sur les sociétés, de 33,1/3 %, mais un taux réduit de 15 % 1 ( * ) . L'avantage est donc de 18,1/3 points par rapport au taux normal de l'impôt sur les sociétés.

Le fascicule des « Voies et moyens » annexé au présent projet de loi de finances chiffre cette dépense fiscale à 810 millions d'euros en 2010 et 850 millions d'euros en 2011 et en 2012, par rapport au taux normal de l'impôt sur les sociétés 2 ( * ) .

2. Une dépense fiscale peu efficiente et bénéficiant essentiellement au secteur de la pharmacie

Le « rapport Guillaume » 3 ( * ) donne à cette dépense fiscale - qui bénéficie essentiellement aux entreprises pharmaceutiques - un score de 1 4 ( * ) , et la juge donc peu efficiente , pour des raisons indiquées dans le III du présent commentaire.

B. LE CAS PARTICULIER DES CONCESSIONS DE BREVETS : DES MODIFICATIONS RÉPÉTÉES POUR CORRIGER DES EFFETS PERVERS

La taxation au taux réduit de 15 % concerne, on l'a vu, deux types de plus-values à long terme dans le cas des brevets :

- celles provenant des produits de cessions de brevets, qui ne sont pas concernées par le présent article ;

- celles provenant de concessions de brevets, qui font l'objet du présent article. C'est en effet dans le cas des concessions que le taux réduit a des effets pervers, que des mesures à répétition s'emploient à atténuer depuis le début des années 1970 .

Les grandes lignes du dispositif actuel relatif aux concessions sont synthétisées par le schéma ci-après. Celui-ci est explicité dans les développements qui suivent.

Le dispositif actuel relatif aux concessions de brevets

Détenteur du brevet

Taux réduit d'imposition sur le produit des redevances (15 %) (1)

Concessionnaire non lié

- Déduction des redevances à 33,1/3 %

- Taux réduit d'imposition sur le produit des redevances en cas de sous-concession si le détenteur n'en a pas bénéficié et si création de valeur ajoutée

Sous-concessionnaire

Concessionnaire lié

Déduction des redevances à 15/[33,1/3] % (2) ou à 33,1/3 % en cas de respect d'un dispositif anti-abus visant à assurer la réalité économique de la concession

(1) Le taux réduit est de 16 % dans le cas des entreprises assujetties à l'impôt sur le revenu.

(2) 16/[33,1/3] % dans le cas des entreprises assujetties à l'impôt sur le revenu.

1. L'optimisation au sein des groupes : un problème toujours pas résolu

Le principal problème est celui de l'optimisation au sein des groupes et, plus généralement, des « entreprises liées ».

a) La première disposition anti-abus (1971) : une incitation à « loger » les brevets en France et à les faire exploiter par des concessionnaires étrangers

Dans un premier temps, la taxation au taux réduit des concessions de brevets a incité des entreprises à réaliser de telles concessions au sein d'un groupe, la propriété des brevets concernés étant artificiellement attribuée à l'une des entreprises. En effet, les entreprises concessionnaires pouvaient alors déduire la totalité de la redevance de leur bénéfice . Ainsi, réaliser une concession de 100 avait pour effet de réduire l'impôt sur les sociétés du concessionnaire 5 ( * ) de 33,1/3, et d'accroître celui du propriétaire de 15, d'où un « impôt négatif » de 18,1/3 au niveau du groupe.

C'est pourquoi en 1971 , a été instaurée la première disposition anti-abus . Contrairement à celles qui l'ont suivie, elle concernait la dépense fiscale proprement dite (bénéficiant à l'entreprise propriétaire), et non la déduction de la redevance (bénéficiant à l'entreprise concessionnaire). Il s'agissait de prévoir, dans l'article 39 terdecies du code général des impôts, que dans le cas des entreprises liées, il n'était pas possible à l'entreprise propriétaire du brevet de bénéficier du taux réduit de 15 %, dès lors que ces redevances avaient été admises en déduction de l'impôt sur les sociétés dans le cas des entreprises concessionnaires .

Toutefois, cette disposition anti-abus présentait des effets pervers . En effet, elle ne concernait pas les redevances versées par les entreprises concessionnaires non résidentes , dès lors qu'elles n'étaient pas imposables en France. Ainsi :

- elle suscitait des critiques communautaires , le rapport dit « Primarolo » du 23 novembre 1999, consacré aux bonnes pratiques en matière de fiscalité des entreprises, ayant pointé du doigt l'incitation excessive à loger les brevets en France ;

- elle incitait les sociétés titulaires de droits à concéder leurs brevets à des entreprises situées hors de France, ce qui était un désavantage pour le développement industriel national.

b) Une première atténuation de la disposition anti-abus : la loi de finances rectificative pour 2001 et la disparition de l'incitation à « loger » les brevets en France

En raison des critiques communautaires, cette disposition anti-abus a été modifiée par l'article 54 de la loi de finances rectificative pour 2001 (loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001)6 ( * ) .

Cette réforme relevait d'une logique inverse, consistant à limiter non le bénéfice de la dépense fiscale (concernant le concédant), mais la possibilité, pour le concessionnaire, de déduire les redevances versées. Elle a ainsi inscrit dans le 12 de l'article 39 du code général des impôts que ces redevances ne pouvaient être déduites de l'impôt sur les sociétés que dans la limite de 15/[33,1/3] %7 ( * ). Ainsi, réaliser une concession de 100 avait pour effet de réduire l'impôt sur les sociétés du concessionnaire de 15/[33,1/3] [33,1/3] = 15, et d'accroître celui du propriétaire de 15, d'où un impact neutre au niveau du groupe.

Toutefois, ce nouveau dispositif ne supprimait pas l'incitation des groupes qui avaient localisé leurs brevets en France à en concéder l'exploitation à l'une de leurs filiales situées à l'étranger plutôt qu'à l'une de leurs filiales françaises. Dans les deux cas, ils pouvaient bénéficier du taux réduit de 15 % sur l'imposition des redevances. Mais en cas d'exploitation en France, cet avantage était neutralisé car la filiale française ne pouvait déduire la redevance qu'elle versait qu'à hauteur de 15/[33,1/3] % de son montant, tandis qu'en cas d'exploitation hors de France, la filiale étrangère, non soumise à la fiscalité française, pouvait déduire sa redevance sans limitation.

c) Une deuxième atténuation de la disposition anti-abus : la loi de finances initiale pour 2011 et la disparition de l'incitation à faire exploiter les brevets par des concessionnaires étrangers

L'article 126 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 (article 64 du texte initial, adopté sans modification par le Sénat) a donc supprimé la limite de déduction entre entreprises liées.

Pour éviter les comportements abusifs, notamment la mise en place de concessions « fictives » dans le seul dessein de bénéficier du différentiel de taux entre la taxation et la déduction des redevances, le texte instaure une clause anti-abus . Ainsi, il prévoit que la suppression de la limite des déduction des redevances versées par le concessionnaire au concédant auquel il est lié ne s'applique qu'à la condition expresse que l'entreprise concessionnaire exploite « de manière effective » les droits de propriété industrielle qui lui ont été concédés.

Ainsi, actuellement, au sein d'un groupe, si la concession n'est pas « fictive », l'entreprise concédant un brevet pour une redevance de 100 est imposée pour 15, et l'entreprise concessionnaire voit son imposition réduite de 33,1/3, d'où pour le groupe un « impôt négatif » de 18,1/3 .

En revanche, en cas de concession « fictive », la limite de déduction de 15/[33,1/3] % continue en principe de s'appliquer à l'entreprise concessionnaire liée. La réforme de la loi de finances initiale pour 2011 n'est donc pas censée correspondre à un allégement massif de l'imposition de l'industrie pharmaceutique.

Toutefois la clause anti-abus est très insuffisante. Aussi, le présent article propose de la renforcer , comme on le verra ci-après.

d) Une clause anti-abus très insuffisante

En raison des insuffisances de la clause anti-abus - qui sera présentée en détails dans le II du présent commentaire, et que le présent article propose de renforcer -, le droit actuel permet le recours à des mécanismes d'optimisation fiscale dénoncés par notre collègue député Gilles Carrez dans un récent rapport d'information 8 ( * ) .

Un procédé possible consiste à charger une filiale de développer un brevet . En l'absence de recours à un tel procédé, l'entreprise serait imposée au taux de 33,1/3 % sur le bénéfice supplémentaire, par exemple de 100, permis par le brevet. Si cette entreprise, au lieu de développer elle-même le brevet, en charge une filiale contre le paiement d'une redevance de 100, elle annule son bénéfice, et réduit son imposition de 33,1/3. La filiale est quant à elle imposée pour un montant de 15 (soit 15 % sur la redevance qu'elle perçoit). Au lieu de payer 33,1/3, le groupe bénéficie d'un « impôt négatif » de 18,1/3.

L'optimisation fiscale au sein d'un groupe permise par le taux réduit de 15 % sur les concessions de brevets, selon notre collègue député Gilles Carrez

« Soit une entreprise industrielle développant un procédé brevetable réduisant un coût de fabrication. Le coût de développement de ce procédé est de 100. Il est déductible au taux normal et ouvre droit, au surplus, au crédit d'impôt recherche (supposé acquis au taux normal de 30 % sur une assiette supposée égale au coût de développement). Le coût net après IS du développement du procédé s'établit donc à 36,66.

« L'entreprise peut conserver la propriété du procédé et l'exploiter. Elle en tirera un avantage qui est la réduction de ses coûts. Cet avantage, donc le supplément de résultat qui en découle, sera, en principe, imposé au taux normal. Le gain de productivité, qui se trouve avoir été partiellement financé sur fonds publics, conduit logiquement à une majoration du profit imposable.

« L'existence d'un taux réduit sur les produits de la propriété industrielle rend toutefois cette option très sous-optimale. Il est fiscalement bien préférable d'externaliser le brevet correspondant en le confiant à une filiale ou, mieux encore, en le faisant développer par une filiale dédiée.

« En l'état du droit*, et en supposant la filiale rémunérée par une redevance dont le niveau équivaut au bénéfice (à l'économie, au cas d'espèce) qu'aurait tiré l'entreprise de l'exploitation directe du procédé, l'externalisation aboutit :

« - pour l'entreprise industrielle, à équilibrer le gain tiré de l'exploitation du procédé (l'économie en résultant) par la charge constituée par la redevance, pour un résultat fiscal net de l'opération nul malgré un gain économique réel,

« - pour la filiale de recherche, à percevoir une redevance taxée à taux réduit, dont le résultat net reviendra, le cas échéant, à la mère sous le régime fiscal des sociétés mères.

« On a donc un dispositif désincitant manifestement les entreprises industrielles à internaliser leurs dépenses de recherche et à exploiter directement leurs inventions, compte tenu du traitement fiscal de faveur des produits de concession. »

« * Qui n'était pas celui applicable au titre des exercices dont les données fiscales sont étudiées compte tenu de l'évolution intervenue en loi de finances pour 2011 et précédemment rappelée. »

Source : Gilles Carrez, rapport d'information sur l'application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances (n° 3631, XIIIe législature), 6 juillet 2011, commission des finances de l'Assemblée nationale

2. L'effet pervers de l'extension du taux réduit aux sous-concessions par la loi de finances initiale pour 2011

Un deuxième problème posé par la taxation au taux réduit des concessions de brevets concerne le cas des entreprises sous-concédantes , c'est-à-dire les entreprises concessionnaires et concédant elles-mêmes le brevet à une troisième entreprise.

La loi de finances initiale pour 2011 a étendu le taux réduit de 15 % aux sous-concessions, suscitant d'importants risques d'optimisation fiscale que le présent article propose d'atténuer.

a) L'extension du bénéfice du taux réduit de 15 % aux entreprises sous-concessionnaires par la loi de finances initiale pour 2011

L'article 126 précité de la loi de finances pour 2011 a inscrit dans l'article 39 terdecies du code général des impôts que l'entreprise sous-concédante (c'est-à-dire l'entreprise « intermédiaire ») bénéficie de la taxation au taux réduit des concessions de brevets :

- si l'entreprise concédante n'en a pas bénéficié ;

- et si l'entreprise sous-concédante « apporte la preuve que les opérations (...), d'une part, sont réelles et ne peuvent être regardées comme constitutives d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française et, d'autre part, créent une valeur ajoutée du chef de cette entreprise sur l'ensemble de la période d'exploitation de la licence concédée ».

Il est prévu qu'un décret - toujours en cours de rédaction - « précise les conditions d'établissement » de la documentation devant être transmise par l'entreprise.

Ce double critère n'est en réalité pas aussi contraignant qu'il pourrait le paraître . En particulier, il suffit qu'une entreprise verse une redevance de 100 et sous-concède 101 pour qu'elle crée de la « valeur ajoutée ».

b) L'effet pervers de la loi de finances initiale pour 2011 : l'incitation des entreprises françaises à « loger » les brevets dans des filiales à l'étranger

Comme le souligne notre collègue député Gilles Carrez, « la combinaison » de « l'extension du bénéfice du régime du long terme aux sous concessions par la loi de finances pour 2011 (...) et de la suppression de la restriction de la déductibilité des redevances à des entreprises liées pourrait ouvrir des possibilités d'optimisation importantes » 9 ( * ) .

(1) Le problème : la possibilité d'une imposition très faible, voire négative

En effet, le taux d'imposition de la redevance perçue par cette entreprise nette de celle qu'elle verse à l'entreprise concédante, est d'autant plus faible que le différentiel entre les deux redevances est peu important, et devient même négatif pour une redevance perçue inférieure à 222 % de la redevance versée.

Par exemple, pour une redevance versée de 100 et une redevance perçue de 150, l'entreprise bénéficierait d'une réduction d'impôt de 10,8, soit 21,7 % de la redevance perçue nette de la redevance versée, comme le montre le tableau ci-après.

Imposition nette de l'entreprise sous-concédante : le droit actuel

(montant de la redevance versée à l'entreprise concédante = 100)

Redevance perçue

Imposition au taux de 15 % sur la redevance perçue (1)

Réduction d'impôt résultant de la déduction de la redevance versée et de l'application d'un taux de 33,1/3 % (2)

Imposition nette

[B - C]

Taux d'imposition (en % du montant de la redevance perçue nette de la redevance versée)

A

B

C

D

E

300

45

33,1/3

11,7

5,8

250

37,5

33,1/3

4,2

2,8

222

33,3

33,1/3

0,0

0,0

200

30

33,1/3

-3,3

-3,3

150

22,5

33,1/3

-10,8

-21,7

100

15

33,1/3

-18,1/3

- (3)

(1) Article 219 du code général des impôts.

(2) Article 39 du code général des impôts.

(3) Le montant de la redevance perçue nette de la redevance versée est ici nul, ce qui empêche de calculer un taux d'imposition.

Source : calculs de la commission des finances

Certes, l'article 126 précité de la loi de finances initiale pour 2011 ait inscrit dans l'article 39 terdecies du code général des impôts que l'entreprise sous-concédante doit apporter la preuve que ses opérations ne constituent pas un « montage artificiel » et « créent une valeur ajoutée ». Toutefois, selon notre collègue député Gilles Carrez, l'« efficacité » des « dispositions anti-abus (...) prévues par la loi » apparaît « incertaine » 10 ( * ) .

(2) Le cas des entreprises françaises qui ont « logé » la propriété des brevets dans des filiales étrangères

Un cas de figure, présenté par notre collègue député Gilles Carrez dans son rapport d'information précité, concerne le cas particulier d'entreprises françaises qui ont « logé » la propriété des brevets dans des filiales étrangères (par exemple d'anciens concurrents rachetés).

La filiale étrangère peut percevoir une redevance de 100 de la part de l'entreprise concessionnaire, qui sous-concède à son tour le brevet contre une redevance de 100. L'entreprise concessionnaire réduit son bénéfice de 100, et voit donc son imposition réduite de 33,1/3 ; comme en même temps elle est imposée pour 15 sur le produit de la redevance qu'elle perçoit (comme elle est bien la première entreprise à bénéficier du taux réduit de 15 %), elle bénéficie donc globalement d'un « impôt négatif » de 18,1/3.

La clause anti-abus serait en effet alors inopérante .

La possibilité d'optimisation fiscale ouverte par l'extension du bénéfice du régime du long terme aux sous concessions par la loi de finances pour 2011, selon notre collègue député Gilles Carrez

« Un point supplémentaire sur lequel l'attention mérite d'être appelée est l'extension du bénéfice du régime du long terme aux sous concessions par la loi de finances pour 2011. La combinaison de cette extension et de la suppression de la restriction de la déductibilité des redevances à des entreprises liées pourrait ouvrir des possibilités d'optimisation importantes.

« Une entreprise dégageant un résultat en France et liée à une entreprise étrangère détenant des brevets (on peut imaginer le cas où l'entreprise française est la filiale de distribution française d'une entreprise étrangère comme dans le cas où une entreprise industrielle française a acquis une entreprise concurrente à l'étranger) pourra, en effet, obtenir de cette entreprise étrangère la concession d'un de ces brevets puis en sous-concéder l'exploitation.

« La redevance de concession sera déductible au taux normal, la redevance de sous-concession sera imposée au taux réduit et, par une opération qui s'apparente presque à un simple jeu d'écriture (*), le bénéfice taxable en France sera réduit de 18 1/3 % du montant de la redevance.

« Comme cela a été rappelé, les redevances pour concession de brevets, dont le produit est imposé au taux réduit chez le concédant, n'étaient déductibles chez les concessionnaires qu'à proportion de ce taux réduit jusqu'à la loi de finances pour 2011. Il a été considéré que cette limitation incitait à concéder l'exploitation de brevets à des filiales étrangères pour lesquelles la limitation du droit à déduction ne joue pas et elle a été supprimée par la loi de finances pour 2011.

« Les redevances de concession et désormais de sous-concession sont donc désormais déductibles au taux plein, y compris lorsqu'elles sont versées à des entreprises liées, d'où les risques majeurs d'optimisation précédemment rappelés. Il conviendrait donc de réexaminer cette mesure, étant rappelé que sa justification (le risque que soient privilégiées des concessions à des entreprises étrangères ne subissant pas la restriction de l'imputation de la charge afférente à la redevance) n'est probablement pas systématiquement établie (il reste préférable de déduire au taux réduit de 15 % en France que de déduire au taux normal de 12,5 % en Irlande). Une alternative pourrait consister à maintenir l'état du droit sur les charges (déductibilité dans tous les cas, y compris entreprises liées) en réservant le bénéfice du taux réduit aux opérations réalisées avec des tiers. »

« (*) Des dispositions anti-abus ont été prévues par la loi mais leur effectivité apparaît incertaine. »

Source : Gilles Carrez, rapport d'information sur l'application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances (n° 3631, XIIIe législature), 6 juillet 2011, commission des finances de l'Assemblée nationale

(3) Une deuxième possibilité d'optimisation : l'entreprise « boîte aux lettres » entre deux entreprises étrangères

Une deuxième possibilité d'optimisation consiste à intercaler artificiellement, à des fins d'optimisation fiscale, une entreprise intermédiaire, située en France, entre l'entreprise propriétaire du brevet et celle devant effectivement l'exploiter.

On peut prendre l'exemple de deux entreprises, situées en Allemagne et en République tchèque. Dans une situation « normale » (sans optimisation), l'entreprise allemande, propriétaire du brevet, perçoit une redevance de 100 de la part de l'entreprise tchèque, concessionnaire. Après la réforme de 2011, le groupe décide d'utiliser en France une « entreprise boîte aux lettres ». L'entreprise allemande concède le brevet à l'entreprise française contre une redevance de 100, qui la sous-concède à l'entreprise tchèque contre une redevance de 101. Grâce à la déduction de la redevance qu'elle verse, l'entreprise française réduit son imposition de 33,1/3, alors qu'elle ne paie que 15,15 sur la redevance qu'elle perçoit, d'où une « imposition négative » de l'ordre de 18,18.

(4) L'incitation des entreprises françaises à « loger » leurs brevets dans des filiales étrangères

En termes d'incitation, le droit actuel pose un problème en quelque sorte inverse de celui posé par la disposition relative aux entreprises liées jusqu'en 2011 : les entreprises ne sont plus incitées à délocaliser les concessionnaires, mais les propriétaires des brevets .

Comme le souligne notre collègue député Gilles Carrez dans son commentaire d'article additionnel, « ce régime particulièrement avantageux n'est possible que si le propriétaire du brevet n'a pas lui-même bénéficié du taux réduit. Or si ce propriétaire est une société française, elle bénéficie du taux réduit ce qui revient à réserver quasiment le bénéfice du régime de la sous-concession à des opérations afférentes à des brevets dont les propriétaires sont étrangers. On arrive donc à avantager fiscalement la valorisation d'un brevet détenu à l'étranger sur l'exploitation directe d'un droit détenu en France ».

Cette incitation à la délocalisation des entreprises propriétaires de brevet est certes moins dommageable que la situation antérieure. En effet, ce qui importe pour la croissance, c'est avant tout d'exploiter le brevet. Il s'agit toutefois d'un effet pervers du droit actuel.

II. LE DISPOSITIF INTRODUIT PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article a été inséré par l'Assemblée nationale à l'initiative de sa commission des finances, avec un avis de sagesse du Gouvernement.

Il propose d'adapter les clauses anti-abus du régime de taxation réduite (15 % au lieu de 33,1/3 %) des concessions de brevets :

- la clause anti-abus relative aux entreprises sous-concédantes introduite par la loi de finances initiale pour 2011 serait corrigée par un dispositif complexe , afin d'empêcher certaines pratiques d'optimisation (2° du I du présent article) ;

- la clause anti-abus relative aux entreprises liées , introduite en 1971 et modifiée par la loi de finances rectificative pour 2001 et la loi de finances initiale pour 2011, verrait sa définition de l'exploitation « de manière effective » du brevet alignée sur celle de la clause anti-abus relative aux entreprises sous-concédantes (1° du I du présent article).

A. CORRIGER LA RÉFORME DE LA LOI DE FINANCES INITIALE POUR 2011 DANS LE CAS DES ENTREPRISES SOUS-CONCÉDANTES (2° DU I)

Le 2° du I du présent article a pour objet de limiter les possibilités d'optimisation fiscale résultant de la réforme de la loi de finances initiale pour 2011 dans le cas des entreprises sous-concédantes .

Pour cela, le présent article propose de compléter l'article 39 du code général des impôts - relatif non à la dépense fiscale stricto sensu , mais aux modalités de déduction de la redevance par l'entreprise - par un 12 bis assez complexe , comprenant trois alinéas.

1. La règle générale : imposer au taux de 15 % la différence entre la redevance perçue et la redevance payée

Le mécanisme proposé repose sur une idée simple. Il s'agit de faire en sorte que l'entreprise sous-concédante soit imposée au taux de 15 % sur la différence entre la redevance perçue et la redevance payée .

Pour cela, il prévoit que l'entreprise sous-concédante déduit la charge constituée par la redevance qu'elle paie non de ses bénéfices « de droit commun », soumis au taux de 33,1/3 %, mais du montant de la redevance qu'elle perçoit, imposée au taux réduit de 15 %. Par exemple, une entreprise payant une redevance de 100 et percevant une redevance de 150 sera imposée à 15 % sur un montant de 50 (alors qu'actuellement elle bénéficie, comme on l'a expliqué, d'une diminution d'impôt de 21,7 % sur ce montant de 50).

2. Deux dispositifs anti-optimisation en cas de solde négatif des opérations relatives aux redevances

a) Dans le cas des entreprises payant et percevant simultanément des redevances

Il peut toutefois arriver - bien que ce ne soit évidemment pas le but recherché - que le montant de la redevance payée par l'entreprise sous-concédante soit supérieur à celui de la redevance qu'elle perçoit. Par exemple, l'entreprise peut payer une redevance de 150 et ne percevoir qu'une redevance de 100. En l'absence de disposition spécifique, ce déficit serait déduit des bénéfices soumis au taux normal.

Il y aurait donc une asymétrie injustifiée : en cas de solde positif sur les redevances l'entreprise serait taxée au taux de 15 %, mais en cas de solde négatif la perte permettrait de réduire l'imposition pour 33,1/3 % de son montant. Il suffirait donc, pour une entreprise, de demander aux sous-concessionnaires de ne les payer que certaines années, afin de dégager des déficits, et d'obtenir un gain fiscal non souhaité par le législateur.

Le deuxième alinéa du 12 bis proposé par le présent article prévoit que dans ce cas de figure, le « déficit » sur le montant global des redevances, de 50 dans l'exemple retenu, ne réduit l'imposition que d'un montant égal à 15 % de cette somme, soit ici 7,5 11 ( * ) .

b) Dans le cas des entreprises payant et percevant successivement des redevances

Un problème analogue se pose dans le cas des entreprises payant une redevance lors d'un exercice, puis la sous-concédant lors d'un exercice ultérieur. En effet, il suffirait à une entreprise de recourir à ce procédé pour continuer à bénéficier des facultés d'optimisation actuelles.

On peut reprendre notre exemple initial d'une entreprise qui paie une redevance de 100 et perçoit une redevance de 150, mais cette fois de manière différée. Lors du paiement de la redevance de 100, comme elle n'était pas encore sous-concédante elle a pu la déduire de son bénéfice, intégralement imposé au taux de 33,1/3 %, et donc réduire son imposition de 33,1/3. En l'absence de disposition spécifique, lors de la perception de la redevance de 150 elle ne serait imposée que de 150 0,15 = 22,5. Au total, les deux opérations réduiraient son imposition de 10,8, comme tel est actuellement le cas en cas de simultanéité des deux opérations (ce qui est précisément ce que le premier alinéa du texte proposé pour le 12 bis de l'article 39 du code général des impôts cherche à éviter).

L'objectif du 2° du I du présent article est, on le rappelle, de faire en sorte que le supplément des redevances perçues par les entreprises sous-concédantes par rapport aux redevances qu'elles paient soit taxé au taux de 15 %. Dans notre exemple, cela signifie que l'entreprise doit être imposée à hauteur de 7,5. Or, on a vu que sans mécanisme anti-abus, elle verrait son imposition globalement réduite de 10,8. Il faut donc accroître son imposition de 18,1/3.

Dans le cas présent, cela signifie que la redevance de 100 initialement déduite par l'entreprise doit correspondre à une imposition de 18,1/3, ce qui implique qu'elle doit être imposée au taux de 33,1/3 % pour [18,1/3] / [33,1/3] = exactement 55% de son montant.

Le troisième alinéa du texte proposé pour le 12 bis de l'article 39 précité prévoit une disposition de ce type. Le taux retenu est toutefois très légèrement différent de celui indiqué ci-avant, puisqu'il est de 18/33,33 54 % 12 ( * ) . Il s'agit d'une imprécision, qu'il convient de corriger.

Cette clause anti-abus ne s'appliquerait toutefois pas si les redevances payées par l'entreprise et déduites à ce titre de ses bénéfices lui auraient permis d'apporter une « valeur ajoutée » (conformément à la définition que le présent article propose de retenir pour le 12 de l'article 39 du code général des impôts). En effet, à défaut les entreprises concernées, qui n'ont pas eu de comportement d'optimisation fiscale, ne seraient pas incitées à concéder les brevets.

B. L'HARMONISATION DE LA DÉFINITION DE L'EXPLOITATION EFFECTIVE DU BREVET PAR L'ENTREPRISE SOUS-CONCÉDANTE (1° DU I)

Le 1° du I du présent article, beaucoup plus simple, aligne la définition de l'exploitation effective du brevet retenue dans le cas de la disposition anti-abus relative aux concessions entre entreprises liées sur celle instaurée par l'article 126 de la loi de finances initiale pour 2011 dans le cas des entreprises sous-concédantes.

1. Une clause anti-abus actuellement très insuffisante

Comme on l'a indiqué ci-avant, la clause anti-abus actuellement prévue, moins contraignante que celle en vigueur dans le cas des sous-concessions, est très insuffisante.

En effet, la filiale peut déduire la totalité de la redevance, avec pour seule exception le cas où « l'entreprise concessionnaire n'exploite pas de manière effective, notamment dans les cas prévus aux a et b de l'article L. 613-11 du code de la propriété intellectuelle, les brevets, (...) ».

Or, l'article L. 613-11 du code de la propriété intellectuelle est très peu contraignant 13 ( * ) .

Il en découle qu' en l'état actuel du droit, une entreprise située en France et réalisant de simples activités de distribution pour une entreprise étrangère peut réduire artificiellement son impôt sur les sociétés . En effet, elle est considérée par l'article L. 613-11 du code de la propriété intellectuelle comme exploitant le brevet. Dès lors, il lui suffit de verser une redevance à la société propriétaire du brevet, située à l'étranger, pour réduire son impôt sur les sociétés d'un montant égal à 33,1/3 % de celui de la redevance.

2. Le dispositif proposé

La clause anti-abus proposée par le présent article , qui prévoit notamment que les opérations concernées doivent créer « une valeur ajoutée » et ne pas pouvoir « être regardées comme constitutives d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française », devrait empêcher ce type d'optimisation fiscale .

L'harmonisation de la définition de l'exploitation effective du brevet : les précisions apportées par notre collègue député Gilles Carrez

« En l'état du droit, la déduction à taux plein est possible dès lors que le brevet concédé fait l'objet d'une exploitation effective au sens juridique (ce qui permet de considérer qu'un brevet est exploité lorsque la société concessionnaire se borne à importer en France des biens objets du brevet).

« Le présent article additionnel propose de limiter le bénéfice de la mesure aux entreprises créant de la valeur en exploitant le brevet. La déduction à taux plein ne sera possible que lorsque l'entreprise démontre qu'elle prévoit de tirer de l'exploitation du brevet un revenu supérieur à la redevance versée (par exemple, en documentant son plan d'affaires) et qu'elle s'efforce effectivement de le faire (cette condition établissant une obligation de moyens, des circonstances extérieures pouvant naturellement dégrader l'équilibre économique initialement prévu).

« Ce dispositif reprend ainsi l'esprit du dispositif applicable en matière de sous-concessions sans innover sur le plan juridique. Il devrait permettre de garantir qu'une entreprise ne transférera pas à l'étranger son bénéfice en versant à des entreprises liées des redevances correspondant à des opérations dépourvues de substance économique. »

Source : Gilles Carrez, rapport sur le projet de loi de finances pour 2012 (n° 3775), tome II, commission des finances de l'Assemblée nationale

L'exploitation effective du brevet : les rédactions successives du premier alinéa
du 12 de l'article 39 du code général des impôts

Droit antérieur
à la LFI 2011

Article 126
de la LFI 2011

Texte proposé par le présent article

Pour mémoire : définition de l'exploitation effective du brevet retenue par l'article 39 terdecies du code général des impôts

Lorsqu'il existe des liens de dépendance entre l'entreprise concédante et l'entreprise concessionnaire, le montant des redevances prises en compte pour le calcul du résultat net imposable selon le régime mentionné au 1 de l'article 39 terdecies n'est déductible du résultat imposable de l'entreprise concessionnaire que dans le rapport existant entre le taux réduit d'imposition applicable à ce résultat net et le taux normal prévu au deuxième alinéa du I de l'article 219.

Lorsqu'il existe des liens de dépendance entre l'entreprise concédante et l'entreprise concessionnaire et que l'entreprise concessionnaire n'exploite pas de manière effective, notamment dans les cas prévus aux a et b de l'article L. 613-11 du code de la propriété intellectuelle, les brevets, inventions brevetables, y compris les perfectionnements qui y ont été apportés, ou les procédés de fabrication industriels satisfaisant aux conditions prévues aux a à c du 1 de l'article 39 terdecies qui lui ont été concédés, le montant des redevances n'est déductible du résultat imposable de l'entreprise concessionnaire que dans le rapport existant entre le taux réduit prévu au cinquième alinéa du I de l'article 219 et le taux normal prévu au deuxième alinéa du même I. La concession par le concessionnaire constitue un mode d'exploitation effective d'une licence.

Lorsqu'il existe des liens de dépendance entre l'entreprise concédante et l'entreprise concessionnaire, le montant des redevances prises en compte pour le calcul du résultat net imposable selon le régime mentionné au 1 de l'article 39 terdecies n'est déductible du résultat imposable de l'entreprise concessionnaire que dans le rapport existant entre le taux réduit prévu au deuxième alinéa du a du I de l'article 219 et le taux normal prévu au deuxième alinéa du même I. Le présent alinéa n'est pas applicable lorsque l'entreprise concessionnaire apporte, dans le cadre de la documentation mentionnée à l'avant-dernière phrase du dixième alinéa de l'article 39 terdecies , la preuve que l'exploitation de la licence ou du procédé concédé, d'une part, lui crée, sur l'ensemble de la période de concession, une valeur ajoutée et, d'autre part, est réelle et ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française.

[L'entreprise] apporte la preuve que les opérations mentionnées au présent b, d'une part, sont réelles et ne peuvent être regardées comme constitutives d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française et, d'autre part, créent une valeur ajoutée du chef de cette entreprise sur l'ensemble de la période d'exploitation de la licence concédée. Cette preuve est établie dans le cadre d'une documentation présentant l'économie générale de l'exploitation de la licence. Un décret précise les conditions d'établissement de cette documentation.

3. La persistance de possibilités d'optimisation fiscale

Il n'en subsisterait pas moins des possibilités d'optimisation fiscale .

Comme on l'a indiqué ci-avant, et comme notre collègue député le souligne dans son rapport d'information 14 ( * ) précité de juillet 2011, une entreprise peut charger une filiale de développer un brevet . En l'absence de recours à un tel procédé, l'entreprise serait imposée au taux de 33,1/3 % sur le bénéfice supplémentaire, par exemple de 100, permis par le brevet. Si cette entreprise, au lieu de développer elle-même le brevet, en charge une filiale contre le paiement d'une redevance de 100, elle annule son bénéfice, et réduit son imposition de 33,1/3. La filiale est quant à elle imposée pour un montant de 15 (soit 15 % sur la redevance qu'elle perçoit). Au lieu de payer 33,1/3, le groupe bénéficie d'un « impôt négatif » de 18,1/3.

Le renforcement de la clause anti-abus proposé par le présent article rendrait certes ce type de montage plus difficile . En particulier, il prévoit que l'exploitation de la licence « ne peut être regardée comme constitutive d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française ».

Toutefois ces montages n'en seraient pas rendus impossibles . La notion de « montage artificiel » pourrait vraisemblablement être contournée. Par ailleurs, l'exigence que l'exploitation de la licence « crée, sur l'ensemble de la période de concession, une valeur ajoutée », ne paraît pas très exigeante, dès lors que cette valeur ajoutée peut être faible, et que, comme notre collègue député l'indique dans son commentaire d'article additionnel, il s'agit d'une simple « obligation de moyens ».

C. L'ENTRÉE EN VIGUEUR DU PRÉSENT ARTICLE

Le IV de l'article 126 de la loi de finances initiale pour 2011 prévoyait que cet article était « applicable aux exercices ouverts à compter du 1 er janvier 2011 ». En revanche, le II du présent article prévoit que la nouvelle rédaction « est applicable aux exercices ouverts à compter du 13 octobre 2011 ».

La date du 13 octobre 2011 correspond à celle du dépôt de l'amendement instaurant le présent article.

Ce choix, plutôt que celui du 1 er janvier 2012, paraît pertinent. En effet, les principales entreprises concernées connaissent depuis le rapport d'information précité de juillet 2011 les intentions de notre collègue député Gilles Carrez. Par ailleurs, il s'agit d'éviter des abus.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

A. DES DISPOSITIONS ANTI-ABUS OPPORTUNES

Votre rapporteure générale approuve globalement le dispositif proposé par le présent article .

Sur le fond, le système actuel n'était pas satisfaisant en ce qu'il permet des pratiques d'optimisation manifestement inacceptables. L'article 126 de la loi de finances initiale pour 2006 était de toute évidence allé trop loin.

B. QUELLE STRATÉGIE À MOYEN TERME FACE À CETTE DÉPENSE FISCALE ?

1. Une dépense fiscale qui suscite de fortes interrogations

a) Une dépense fiscale apparemment peu efficiente et bénéficiant essentiellement au secteur de la pharmacie

Le « rapport Guillaume » 15 ( * ) donne au taux réduit de 15 % sur les concessions de brevets un score de 1 16 ( * ) , et juge donc cette dépense fiscale peu efficiente .

Il convient bien entendu de ne pas souscrire par principe aux conclusions de ce rapport administratif comme parole d'évangile. Cependant, l'efficacité de cette dépense fiscale suscite des interrogations.

En effet, on peut se demander dans quelle mesure le mécanisme économique censé la justifier a une réalité pratique . Si l'on comprend bien, il s'agit d'inciter les entreprises, plutôt que de conserver les droits liés à des brevets qu'elles n'utiliseraient pas, à permettre à d'autres entreprises de les acquérir ou d'en devenir concessionnaires. Toutefois on peut douter de l'existence d'un tel stock de « brevets dormants », qui seraient « réveillés » par une imposition des redevances à l'impôt sur les sociétés au taux de 15 % au lieu de 33,1/3 %.

On serait plutôt incité à penser que cette dépense fiscale correspond à un fort effet d'aubaine , dont bénéficient en particulier les secteurs dans lesquels la concession de brevets est une pratique répandue. Cette analyse est confirmée par le fait que, selon le « rapport Guillaume », le secteur profitant le plus du dispositif est celui de la pharmacie . Ainsi, selon ce rapport, « la concentration de l'avantage fiscal sur un nombre limité de secteurs (...) suggère qu'il pourrait davantage être lié aux spécificités sectorielles en matière d'organisation de la chaîne de valeur qu'à l'efficacité de la R&D et sa production d'externalités ».

Un effet d'aubaine est d'autant plus vraisemblable que les entreprises concernées bénéficient déjà du crédit d'impôt recherche (CIR). Or, les études disponibles 17 ( * ) montrent qu'au-delà d'un certain niveau d'aide, vraisemblablement déjà atteint par le CIR, les aides publiques à la R&D tendent à représenter un pur effet d'aubaine.

Enfin, bien qu'un problème essentiel de la France en matière de compétitivité soit la faiblesse de ses PME, cette dépense fiscale est très concentrée sur des grandes entreprises . Selon le fascicule des « Voies et moyens » annexé au présent projet de loi de finances, seulement 150 entreprises en bénéficient. Le « rapport Guillaume » précise que les dix premiers bénéficiaires représentent 89 % du coût du dispositif et du montant des redevances déclarées.

b) Une dépense fiscale modifiée à de nombreuses reprises pour limiter le recours à l'optimisation fiscale

Cette dépense fiscale à l'efficacité incertaine suscite, depuis son origine, un recours important à l'optimisation fiscale , qui comme on l'a indiqué a exigé la mise en place de dispositions anti-abus, modifiées à de nombreuses reprises :

- instauration de la première disposition anti-abus en 1971 ;

- remplacement par une autre disposition par la loi de finances rectificative pour 2001 ;

- atténuation de cette disposition par la loi de finances initiale pour 2011 ;

- « atténuation de l'atténuation » par le présent article, qui instaure également une « clause anti-abus » dans le cas de l'extension du taux réduit de 15 % aux sous-concessions par la loi de finances initiale pour 2011.

2. Est-il possible de supprimer la dépense fiscale ou de renforcer efficacement les clauses anti-abus ?

a) Une suppression pure et simple ne paraît pas souhaitable

Cette dépense fiscale de 850 millions d'euros ayant une efficacité incertaine et exigeant des clauses anti-abus complexes, instables et nécessairement imparfaites 18 ( * ) , on pourrait être tenté de la supprimer purement et simplement .

Toutefois, on a vu que le bénéfice de cette dépense fiscale était très concentré sur quelques grands groupes, essentiellement pharmaceutiques. Aussi sa suppression serait-elle probablement difficilement supportable pour les entreprises concernées, qui pourraient voir leur imposition au titre de l'impôt sur les sociétés doubler.

b) Est-il techniquement possible de renforcer les clauses anti-abus ?

On pourrait également a priori envisager de renforcer les clauses anti-abus applicables aux entreprises liées. En effet, on peut supposer que les grands groupes concernés s'efforceront de contourner celles proposées par le présent article .

• Une première éventualité, envisagée par notre collègue député dans son rapport d'information précité de juillet 2011, serait de revenir purement et simplement sur la réforme de 2011.

Ainsi, selon notre collègue député, « les redevances de concession et désormais de sous-concession sont (...) désormais déductibles au taux plein, y compris lorsqu'elles sont versées à des entreprises liées, d'où les risques majeurs d'optimisation précédemment rappelés. Il conviendrait donc de réexaminer cette mesure, étant rappelé que sa justification (le risque que soient privilégiées des concessions à des entreprises étrangères ne subissant pas la restriction de l'imputation de la charge afférente à la redevance) n'est probablement pas systématiquement établie (il reste préférable de déduire au taux réduit de 15 % en France que de déduire au taux normal de 12,5 % en Irlande) ».

• On pourrait attaquer le problème « à la racine » en prévoyant que le taux de 15 % ne s'applique qu'à l'écart entre le bénéfice permis par le brevet (ici de 100) et le montant de la redevance (ici de 100, mais qui pourrait être de, par exemple, 150) 19 ( * ) . Toutefois on ne voit pas bien comment évaluer le supplément de bénéfice permis par l'exploitation d'un brevet.

• Une autre solution envisageable serait d'encadrer non la possibilité, pour l'entreprise concessionnaire, de déduire de son bénéfice le montant de la redevance qu'elle verse - comme actuellement -, mais la dépense fiscale proprement dite, c'est-à-dire le taux réduit de 15 % pour l'entreprise concédante. Ainsi, dans son rapport d'information précité de juillet 2011, notre collègue député Gilles Carrez envisage de « maintenir l'état du droit sur les charges (déductibilité dans tous les cas, y compris entreprises liées) en réservant le bénéfice du taux réduit aux opérations réalisées avec des tiers ».

On rappelle que telle était précisément la logique de la solution en vigueur de 1971 à la loi de finances rectificative pour 2001. Si cette solution a été abandonnée, c'est parce qu'elle subordonnait le bénéfice du taux réduit au fait que l'entreprise concessionnaire n'ait pas recouru à la faculté de déduire le montant des redevances, et qu'en conséquence elle ne pouvait s'appliquer aux entreprises concessionnaires situées à l'étranger, ce qui n'était pas compatible avec les bonnes pratiques de l'Union européenne en matière de fiscalité des entreprises. Toutefois la logique légèrement différente proposée par Gilles Carrez pourrait a priori permettre de surmonter cette difficulté.

C. MODIFIER LE PRÉSENT ARTICLE

1. Apporter diverses modifications de précision

Il serait utile de préciser le présent article :

- au deuxième alinéa du texte proposé par le 2° du I pour le 12 bis du code général des impôts, précision que l'excédent auquel il est fait référence est un excédent « éventuel » ;

- au troisième alinéa de ce même texte, remplacement de la fraction de 18/33,33 par celle de [18,1/3]/[33,1/3], mathématiquement exacte et permettant donc de neutraliser totalement le « cadeau » fait indûment aux entreprises et que l'on souhaite supprimer ;

- dans la rédaction actuelle de l'article 39 terdecies du code général des impôts, correction d'une référence erronée 20 ( * ) .

2. Porter le taux d'imposition de 15 % à 20 %

Une solution techniquement plus aisée, et peut-être aussi efficace, que le renforcement de dispositifs anti-abus sans cesse contournés, serait de réduire la taille de la « niche » en augmentant le taux d'imposition des concessions de brevet.

On rappelle que ce taux est actuellement de 15 % , au lieu de 33,1/3 %.

Porter ce taux à 20 % rapporterait 230 millions d'euros , et réduirait la « niche » de 27 %.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.


* 1 16 % pour les entreprises soumises à l'impôt sur le revenu.

* 2 Conformément à un engagement pris par Philippe Josse, alors directeur du budget, et Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale, lors de leur audition par la commission des finances le 27 avril 2011, le fascicule des « Voies et moyens » annexé au présent projet de loi de finances indique, pour la première fois, la norme de référence par rapport à laquelle les dépenses fiscales sont chiffrées. Cette demande avait été réitérée par notre collègue Philippe Marini, alors rapporteur général, dans son rapport d'information n° 553 (2010-2011) du 25 mai 2011.

* 3 Rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, juin 2011.

* 4 Sur une échelle allant de 0 (inefficace) à 3 (très efficiente).

* 5 Pour ne pas complexifier inutilement la présentation, on retient dans le présent commentaire d'article les taux actuels de l'impôt sur les sociétés, qu'il s'agisse du taux normal ou de la taxation des plus-values à long terme.

* 6 Article 54 du texte initial, adopté sans modification par le Sénat, conformément à la position de la commission des finances.

* 7 Comme indiqué précédemment, pour ne pas complexifier inutilement la présentation, on retient dans le présent commentaire d'article les taux actuels de l'impôt sur les sociétés, qu'il s'agisse du taux normal ou de la taxation des plus-values à long terme.

* 8 Gilles Carrez, rapport d'information sur l'application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances (n° 3631, XIIIe législature), 6 juillet 2011, commission des finances de l'Assemblée nationale.

* 9 Gilles Carrez, rapport d'information sur l'application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances (n° 3631, XIIIe législature), 6 juillet 2011, commission des finances de l'Assemblée nationale.

* 10 Gilles Carrez, rapport d'information sur l'application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances (n° 3631, XIIIe législature), 6 juillet 2011, commission des finances de l'Assemblée nationale.

* 11 Pour parvenir à ce résultat, il prévoit que le « déficit » relatif aux redevances « n'est déductible du résultat imposable (...) que dans le rapport existant entre le taux réduit [de 15 %] et le taux normal [de 33,1/3 %] ».

* 12 Dans notre exemple, cela signifie que lors de la perception de la redevance de 150 l'entreprise est imposée non seulement pour 15 % de ce montant, soit 22,5, comme actuellement, mais aussi pour 100 18/33,33 33,1/3 % = 18. Comme, lors du paiement de la redevance de 100, son imposition a été réduite de 33,1/3, son imposition totale sur les deux opérations est de 7,17, soit 14,3 % (et non exactement 15 %) du différentiel entre les deux opérations.

* 13 « Toute personne de droit public ou privé peut, à l'expiration d'un délai de trois ans après la délivrance d'un brevet, ou de quatre ans à compter de la date du dépôt de la demande, obtenir une licence obligatoire de ce brevet, dans les conditions prévues aux articles suivants, si au moment de la requête, et sauf excuses légitimes le propriétaire du brevet ou son ayant cause : a) N'a pas commencé à exploiter ou fait des préparatifs effectifs et sérieux pour exploiter l'invention objet du brevet sur le territoire d'un Etat membre de la Communauté économique européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen. b) N'a pas commercialisé le produit objet du brevet en quantité suffisante pour satisfaire aux besoins du marché français. Il en est de même lorsque l'exploitation prévue au a) ci-dessus ou la commercialisation prévue au b) ci-dessus a été abandonnée depuis plus de trois ans. Pour l'application du présent article, l'importation de produits objets de brevets fabriqués dans un Etat partie à l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce est considérée comme une exploitation de ce brevet. »

* 14 Gilles Carrez, rapport d'information sur l'application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances (n° 3631, XIII e législature), 6 juillet 2011, commission des finances de l'Assemblée nationale.

* 15 Rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, juin 2011.

* 16 Sur une échelle allant de 0 (inefficace) à 3 (très efficiente).

* 17 Cf . en particulier D. Guellec et B. Van Pottelsberghe, «The impact of public R&D expenditures on business R&D», version révisée de novembre 2001.

* 18 Compte tenu de la nécessité de trouver un juste milieu entre la lutte contre l'optimisation fiscale et la volonté de ne pas inciter les entreprises possédant ou exploitant les brevets à s'installer hors du territoire national.

* 19 On a vu que le 2° du I du présent article propose un dispositif de ce type dans le cas des sous-concessions.

* 20 Son dixième alinéa se réfère à un « présent b » non défini.