ARTICLE 46 QUINQUIES (DEVENU ARTICLE 89 DE LA LOI DE FINANCES POUR 2012)
PROROGATION À VIE DU STATUT DES BOUILLEURS DE CRU BÉNÉFICIANT DE L'ALLOCATION EN FRANCHISE

I. DÉBATS ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE (3ÈME SÉANCE DU MARDI 15 NOVEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 46

Mme la présidente. Les amendements n os 633 rectifié et 634 peuvent être soumis à une discussion commune.

L'amendement n° 633 rectifié présenté par M. Raison, M. Vannson, M. Reitzer, M. Favennec, M. Loïc Bouvard, Mme Branget, M. Binetruy, M. Straumann, M. Verchère, M. Vitel, M. Grosperrin, M. Proriol, Mme de La Raudière, Mme Grosskost, M. Herth, M. Decool, M. Balkany, M. Cinieri, M. Forissier, M. Le Mèner, M. Lazaro, M. Gérard, M. Gatignol, M. Christian Ménard, M. Guilloteau, M. Bignon, M. Jean-Yves Cousin, M. Durieu, Mme Delong, Mme Hostalier, M. Colombier, M. Morisset, M. Ueberschlag, M. Garraud, M. Remiller, M. Lett, M. Christ, M. Menuel, M. Domergue, Mme Ameline, M. Lefrand, M. Zumkeller et M. Morel-A-L'Huissier, est ainsi libellé :

Après l'article 46, insérer l'article suivant :

I. - Le deuxième alinéa de l'article 317 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° À la fin de la première phrase, les mots : « , pour une durée de dix années à compter du 1 er janvier 2003 » sont supprimés ;

2° À la dernière phrase, les mots : « , pour une durée de dix années à compter du 1 er janvier 2003, » sont supprimés.

II. - La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Michel Raison, pour soutenir l'amendement n° 633 rectifié.

M. Michel Raison. Cet amendement, pourtant de simple bon sens, provoque, depuis des décennies, de nombreuses discussions dans cet hémicycle. Nous arrivons aujourd'hui pratiquement à leur terme.

Permettez que je fasse un bref historique : en 2003, nous avons voté la possibilité pour tout exploitant de verger de faire sa goutte, comme l'on dit, et de bénéficier d'un droit réduit de 50 dans la limite de 10 litres d'alcool pur par campagne. En contrepartie, il avait été décidé que les bouilleurs de cru, qui, eux, ont le droit de distiller gratuitement dix litres d'alcool pur non commercialisables, perdraient ce droit au bout de cinq ans.

Cinq années plus tard, dans ce même hémicycle, nous avions réussi à convaincre nos collègues de prolonger à nouveau de cinq années cette exemption, bien que le Gouvernement ait été moins convaincu puisqu'il avait émis un avis défavorable.

Nous ne savons pas exactement à combien s'élève le nombre de ces bouilleurs : peut-être 150 000, mais sur ce chiffre, il y en a certainement la moitié qui ne distille pas. Surtout, ils ont environ quatre-vingts à quatre-vingt-trois ans de moyenne d'âge.

Deux possibilités s'offrent à nous : soit prolonger de cinq ans le privilège de ces bouilleurs - comme le propose l'amendement n° 634 -, mais cela me semblerait un peu mesquin, soit les laisser finir leur vie avec leur privilège, comme j'en ai émis l'idée avec l'amendement n° 633 rectifié. Il s'agirait là d'une mesure de bon sens et de respect à l'égard de ces anciens, qui n'ont pas reçu ce privilège par hasard - je ne reviendrai pas sur la façon dont il a été attribué.

Mme la présidente. Je vous demande de bien vouloir conclure, monsieur Raison.

M. Michel Raison. Pour conclure, je tiens à préciser, sinon à Mme la ministre qui a bien compris, j'en suis sûr, l'importance du dossier, du moins l'administration de Bercy, que l'argent que cette dernière espère grâce à la suppression de ce privilège n'est que virtuel. Si l'on supprimait celui-ci en effet, toutes ces personnes d'un certain âge ne paieraient de toute façon pas de droit. Mon amendement ne coûte donc rien.

Mme la présidente. Je peux donc considérer que vous avez également défendu l'amendement n° 634 ?

M. Michel Raison. Il s'agit d'un amendement de repli, mais j'ose espérer que l'adoption de l'amendement n° 633 rectifié rendra inutile son examen.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Gilles Carrez, rapporteur . Voilà cinq ans, après une nuit entière de discussion, notre collègue Michel Raison nous avait en effet convaincus de prolonger ce privilège, une dernière fois, pour cinq ans, nous assurant qu'on n'en parlerait plus jamais ensuite. Je note simplement qu'il nous est demandé d'en reparler ce soir...

M. Jean Launay. C'était moi qui, à l'époque, avais présenté l'amendement !

M. Gilles Carrez. Pardonnez-moi. C'était donc la prune de la Dordogne qui avait trouvé son défenseur !

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur les deux amendements ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Je m'en remettrai à la sagesse de l'Assemblée : le ministère est incapable de chiffrer cette mesure.

M. Raison, nous avait convaincus, il y a cinq ans, de voter la prorogation pour une durée de cinq ans. Je pencherai donc plutôt pour l'amendement tendant à une prorogation de cinq ans - pour une dernière fois.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Quéré.

Mme Catherine Quéré. Je souhaite soutenir l'amendement n° 633 rectifié de notre collègue Raison. non seulement le nombre de personnes qui bénéficie de ce privilège est estimé à une centaine de milliers, dont la plupart sont âgées de plus de soixante-quinze ans, mais, surtout, la perte de ce privilège est extrêmement mal vécue par ces anciens exploitants agricoles dont souvent les revenus sont très modestes. En outre, la suppression de ce privilège causera la disparition progressive d'une activité traditionnelle, celle de bouilleurs de cru ambulants.

Ce ne serait pas très correct à l'égard de toutes ces personnes de supprimer ce privilège.

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. N'ayant pas eu la possibilité de cosigner cet amendement, je souhaite le soutenir avec force. Dans nos campagnes, nous invitons nos concitoyens à planter des arbres fruitiers, notamment à hautes tiges, qui donnent beaucoup de fruits à noyaux : des mirabelles, des cerises, des quetsches. La distillation est une filière qu'il serait dommage de faire disparaître.

Le droit des bouilleurs de cru est, je le rappelle, attaché à la personne, et non au foncier. Il ne peut donc être transmis aux enfants.

Enfin, Il s'agit souvent de personnes très âgées, de petits agriculteurs retraités ou d'anciens doubles actifs qui entretiennent des vergers et qui contribuent ainsi au maintien de la biodiversité et des ceintures vertes autour de nos villes et villages.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Incroyable ! C'est de la pure démagogie !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Hunault.

Avec toutes les demandes de parole dont je suis saisie, nous sommes pour le moins partis pour faire le tour de la France ! (Sourires)

M. Michel Hunault. Au nom de mon groupe parlementaire, je tiens à apporter mon soutien à notre collègue Michel Raison, pour les motifs évoqués précédemment.

Je note d'ailleurs avec satisfaction que tant le rapporteur général que la ministre approuvent au moins son second amendement.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Le Gouvernement s'en est remis à la sagesse de l'Assemblée, monsieur Hunault.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Nayrou. Après l'Ouest, le Sud !

M. Henri Nayrou. Je n'ai pas besoin d'exprimer mon soutien à ces amendements, puisque Mme la ministre du budget, qui est habituée à dire toujours non, s'en est remise à la sagesse de l'Assemblée.

Ma totale approbation s'explique pour les raisons qui viennent d'être exposées, mais aussi à titre personnel, car c'est mon père, dans les années 1956-1957, lorsqu'il était sénateur, qui avait défendu ce privilège.

M. Michel Hunault. Très bien !

M. Henri Nayrou. Il estimait d'ailleurs que la santé du peuple français n'était pas en l'occurrence en danger. J'ai d'ailleurs conseillé à ce propos à M. Bur de ne pas venir en séance et de prendre un repos bien mérité... (Sourires).

Mme la présidente. Il n'est pas d'usage d'évoquer les absents, monsieur Nayrou !

M. Henri Nayrou. On se moque parfois dans ces travées, comme dans les grandes métropoles, des traditions de la ruralité et de la montagne. Mais on y est bien heureux de goûter aux délices de ces traditions pendant les week-ends et les vacances.

Pour conclure, je citerai Pierre Dac : « L'avenir c'est du passé en préparation. »

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Je tiens à clarifier la position du Gouvernement, qui a été un quelque peu dénaturée sur ces bancs : le Gouvernement donne un avis défavorable à l'amendement n° 633 rectifié, et s'en remet à la sagesse de l'Assemblée concernant l'amendement n° 634.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Launay.

M. Jean Launay. Je souhaite remercier Michel Raison d'avoir déposé ces amendements. Ce faisant, il a prolongé ce que j'avais moi-même défendu sur ce même sujet il y a cinq ans.

Au vu des hochements de tête désespérés de notre président de la commission des finances, je tiens à souligner qu'il n'y a rien de déraisonnable en l'espèce : la mesure ne coûte rien, car la suppression de ce privilège n'aurait rien rapporté.

Je rejoins Frédéric Reiss pour considérer que chacun de nous a le droit, dès lors qu'il a des arbres fruitiers, de faire distiller les fruits et participer ainsi au maintien de nos traditions. Il nous faut ensemble défendre ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Ueberschlag.

M. Jean Ueberschlag. Je souhaite également remercier Michel Raison d'avoir pris cette initiative - laquelle me rajeunit de vingt-cinq ans ! (Sourires). Ce sujet a toujours été à l'ordre du jour de nos discussions des projets de loi de finances, et Frédéric Reiss, en soutenant l'amendement, a dû à cet égard faire plaisir à son prédécesseur, François Grussenmeyer, que certains d'entre vous ont peut-être connu.

Ce soir, on ne rétablit pas un privilège, on prolonge un privilège qui existait et qui était menacé de disparition. Ce faisant, nous nous mettons tout simplement en conformité avec la pratique en usage dans les autres pays de l'Union européenne.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances de l'économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire. Je suis moins bon spécialiste que nombre de mes collègues, sur tous les bancs, en matière de distillation, encore qu'il m'arrive aussi de me réjouir de la dégustation de ces produits.

Je n'ai pas bien compris l'argument de l'âge, sauf à ce que mes collègues pensent que seuls ceux qui bénéficient de ces produits ont plus de quatre-vingt-trois ans. Je ne crois que ce soit le cas ! (Sourires)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Je n'ai pour ma part soulevé que des éléments techniques, sans revenir sur ce qu'est un bouilleur de cru ou l'entretien des vergers - je profite d'ailleurs de l'occasion pour indiquer que mon collègue Marcel Bonnot s'associe à ma démarche, bien qu'il ne figure pas parmi les signataires.

Si la question de l'âge a été évoquée, c'est parce qu'il serait mesquin de voter une prolongation de cinq ans alors qu'au bout de cette période ces mêmes bouilleurs auront plus de quatre-vingt-quatre ans de moyenne, et qu'évidemment nous prolongerons alors à nouveau ce privilège, sachant que le droit disparaîtra avec eux puisqu'il n'est pas transmissible.

Je demande donc à mes collègues d'accepter l'amendement qui prolonge le privilège de ces personnes très âgées jusqu'à la fin de leur vie.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Eckert.

M. Christian Eckert. Je ne pouvais laisser la Lorraine absente de ce débat, d'autant que mon collègue alsacien a évoqué la mirabelle : dois-je lui rappeler que la mirabelle est lorraine avant d'être alsacienne ? (Sourires)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Nayrou.

M. Henri Nayrou. M. Raison a dit que les titulaires de ces privilèges sont en moyenne âgés de quatre-vingt-cinq ans. Il en est tout de même qui ont soixante ans, notamment un qui porte le même nom et le même prénom que son géniteur ! (Sourires)

(L'amendement n° 633 rectifié, repoussé par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'amendement n° 634 tombe.

Madame la ministre, levez-vous le gage de l'amendement n° 633 rectifié ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Non. Je crains que l'incidence budgétaire ne soit extrêmement faible, mais je demande aux parlementaires de trouver de quoi compenser la mesure.