II. RAPPORT ASSEMBLÉE NATIONALE N°3805 XIIIÈME LÉGISLATURE PREMIÈRE LECTURE

Observations et décision de la Commission :

Le plan national d'allocation des quotas de CO 2 (PNAQ) français pour la période 2008-2012 n'a pas prévu un volume de réserve de quotas suffisant pour répondre aux besoins des extensions d'installation ou des entreprises nouvelles entrant dans le système européen d'échange de quotas. Deux dispositifs visant à abonder cette réserve ont été adoptés en 2008 et en 2011, mais n'ont pu être mis en oeuvre du fait de leur non-conformité au droit européen. Le présent article vise à financer l'abondement de cette réserve grâce à une taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises soumises au système européen d'échange des quotas d'émissions de gaz à effet de serre (SCEQE, ou ETS).

I.- LE MARCHÉ EUROPÉEN DES QUOTAS DE CO 2

A. LE SYSTÈME EUROPÉEN D'ÉCHANGE DE QUOTAS D'ÉMISSIONS (SCEQE)

1. Un système cohérent avec le protocole de Kyoto

Dans le cadre du protocole de Kyoto adopté en 1997, l'Union européenne s'est engagée à réduire de 8 % ses émissions de gaz à effet de serre entre 2008 et 2012, par rapport aux taux enregistrés en 1990. Dans le cadre de sa feuille de route pour 2050, la Commission européenne propose d'atteindre une réduction de 20 % en 2020 et de 80 % en 2050. La France s'est engagée, avec la loi Grenelle 1, à diminuer en moyenne ses émissions de 3 % par an, pour ramener ses émissions totales annuelles à un niveau inférieur à 140 millions de tonnes de CO 2 par an .

Afin de respecter les engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto, l'Union européenne a mis en place, en son sein, un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre. Ainsi, sur la période 2008-2012, chaque État dispose d'une quantité de quotas qu'il distribue à ses sites industriels les plus émetteurs de tels gaz, selon des modalités fixées dans un plan national d'allocation (PNAQ), approuvé par la Commission européenne.

La situation est très incertaine à partir de 2013, la conférence internationale de Copenhague en décembre 2009 n'ayant pas permis d'aboutir à un accord contraignant permettant le prolongement du protocole de Kyoto. Cette question sera à nouveau à l'ordre du jour à la conférence de Durban, fin 2011. Si plusieurs États membres de l'Union européenne plaident pour un relèvement de 20 à 30 % de l'objectif de réduction des émissions de l'UE d'ici 2020 sans que cet objectif soit conditionné à des efforts comparables d'autres grands pays émetteurs, la France n'a pas encore défini sa position sur cette question.

2.- Un système concentré sur les installations les plus émettrices

Un système de quotas d'émissions n'étant pas adapté à la pollution diffuse, seule une minorité des installations industrielles européennes - les plus grandes, au nombre de 11 400 environ - est soumise au SCEQE, dans des secteurs limitativement énumérés par l'annexe I à la directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003, modifiée par la directive 2009/29/CE du 29 avril 2009 : activités de combustion et de production d'énergie, production et transformation de métaux ferreux, industrie minérale (ciment, verre, produits céramiques), installations industrielles destinées à la fabrication de papier et carton. Elles représentent cependant ensemble environ 40 % du volume total des émissions de CO 2 au niveau européen.

Jusqu'à présent exclu du SCEQE, comme les secteurs du bâtiment et des transports, le transport aérien sera cependant soumis aux quotas à compter du 1 er janvier 2012, en application de la directive 2008/101/CE du 19 novembre 2008. Le champ d'application de la directive 2003/87/CE recoupe ainsi très largement le « hors champ » de la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques.

En 2010, 12 815 installations participaient au SCEQE. L'Allemagne est le pays comprenant le plus grand nombre d'installations visées (1 985 soit 15,5 % du total), la France n'en comptant que 1 125, soit 8,8 %. Le PNAQ II actuellement en vigueur ne couvre que 38 % des émissions de CO 2 en France, dont 93 % des émissions industrielles .

B.- LES TROIS PHASES DES PLANS NATIONAUX D'ALLOCATION DE QUOTAS

En application de l'article 9 de la directive 2003/87/CE, les États membres doivent élaborer « un plan national précisant la quantité totale de quotas qu'ils ont l'intention d'allouer pour la période considérée et la manière dont ils se proposent de les attribuer » entre les installations. Ce plan est fondé sur les critères énumérés à l'annexe III de ladite directive et doit être compatible avec les objectifs de réduction des émissions découlant du protocole de Kyoto. Ce plan est notifié à la Commission et aux autres États membres.

Les États membres ont la liberté d'attribuer gratuitement la totalité de leurs quotas d'émissions . L'article 10 de la directive leur permet cependant de rendre payants 5 % du total de ceux-ci pendant la phase I et 10 % pendant la phase II. Seule l'Allemagne, le Grande-Bretagne et l'Autriche ont utilisé cette possibilité. En outre, les installations qui dépassent leurs quotas tels que fixés par le PNAQ sont soumises à une amende non libératoire de 100 euros par tonne.

Enfin, l'annexe IV à la directive définit les principes applicables en matière de surveillance et de déclaration des émissions ; elle impose notamment aux États membres de se doter d'un registre national de quotas d'émission de gaz à effet de serre afin d'assurer le suivi informatisé de toutes les opérations sur quotas.

L'ordonnance n° 2004-330 du 15 avril 2004 a transposé les principes de la directive 2003/87, renvoyant au décret n° 2004-832 du 19 août 2004 les modalités d'application. L'arrêté du 28 juillet 2005 a quant à lui établi les modalités de vérification et de quantification des émissions déclarées en France dans le cadre du système ETS.

La mission d'établissement et de tenue du registre national a été confiée à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) par le décret n° 2004-1412 du 23 décembre 2004, mais les frais de tenue des comptes sont assurés par leurs détenteurs. Le registre français est intégré au système européen qui assure la liaison, la cohérence et la coordination entre les registres des États membres.

La délivrance des quotas s'effectue par virement, opéré par la CDC vers le compte de dépôt de l'exploitant sur le registre national. Cette opération doit avoir été faite dès l'ouverture des comptes, et au plus tard le 28 février de chaque année. Tous les ans, le compte de chaque installation est crédité de la fraction annuelle des quotas telle que fixée par le PNAQ. Une fois validées par l'inspection des installations classées, les déclarations d'émissions de CO 2 sont transmises à la CDC, par le ministère de l'Écologie. La CDC constate alors la conformité (émissions d'un niveau inférieur égal à celui des quotas affectés) ou la non-conformité.

1.- Le PNAQ 2005-2007, expérimental et mal calibré

Le premier plan national d'allocation de quotas, couvrant la phase I (2005-2007), a été adopté par le décret n° 2005-1902 du 25 février 2005. Il s'est élevé à 156,51 millions de tonnes de CO 2 par an, dont 5,69 millions de tonnes pour les nouveaux entrants. Ces quotas ont été répartis entre les secteurs concernés à partir des critères suivants : émissions passées (les trois années de plus fortes émissions parmi les émissions 1996-2002), prévisions de l'évolution de l'activité et possibilités techniques de réduction des émissions spécifiques (coefficients de progrès). Enfin, l'arrêté du 25 février 2005 a fixé la liste des installations auxquelles sont alloués les quotas d'émissions et le montant de ceux-ci, calculés au prorata de leurs émissions.

La répartition des quotas est concentrée pour les deux tiers dans seulement quatre secteurs : la production d'électricité, l'acier, le raffinage et le ciment.

Les PNAQ 2005-2007 ont, pour l'ensemble des États membres, péché par un excès de prudence et une mauvaise analyse des données qui les ont conduits à allouer un volume de quotas excédant largement les émissions réelles des secteurs concernés. Le tableau suivant rapproche, pour la France, les quotas alloués en application du PNAQ 2005-2007 avec les émissions réelles des secteurs concernés en 2006 :

(en millions de tonnes)

Secteurs d'activité

Volume de quotas

Émissions réelles

Écart en %

Production d'électricité

36,3

29,0

- 20,1

Acier

28,7

27,6

- 3,9

Raffineries

19,7

17,7

- 10,3

Ciment

14,2

14,5

+ 1,7

Combustion chimie

11,3

8,7

- 23,7

Chauffage urbain

7,9

5,8

- 27,4

Combustion agro-alimentaire

7,1

4,9

- 30,7

Papier et carton

5,3

3,4

- 35,1

Combustion autre

4,0

2,4

- 39,6

Verre

4,0

3,7

- 8,7

Combustion externalisée de l'industrie

3,8

2,5

- 35,1

Chaux

3,2

3,1

- 4,7

Combustion industrie

1,6

1,0

- 35,3

Tuiles et briques

1,4

1,0

- 26,6

Transport de gaz

0,9

0,8

- 14,6

Combustion énergie

0,6

0,3

- 46,1

Cokeries

0,3

0,2

- 44,6

Céramique

0,03

0,02

- 46,6

Total

156,1

126,4

- 19,0

Source : MEEDDM (2008)

Lorsque le mauvais calibrage des PNAQ est apparu clairement, l'effet sur le marché d'échange de quotas a été immédiat . Le cours de la tonne de CO 2 , qui était monté jusqu'à environ 30 euros, s'est immédiatement effondré pour chuter ensuite à quasiment zéro à compter de 2007, jetant le doute sur la crédibilité du système SCEQE. En effet, à un tel cours, les entreprises ne sont guère incitées à réduire leurs émissions (1 ( * )) .

2.- Le PNAQ 2008-2012

Après que son projet de PNAQ pour la période 2008-2012 a été rejeté par la Commission européenne, celle-ci a validé le deuxième projet PNAQ II présenté par la France pour la période 2008-2012. La quantité totale de quotas annuels est de 132,4 millions de tonnes de CO 2 (dont 125 millions de tonnes pour les installations existantes) répartis de la manière suivante :

Secteurs d'activité

Volume de quotas
(en millions de tonnes)

Pourcentage

Acier

25,7

20,6

Production d'électricité

25,6

20,5

Raffineries

16,5

13,2

Ciment

15,4

12,3

Combustion chimie

9,8

7,8

Chauffage urbain

5,5

4,8

Papier et carton

4,3

3,5

Combustion agro-alimentaire

4,0

3,5

Verre

3,7

3

Chaux

3,2

2,5

Combustion autre

2,9

2,3

Combustion externalisée de l'industrie

2,6

2,1

Combustion amylacés

1,7

1,4

Tuiles et briques

1,1

0,9

Combustion industrie

1,1

0,9

Transport de gaz

0,8

0,7

Combustion énergie

0,4

0,3

Cokeries

0,2

0,2

Combustion levuriers

0,1

0,1

Céramique

0,02

-

Total

125,0

100

Source : Décret n° 2007-979 du 15 mai 2007

La France se distingue ainsi par la faible quantité des quotas qui lui sont alloués ainsi que par la réduction de celle-ci entre les deux phases, en comparaison avec d'autres États membres, comme le montre le tableau suivant :

(en millions de tonnes)

PNAQ 2005-2007

PNAQ 2008-2012

Évolution en %

Allemagne

499,0

453,1

- 9,2

Royaume-Uni

245,3

246,2

+ 0,3

Pologne

239,1

208,5

- 12,8

Italie

223,1

195,8

- 12,2

Espagne

174,4

152,3

- 12,7

France

156,5

132,4

- 15,4

République Tchèque

97,6

86,8

- 11

Pays-Bas

95,3

85,8

- 10

Grèce

74,4

69,1

- 7,1

Belgique

62,1

58,5

- 5,8

Source : Commission européenne (2007)

La performance de l'industrie française repose essentiellement sur le fait que l'électricité est pour une large part d'origine nucléaire et hydraulique, au contraire des autres États membres qui ont largement recours au charbon. En contrepartie, notre pays dispose de faibles marges de réduction de ses émissions dans ce secteur qui, à lui seul, totalise plus de 20 % des quotas nationaux.

La réserve des nouveaux entrants, qui regroupe les nouvelles installations industrielles et l'extension des sites existants, a été fixée, dans le PNAQ II, à 2,74 millions de tonnes de CO 2 par an. Dès 2008, il apparaissait qu'un quota annuel de 9 millions de tonnes était en fait nécessaire. Sans modification du dispositif, les nouveaux entrants devraient acheter les deux tiers de leurs quotas, à moins que l'État ne supporte cette charge.

Selon le rapport annuel sur les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs en matière d'émissions publié par la Commission le 12 octobre 2010, le SCEQE porte ses fruits, il est vrai dans un contexte de crise économique, et l'Union européenne respecte les engagements de réduction des émissions qu'elle a contractés au titre du protocole de Kyoto . Fixée à 8 % par rapport aux émissions de l'année de référence 1990, la réduction des émissions a atteint 6,2 % en 2008 pour l'Europe des quinze et 12,9 % en 2009. Les émissions de l'Europe des 27 ont été inférieures de 17,3 % en 2009 par rapport au niveau de 1990. La baisse était de 8,3 % pour la France.

3.- Vers le PNAQ III à compter du 1er janvier 2013

La Commission a présenté le 23 janvier 2008 une proposition de réforme du système ETS pour la période post 2012, devenue la directive 2009/29/CE modifiant la directive 2003/87/CE afin d'améliorer et d'étendre le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre. Les principales dispositions sont les suivantes :

- L'ensemble des émissions de l'industrie européenne sera limité à 21 % en 2020 par rapport au niveau de 2005, soit un maximum de 1 720 millions de tonnes de CO 2 par an.

- Le SCEQE sera étendu à de nouveaux secteurs , notamment la pétrochimie, le secteur de l'ammoniaque et de l'aluminium ainsi qu'au transport aérien dès le 1 er janvier 2012. Il comprendra également deux nouveaux gaz (oxyde d'azote et perfluorocarbone). Ainsi, près de 50 % de l'ensemble des émissions européennes sera couvert, même si les secteurs du bâtiment et des transports routier et maritime restent exclus (2 ( * )) .

- Afin de parvenir, d'ici 2020, à une réduction moyenne de 10 % des émissions de gaz à effet de serre des secteurs non couverts par le SCEQE, comme le transport, la construction, l'agriculture et les déchets, la Commission a fixé des objectifs nationaux en fonction du PIB de chaque pays. Les pays les plus riches devront opérer des réductions plus importantes (jusqu'à 20 % pour le Danemark, l'Irlande et le Luxembourg), tandis que les pays plus pauvres (notamment le Portugal, ainsi que tous les pays ayant adhéré à l'UE après 2004, excepté Chypre) seront en fait autorisés à augmenter leurs émissions de gaz à effet de serre dans ces secteurs - jusqu'à respectivement 19 et 20 % pour la Roumanie et la Bulgarie.

- Les petites installations , émettant moins de 10 000 tonnes de CO 2 par an, seront autorisées à sortir du SCEQE, à condition de mettre en place d'autres mesures de réduction.

- Les émissions industrielles de gaz à effet de serre qui ne seront pas rejetées dans l'atmosphère grâce à l'utilisation des technologies dites de capture et de stockage de carbone (CSC) seront comptabilisées comme non émises dans le cadre du système européen d'échange de quotas d'émissions.

- Enfin, alors qu'au moins 90 % des quotas doivent actuellement être alloués gratuitement, la directive 2009/29/CE prévoit une mise aux enchères progressive de ceux-ci dès le 1 er janvier 2013 . Celle-ci sera totale dès le 1 er janvier 2013 pour le secteur de l'électricité, ce qui devrait conduire à une hausse des prix de l'électricité dans les pays où son contenu en CO 2 est important. Certains secteurs à forte consommation d'énergie continueront d'obtenir gratuitement tous leurs quotas à long terme, si la Commission identifie un risque significatif de « fuite de carbone », c'est-à-dire un risque de délocalisation dans des pays tiers où les lois relatives à la protection du climat sont moins strictes. Pour les autres secteurs, 20 % des quotas seront mis aux enchères en 2013. Ce taux augmentera au même rythme chaque année, pour atteindre 70 % en 2020 et 100 % en 2027.

II.- LE DROIT EXISTANT : DES DISPOSITIONS D'ABONDEMENT DE LA RÉSERVE DES NOUVEAUX ENTRANTS RESTÉES INAPPLICABLES

A.- L'ARTICLE 8 DE LA LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2008 RENDAIT PAYANTS UNE PARTIE DES QUOTAS DES PRODUCTEURS D'ÉLECTRICITÉ

L'article 8 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 a créé un compte de commerce consacré à la « Gestion des actifs carbone de l'État » pour « abonder en quotas d'émission de gaz à effet de serre la réserve destinée aux nouveaux entrants ».

Cet abondement devait être permis grâce à « une réduction annuelle maximale de 10 % en 2009, 20 % en 2010, 35 % en 2011 et 60 % en 2012 de l'enveloppe des quotas d'émission destinés aux installations du secteur de la production d'électricité , affectés mais non encore délivrés au 31 décembre 2008, tels que définis dans le plan national d'affectation des quotas pour la période 2008-2012 ». Le choix de faire porter la charge du financement de la réserve des nouveaux entrants par les électriciens résultait de plusieurs facteurs, notamment leur faible exposition aux délocalisations.

Le décret n° 2009-231 du 26 février 2009 a fixé à 10 % la réduction de quotas des producteurs d'électricité pour 2009. Cependant, ce dispositif a entraîné une contestation au regard de sa conformité au droit communautaire , la quantité de quotas alloués à des sites ne pouvant être modifiée au cours de la période d'application du PNAQ. Devant l'impossibilité de trouver un accord sur ce point avec la Commission européenne, le Gouvernement a abrogé le décret n° 2009-231 précité.

B.- L'ARTICLE 64 DE LA LOI DE FINANCES POUR 2011 PRÉVOYAIT UN DOUBLE FINANCEMENT, PESANT SUR L'ENSEMBLE DES SECTEURS

En 2010, la perspective de l'épuisement de la réserve se rapprochant, le risque augmentait, pour tout industriel désirant ouvrir ou étendre un site en France, de devoir acheter la totalité de ses quotas sur le marché, ce qui posait d'évidents problèmes d'équité et de compétitivité puisque, si rien n'était fait, les industriels concrétisant des projets auraient dû acquérir sur le marché des quotas pour l'ensemble de leurs émissions, alors que leurs concurrents déjà installés recevraient les leurs gratuitement, conformément au PNAQ français.

En outre, l'état des finances publiques rendait difficilement envisageable un scénario (juridiquement possible) dans lequel l'État acquerrait lui-même les quotas nécessaires sur le marché, pour un coût total estimé entre 350 et 400 millions d'euros sur les années 2011 et 2012.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2011, le Sénat a adopté un amendement présenté par son Rapporteur général, M. Philippe Marini, tendant à augmenter les recettes du compte de commerce « Gestion des actifs carbone de l'État » :

- d'une part, par le produit de la vente d'une fraction des quotas aux industriels soumis au SCEQE . La directive 2003/87/CE autorise en effet les États membres à vendre leurs quotas, possibilité que seule l'Allemagne, l'Autriche et la Grande-Bretagne ont utilisée. Un décret en Conseil d'État déterminerait la proportion de quotas (entre 5 et 15 %) délivrés à titre onéreux par secteurs et sous-secteurs industriels, selon que ces secteurs ou sous-secteurs sont, ou non, considérés comme exposés à un risque significatif de fuite de carbone.

Sans modifier les volumes de quotas tels que fixés par le PNAQ validé par la Commission européenne, l'article 64 de la loi de finances pour 2011 se bornait à prévoir qu'une certaine partie de ceux-ci serait désormais attribuée à titre onéreux. Cette mesure semblait donc compatible avec le droit communautaire.

- d'autre part, si nécessaire, par l'affectation de tout ou partie du produit de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), prévue par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME). L'État utiliserait les ressources ainsi dégagées pour acheter sur le marché les quotas manquants qu'il attribuerait ensuite gratuitement aux « nouveaux entrants ».

Cette solution aurait pu entraîner une répartition de la charge fiscale assez largement différente de celle qui résulterait de la vente d'une part des quotas industriels, comme de celle qui résultera de la taxe proposée par le présent article, puisqu' est exonérée de TICFE la consommation d'électricité d'une puissance souscrite supérieure à 250 kVA et utilisée par des personnes grandes consommatrices d'énergie soumises au SCEQE pour les besoins des sites relevant de ce système.

Sont considérées comme grandes consommatrices d'énergie les personnes :

- dont les achats d'électricité de puissance souscrite supérieure à 250 kVA et de produits énergétiques soumis aux taxes intérieures de consommation visées aux articles 265, 266 quinquies et 266 quinquies B du code des douanes atteignent au moins 3 % du chiffre d'affaires ;

- ou pour lesquelles le montant total de la taxe applicable à l'électricité de puissance souscrite supérieure à 250 kVA et des taxes intérieures de consommation visées au précédent alinéa est au moins égal à 0,5 % de la valeur ajoutée .

Les producteurs d'électricité, soumis au SCEQE, ne sont pas assujettis à la TICFE.

Afin de limiter les effets d'aubaine, l'article 64 de la loi de finances pour 2011 prévoyait enfin, conformément à un sous-amendement de Mme Fabienne Keller, une réduction à due proportion de l'enveloppe des quotas destinés aux installations ayant diminué leur activité de plus de 25 % par rapport à l'année 2007.

Le Gouvernement avait émis un avis de sagesse, et soulevé en séance le risque que la Commission européenne s'oppose à ce dispositif en ce qu'il remet en cause le PNAQ français tel qu'elle l'a validé en 2007. La crainte du Gouvernement reposait sur le fait qu'il avait tenté, dans la loi de finances rectificative pour 2008, d'abonder cette réserve « nouveaux entrants » par une diminution des quotas alloués aux producteurs d'électricité, se faisant immédiatement sanctionner par la Commission en ce qu'il modifiait le PNAQ lui-même.

En février 2011 le Conseil d'État a considéré que le décret fixant la proportion de quotas alloués à titre onéreux portait atteinte à l'intangibilité des règles d'attribution des quotas et exposait l'État à un risque communautaire important. L'article 64 de la loi de finances pour 2011 n'a donc pas non plus trouvé d'application.

III.- LA SOLUTION PROPOSÉE PAR LE PRÉSENT ARTICLE

La mesure proposée par le présent article répond aux deux contraintes posées : ne pas alourdir le déficit du budget de l'État et ne pas heurter le droit européen en modifiant la répartition des quotas alloués ou en remettant en cause le choix de la France de les allouer gratuitement.

Le Gouvernement applique donc les recommandations formulées par les services de la Commission européenne dans un courrier du 24 avril 2010, désapprouvant toute taxe assise sur la valeur monétaire de quotas délivrés gratuitement et suggérant soit la création d'une taxe spécifique sur les opérateurs soumis au SCEQE, soit l'acquisition de quotas par l'utilisation des revenus de la mise aux enchères de quotas pour la troisième période d'échanges, suivant le modèle allemand.

Compte tenu de l'entrée en vigueur du PNAQ III à compter de 2013, la taxe proposée par le présent article n'a qu'un caractère temporaire, et ses dispositions ne sont donc pas codifiées.

Sont soumises à la taxe les personnes exploitant une ou plusieurs installations exerçant l'une des activités concernées par le SCEQE , ayant reçu, au titre de la période allant du 1 er janvier 2008 au 31 décembre 2012, pour l'ensemble des installations exploitées, des quotas d'émission de gaz à effet de serre à hauteur d'au moins 60 000 tonnes, dans le cadre du PNAQ.

Le seuil de 60 000 tonnes de CO 2 , qui s'apprécie sur l'ensemble de la période, vise à placer hors du dispositif les plus petites entreprises ainsi que celles, comme la Banque de France ou des établissements hospitaliers, soumis au SCEQE pour une part marginale de leur activité. Les personnes placées ainsi hors du champ de la taxe sont à l'origine de 0,5 % des émissions de CO 2 soumises à quotas.

Près de 400 sociétés seront redevables de la taxe, les principaux secteurs mis à contribution étant la production d'électricité et de gaz, les industries alimentaires, la chimie et la métallurgie.

POIDS DE LA TAXE PAR SECTEUR D'ACTIVITÉ

Production et distribution d'électricité, de gaz, de vapeur et d'air conditionné

34 %

Industries alimentaires

7 %

Industrie chimique

7 %

Métallurgie

6 %

Industrie automobile

6 %

Industrie du papier et du carton

3 %

Fabrication d'autres produits minéraux non métalliques

3 %

divers

35 %

Total

100 %

Source : PLF 2012.

L'assiette de la taxe est constituée par le montant total hors TVA des livraisons de biens et de services effectuées en 2011 . Le principe d'une taxe sur le chiffre d'affaires a été préféré à celui d'une taxe sur les bénéfices, pour ne pas exonérer les entreprises déficitaires, alors qu'elles ont toutes reçu des quotas gratuits dans le cadre du PNAQ.

Sont soumises à la taxe les personnes bénéficiaires de quotas gratuits depuis 2008, ainsi que celles soumises au SCEQE en tant que nouveaux entrants de 2009 à 2011. En 2012, aucune entreprise nouvellement créée ne devrait recevoir plus de 60 000 quotas ; le fait que la taxe ne porte que sur le chiffre d'affaires de 2011 ne pose donc pas de problème d'égalité. Quant aux entreprises procédant en 2012 à l'extension d'installations existantes, elles sont dans le champ de la mesure au titre de ces dernières et paieront la taxe sur leur chiffre d'affaires de 2011.

Le taux de la taxe est compris entre 0,08 % et 0,12 % du chiffre d'affaires hors TVA. Il sera fixé par arrêté du ministre chargé du Budget, en fonction des liasses fiscales de 2010 et des dernières évolutions du cours des quotas. L'estimation proposée est construite à partir des liasses de 2009, avec un taux de 0,1 %. Le prix de la tonne de CO 2 devrait être de l'ordre de 15 euros fin 2011 et pourrait atteindre 18,50 euros au premier trimestre 2012. Cette prévision est relativement optimiste. Le cours de la tonne de CO 2 ayant connu de nombreux mouvements pendulaires, fluctuant d'abord entre 25 et 30 euros en 2005, tombant à 15 euros en 2006, remontant à 25 euros en 2008. Atteignant 15 euros en 2009, il valait 13 euros début septembre 2011, et moins de 11 euros à la fin de ce mois sur le marché spot Bluenext.

Selon les informations transmises au Rapporteur général, le déficit de la réserve des nouveaux entrants pour la période 2010-2012 est estimé à 30 millions de quotas : 16 millions au titre de 2011 et 14 millions au titre de 2012.

Le besoin de financement dépendra du cours du quota, qui fluctue en permanence. Le besoin de recettes fiscales au titre de 2012 a été calculé pour permettre l'acquisition en 2012 des 16 millions de quotas dus au titre de 2011, et un retour à l'équilibre du compte de commerce fin 2012. En 2012, le produit de la taxe proposée par le présent article devrait s'élever à 223 millions d'euros. 60 millions d'euros, soit la moitié des recettes des enchères effectuées fin 2012 dans le cadre du PNAQ III viendraient s'y ajouter . L'autorisation de découvert du compte de commerce sera utilisée pour permettre des décaissements pour l'acquisition des quotas début 2012 en attendant des encaissements plus tard dans l'année.

L' acquisition en 2013 des 14 millions quotas dus au titre de 2012 devrait être financée grâce aux recettes des enchères de phase III .

La Commission européenne a proposé que 120 millions de quotas de CO 2 soient mis aux enchères dès 2012, avant le démarrage officiel de la phase III au 1 er janvier 2013, afin de faciliter la transition avec la phase III et de permettre aux producteurs d'électricité, qui vendent l'électricité à terme, de disposer des outils de couverture du risque de fluctuation du prix du CO 2 . Le secteur électrique, qui sera le seul à devoir acheter aux enchères 100 % de ses quotas en phase III, est en France le premier secteur émetteur de CO 2 . Ces enchères anticipées se dérouleront au second semestre 2012, à une date qui dépendra de la mise en place de la plate-forme européenne d'enchères. Les premiers quotas destinés au secteur aérien seront également mis aux enchères en 2012. Le volume mis aux enchères de façon anticipée sera déduit, pour moitié des volumes mis aux enchères en 2013 et pour moitié en 2014.

À partir de 2013, les enchères se dérouleront selon un rythme hebdomadaire, les volumes étant répartis tout au long de l'année. La plate-forme d'enchères publiera son calendrier au début de l'année n-1. Le produit des enchères reviendra aux États membres, la moitié devant être affectée à des politiques de développement durable.

Par ailleurs, l'allocation des quotas gratuits de phase III se déroule selon le calendrier suivant :

- juillet 2011 : dépôt des demandes d'allocation par les entreprises assujetties avec questionnaire rempli et rapport méthodologique ;

- octobre 2011 : vérification des dossiers par les DREAL transmission au ministère chargé de l'écologie des fiches d'allocation. Examen des fiches d'allocation par le ministère ;

- décembre 2011 : consultation du public pour une durée de trois semaines ;

- janvier 2012 : notification à la Commission européenne de la liste des installations avec quotas attribués ;

- courant 2012 : approbation par la Commission de la liste des installations et prise d'un arrêté du ministre chargé de l'écologie fixant la liste des exploitants et des quotas attribués.

Une réserve pour les nouveaux entrants est fixée au niveau européen, à 5 % du plafond total de quotas attribués pour toute l'Union.

Les marchés du CO 2 font l'objet d'une régulation, dans laquelle interviennent, pour la France, l'Autorité des marchés financiers et la Commission de régulation de l'énergie.

Les redevables déclarent et liquident la taxe sur l'annexe à la déclaration de recettes prévue par l'article 287 du CGI pour la liquidation de la TVA, déposée au titre du mois de mars ou du premier trimestre. Exigible le 1 er janvier 2012, la taxe est acquittée lors du dépôt de cette déclaration. Contrairement à la TVA, elle est acquittée en une seule fois. Les redevables dont les allocations de quotas interviennent après le 1 er janvier 2012, et qui excèdent le seuil de 60 000 tonnes, déclarent et liquident la taxe lors du dépôt de la déclaration de recettes déposée au titre du troisième mois qui suit la date d'attribution des quotas.

La taxe est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que la TVA . Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.

Ce dispositif se substitue à l'article 64 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, qui est abrogé au 1 er janvier 2012. Outre la vente d'une fraction des quotas aux industriels soumis au SCEQE, est donc supprimée la possibilité d'affecter tout ou partie du produit de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité, estimé à 75 millions d'euros, au compte de commerce « Gestion des actifs carbone de l'État » afin de ne pas priver le budget général d'une telle ressource.

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La Commission examine l'amendement I-CF 116 de M. de Courson.

M. Charles de Courson. Pour éviter l'annulation de la taxe ad valorem proposée par le Gouvernement et contraire - je me tue à le répéter - à la directive quotas, je propose de lui substituer un droit d'accise de 1,69 euro par tonne de CO 2 .

M. le rapporteur général. Je suggère à M. de Courson de retirer son amendement et à la Commission de ne pas adopter l'article 5. En effet, si l'article déconnecte totalement la distribution de la taxe des émissions de CO 2 , l'amendement les lie trop directement, puisqu'il fait payer les entreprises par tonne de CO 2 . C'est à cet obstacle que s'était heurté, devant le Conseil d'État, l'amendement adopté l'an dernier au Sénat et repris en commission mixte paritaire. Une solution eurocompatible pourrait peut-être consister à distribuer la taxe au prorata des quotas attribués.

En réalité, la distribution de quotas dans le cadre du PNAQ n'a pas suffisamment tenu compte du nombre de nouveaux entrants, si bien qu'en fin de période, il n'est plus possible ni d'accueillir de nouveaux entrants ni de procéder à des extensions. L'État n'ayant pas les moyens de payer, il faut trouver des financements pour acheter de nouveaux quotas. Tel est l'objet de cette taxe, imposée aux entreprises dont les quotas dépassent 60 000 tonnes de CO 2 sur la durée totale du PNAQ, mais distribuée au prorata du chiffre d'affaires, ce qui n'a plus rien à voir avec le principe pollueur-payeur.

L'amendement est retiré .

La Commission rejette l'article 5 qui est donc supprimé ( amendement n° I-53 ) .


* ( 1 ) En octobre 2007, dans un effort visant à éviter que cette situation ne se répète durant la phase II, la Commission a annoncé une réduction de 10% des quotas d'émission autorisés pour les États membres (soit un total de 2,08 milliards de tonnes pour la période), obligeant certains pays à réduire leurs objectifs de moitié. Le cours de la tonne de CO2 évolue depuis janvier 2008 autour de 17 euros la tonne.

* ( 2 ) L'agriculture et la sylviculture ne sont pas non plus intégrées dans le champ d'application de la directive, en raison de la difficulté à évaluer précisément les émissions de ces secteurs.