ARTICLE  47 QUATERVICIES (NOUVEAU) : RÉGIME DE LA TAXE SUR LA CESSION À TITRE ONÉREUX DES TERRAINS RENDUS CONSTRUCTIBLES

I. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU LUNDI 5 DÉCEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 47 octodecies

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° II-188, présenté par Mmes Nicoux et Herviaux, au nom de la commission de l'économie, est ainsi libellé :

Après l'article 47 octodecies

Insérer un article ainsi rédigé :

L'article 1605 nonies du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Au 1° du III, les mots « , ni aux terrains dont le prix de cession défini à l'article 150 VA est inférieur à 15 000 € » sont supprimés ;

2° A la fin du 2° du même III, le chiffre : « 10 » est remplacé par le chiffre : « 5 ».

3° Le premier alinéa du IV est ainsi rédigé :

« Le taux de la taxe est de 5 % lorsque le rapport entre le prix de cession du terrain et le prix d'acquisition ou la valeur vénale définis au II est supérieur à 5 et inférieur ou égal à 10. Le taux est porté à 10 % lorsque ce même rapport est supérieur à 10 et inférieur à 30. Au-delà de cette limite, la part de la plus-value restant à taxer est soumise au taux de 20 %. »

La parole est à M. Roland Courteau, rapporteur pour avis.

M. Roland Courteau, rapporteur pour avis. La taxe sur les plus-values réalisées lors de cessions de terrains agricoles devenus constructibles a été créée par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche, afin de protéger le foncier agricole.

À l'époque, déjà, lors des débats au Sénat sur ce texte, le groupe socialiste avait souligné qu'une telle taxe n'était pas assortie d'un taux suffisamment dissuasif et que, en l'état, elle n'atteindrait pas son objectif initial. En effet, la valeur de certains terrains nus devenus constructibles peut être multipliée par 300, et donc complètement déconnectée de la valeur du foncier agricole.

Plus d'un an après l'adoption de cette disposition législative, nous constatons que son rendement se révèle très inférieur aux prévisions : elle n'aurait rapporté que 2 millions d'euros, au lieu des 40 millions d'euros attendus.

Une telle situation pourrait laisser à penser qu'il s'agit d'un bon signe et que les ventes de terrains agricoles ont baissé. Or tel n'est pas du tout le cas.

Les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, ou SAFER, réunies en congrès le 1 er décembre dernier, à Paris, ont souligné que la consommation des terres agricoles se poursuivait à un rythme désormais record. Ce sont ainsi - écoutez bien, mes chers collègues ! - 78 000 hectares de terres agricoles qui disparaissent chaque année, dont 50 000 hectares artificialisés et recouverts de béton, rendant impossible leur retour à un usage agricole.

Mmes Renée Nicoux et Odette Herviaux, rapporteurs pour avis socialistes de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », ont donc proposé à leurs autres collègues rapporteurs pour avis sur cette mission de renforcer le dispositif sur plusieurs points, et pas seulement sur la question du taux.

Madame la ministre, mes chers collègues, il s'agit, d'abord, de supprimer l'exonération pour les cessions d'une valeur inférieure à 15 000 euros, en appliquant la taxe au premier euro. L'objectif, vous l'aurez compris, est d'éviter le contournement de cette taxe par le biais d'un morcellement des cessions.

Il s'agit, ensuite, d'abaisser le seuil de déclenchement de la taxe. Y sont actuellement assujettis les terrains dont le prix de cession est supérieur à 10 fois le prix d'acquisition ou la valeur vénale. Nous proposons que la taxe soit appliquée dès que la valeur des terrains est multipliée par 5.

Il s'agit, enfin, de doubler les taux existants : le taux serait désormais de 5 % lorsque le rapport entre le prix de cession et le prix d'acquisition ou la valeur vénale est supérieur à 5 et inférieur ou égal à 10, de 10 %, lorsque ce même rapport est supérieur à 10 et inférieur à 30 ; au-delà, la part de la plus-value restante serait taxée à 20 %.

Mes chers collègues, l'amendement que je vous présente a été adopté par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire à la quasi-unanimité. J'espère donc que vous pourrez le soutenir.

M. le président. L'amendement n° II-156 rectifié bis , présenté par MM. Revet, Portelli, Merceron, Pierre, Humbert, Beaumont et Bécot, est ainsi libellé :

Après l'article 47 octodecies

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa du IV de l'article 1605 nonies du code général des impôts est ainsi modifié :

1° A la première phrase, le taux : « 5 % » est remplacé par le taux : « 20 % » ;

2° A la seconde phrase, le taux : « 10 % » est remplacé par le taux : « 30 % ».

Cet amendement n'est pas soutenu.

Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° II-188?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement, qui vise à renforcer la taxe sur les cessions à titre onéreux des terrains agricoles rendus constructibles, au travers d'une modification de ses modalités d'application et de ses taux.

Son adoption permettrait non seulement d'accroître la portée dissuasive de cette taxe, mais également - apport très important - d'éviter le contournement de la loi par le morcellement des cessions, contournement facilité par l'exonération de taxe pour les cessions de faible montant. Il s'agit donc ici d'encourager les comportements dits « vertueux ».

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, rapporteur pour avis, pour explication de vote.

M. Roland Courteau, rapporteur pour avis. Nous en sommes conscients, l'application de cette taxe, même durcie, ne suffira vraisemblablement pas à renverser la tendance.

Il nous faudra aussi maîtriser l'étalement urbain, pour protéger le maraichage en zone périurbaine, et rétablir des mesures de contrôle des structures agricoles, plus fortes et plus efficaces, pour favoriser le renouvellement des générations.

Cela étant, mes chers collègues, commençons déjà par renforcer le mécanisme de la taxe sur les cessions de terrains agricoles. C'est tout l'objet de cet amendement. Du reste, madame la ministre, j'aurais bien aimé que vous vous expliquiez davantage en exposant les raisons pour lesquelles vous y êtes défavorable.

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, pour explication de vote.

M. Yannick Botrel. La proposition qui nous est faite par la commission de l'économie, et que j'approuve tout à fait, met en évidence un élément tout de même extrêmement surprenant.

Au moment de la discussion de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, il avait été annoncé, M. le rapporteur pour avis l'a rappelé, un certain rendement de la taxe ainsi mise en place. Or, aujourd'hui, la comparaison entre ce qui a été prévu en termes de consommation de terres agricoles et le faible rendement de la taxe aboutit à un résultat inexplicable.

M. Roland Courteau, rapporteur pour avis. C'est vrai !

M. Yannick Botrel. Madame la ministre, le produit de cette taxe est affecté au profit de l'installation des jeunes agriculteurs. Pourquoi donc est-il si faible ? C'est la question que nous sommes nombreux à nous poser, et elle mérite une réponse.

M. François Marc. Il faut demander un rapport !

M. le président. La parole est à M. Marc Daunis, pour explication de vote.

M. Marc Daunis. Je suis élu d'un département où était prévue, en l'espace de six ans, la disparition des terres agricoles, selon des études effectuées à l'époque par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Dans le même temps, des efforts sont faits, dans le cadre des différents SCOT et PLU communaux ou intercommunaux, pour redonner un peu de place aux terres agricoles, dès lors que cela a une certaine cohérence.

Il n'empêche, les chiffres sont éloquents, le taux de rendement de la taxe sur les plus-values de cessions est extrêmement faible.

D'après ce que j'ai pu entendre sur le terrain et ce que je connais de la pratique, je sais que les mesures prises, au regard de la spéculation immobilière qui sévit actuellement, ne sont pas suffisamment dissuasives. Dans le département dont je suis l'élu, compte tenu de l'ampleur des mutations et du vaste changement de destination de terres agricoles, les chiffres sont encore plus violents, si j'ose dire, que ceux qui ont été annoncés.

M. Roland Courteau, rapporteur pour avis. J'imagine !

M. Marc Daunis. Si nous ne renforçons pas ce qui est un bon dispositif, en le rendant réellement opérant, nous déplorerons de nouveau, dans quelques années, que les jeunes agriculteurs n'aient pas accès à des espaces suffisants, ou tout au moins raisonnables, pour exercer leurs activités.

M. Roland Courteau, rapporteur pour avis. Madame la ministre, je vous le répète : on attendait 40 millions d'euros, on a eu 2 millions d'euros !

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Nous sommes nombreux à partager l'aspiration qui s'exprime au travers de l'amendement n° II-188. C'est si vrai, d'ailleurs, que MM. Revet et Portelli, auxquels s'étaient joints plusieurs autres collègues, avaient eux aussi proposé, par l'amendement n° II-156 rectifié bis , une augmentation de la taxation des plus-values de cessions de terrains agricoles, mais plus sévère encore et à mon sens plus efficace.

Nous avons aujourd'hui à faire face à une diminution de la surface agricole utile de notre pays qui est beaucoup trop rapide. Il faut la combattre par tous les moyens. C'est la raison pour laquelle, en ce qui me concerne, je soutiendrai l'amendement n° II-188, présenté au nom de la commission de l'économie, puisque l'autre disposition à laquelle je viens de faire référence ne sera pas présentée ce soir.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis tout à fait prête à lancer une mission d'étude, comme vous me le demandez, sur la situation réelle des terres agricoles et de leurs prix de vente.

Aujourd'hui, je ne suis pas en mesure de vous donner les raisons pour lesquelles la taxe n'a pas rapporté le produit escompté. Je comprends bien votre souci : peut-être certains ont-ils morcelé les terres pour passer au-dessous du seuil d'exonération ?

M. Roland Courteau, rapporteur pour avis. Peut-être, en effet ! C'est pour cela qu'il faut corriger les taux !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Néanmoins, si vous votez l'amendement tel qu'il a été présenté, vous allez taxer, et même surtaxer, les petites opérations, contrairement à l'objectif initial, qui était de taxer les opérations les plus importantes.

J'ajoute qu'il peut y avoir des cas, du moins c'est ce qu'affirment les responsables de mon administration, dans lesquels la mesure a un caractère très inflationniste. Le risque est d'autant plus grand que le prix du foncier constructible augmente. En outre, on a besoin de terres non bâties pour faire de la construction de logements. Il faut donc être vigilant.

Notre idée était d'accepter la vente de foncier, notamment pour de petites opérations. Je suis prête à tout remettre à plat pour regarder ce qui s'est effectivement passé, et pour quelles raisons. Néanmoins, le vote de cet amendement, à ce stade, me paraît précipité. Il peut même y avoir, pour une même cession, des situations de cumul d'imposition qui conduiraient à des taux de fiscalité confiscatoires. Efforçons-nous donc, tout d'abord, je le répète, d'expliquer cette situation et de mettre à plat l'ensemble du dispositif.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-188.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je constate que l'amendement a été adopté à l'unanimité des présents.

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 47 octodecies .