ARTICLE  4 BIS B (NOUVEAU) : TAXATION DES INDEMNITÉS DE DÉPART ATTRIBUÉES AUX DIRIGEANTS DE SOCIÉTÉ

I. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU VENDREDI 18 NOVEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 4

Mme la présidente. L'amendement n° I-120 rectifié bis , présenté par M. Marc, Mme M. André, MM. Frécon, Miquel, Berson, Botrel et Caffet, Mme Espagnac, MM. Germain, Haut, Hervé, Krattinger, Massion, Patient, Patriat, Placé, Todeschini, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché, est ainsi libellé :

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 80 duodecies du code général des impôts est ainsi modifié :

1° La seconde phrase du 2 est ainsi rédigée :

« Il en est de même pour leurs indemnités de départ de l'entreprise, lorsqu'elles sont composées de primes ou d'actions gratuites. » ;

2° Il est ajouté un 3 ainsi rédigé :

« 3. Toute société dont le conseil d'administration ou le directoire décide d'augmenter la rémunération d'un dirigeant pendant la période de six mois précédant son départ de l'entreprise est redevable d'une taxe additionnelle à l'impôt sur les sociétés au taux de 15 % sur son bénéfice imposable. »

La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Compte tenu de l'écart croissant observé entre les rémunérations les plus faibles et les plus élevées au sein des entreprises, cet amendement tend à limiter les rémunérations très importantes accordées en fin de parcours professionnel pour préparer les fameuses « retraites chapeau ».

Mes chers collègues, j'attire votre attention sur le fait que la moyenne des rémunérations salariales des entreprises du CAC 40 a progressé de 13 % en dix ans, alors que celle des rémunérations des cadres les plus élevés dans la hiérarchie, sur la même période, a progressé de 35 %.

L'année dernière, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2011, le ministre François Baroin a affirmé qu'il n'était pas besoin d'encadrer les retraites chapeau, car le milieu économique avait mis en place des « garde-fous », s'en tenant ainsi au voeu pieux de l'autorégulation. Si l'on y regarde de plus près, on constate que le MEDEF a recommandé aux entreprises de ne pas accorder de « parachute doré » d'un montant supérieur à deux années de rémunération, prime de non-concurrence incluse - ce qui est déjà beaucoup ! -, et d'inclure le montant de la retraite supplémentaire, qui ne saurait dépasser un pourcentage limité de la rémunération fixe, dans la rémunération globale. Cependant, il ne s'agit que de « recommandations », dépourvues de toute force contraignante. Par ailleurs, c'est à la puissance publique qu'il appartient, selon nous, de réguler le marché. Le problème demeure, en quelque sorte, sans solution.

Notre amendement vise donc plus particulièrement les retraites jugées excessives. Il arrive souvent que les entreprises augmentent le salaire de leurs dirigeants peu de temps avant leur départ, sans que cela soit justifié par leurs performances. Notre amendement tend donc à taxer ces rémunérations, artificielles selon nous : si ces augmentations interviennent dans un délai inférieur à six mois avant la date de départ en retraite, les entreprises seront soumises à une taxe supplémentaire de 15 % sur leur bénéfice imposable. En effet, de telles augmentations de salaire dissimulent assez mal leur réelle fonction, il est donc légitime de les taxer.

Notre amendement vise en outre à fiscaliser les indemnités de départ attribuées aux dirigeants de société sous la forme d'un capital, qu'il s'agisse de primes ou d'actions gratuites. Cette fiscalisation permettrait de limiter le montant de ces indemnités.

Alors que le Gouvernement entend imposer l'austérité aux Français, il est normal que la modération salariale s'impose à tous, notamment aux grands dirigeants. Cet amendement a donc pour objet d'introduire une régulation des rémunérations très importantes accordées en fin de parcours professionnel : leur fiscalisation serait de nature à moraliser les pratiques en vigueur.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cet amendement poursuit deux objectifs.

Tout d'abord, il tend à intégrer les indemnités de départ composées de primes ou d'actions gratuites au sein du revenu imposable. Or ce premier objectif est déjà atteint par la rédaction actuelle de l'article 80 duodecies du code général des impôts, auquel fait référence l'amendement, qui précise que « constitue [...] une rémunération imposable toute indemnité versée, à l'occasion de la cessation de leurs fonctions, aux mandataires sociaux [et] dirigeants ».

Les plus-values d'acquisition et de cession des actions gratuites sont quant à elles fiscalisées entre les mains de l'attributaire, ou à un taux forfaitaire auquel s'ajoutent les prélèvements sociaux, soit une taxation d'environ 53 %, ou au barème progressif de l'impôt sur le revenu.

Pour ce qui est de son premier objet, l'amendement est donc satisfait par l'article du code général des impôts auquel il fait référence.

Le second objet de l'amendement, à savoir la mise en place d'une taxe additionnelle de 15 % sur les bénéfices imposables des sociétés dont l'organe social augmente la rémunération d'un ou plusieurs dirigeants dans les six mois précédant leur départ, est légitime et présente même un grand intérêt.

C'est bien l'impôt sur les sociétés qui est renchéri et la surtaxe est dissuasive : l'arbitrage au sein de la société devrait conduire à ne pas attribuer de rémunérations supplémentaires dans les six derniers mois.

La commission est donc favorable au 2°de l'amendement, car il peut dissuader de recourir à une pratique trop souvent utilisée et qui n'est pas couverte par les textes en vigueur, mais elle ne souhaite pas que le 1° soit retenu. Elle demande donc aux auteurs de l'amendement de bien vouloir le modifier en conséquence.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Je suis défavorable aux deux parties de l'amendement, et cela pour des raisons un peu différentes.

En premier lieu, s'agissant des indemnités de cessation de fonction, je rappelle que désormais, comme l'a dit Mme Bricq, toutes les indemnités versées aux dirigeants à l'occasion de leur cessation de fonction sont par principe imposables. Elles ne sont exonérées, par exception et sous plafond, que lorsque la cessation revêt un caractère forcé.

L'encadrement des « parachutes dorés » des dirigeants des entreprises cotées a été considérablement renforcé.

L'article 17 de la loi TEPA, cette loi que vous n'aimez pas, mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition - ou peut-être devrais-je dire de la majorité (Sourires) -, a mis en place un régime juridique permettant de garantir que les indemnités de départ des dirigeants ne leur sont pas indument versées mais récompensent uniquement leurs performances.

La déduction de l'assiette de l'impôt sur les sociétés des rémunérations différées et versées aux dirigeants de sociétés cotées est déjà plafonnée à 210 000 euros.

L'article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a soumis aux cotisations sociales, à la CSG et à la CRDS la fraction des indemnités de rupture supérieure à trois plafonds de la sécurité sociale, plafond qui a été porté par l'article 10 ter du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour2012 à deux plafonds, soit un peu plus de 70 000 euros.

Il me semble donc que la première partie de l'amendement est largement satisfaite.

Quant à la seconde partie, je dois avouer que je n'en comprends pas très bien l'objet. Quelles sont en effet les entreprises qui augmentent les salaires des dirigeants avant leur départ ? J'ai du mal à percevoir quels cas sont visés, car, la plupart du temps, lorsqu'un dirigeant est évincé, cela se fait sans préavis de six mois !

Mais, à supposer même qu'une entreprise ait le curieux désir d'augmenter le salaire de son dirigeant juste avant son départ, une taxe de 15 % sur les bénéfices imposables représenterait une somme, non pas dissuasive, pour reprendre le terme employé par Mme la rapporteure générale, mais irréaliste ! Que le salaire du dirigeant soit déclaré non déductible des charges pour le calcul de l'impôt sur les sociétés serait en rapport avec l'objectif recherché, mais, là, on perd tout sens des proportions.

Il me vient en outre à l'esprit que, si l'on prend le cas d'une entreprise que vous aimez beaucoup citer, Total, qui ne fait pas de bénéfices en France et que celle-ci décide de doubler le salaire de son dirigeant six mois avant son départ, elle ne sera pas sanctionnée puisqu'elle n'est pas redevable de l'impôt sur les sociétés en France !

Je crois donc que la bonne façon de procéder n'est pas celle-là, mais celle qu'a choisie le Gouvernement, à savoir la taxation des golden parachutes , des retraites chapeau et autres dispositifs que vous n'aviez pas taxés il y a dix ans. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Jean-Marc Todeschini. Elle ne peut pas s'en empêcher ! (Sourires sur les mêmes travées.)

Mme la présidente. Monsieur Marc, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens souhaité par Mme la rapporteure générale ?

M. François Marc. Compte tenu des indications données par la commission, j'accepte de supprimer la première partie de l'amendement n° I-120 rectifié bis , ce qui permettra de lever l'ambiguïté mentionnée par Mme la rapporteure générale.

Par ailleurs, puisque Mme la ministre s'interroge sur les cas que nous entendons viser, je lui indique d'abord que notre amendement a une vocation générale : il s'agit de compléter l'arsenal des garde-fous réglementaires en instituant ce dispositif dissuasif.

Ensuite, madame la ministre, il y a des entreprises qui se livrent à ces pratiques : certes, cet amendement n'a pas été puisé à bonne source (Sourires.) , mais il n'est pas non plus tombé du ciel ! Ce sont les entretiens que nous avons pu avoir avec un certains nombre d'observateurs et même avec des dirigeants d'entreprise qui nous ont amenés à le déposer.

Dès lors, il a une finalité tout à fait légitime dans la mesure où il apporte une protection supplémentaire en même temps qu'il permet, dans cette période troublée où il y a tant d'inégalités dans les rémunérations, d'éviter une dérive qui a pu être constatée, certes pas de façon généralisée, mais dans quelques cas.

Mme la présidente. Je suis donc saisie d'un amendement n° I-120 rectifié ter , présenté par M. Marc, Mme M. André, MM. Frécon, Miquel, Berson, Botrel et Caffet, Mme Espagnac, MM. Germain, Haut, Hervé, Krattinger, Massion, Patient, Patriat, Placé, Todeschini, Yung et les membres du groupe Socialiste, Apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché, qui est ainsi libellé :

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 80 duodecies du code général des impôts est complété par un 3 ainsi rédigé :

« 3. Toute société dont le conseil d'administration ou le directoire décide d'augmenter la rémunération d'un dirigeant pendant la période de six mois précédant son départ de l'entreprise est redevable d'une taxe additionnelle à l'impôt sur les sociétés au taux de 15 % sur son bénéfice imposable. »

La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je ne résiste pas à une brève intervention, le dispositif proposé me paraissant inadéquat, et cela pour deux raisons.

Si l'on constate des résultats brillants, augmenter la rémunération d'un dirigeant alors qu'il s'apprête à quitter l'entreprise n'est pas forcément et par nature illégitime,...

Mme Valérie Pécresse, ministre. C'est l'application de la loi TEPA !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. ... surtout si sa rémunération était auparavant modérée.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Tout à fait !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Si en revanche la situation de l'entreprise que quitte le dirigeant était à ce point compromise que son résultat fiscal deviendrait négatif, cette augmentation serait vraiment, moralement et économiquement, très condamnable, et, monsieur Marc, le dispositif serait alors techniquement inopérant.

Bref, je comprends vos intentions, qui peuvent dans une large mesure être partagées, mais, sincèrement, vous ne touchez pas, à mon avis, les bonnes cibles.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.

M. Philippe Dallier. J'estime que, dans tous les cas de figure, cet amendement sera inopérant et ne changera strictement rien.

Par exemple, si le départ du dirigeant est prévu, il sera augmenté non pas six mois mais sept mois auparavant.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Eh oui !

M. Philippe Dallier. Il peut aussi y avoir le cas contraire : un dirigeant est augmenté, puis, pour une raison x ou y imprévisible alors, il quitte l'entreprise ; celle-ci va donc se voir taxée de 15 % supplémentaires sans que rien ne le justifie !

Pour tout dire, cela me paraît être un drôle d'amendement et je crains qu'il ne rate son but de toutes les manières.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° I-120 rectifié ter .

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 4.