II. TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE

Article 46 quinquies (nouveau)

Le deuxième alinéa de l'article 317 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° À la fin de la première phrase, les mots : « , pour une durée de dix années à compter du 1 er janvier 2003 » sont supprimés ;

2° À la seconde phrase, les mots : « , pour une durée de dix années à compter du 1 er janvier 2003, » sont supprimés.

III. RAPPORT SÉNAT N° 107 (2011-2012) TOME III

Commentaire : le présent article vise à proroger à vie le statut des bouilleurs de cru dits « privilégiés », c'est-à-dire bénéficiant d'une exonération du droit de consommation sur les alcools pour une partie de leur production.

I. LE DROIT EXISTANT

A. QUI SONT LES BOUILLEURS DE CRU ?

La notion de bouilleur de cru est précisée par l'article 315 du code général des impôts (CGI). Ainsi, on retrouve dans cette catégorie les propriétaires, les fermiers, les métayers ou les vignerons qui distillent ou font distiller certaines boissons alcoolisées .

Ces boissons sont elles-mêmes limitativement énumérées par l'article précité du CGI. Il s'agit des vins, des cidres ou des poirés, des marcs, des lies, des alcools de cerises, de prunes et de prunelles provenant exclusivement de la récolte des bouilleurs de cru .

Par ailleurs, l'article précité admet également sous le régime des bouilleurs de cru la distillation de vins, marcs et lies provenant de vendanges ou de moûts chaptalisés dans les limites et les conditions légales .

En pratique, le produit des récoltes ainsi distillées, c'est-à-dire l'eau de vie obtenue, n'est généralement pas vendu et sert à la consommation personnelle des bouilleurs de cru et de leur famille.

B. L'HISTOIRE DE LEUR STATUT

Les bouilleurs de cru perpétuant une tradition rurale, familiale et séculaire , leur statut a beaucoup évolué au fil du temps.

Depuis l'apparition des premiers droits sur les alcools, le 12 janvier 1633, et jusqu'au 27 février 1906, quarante et une lois et décrets ont encadré les producteurs-récoltants d'eau de vie, de manière plus ou moins restrictive. Le 7 février 1906, le Parlement a voté l'affranchissement de déclarations et de droits pour les propriétaires distillant leur propre récolte.

A partir de 1916 , le régime de bouilleur de cru a connu de nouvelles modifications avec l'institution d'une franchise de 10 litres d'alcool pur distillé , étendue progressivement (notamment par la loi du 28 février 1923) à tous les récoltants. Par l'acte dit loi du 20 juillet 1940, le régime de Vichy a supprimé la liberté de distiller à domicile. Puis l'ordonnance du 31 mars 1945 a établi un contrôle contraignant visant à encadrer la production d'alcool. Par la suite, la loi du 11 juillet 1953 et des décrets du 13 novembre 1954 ont, tout en préservant les droits acquis, limité le régime des bouilleurs de cru aux seuls exploitants agricoles à titre principal.

Enfin, l'ordonnance du 30 août 1960 a définitivement modifié le statut des bouilleurs de cru en supprimant leur droit, sans toutefois porter atteinte aux droits acquis.

C. LE « PRIVILÈGE » DES BOUILLEURS DE CRU : LE SYSTÈME DE L'ALLOCATION EN FRANCHISE

Terme traditionnellement utilisé, le « privilège » des bouilleurs de cru renvoie donc au droit qui leur est reconnu de faire distiller jusqu'à 10 litres d'alcool pur sans avoir à payer de droits d'accises .

Cette exonération correspond à une allocation en franchise .

Il convient à cet égard de rappeler que les droits d'accises sont des droits indirects à la consommation dont le montant, pour ce genre d'eau de vie, est de 15,12 euros le litre d'alcool pur . Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 en cours d'adoption propose, par ailleurs, de relever ce droit à 15,33 euros.

En application de l'article 317 du CGI, le bénéfice de l'allocation en franchise est strictement encadré . Il n'est accordé qu'aux personnes physiques qui pouvaient y prétendre pendant la campagne 1959-1960 et aux militaires « qui n'ont pu bénéficier de l'allocation en franchise du fait de leur présence sous les drapeaux pendant la même campagne » .

Cette allocation est personnalisée, transmissible uniquement en faveur du conjoint survivant attachée à l'exploitation, et annuelle .

L'allocation en franchise correspond à 10 litres d'alcool pur distillés sur la période allant du 1 er septembre de l'année au 31 août de l'année suivante. Au-delà de ces 10 litres d'alcool pur, les intéressés versent, comme les autres bouilleurs, les droits afférents .

D. UN « PRIVILÈGE » PLUSIEURS FOIS MAINTENU EN LOI DE FINANCES

En application de l'article 317 du CGI, l'allocation en franchise vaut « pour une durée de dix années à compter du 1 er janvier 2003 », soit jusqu'au 31 décembre 2012 .

Le maintien de ce « privilège » jusqu'à la fin de l'année 2012 résulte de deux dispositions successives prises en loi de finances .

Tout d'abord, l'article 107 de la loi n° 2002-1575 du 30 décembre 2002 de finances pour 2003 avait prorogé le bénéfice de l'allocation en franchise pour les bouilleurs de cru jusqu'en 2008. Parallèlement, il avait été accordé pour les bouilleurs non titulaires de cette allocation une réduction de 50 % du droit d'accise dans la limite d'une production de 10 litres d'alcool pur par campagne, non commercialisables.

Ensuite, l'article 73 de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008 a une nouvelle fois prorogé de cinq ans l'allocation en franchise, qui court donc désormais jusqu'en 2012.

II. LE DISPOSITIF INTRODUIT PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article a été introduit par l'Assemblée nationale à l'initiative de plusieurs de nos collègues députés, dont Michel Raison, François Vannson et Jean-Luc Reitzer, avec l'avis défavorable du Gouvernement et de sa commission des finances .

Il propose de proroger à vie le statut des bouilleurs de cru dits « privilégiés » en modifiant l'article 317 du CGI en conséquence.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Le nombre des bouilleurs de cru dits « privilégiés » est en nette baisse. Alors qu'ils étaient 225 000 en 2001 et qu'on en comptait plus que 130 000 en 2006, ils seraient aujourd'hui environ 70 000 , d'après une projection de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). Notre collègue député Michel Raison a, de plus, fait valoir lors du débat en séance publique que cette population aurait de quatre-vingts à quatre-vingt-trois ans de moyenne d'âge.

La DGDDI estime que l'enjeu financier de l'extinction de l'exonération est limité : il s'agirait de 6 000 hectolitres d'alcool pur par an, ce qui représente 9 millions d'euros de droit de consommation alloués en franchise annuellement.

En outre, cette estimation devrait probablement être minorée d'au moins 50 % . En effet, la suppression du « privilège » transfèrerait la population qui en est actuellement bénéficiaire vers le « demi-privilège » existant (c'est-à-dire le demi-tarif sur les 10 premiers litres d'alcool pur, cf. supra ). Par ailleurs, la perte du « privilège » conduirait certains bénéficiaires à renoncer à la distillation.

Avec ces hypothèses, le coût annuel du dispositif proposé 1 ( * ) représenterait entre 3,5 et 4,5 millions d'euros au maximum pour le budget de l'Etat.

Décision de la commission : votre commission a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat sur cet article.


* 1 La ministre du budget avait indiqué en séance que « le ministère est incapable de chiffrer cette mesure » lors du débat en séance publique à l'Assemblée nationale.