II. RAPPORT ASSEMBLÉE NATIONALE N°3805 XIIIÈME LÉGISLATURE PREMIÈRE LECTURE

Observations et décision de la Commission :

Le présent article vise à transférer une fraction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers au département de Mayotte en contrepartie de la mise en oeuvre du revenu de solidarité active à compter du 1 er janvier 2012.

Une ordonnance en cours de rédaction prévoit ainsi les modalités de calcul de la compensation de cette nouvelle compétence pour les années 2012 à 2015 :

- un mécanisme de compensation progressif est proposé pour prendre en compte la montée en charge du dispositif en 2012 ;

- la compensation sera ajustée en 2013 et 2014 en fonction des variations du coût de la mise en oeuvre du RSA ;

- à compter de 2015, la compensation sera considérée comme pérenne et évoluera chaque année de façon proportionnelle à l'augmentation du montant forfaitaire d'allocation.

I.- CONFORMÉMENT AU PACTE DE DÉPARTEMENTALISATION, LA MISE EN oeUVRE DU RSA À MAYOTTE SERA PROGRESSIVE

A.- UN PROCESSUS DE DÉPARTEMENTALISATION RÉCENT

1.- Le 101 ème département français

Les liens entre la France et Mayotte, située dans l'archipel des Comores et distante de plus de 8 000 km de la métropole, se sont fortement renforcés dans la période récente.

Devenue une colonie française en 1841, l'île refuse à plusieurs reprises d'accéder à l'indépendance contrairement aux autres îles de l'archipel des Comores. L'Union des Comores et l'ONU condamnent 1 ( * ) d'ailleurs le maintien de la présence française à la suite d'un second référendum en 1976 confirmant la volonté de rattachement de Mayotte à la République.

En application de la loi du 24 décembre 1976, Mayotte devient une collectivité territoriale à caractère départemental. Son statut ne cesse alors d'évoluer dans la période récente vers une intégration de plus en plus forte dans le territoire national. L'île devient une collectivité départementale en vertu de la loi du 11 juillet 2001.

La dernière étape de ce rapprochement tire les conséquences du référendum du 29 mars 2009 ayant approuvé le pacte de départementalisation proposé par l'État à 95,2 %. Le 31 mars 2011, Mayotte devient le 101 ème département français et le cinquième département d'outre-mer.

La loi n° 2010-1487 relative au département de Mayotte du 7 décembre 2010 précise les modalités de mise en oeuvre de la départementalisation. En effet, la modification du statut s'accompagne de l'octroi de nouveaux droits (notamment la mise en oeuvre des prestations sociales, l'institution de la justice républicaine, la réforme de l'état-civil et la liberté de circulation...) mais aussi de nouveaux devoirs (respect de l'égalité homme-femme se déclinant notamment par l'interdiction de la polygamie et la suppression des tuteurs matrimoniaux, introduction de nouveaux impôts au travers de l'application des règles de droit commun en matière fiscale).

2.- L'évaluation des charges transférées

L'entrée dans le droit commun conduit au transfert par l'État de compétences vers le Département de Mayotte (à l'instar des compétences en matière de construction et d'entretien des collèges, de voirie locale ou de formation professionnelle), à l'extension de compétences existantes (comme la protection de l'enfance, la protection des majeurs pour les contrats d'accompagnement à l'économie sociale ou la formation des professionnels du secteur social), ainsi qu'à la création de compétences non exercées actuellement (notamment le versement du revenu de solidarité active ou l'allocation personnalisée d'autonomie).

Or, le quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution prévoit que « tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice » , tandis que « Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. ». En application de ce principe, le code général des collectivités territoriales prévoit les modalités particulières de détermination du montant de compensation, faisant notamment intervenir la commission consultative d'évaluation des charges (CCEC), composante du comité des finances locales. Cette commission, composée paritairement d'élus et de représentants de l'État, rend un avis sur l'évaluation des dépenses en cas de transfert de compétences et constate les dépenses résultant d'une création ou d'une extension de compétence.

Dans le cadre de la départementalisation de Mayotte et afin de tenir compte de ses spécificités, la loi du 7 décembre 2010 précitée prévoit que l'évaluation des charges correspondant aux compétences transférées par l'État est préalablement soumise à un comité local propre à Mayotte. En effet, la CCEC traite habituellement de catégories de collectivités et non d'une unique collectivité concernée par l'évolution de ses compétences. Le comité local, dans lequel siègent à parité, sous la présidence d'un magistrat des juridictions financières, des représentants de l'État désignés par le préfet de Mayotte et des représentants du Département et des communes de Mayotte, réalise ainsi une première évaluation des besoins constatés, qui est par la suite soumise à la CCEC.

B.- LA MISE EN oeUVRE DU RSA À COMPTER DU 1 ER JANVIER 2012

1.- Caractéristiques du RSA

Le RSA, instauré par la loi du 1 er décembre 2008, vise à garantir un revenu minimum aux personnes privées d'emploi (RSA « socle ») et à apporter un complément de revenu aux personnes en situation d'emploi précaire ou disposant de revenus trop faibles pour assumer leurs charges de famille (RSA « chapeau »). Il permet également de simplifier la politique des minima sociaux en remplaçant à la fois l'ancien revenu minimum d'insertion (RMI) devenu le revenu minimum garanti (RMG) et l'allocation parent isolée (API) qui compose alors le « RSA socle majoré ». Le RSA est un dispositif familialisé (l'aide dépend de la composition du foyer) qui se distingue de la prime pour l'emploi par sa concentration sur des niveaux de revenus plus faibles.

Il s'agit ainsi davantage d'un outil de lutte contre la pauvreté que d'une incitation à la reprise d'une activité, en particulier parce qu'il peut décourager l'activité du conjoint. L'article 30 de la loi du 7 décembre 2010 précitée a prévu son extension au département de Mayotte, habilitant pour cela le Gouvernement à agir par voie d'ordonnance.

2.- Un marché du travail mahorais atypique

Le marché de l'emploi à Mayotte est très particulier. Peu dynamique 2 ( * ) , il se caractérise par des situations individuelles hétérogènes encore difficiles à appréhender, la notion même de « chômage » étant assez récente dans l'île. L'INSEE a néanmoins réalisé une étude publiée en décembre 2010 permettant de mieux comprendre la situation de la population mahoraise face à l'emploi.

POPULATION MAHORAISE AU REGARD DE L'EMPLOI EN 2009

Actifs

Actifs
occupés

Chômeurs

Inactifs

Taux
d'activité (%)

Taux
d'emploi (%)

Taux de
chômage (%)

15 - 64 ans

42 800

35 200

7 600

61 700

41,0

33,7

17,8

15 - 24 ans

4 100

2 800

1 300

31 400

11,5

7,8

31,7

25 - 49 ans

33 500

27 900

5 600

23 700

58,6

48,8

16,7

50 - 64 ans

5 200

4 500

700

6 600

44,4

38,3

13,7

Source : enquête Emploi Mayotte, Insee 2009

Le nombre de bénéficiaires du RSA devrait donc être potentiellement important, ce qui justifie une mise en oeuvre progressive de ce dispositif en vue d'assurer l'adéquation des moyens aux besoins sans bouleverser l'économie locale.

2.- Une mise en oeuvre progressive

Conformément au pacte de départementalisation, un calendrier de mise en oeuvre du RSA a été fixé afin de tenir compte des fortes spécificités de Mayotte. Il a ainsi été décidé que son versement serait différé au 1 er janvier 2012 de façon à appréhender de façon plus précise le nombre de bénéficiaires potentiels, l'état civil, actuellement en cours de réforme, ne permettant pas de disposer de données fiables. Par ailleurs, afin de ne pas déstabiliser l'économie mahoraise, le taux de cette prestation a été ajusté de sorte qu'il corresponde au quart de celui appliqué en métropole et qu'il progresse jusqu'à atteindre le niveau de ce dernier d'ici à 25 ans. En effet, si les principes de solidarité et de redistribution sous-jacents au versement des prestations sociales légitiment la généralisation du RSA au nouveau DOM de Mayotte, les différences de niveau de vie et de structuration du marché du travail incitent à ajuster le niveau des aides sur la base du rattrapage économique attendu.

Par ailleurs, le coût de cette allocation ne serait pas intégralement supporté par Mayotte. À l'instar des autres départements, seule la partie RSA « socle » serait prise en charge et ce, uniquement pour son montant forfaitaire puisque le montant forfaitaire majoré (soit le RSA socle majoré) correspondant à l'ancienne API, ainsi que le RSA « jeunes » ne sont pas applicables en 2012. L'État conserverait donc à sa charge la partie RSA « chapeau ».

II.- LE DISPOSITIF ADOPTÉ : UN DROIT À COMPENSATION ÉVOLUTIF

A.- LE MÉCANISME DE COMPENSATION

Conformément à l'article 30 de la loi du 7 décembre 2010 précitée, une ordonnance fixant les modalités de calcul de cette compensation est en cours de rédaction et devrait entrer en vigueur avant la fin de l'année 2011 afin de permettre l'application du principe de compensation dès le dimanche 1 er janvier 2012.

Le projet ordonnance prévoit notamment que cette nouvelle charge sera compensée par l'attribution d'impositions de toute nature en respect avec le principe d'autonomie financière inscrit à l'article 72-2 de la Constitution. En pratique, la compensation prend la forme d'un transfert d'une part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers depuis le transfert du RMI aux départements en 2004. Le transfert de l'API a également été compensé de cette façon à compter du 1 er juin 2009 en métropole et du 1 er janvier 2011 dans les DOM.

Sur la base de cette méthode de compensation, le Gouvernement propose d'adopter un mécanisme de compensation différent du droit à compensation fixe, ajusté chaque année en loi de finances, qui s'applique aux autres départements. Ce mécanisme permettra d'ajuster le montant de la compensation en fonction de la montée en charge du dispositif. Il s'agit en effet de limiter les charges infra-annuelles pour le département de Mayotte, dont la situation budgétaire est difficile, sans toutefois proposer un montant de compensation trop élevé qui donnerait lieu à une reprise délicate à opérer. La solution retenue répond également aux difficultés d'appréciation du nombre de contribuables bénéficiaires.

Le présent article propose ainsi la fixation de deux fractions de tarif de TIPP représentant respectivement un plancher et un plafond de montant de compensation 3 ( * ) et renvoie au pouvoir réglementaire le soin de déterminer, à l'intérieur de cette fourchette, la fraction de tarif à affecter à Mayotte en fonction des dépenses constatées par la caisse gestionnaire des prestations familiales au cours de l'année 2012.

La fraction de tarif plancher est ainsi fixée à 0,030 euro par hectolitre de super carburants sans plomb et 0,02 euro par hectolitre de gazole présentant un point éclair inférieur à 120°C. La fraction de tarif plafond est quant à elle de 0,04 euro par hectolitre pour les super carburants sans plomb et de 0,02 euro pour le gazole présentant un point éclair inférieur à 120°C. Ces fractions s'appliquent aux quantités de carburants vendues sur l'ensemble du territoire national.

Le coût de cette compensation pour l'État est donc compris entre 11,4 millions d'euros et 15,4 millions d'euros en 2012. La détermination de ces montants repose sur deux hypothèses de population bénéficiaire.

B.- LA MÉTHODE D'ÉVALUATION DU NOMBRE DE FOYERS CONCERNÉS

Le projet d'ordonnance relatif aux modalités de compensation des charges attribuées à Mayotte prévoit que la compensation au titre de 2012 est évaluée sur la base d'une estimation du nombre de bénéficiaires du RSA socle calculé selon les modalités particulières prévues pour son application à Mayotte.

En l'absence d'un état civil fiable, deux hypothèses ont été retenues :

- une hypothèse haute fondée sur les données de l'INSEE pour 2007 ;

- une hypothèse basse considérant le nombre de bénéficiaires des prestations familiales à Mayotte, soit les foyers avec au moins un enfant.

Dans le cadre de l'hypothèse haute, un effet volume a été appliqué afin de prendre en compte la croissance démographique intervenue entre 2007 et 2012, tout en soustrayant la population étrangère en situation irrégulière et en appliquant un critère de ressources donnant droit au dispositif. Selon cette méthode approximative, 18 400 foyers pourraient bénéficier du RSA à compter de 2012.

L'hypothèse basse repose quant à elle sur les données de la CNAF selon laquelle 17 273 foyers mahorais percevaient une prestation familiale en décembre 2010. Un critère de ressources a ensuite été appliqué, tandis qu'un certain nombre de contribuables sans enfants potentiellement éligibles a été rajouté. Cette méthode conduit à considérer de manière prudente que 13 600 foyers pourraient bénéficier du RSA.

En appliquant le barème du RSA (et en prenant en compte le forfait logement et les allocations familiales qui sont déduites pour un certain nombre de foyers) le coût net en année pleine varie selon l'hypothèse retenue entre 20 millions d'euros et 27 millions d'euros.

Le Gouvernement a néanmoins considéré que la montée en charge du dispositif serait progressive. Ainsi, les prévisions de coût ayant permis de déterminer le montant de compensation en 2012 (soit 11,4 millions d'euros dans l'hypothèse basse et 15,4 millions d'euros dans l'hypothèse haute) correspondent au versement du RSA à un tiers des bénéficiaires en début d'année, puis à cent pour cent en fin d'année.

C.- LE PROCESSUS DE CONSULTATION EN COURS

D'après l'évaluation préalable du présent article et conformément à l'article L. 3444-1 du code général des collectivités territoriales selon lequel « les conseils généraux des départements d'outre-mer sont consultés sur les projets de loi, d'ordonnance ou de décret comportant des dispositions d'adaptation du régime législatif et de l'organisation administrative de ces départements » , le conseil général de Mayotte examine actuellement le présent article.

Par ailleurs, après la promulgation de la loi et la parution de l'ordonnance, le comité local d'évaluation des charges et la CCEC examineront la méthode de compensation au regard des charges transférées et valideront les modalités de calcul retenues.

Cette dernière étape de consultation sera reconduite chaque année de 2012 à 2015 afin de vérifier sur l'ensemble de la période l'adéquation entre les évolutions du coût de la compétence et les montants de ressources transférés. De la même façon, les ajustements annuels des montants de compensation versés aux départements au regard des modifications de la mise en oeuvre des compétences transférées seront soumis à ces consultations.

*

* *

La Commission adopte l'article 13 sans modification .


* 1 Résolution 31/4 du 21/10/1976 de l'Assemblée Générale de l'ONU.

* 2 À titre d'illustration, il faut souligner la faiblesse du taux d'activité de 41 % au regard de celui constaté dans les autres DOM (60,5 % à la Réunion et 57,1 % en Guyane) et en métropole (70 %).

* 3 En vertu de la décision du Conseil d'État Syndicat des médecins Aix et région et autres du 3 juillet 1998, le législateur peut laisser au pouvoir réglementaire la possibilité d'ajuster cette fraction à condition que la loi détermine les limites à l'intérieur desquelles le taux peut être modulé.