ARTICLE  5 BIS F (NOUVEAU) : INSTAURATION D'UNE TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES

I. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU LUNDI 21 NOVEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 5

M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° I-122, présenté par M. Marc, Mme M. André, MM. Frécon, Miquel, Berson, Botrel et Caffet, Mme Espagnac, MM. Germain, Haut, Hervé, Krattinger, Massion, Patient, Patriat, Placé, Todeschini, Yung et les membres du groupe Socialiste, Apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché, est ainsi libellé :

Après l'article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° L'intitulé de la section XX du chapitre III du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts est ainsi rédigé :

« Taxe sur l'ensemble des transactions financières »

2° L'article 235 ter ZD est ainsi rédigé :

« Art. 235 ter ZD . - I. - L'ensemble des transactions financières, englobant toutes les transactions boursières et non boursières, titres, obligations et produits dérivés, de même que toutes les transactions sur le marché des changes, sont soumises à une taxe assise sur leur montant brut.

« II. - Le taux de la taxe est fixé à 0,05 % à compter du 1 er novembre 2011.

« III. - La taxe est due par les établissements de crédit, les institutions et les services mentionnés à l'article L. 518-1 du code monétaire et financier, les entreprises d'investissement visées à l'article L. 531-4 du même code et par les personnes physiques ou morales visées à l'article L. 524-1 du même code. Elle n'est pas due par la Banque de France et par le Trésor public.

« IV. - La taxe est établie, liquidée et recouvrée sous les mêmes garanties et sanctions que le prélèvement mentionné à l'article 125 A. ».

La parole est à Mme Michèle André.

Mme Michèle André. Cet amendement est défendu.

M. le président. L'amendement n° I-76, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L'intitulé de la section XX du chapitre III du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts est ainsi rédigé : « Taxe sur l'ensemble des transactions financières ».

II. - L'article 235 ter ZD du code général des impôts est ainsi rédigé :

« Art. 235 ter ZD. - I. - L'ensemble des transactions financières, englobant toutes les transactions boursières et non boursières, titres, obligations, et produits dérivés, de même que toutes les transactions sur le marché des changes, sont soumises à une taxe assise sur leur montant brut.

« II. - Le taux de la taxe est fixé à 0,1 % à compter du 1 er novembre 2011.

« III. - La taxe est due par les établissements de crédit, les institutions et les services mentionnés à l'article L. 518-1 du code monétaire et financier, les entreprises d'investissement visées à l'article L. 531-4 du même code et par les personnes physiques ou morales visées à l'article L. 524-1 du même code. Elle n'est pas due par la Banque de France et par le Trésor public.

« IV. - La taxe est établie, liquidée et recouvrée sous les mêmes garanties et sanctions que le prélèvement mentionné à l'article 125 A. »

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Les effets de la crise sont liés de manière indissoluble à l'accélération des mouvements de circulation et de transfert des capitaux sur l'ensemble des marchés internationaux, ces capitaux faisant constamment l'objet des placements les plus rentables.

Une telle rentabilité va de pair avec la mise à profit de toutes les informations, l'optimisation des outils juridiques et fiscaux et, par-dessus tout, l'absence de plus en plus évidente de la moindre contrainte fiscale sur lesdits mouvements.

La régulation des activités financières est donc devenue une nécessité. Il y a lieu de créer les conditions d'une forme de traçabilité des mouvements financiers internationaux, qu'ils affectent les devises et monnaies ou les valeurs inscrites à la cote, notamment si l'on souhaite dépister les comportements frauduleux, les opérations douteuses et les délits d'initié.

Cette traçabilité est pleinement liée au projet de taxation des transactions financières internationales dont nous demandons une nouvelle fois, au travers de cet amendement, la mise en place.

Il s'agit donc, dans un premier temps, de permettre une forme de repérage de l'ensemble des transactions, ne serait-ce que pour constater où elles se produisent et occasionnent la mobilisation des capitaux volatiles parcourant la planète comme où elles peuvent faire défaut.

Il s'agit en fait de traduire le besoin de transparence et de régulation qui s'est clairement manifesté dans le cadre du sommet du G 20 à Cannes comme lors du dernier Conseil européen, où la France, par la voix du Président de la République, a de nouveau appelé à la mise en place d'une telle taxation. Il est donc temps de passer des intentions, au demeurant parfaitement louables, aux actes.

Nous avons besoin de cette taxation pour bien des raisons et bien des choses ; la traçabilité des transactions financières est une chose - nous l'avons évoquée - l'allocation de la ressource ainsi créée en est une autre. Force est de constater que nous avons en la matière l'embarras du choix : financement des infrastructures des pays européens, aide au développement des pays les moins avancés, investissements dans les efforts de préservation de l'environnement ou encore constitution d'un pôle de financement des dépenses d'avenir.

Il faut d'abord créer la recette ; nous verrons ensuite l'usage le plus adéquat qu'il conviendra d'en faire.

C'est sous le bénéfice de ces observations que nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter notre amendement.

M. le président. Les amendements n os I-148 et I-169 sont identiques.

L'amendement n° I-148 est présenté par MM. Cambon et Peyronnet, au nom de la commission des affaires étrangères.

L'amendement n° I-169 est présenté par Mmes Keller et Des Esgaulx.

Ces amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L'intitulé de la section XX du chapitre III du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts est ainsi rédigé :

« Taxe de solidarité internationale sur les transactions financières ».

II. - L'article 235 ter ZD du code général des impôts est ainsi rédigé :

« Art. 235 ter ZD . - I. -  L'ensemble des transactions financières, englobant toutes les transactions boursières et non boursières, titres, obligations, et produits dérivés, de même que toutes les transactions sur le marché des changes, sont soumises à une taxe assise sur leur montant brut.

« II. - Le taux de la taxe est fixé par décret en Conseil d'État, dans la limite maximum de 0,05 % du montant pour chaque catégorie de transactions, à compter du 1 er juillet 2012 , ainsi que les modalités de l'établissement, de la liquidation et du recouvrement de la contribution.

« III. - La taxe est due par les établissements de crédit, les institutions et les services mentionnés à l'article L. 518-1 du code monétaire et financier, les entreprises d'investissement visées à l'article L. 531-4 du même code et par les personnes physiques ou morales visées à l'article L. 524-1 du même code. Elle n'est pas due par la Banque de France et par le Trésor public.

« IV. - La taxe est établie, liquidée et recouvrée sous les mêmes garanties et sanctions que le prélèvement mentionné à l'article 125 A du présent code. ».

La parole est à M. Cambon, rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° I-148.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter cet amendement au nom de la commission des affaires étrangères, et notamment de mon co-rapporteur pour avis pour la mission « Aide publique au développement », Jean-Claude Peyronnet.

En septembre 2010, les membres de l'Organisation des Nations Unies ont fait un bilan de l'action menée par les pays occidentaux depuis 2005 pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. Le premier constat est que des progrès formidables ont été obtenus en matière de santé infantile et de scolarisation. Le deuxième constat est que les financements manquent pour atteindre les objectifs que la communauté internationale s'est fixés pour 2015.

Depuis, hélas ! la crise financière s'est aggravée. Elle a fragilisé l'élan de croissance que connaissaient les pays d'Afrique et a engendré les crises d'aide souveraine que nous connaissons aujourd'hui.

Demain, il nous faudra de plus financer la lutte contre le réchauffement climatique. Les engagements déjà pris dans ce domaine signifient un quasi-doublement des budgets d'aide au développement, car ce sont les pays d'Afrique qui seront les premières victimes du réchauffement climatique.

Les budgets nationaux n'y suffiront pas, nous le savons, mes chers collègues ! Il faut donc trouver de nouveaux financements.

En 2006, la France a adopté la taxe sur les billets d'avion. Nous étions les premiers à adopter ce type de financement innovant. Depuis cette date, vous payez, nous payons 1 euro, ou un peu plus, par billet. Personne ne ressent ce prélèvement, aucun impact n'a été observé, pas plus sur le trafic aérien français que sur le tourisme, et pourtant nous contribuons ainsi à hauteur de plus de 150 millions d'euros par an au financement de campagnes de vaccinations dans le monde. C'est une des plus belles réussites de l'aide au développement de ces dix dernières années.

Les campagnes de vaccinations d'UNITAID ont conduit à une diminution formidable du taux de mortalité infantile en Afrique. Comme l'a souligné le rapport de Bill Gates aux membres du G20, en 1960, 20 millions d'enfants de moins de cinq ans ont trouvé la mort ; en 2010, moins de 8 millions d'enfants de moins de cinq ans sont décédés. Entre-temps, la population avait doublé et le taux de mortalité des moins de cinq ans a diminué de plus de 80 %.

Aujourd'hui, la France se bat pour instaurer à l'échelon international une taxe sur les transactions financières. Elle a créé un groupe de travail de haut niveau pour faire avancer ce dossier à l'ONU, au FMI et au G 20.

Ce travail a en partie porté ses fruits puisqu'il existe maintenant un consensus pour dire que cette taxe est techniquement faisable. Comme ce fut le cas pour la taxe sur les billets d'avion, les professionnels du secteur nous disent, certes, qu'il est impensable de mettre en place un tel dispositif, mais les derniers rapports du FMI et du G 20 confirment au contraire la faisabilité technique de celui-ci, sous réserve qu'il s'agisse d'une taxation assise sur la base la plus large possible et à un taux très faible.

Le Président de la République, qui a fait de cette taxe un des objectifs du G 20, a insisté lors de la conférence de presse du 3 novembre sur le fait qu'une telle taxe était « techniquement possible, financièrement indispensable et moralement incontournable ».

On peut regretter qu'un accord n'ait pu être trouvé au sein du G 20 pour que cette taxe soit adoptée par l'ensemble de ses membres. À travers notre amendement, nous vous proposons, mes chers collègues, de manifester la détermination du Sénat à soutenir ce dispositif.

Cet amendement instaure une taxe sur l'ensemble des transactions financières dans un plafond de 0,05 %, charge étant laissée au Gouvernement et en particulier au ministère de l'économie et des finances de moduler le taux en fonction du type de transactions et de déterminer les modalités de liquidation et de recouvrement.

Il s'agit concrètement de donner la possibilité au Gouvernement de définir les modalités et le taux de la taxe en concertation avec nos partenaires européens et d'en acter le principe. Comme l'a souligné le ministre chargé de la coopération lors de la dernière conférence de haut niveau sur le G 20 développement, « un taux très bas reposant sur une assiette très large évitera les risques de contournement et d'évasion sans peser sur la compétitivité des places financières ».

Dans notre esprit, une taxe sur les transactions financières n'est pas une punition ; elle comporte au contraire une dimension éthique importante. L'opinion publique souhaite que les acteurs qui bénéficient le plus de la mondialisation contribuent à l'effort collectif pour la rendre plus équilibrée et plus solidaire.

Comme la taxe sur les billets d'avion, cette taxe préfigure ce qui pourrait devenir la base - on peut rêver... - d'une fiscalité mondiale pour financer des politiques publiques globales. On le voit bien dans le domaine de la lutte contre les épidémies ou contre le réchauffement climatique, certains défis se posent aujourd'hui au niveau mondial. Pour lutter contre le sida, pour préserver la biodiversité ou lutter contre le réchauffement climatique, il faut établir des stratégies mondiales assises sur des financements adaptés.

Avec la taxe sur les billets d'avion, nous avions commencé seuls, puis nous avons été rejoints par une dizaine de pays. Treize autres pays sont membres d'UNITAID et pourraient apporter leur contribution dans le futur à travers une taxe sur les billets d'avion.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C'est un bel exemple, en effet !

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. Nous vous proposons, mes chers collègues, de faire de même avec la taxe sur les transactions financières en laissant la possibilité au Gouvernement, parallèlement aux négociations au niveau communautaire, de fixer un taux extrêmement faible puisqu'est prévu dans cet amendement un taux maximal de 0,05 %.

Je rappelle que la collecte estimée dans les études de faisabilité atteint 12 milliards d'euros pour la France, soit une multiplication par deux du montant de notre aide publique au développement, ce qui laisse une large marge de manoeuvre au Gouvernement pour fixer un taux intermédiaire en attendant de trouver une solution à l'échelle européenne.

Mes chers collègues, alors que le débat a été porté au plus haut niveau sur le plan mondial, j'estime que le Sénat se doit collectivement, comme nous l'avons fait au sein de la commission des affaires étrangères en associant un rapporteur de sensibilité de gauche et un rapporteur de sensibilité de droite et du centre, de montrer tout l'intérêt qu'il porte à l'institution de cette taxe, ce qui, j'en suis sûr, ne manquerait pas de nous attirer le concours de nos collègues de l'Assemblée nationale. Ainsi la France pourra-t-elle franchir, avec l'Allemagne mais peut-être aussi avec d'autres pays, un pas décisif pour apporter une solution à la grande misère des pays en voie de développement.

M. le président. L'amendement n° I-169 n'est pas soutenu.

Les amendements n os I-59 et I-175 rectifié sont identiques.

L'amendement n° I-59 est présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° I-175 rectifié est présenté par MM. Collin, Mézard, C. Bourquin, Fortassin, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, Chevènement et Collombat, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 235 ter ZD du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Le III est ainsi rédigé :

« III. - Le taux de la taxe est fixé à 0,05 % à compter du 1er janvier 2012.

« Ce taux est majoré à 0,1 % lorsque les transactions visées au I ont lieu avec des États classés par l'Organisation de coopération et de développement économiques dans la liste des pays s'étant engagés à mettre en place les normes fiscales de transparence et d'échange sans les avoir mises en place, liste annexée au rapport de l'organisation précitée sur la progression de l'instauration des standards fiscaux internationaux.

« Ce taux est majoré à 0,5 % lorsque les transactions visées au I ont lieu avec des États classés par l'Organisation de coopération et de développement économiques dans la liste des pays ne s'étant pas engagés à mettre en place les normes fiscales de transparence et d'échange, liste annexée au rapport de l'organisation précitée sur la progression de l'instauration des standards fiscaux internationaux.

« Le taux applicable est modifié en loi de finances à chaque publication des listes par l'Organisation de coopération et de développement économiques. » ;

2° Le IV est abrogé.

La parole est à M. Thierry Foucaud, pour défendre l'amendement n° I-59.

M. Thierry Foucaud. Cet amendement est un amendement de repli par rapport à l'amendement n° I-76 et, certes, nous aurions préféré que le taux de 0,1 % que nous proposions dans ledit amendement soit retenu.

Cela étant, l'adoption de l'amendement que vient de présenter M. Cambon suffirait à marquer le fait que le Sénat, uni pour la première fois et je m'en félicite - je rappelle que, chaque année, nous avons déposé un amendement en ce sens, mais sans succès jusqu'à présent -, approuve l'institution de ce que l'on appelle communément la « taxe Tobin ».

La parole est à M. Yvon Collin, pour défendre l'amendement n° I-175 rectifié.

M. Yvon Collin. Cet amendement tend, lui aussi, à instaurer une taxe anti-spéculative au coeur de nos dispositifs fiscaux. Le groupe du RDSE est particulièrement attaché à cette mesure. J'avais d'ailleurs déposé, au nom de mon groupe, une proposition de loi sur ce sujet, examinée en séance publique le 23 juin 2010. Les débats de qualité qui s'étaient alors tenus n'avaient malheureusement pas permis son adoption : il nous avait été objecté que notre idée était excellente, mais qu'elle arrivait trop tôt.

Cependant, mes chers collègues, comme vous avez pu l'observer nous sommes particulièrement tenaces et persévérants (Sourires) . Aussi avons-nous eu la satisfaction d'assister à l'adoption de cette même taxe par le Sénat, la semaine dernière, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Certes, cette satisfaction fut de courte durée - cela arrive souvent ! (Nouveaux sourires) -, l'Assemblée nationale ayant rejeté l'article 10 AE que nous avions inséré.

C'est pourquoi nous réitérons cette proposition de taxe sur les transactions financières qui nous paraît toujours pertinente et d'autant plus impérieuse que, depuis la crise des subprimes de 2008, tout le monde s'accorde à reconnaître la nécessité de réglementer le système financier.

Ainsi, la moralisation des marchés était au menu du sommet du G20 de Londres au mois d'avril 2009. Le G20 qui s'est déroulé à Pittsburgh quelques mois plus tard a même arrêté le principe d'une taxation spécifique sur certains types de transactions financières. Dois-je aussi rappeler que le Président de la République a déclaré, à Cannes, lors de la conférence de presse du 3 novembre dernier, que l'instauration d'une taxe sur les transactions financières était « foncièrement indispensable » et « moralement incontournable » ? Et bien, qu'attendons-nous pour la mettre en oeuvre ? C'est une question d'intérêt général !

Nous réfutons par avance l'argument selon lequel il ne faudrait pas faire cavalier seul au prétexte que cela handicaperait notre place financière. Il semble bien plutôt que ce soit l'immobilisme à l'égard des marchés et de leurs pratiques dénuées d'éthique qui nous a conduits dans l'impasse économique actuelle !

Nous devons par ailleurs affirmer notre souveraineté fiscale sans crainte. Souvenons-nous - Christian Cambon l'a excellemment rappelé - que la taxe sur les billets d'avion instaurée en 2006 devait conduire les compagnies aériennes et les plates-formes aéroportuaires françaises au désastre. Or une vingtaine de pays l'ont finalement adoptée !

Soyons courageux et précurseurs et introduisons une petite viscosité dans les mouvements internationaux de capitaux afin de renforcer la responsabilité des acteurs financiers ! Dans le cadre qui nous occupe aujourd'hui, cette mesure rapporterait 11 milliards d'euros, qui seraient bien utiles pour alimenter le budget de l'État.

C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter cet amendement. Je crois pouvoir affirmer que Mme la rapporteure générale sera sensible à cette initiative, qui témoigne du même état d'esprit que celui qui est à l'origine de l'intelligente taxe sur les transactions automatisées adoptée vendredi soir.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Lors de ses travaux, la commission a émis un avis favorable sur l'ensemble de ces amendements en discussion commune, y compris sur l'amendement n° I-169, présenté par Mme Keller et Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, qui n'a pas été défendu. Je m'étais alors engagée à proposer un amendement de synthèse qui tienne compte de l'ensemble des propositions émises en termes d'assiette, de taux et d'entrée en vigueur. En effet, il faut noter qu'une position consensuelle du Sénat se dégage sur ce sujet, au moment où tout le monde appelle de ses voeux cette taxe sur les transactions financières.

Je remercie Christian Cambon et Yvon Collin d'avoir souligné que le groupe socialiste du Sénat a voté en son temps la taxe sur les billets d'avion. Je le rappelle également chaque fois que l'occasion m'en est donnée.

Les amendements n os I-76, I-122 et I-148 tendent à prévoir une même assiette, large. Il s'agit de soumettre l'ensemble des transactions financières, englobant toutes les transactions boursières et non boursières, titres, obligations, et produits dérivés, de même que toutes les transactions sur le marché des changes, à cette taxe assise sur leur montant brut. J'ai retenu cette proposition pour l'amendement de la commission.

Quelques points de divergence sont à noter en ce qui concerne le taux. Ainsi, l'amendement n° I-76 fixe celui-ci à 0,1 %, l'amendement n° I-122 et les amendements identiques n os I-59 et I-175 rectifié à 0,05 %. Quant à l'amendement n° I-148, il tend à laisser au pouvoir réglementaire le soin de décider du taux de la taxe, dans la limite de 0,05 %. À l'instar de Christian Cambon, j'insiste sur le fait qu'il doit s'agir d'un taux faible. Je ne suis pas en mesure d'estimer le produit escompté - 11 milliards d'euros ou 12 milliards d'euros -, mais il sera certainement intéressant.

Dans un entretien qu'il a récemment accordé à un journal du soir français, le ministre fédéral des finances de l'Allemagne, M. Schäuble - ce n'est pas un plaisantin, loin s'en faut ! (Sourires) Il est très respecté dans le milieu des affaires économiques et financières et son avis compte -, M. Schäuble, disais-je, pour appuyer cette initiative, a établi un parallèle que je veux rappeler, car on n'y pense pas souvent. Personne ne conteste la TVA, qui est un impôt communautaire, même si des adaptations sont possibles selon les États membres : cette taxe sur la consommation est admise. Dans ces conditions, pourquoi n'existe-t-il pas de taxe sur les transactions financières ? Cette comparaison est un appel à la raison.

La proposition d'une taxe à large assiette et à taux faible me semble raisonnable dans la mesure où la Commission européenne a proposé le 28 septembre dernier une taxe sur les transactions financières dont les taux minimaux seraient de 0,1 % pour les actions et les obligations et de 0,01 % pour les produits dérivés.

Le taux de 0,05 % n'émerge donc pas d'une génération spontanée : il s'agit d'une médiane acceptable dans la fourchette que fixe la Commission européenne. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, dans trois des amendements en discussion commune, c'est ce taux qui est prévu. En outre, il n'est pas nécessaire de fixer un plafond. Pour poursuivre le parallèle, je rappelle que le taux de TVA le plus réduit est de 2,1 % et s'applique à un certain nombre de produits, notamment culturels.

J'en viens à la date d'entrée en vigueur de ces dispositions. Malgré l'impatience qui se manifeste depuis qu'il est question de cette arlésienne, mes chers collègues, je vous propose de vous rallier à la position de la commission des affaires étrangères et de différer sa mise en oeuvre au 1 er juillet 2012.

En effet, la proposition de la Commission européenne est soutenue par de nombreux pays européens, à commencer par la France et l'Allemagne. Il faut lui laisser une chance d'aboutir car, nous le savons, plus nous serons nombreux, plus nous serons forts.

Six mois paraît un délai à la fois suffisamment lointain pour discuter sereinement et efficacement avec nos partenaires et suffisamment proche pour ne pas nous priver trop longtemps d'une taxe sur les transactions financières, si les négociateurs devaient échouer.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, tel est donc le dispositif que je propose au nom de la commission, par l'intermédiaire de cet amendement de synthèse sur lequel je demande la priorité.

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° I-206, présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, et ainsi libellé :

Après l'article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° L'intitulé de la section XX du chapitre III du titre premier de la première partie du livre premier est ainsi rédigé :

« Taxe sur les transactions financières ;

2° L'article 235 ter ZD est ainsi rédigé :

« Art. 235 ter ZD . - I. - L'ensemble des transactions financières, englobant toutes les transactions boursières et non boursières, titres, obligations, et produits dérivés, de même que toutes les transactions sur le marché des changes, sont soumises à une taxe assise sur leur montant brut.

« II. - Le taux de la taxe est fixé à 0,05 %.

« III. - La taxe est due par les établissements de crédit, les institutions et les services mentionnés à l'article L. 518-1 du code monétaire et financier, les entreprises d'investissement visées à l'article L. 531-4 du même code et par les personnes physiques ou morales visées à l'article L. 524-1 du même code. Elle n'est pas due par la Banque de France et par le Trésor public.

« IV. - La taxe est établie, liquidée et recouvrée sous les mêmes garanties et sanctions que le prélèvement mentionné à l'article 125 A du présent code. »

II. - Le présent article entre en vigueur à compter du 1 er juillet 2012.

Il n'y a pas d'opposition à la demande de priorité formulée par la commission ?...

La priorité est ordonnée.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à rappeler l'action et la détermination du Gouvernement et du Président de la République pour faire avancer ce dossier important sur la scène internationale.

Le 27 juillet 2011, le Président de la République et la Chancelière Angela Merkel ont réaffirmé leur volonté commune d'avancer rapidement sur ce sujet. À la mi-septembre, mon collègue François Baroin et son homologue allemand ont adressé une proposition précise à la Commission européenne. À la fin de ce même mois, la Commission européenne a présenté un projet de directive inspiré de l'initiative franco-allemande, qui a fait l'objet d'un premier examen en conseil Ecofin à la fin du mois d'octobre.

Lors du dernier « G20 finances », qui s'est tenu à Cannes les 3 et 4 novembre 2011, on a pu observer non seulement l'intérêt de certains États non-européens, notamment le Brésil et l'Argentine, pour cette taxe, mais aussi, pour la première fois, un mouvement positif de la part des États-Unis, le Président Obama n'ayant pas exclu l'idée d'une contribution spécifique du monde financier. Il s'agit là d'une avancée diplomatique majeure et sans précédent, obtenue grâce à l'engagement fort du Président de la République et de Mme Merkel.

Cette taxe sur les transactions financières n'a jamais été aussi proche d'une mise en oeuvre effective à l'échelle internationale. Je précise d'ailleurs que les propositions formulées portent sur une assiette large visant l'ensemble des transactions, y compris les transactions sur les produits dérivés, et non les seules transactions automatisées.

Dans ce contexte, je le dis solennellement, le Gouvernement comprend et partage l'impatience des sénateurs, de l'opposition comme de la majorité. Pour autant, chacun doit avoir conscience qu'il serait contreproductif pour la France de mettre en place une telle taxe de manière isolée. Loin de lutter contre la spéculation, cette initiative pénaliserait la place financière de Paris et, avec elle, les entreprises qui se financent sur le marché français, sans aucun effet positif de régulation des marchés. Les transactions ne feraient que se déplacer.

Faire cavalier seul serait donc peu réaliste et irait à l'encontre de la démarche engagée sur la scène internationale comme à l'échelon européen, au moment même où celle-ci commence à produire des résultats tangibles. Au lieu de contribuer à faire avancer ce dossier, l'instauration d'une taxe unilatérale lesterait la France d'un boulet préjudiciable à sa capacité de convaincre ses partenaires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur la volonté du Gouvernement pour oeuvrer à l'instauration de cette taxe. Nous n'avons d'ailleurs fait que cela toutes ces dernières années.

Madame la rapporteure générale, je tiens à vous remercier de l'excellent travail que vous avez fourni en proposant cet amendement consensuel, qui traduit la volonté de l'ensemble des sénateurs. Je dois dire qu'il est d'un précieux soutien pour le pouvoir exécutif qui a la charge de la négociation internationale.

Je suis convaincu que, forts de l'appui du Sénat tout entier, le Président de la République et le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ainsi que nos homologues allemands continueront à plaider avec insistance auprès de la Commission européenne pour que nous parvenions à un texte européen.

Pour toutes ces raisons le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. (Sourires ironiques sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Je le rappelle, ces négociations à l'échelle de l'Union européenne incombent au pouvoir exécutif. Nous allons avancer sur un texte européen ; cette idée est en train de prendre forme chez nos partenaires. En attendant, de grâce, évitons un geste isolé qui serait contre-productif à la fois pour notre place financière et pour ce combat que nous menons avec conviction !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mes chers collègues, il faut se réjouir de vivre de tels moments de consensus (Exclamations amusées sur toutes les travées.) ,...

M. Jacky Le Menn. C'est fusionnel !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. ... d'entendre le secrétaire d'État, représentant le Gouvernement de François Fillon, remercier Mme la rapporteure générale, désignée par la nouvelle majorité sénatoriale, d'avoir bien oeuvré à un travail de synthèse.

M. Jean-Pierre Caffet. C'est la nuit du 4 août !

M. Jacky Le Menn. Tout arrive !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez expliqué que ce dossier cheminait, que ce combat avançait. Toutefois, je souhaiterais, d'une part, vous dire qu'à titre personnel je voterai ce texte de consensus et, d'autre part, vous demander de nous indiquer comment et dans quel cadre juridique cette idée peut progresser, au sein de l'Union européenne en premier lieu.

S'agissant d'un élément de la fiscalité, l'unanimité est-elle indispensable ? C'est une question qu'il convient de traiter en toute lucidité.

Je voudrais dire ensuite que, mon oeil ayant été attiré par le compte rendu d'une récente visite à Londres de Mme la Chancelière Angela Merkel, j'ai cru lire, rédigé en termes très positifs, comme il se doit, et évidemment très courtois, que le gouvernement britannique n'était pas encore exactement sur la même longueur d'onde, si j'ose m'exprimer ainsi, que la France et l'Allemagne, en ce qui concerne la taxation des transactions financières.

Il serait utile que vous puissiez nous dire, en connaisseur des stratégies qui se déploient sur notre continent et sur le pourtour de celui-ci, comment vous voyez l'évolution de cette dialectique.

Enfin, dans une dimension transatlantique, comment envisagez-vous l'évolution du débat avec les États-Unis ?

En d'autres termes, et même si notre consensus est, en soi, un fait politique significatif, peut-on imaginer une telle taxation, à vocation globale et mondiale, qui ne s'appliquerait pas sur les deux places financières les plus importantes du monde, à savoir New York et Londres ?

Pour qu'en toute lucidité nous puissions faire notre travail de pédagogie vis-à-vis de celles et ceux qui, peut-être, nous écoutent ou nous liront, il est important que vous nous disiez où en est exactement cette question.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'État, j'aurai du mal à admettre que cet amendement est contre-productif - c'est le terme que vous avez utilisé - par rapport à l'objectif recherché. J'ai peine à imaginer que le Sénat fasse un travail improductif, lui qui a prouvé, dans le passé, qu'il était capable d'innover et de proposer des solutions faisant consensus. À cet égard, je rends hommage à l'ancienne majorité, notamment à l'esprit d'innovation dont a su faire preuve, en maintes occasions, celui qui occupait alors la fonction de rapporteur général.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Merci !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il y a une forte demande émanant de toutes les travées et il me semble, j'en suis même sûre, que, si le Sénat adopte la solution de compromis que j'ai proposée, elle donnera du poids à la position de la France. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

La date du 1 er juillet laisse quand même aux négociateurs le temps d'avancer !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Madame la rapporteure générale, j'ai l'impression que mon exercice de pédagogie est vain, puisque vous semblez avoir pris votre décision.

D'abord, je voudrais vous dire que contre-productif ne veut pas dire improductif. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes engagés dans une négociation internationale. Le cas de cette taxe sur les transactions financières est le même que celui de la fameuse taxe carbone. De même qu'on ne peut pas créer seuls une taxe carbone, on ne peut pas légiférer tout seuls sur la finance mondiale.

Madame la rapporteure générale, je conçois que le Sénat envoie un signal unanime, pour dire que la Haute Assemblée de la République française pense que la taxation des transactions financières est nécessaire. Mais ce signal sera aussi bien envoyé si l'amendement est retiré, dans la mesure où le Gouvernement a pris bonne note de votre résolution commune. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

Je vous en ai même remercié, madame. Et ce n'est pas par pure politesse, c'est parce que le soutien de l'ensemble des groupes sur un tel sujet renforce l'exécutif dans la négociation internationale.

J'aurai un mot de pédagogie à l'adresse de M. le président de la commission des finances. Nous négocions en Europe à vingt-sept, mais également dans le cadre du G20. Comme vous l'avez dit vous-même, il faut que l'ensemble des places financières européennes soient sur la même ligne, pour qu'ensuite nous arrivions à convaincre la place de New York, puis les places asiatiques. C'est la seule condition pour que tout cela ait un sens.

Il n'est pas imaginable que certains pays taxent les transactions financières, d'autres pas. À l'âge des transactions automatisées, nous assisterions à un déplacement immédiat des transactions vers des endroits libres de taxes, phénomène que nous connaissons dans bien d'autres domaines, tels que l'environnement ou la fiscalité sur le marché de l'art. Chaque fois que l'on taxe un endroit de manière isolée, il en résulte une « déviation de trafic ».

Est-ce cela que nous voulons ?

Le Gouvernement remercie donc le Sénat de le soutenir dans son action, qu'il mène d'arrache-pied avec l'Allemagne. Nos deux pays sont en train de réunir petit à petit un consensus en Europe, mais également au sein du G20 depuis le sommet de Cannes.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Avec les Anglais ?

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Avec les Anglais et les Américains, la démarche est progressive, mais la situation est aujourd'hui très différente de ce qu'elle était y a un an ou deux. Avant la crise, aucune de ces puissances ne voulait entendre parler d'une taxation sur les transactions financières. Nous sommes en train de voir le curseur évoluer...

Je me permets simplement de vous demander de réfléchir aux conséquences qu'il y aurait à légiférer seuls sur un tel sujet. La mesure nuirait à la place financière de Paris, sans faire évoluer le consensus. Au contraire, elle serait de nature à raidir la position de certains pays, qui s'empresseraient naturellement de voter des résolutions allant exactement en sens inverse. Si nous voulons faire avancer cette idée, dans l'intérêt des pays du tiers-monde, essayons de le faire par consensus, par la négociation. Il n'est pas imaginable que le Sénat américain, le Sénat français ou la Chambre des Lords à Londres agissent de façon unilatérale en la matière. Si nous entrons dans ce schéma, nous n'arriverons à rien.

Telle est la position du Gouvernement, qui partage votre volonté d'avancer sur ce sujet. Il ne cesse d'y travailler et commence, je crois, à obtenir des résultats. Je sollicite donc, de nouveau, le retrait de cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.

Mme Chantal Jouanno. Il faut se réjouir de constater un tel oecuménisme sur les travées du Sénat !

Le principe de cette taxation des transactions financières - actions, obligations et, surtout, produits dérivés - a réellement été proposé, pour la première fois, à Copenhague, en 2009. Nous souhaitions alors trouver une source de financement dans l'objectif d'aider les pays africains à trouver des produits de substitution aux énergies fossiles et à s'adapter aux changements climatiques.

À l'époque, nous avions reçu, au mieux, d'aimables sourires, mais, en général, plutôt une fin de non-recevoir. Les négociations ont donc manifestement bien progressé. Sur le fond, il me semble qu'existe un accord assez unanime.

Sur la forme, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite dire, en préambule, que je n'accepte pas du tout la comparaison avec la contribution carbone. Mais c'est un autre débat, dans lequel j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer.

Cela dit, il est vrai que nous sommes en présence de transactions extrêmement volatiles, pouvant facilement se délocaliser. Aussi, même s'il est bon que le Sénat puisse s'exprimer de manière unanime pour soutenir le Gouvernement dans son action, nous sommes tous conscients qu'un tel vote n'aura pas, in fine, d'impact réel, puisque nous n'arriverons pas à mettre concrètement la taxe en place.

Je voudrais rappeler que nous avions soutenu ce projet de taxation sur les transactions financières dans l'idée que son produit serait affecté à la lutte contre les changements climatiques, à des plans d'adaptation et à l'aide au développement. Avec cet amendement, nous ne sommes pas dans la même logique puisque le produit de la taxe viendrait résorber le « trou » de nos finances publiques. Il ne s'agit donc pas du tout de la même approche.

Certes, le soutien unanime et officiel à cet amendement dans cet hémicycle est positif, quoique, à mon sens, une action séparée, mais concertée, de chaque groupe serait plus opportune. Quoi qu'il en soit, je le répète, nous ne sommes pas du tout dans la même logique que celle qui a présidé à l'action du Gouvernement, et qui consistait à instaurer une taxation sur les transactions financières pour en affecter le produit à des mesures spécifiques de lutte contre les changements climatiques ou d'aide au développement.

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. Je n'entrerai pas dans le débat sémantique sur la différence entre le contre-productif et l'improductif, mais je dois dire que j'ai quelque mal à comprendre le raisonnement de M. le secrétaire d'État. Peut-être est-ce parce que je maîtrise très mal les arcanes européens...

À mon sens, retirer cet amendement serait un aveu de faiblesse de la part du Sénat. Puisque nous sommes unanimes à soutenir cette taxation sur les transactions financières, pourquoi faire comme s'il s'agissait d'un amendement d'appel ?

Selon moi, dans la négociation qui sera menée, tant à l'échelon des ministres des finances que des chefs des exécutifs, la position française sera renforcée dès lors que s'exprimeront une volonté forte et une adhésion unanime du Sénat.

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.

M. Vincent Delahaye. La question de la taxation des transactions financières est un vieux serpent de mer de l'économie politique. Le principe est connu et ancien. Avant Tobin, Keynes se prononçait déjà en faveur d'une taxation du secteur financier, au lendemain du krach de 1929.

Tout a été dit sur cette taxe. On pensait qu'elle serait inapplicable, que tous les pays en première ligne de la finance internationale, les États-Unis et le Royaume-Uni principalement, n'y participeraient pas.

On pensait également que l'instauration d'une telle taxe ferait fuir les investisseurs et provoquerait d'importantes fuites de capitaux.

Au vu de son très faible taux, portant sur une économie virtuelle, on sait aujourd'hui que c'est faux. Philippe Douste-Blazy est bien parvenu à créer une taxe internationale sur les billets d'avion au profit de la lutte contre le sida et le paludisme.

Mme Nathalie Goulet. C'est Jacques Chirac !

M. Vincent Delahaye. Philippe Douste-Blazy en était à l'origine.

Depuis lors, le Président de la République a pris d'importants engagements et a joué récemment un rôle notoire en la matière. La coopération renforcée des nations européennes, notamment de la France et de l'Allemagne, lors des derniers sommets internationaux, a permis la naissance d'une proposition de directive communautaire sur la taxation des transactions financières.

Cette taxe devrait rapporter près de 57 milliards d'euros de recettes au profit des États membres et de l'Union européenne. Elle sera également un outil efficace pour freiner la spéculation.

Pour donner plus de poids et d'impact à la création de cette taxe, il semblerait préférable que nous laissions travailler d'abord la Commission européenne et le Parlement européen. Libre à nous, ensuite, de renforcer les dispositifs qui seront proposés.

Il est nécessaire que le Parlement français se prononce sur un tel projet. Aussi, je pense qu'il mérite davantage que de simples amendements d'appel, qui, même s'ils étaient adoptés, n'auraient aucune portée normative et, partant, aucun effet économique.

Le principe de la taxe fait, je pense, l'objet d'un consensus sur toutes les travées de notre assemblée. Agissons en la matière avec volontarisme, mais sans prendre de position unilatérale précipitée.

Pour toutes ces raisons, bien que favorable, sur le fond, à la création de cette taxe, la majorité des sénateurs du groupe de l'UCR s'abstiendront.

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.

M. Robert del Picchia. Monsieur le secrétaire d'État, m'exprimant au nom du groupe UMP, je tiens à vous dire que vous nous avez totalement convaincus !

M. Richard Yung. Ah !

M. Robert del Picchia. Mais c'est la réalité, et chacun s'exprime comme il l'entend !

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez prononcé des paroles sensées, auxquelles j'ai été sensible. Je vous suis d'ailleurs très reconnaissant de nous avoir informés, dans le détail, sur tout ce qui s'est passé.

Mes chers collègues, nous sommes, bien sûr, tous d'accord sur le principe. Si, d'aventure, il se trouvait quelqu'un, dans cet hémicycle, pour s'y opposer, qu'il se lève et qu'il se manifeste maintenant, pour reprendre la formule prononcée lors d'un mariage à la mairie. Oui, cette taxe doit être appliquée un jour, car l'idée est louable, moralement juste, incontournable même ; les qualificatifs manquent pour la décrire !

Sur le fond, cependant, elle pose de vrais problèmes, techniques mais aussi politiques et diplomatiques au niveau européen.

À la demande du Président de la République, ai-je besoin de le rappeler, le Gouvernement a décidé de pousser le projet de taxation des transactions financières dans un cadre franco-allemand. Cette initiative a abouti à une proposition commune, détaillée, adressée par les deux ministères français et allemand à la Commission européenne, laquelle l'a fait largement sienne.

Cela a été dit, la question a commencé d'être débattue au sein du conseil pour les affaires économiques et financières ainsi que dans d'autres enceintes spécialisées. Toutefois, rien n'est acté.

Dès lors, pourquoi vouloir faire « cavalier seul », pour reprendre une expression entendue ici même à plusieurs reprises cet après-midi ? Créer une taxe nationale sur les transactions financières, juridiquement différente de celle qui est défendue par la Commission européenne, et, disons-le, techniquement irréalisable, ne peut qu'être contre-productif, compte tenu du travail diplomatique mené actuellement au plus haut niveau pour parvenir à un consensus sur le sujet. Ce serait une décision inopportune en l'état des négociations en cours.

Si nous sommes unanimes à dire qu'une telle taxe doit voir le jour, cela ne pourra se faire, à notre sens, que dans le cadre d'une résolution européenne, après un travail coordonné.

C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera contre l'amendement n° I-206, non pas en raison d'un désaccord sur le fond, mais parce qu'il traduit une trop grande précipitation.

Mes chers collègues, si vous voulez vraiment inscrire le principe de cette taxe dans la loi, faites-le au moins en concertation avec nos homologues allemands pour obtenir un vote commun avec le Bundestag. Norbert Lammert s'est d'ailleurs dit prêt à discuter avec nous de tous les volets relatifs à l'adoption d'une taxe franco-allemande.

Aujourd'hui, prendre une telle initiative, non concertée, me semble malvenu.

Toutefois, je me réjouis de constater l'adhésion, quasi unanime sur toutes les travées, à la proposition du Président de la République. Je ne doute pas que, lorsque le texte finalisé arrivera dans cet hémicycle, nous le voterons tous, comme ce fut le cas pour la taxe sur les billets d'avions.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.

Mme Marie-Christine Blandin. Les écologistes se félicitent du consensus qui se dégage, sur le fond, en faveur de la création d'une taxe sur les transactions financières, même si des divergences s'expriment sur la définition de l'assiette et la fixation du taux. Ils se réjouissent également du refus opposé par certains de retirer leur amendement.

Cette taxe a un vécu, qu'ont rappelé de nombreux collègues, depuis que des économistes l'ont proposée et chiffrée. Elle a aussi une histoire politique : elle fut formalisée par le groupe des Verts au Parlement européen, au cours de la mandature 1999-2004. À l'époque, tout le monde était contre, sauf nous : quel plaisir, aujourd'hui, de vous voir tous d'accord, et je le dis sincèrement !

Le débat sert à le rappeler, le terme « transactions » englobe non seulement, certes, des actes de commerce, mais aussi toutes ces spéculations destructrices de l'économie réelle, de l'emploi et de l'environnement. Nous avons solennellement besoin, aujourd'hui, que l'autonomie propre aux arbitrages du Parlement français pèse dans le bon sens.

Nous entendons les arguments, ô combien traditionnels, avancés par M. le secrétaire d'État et une partie de la majorité, soulignant la nécessité de nous accorder, d'abord, aux niveaux européen et mondial. Mais ce même discours nous fut déjà servi en maintes occasions, pour les bombes à fragmentation, les mines antipersonnel, le droit des enfants, les lois sociales, les normes environnementales. (M. Jean-Claude Frécon approuve.)

Nous n'avons pas fait du dumping en nous alignant sur les positions les plus frileuses. Le Parlement français a dit ce qu'il voulait. C'est ce qu'il doit continuer à faire aujourd'hui.

Nous objecter la nécessité d'une démarche internationale préalable, c'est faire preuve, non de pragmatisme, mais de frilosité. Selon nous, écologistes, il faut avoir le courage du premier pas parlementaire. C'est pourquoi nous soutenons cet amendement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. - M. François Fortassin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Monsieur le secrétaire d'État, je me suis moi-même retrouvé dans plusieurs des questions qu'a posées M. le président de la commission des finances. Il y a en effet beaucoup à dire, notamment sur l'attitude des Britanniques et des Américains, qui, c'est vrai, constitue une donnée importante du problème. Or vous n'y avez pas apporté, dans votre réponse, de lumières particulières.

Il ne faut pas être grand clerc pour saisir la réalité : la position du Royaume-Uni est, pour l'instant, hostile, et il n'est pas dit, à court terme en tout cas, qu'elle change.

Dès lors que la situation s'éclaircit, l'argument du consensus prend tout son sens : c'est, en fait, une manière de repousser le problème aux calendes grecques, puisqu'il n'y aura pas, pour d'évidentes raisons, d'accord avec nos amis britanniques. Encore que, pour les bien connaître, nous savons qu'ils sont toujours contre, jusqu'au moment où ils sont pour ! (Sourires.) Mais tout cela prendra du temps.

Cela fait maintenant une vingtaine d'années qu'une telle taxe est évoquée. Le dispositif proposé dans l'amendement est peut-être imparfait, notamment en ce qu'il ne cible que les transactions financières licites, connues, déclarées. Ces dernières, nous en sommes tous conscients, ne forment que la « partie émergée de l'iceberg », bien minime par rapport aux dizaines de milliers de milliards d'euros brassés par ailleurs dans tous les sens entre les différents paradis fiscaux, soit autant d'argent qui, par définition, ne sera pas pris en compte dans l'assiette de cette taxe.

L'adoption de l'amendement aurait tout de même le mérite d'avancer sur ce sujet et de préciser notre objectif.

Je sais d'expérience qu'il vaut toujours mieux avoir fixé la position française avant de nous engager dans les discussions au niveau communautaire. Nous ne sommes pas en position de force, mais au moins nos partenaires connaissent-ils clairement nos convictions, ce qui les contraint à se définir en conséquence. C'est vrai ici comme dans tous les domaines, social, fiscal, financier, etc.

Cher Robert del Picchia, nous avions réussi à dégager un consensus, vous venez, à notre grand regret, de le faire voler en éclats !

M. Robert del Picchia. Ce n'est pas moi qui ai commencé !

M. Richard Yung. Nous serons donc unitaires pour deux !

Mme Michèle André. Nous y arriverons !

M. Richard Yung. En adoptant l'amendement n° I-206, le Sénat français enverrait un message fort, clair, digne de notre République, non seulement à nos concitoyens, mais aussi à nos amis allemands et à l'Europe tout entière. Comment pouvez-vous nous reprocher de faire notre travail de parlementaire ? Retirer cet amendement ? Ce serait le pire des aveux de faiblesse, une véritable débâcle !

À mon sens, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le vote est clair.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Yung, avec toute l'amitié que je vous porte - je vous connais bien, notamment depuis que j'ai occupé, au sein d'un précédent gouvernement, les fonctions de secrétaire d'État chargé des affaires européennes -, je veux vous rappeler que la position de la France, sur ce sujet, est d'ores et déjà fixée, indépendamment de celle que va prendre le Sénat aujourd'hui. Sur ce sujet, nous ne cessons d'avancer, et c'est tout le sens de mon propos.

S'il s'agit, par cet amendement, comme vous venez de le dire vous-même, d'envoyer un message aux Britanniques ou à la Commission de Bruxelles, qui est en train de préparer un texte commun, utilisez plutôt l'outil que la Constitution a prévu pour ce faire, c'est-à-dire l'article 88-4, lequel reconnaît aux deux chambres du Parlement un pouvoir de résolution, donc la possibilité de s'adresser directement aux institutions européennes sur un acte européen.

Nous attendons un texte de la Commission, demandé conjointement par la France et l'Allemagne. Vous voulez anticiper en vous inscrivant dans le cadre de la loi de finances. Le Sénat est souverain, cela va sans dire, mais, de mon point de vue, les problématiques relatives aux impôts et taxes affectés au budget sont tout de même assez éloignées de l'aide aux pays en voie de développement.

Monsieur Yung, je le répète, s'il s'agit de fixer la position française, elle l'est déjà ; s'il s'agit d'envoyer un message, ce n'est pas le bon moyen et je vous renvoie à l'article 88-4 de la Constitution.

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.

M. François Marc. Nous pouvons nous réjouir que Mme la rapporteure générale de la commission des finances ait pris l'initiative de nous proposer un amendement de synthèse regroupant les propositions émanant des différents groupes.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. Pas exactement !

M. François Marc. Au fond, une telle proposition, qui a été implicitement validée par la commission, va constituer, si nous en décidons ainsi, un acte fort du Sénat. C'est tout à l'honneur de la commission des finances et de Mme la rapporteure générale d'avoir fait cette démarche.

D'aucuns nous disent, monsieur le secrétaire d'État, que le fait de procéder ainsi pourrait nuire à la position de la France. Notre objectif est clair : donner une suite aux attentes exprimées par nos concitoyens, c'est-à-dire refuser que les marchés, notamment financiers, puissent dicter la conduite à tenir à l'ensemble des dirigeants de la planète, redonner la primauté au politique, car c'est lui qui doit être aux manettes.

Dès lors, il nous revient de définir des indications et des orientations suffisamment précises pour permettre justement aux marchés de s'organiser en conséquence.

Monsieur le secrétaire d'État, en quoi le vote que nous nous apprêtons, semble-t-il, à émettre pourrait-il nuire à nos relations avec nos partenaires européens ou du G20 ?

Je ferai observer que le Parlement européen a adopté, le 8 mars 2011, une résolution sur le financement innovant à l'échelon européen et mondial. Cette orientation vaut pour l'ensemble de l'Europe. Or nous nous inscrivons tout à fait dans ce cadre. Comment pourrions-nous nuire à notre pays au sein de l'Union européenne en appuyant cette démarche commune, validée par les parlementaires européens ?

Je ferai le même commentaire pour ce qui est du G20. À l'issue du sommet de Cannes, j'ai regardé avec attention, dans la petite lucarne, la conférence de presse conjointe de « Nicolas et de Barack », puisque c'est ainsi que les journalistes les présentaient et qu'eux-mêmes s'appelaient en se congratulant. Nicolas nous a bien dit en substance : « Nous avons le projet de créer une taxe sur les transactions financières, que mon ami Barack et moi-même avons l'intention de mettre en musique au niveau international. »

Dès lors que le Président de la République a annoncé son objectif à la télévision, devant tous nos concitoyens, je ne vois pas en quoi notre vote risquerait de gêner sa démarche. Au contraire, nous allons contribuer à la renforcer !

Avec la proposition de la commission des finances du Sénat, nous avons, aujourd'hui, un outil de nature à asseoir la primauté du politique sur les marchés. Elle traduit une ambition forte, que nous avons maintes fois débattue et soutenue ici, comme nous venons encore de le faire à l'instant. Surtout, nous entendons aujourd'hui, à l'échelle de notre pays, alors que la situation est grave et le contexte difficile, affirmer une volonté politique et insister sur la nécessité d'agir.

Tel est, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'objet de cet amendement, que nous avons tout intérêt à adopter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. - M. François Fortassin applaudit également.)

M. Richard Yung. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je suis assez gêné par ces amendements. Ce n'est pas le fond qui me pose un problème, car je suis totalement favorable à la taxe sur les transactions financières. Il y a quelques semaines, dans d'autres fonctions, celles que j'exerçais à l'époque où j'avais l'honneur de représenter la France à l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, j'ai défendu la taxe sur les transactions financières devant les trente-trois autres membres de l'Organisation. Parlons franchement, je n'ai été soutenu que par trois, quatre pays, au maximum, sur les trente-trois.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ce n'est pas si mal ! Vous n'avez pas prêché dans le désert !

M. Roger Karoutchi. Je le reconnais bien volontiers, ce n'est déjà pas mal !

Ce que j'ai surtout retenu, c'est l'idée assez fortement exprimée par certains des membres de l'OCDE, selon laquelle la France ne pouvait pas, sans un accord avec ses partenaires, décider seule.

Je suis parfaitement d'accord sur la nécessité d'affirmer la suprématie des élus, des politiques, sur les marchés financiers. Et j'approuverai d'ailleurs des reprises en main dans d'autres secteurs. Mais la question qui se pose est de savoir si le fait de voter cet amendement ce soir apportera quelque chose ou non !

Je m'explique : imaginons que le Gouvernement ne s'oppose pas à l'amendement voté aujourd'hui au Sénat. Il sera ensuite adopté par l'Assemblée nationale et pourra entrer en application. Mais, tant que la négociation internationale n'aura pas avancé, il s'appliquera en France, et en France seulement.

Ceux qui établissent une comparaison avec la taxe sur les billets d'avion oublient que celle-ci n'avait pas la même portée. Sur le marché aérien, les usagers sont, en quelque sorte, captifs : ils sont bien obligés de prendre l'avion et ils ne vont pas changer d'aéroport ; ils ne vont pas aller à Bruxelles alors que leur avion part de Roissy !

Par conséquent, c'est une erreur de se référer à la taxe sur les billets d'avion. Cette taxe-là, on savait que, en tout état de cause, son assiette demeurerait. Alors que, dans un monde où tout est informatisé, le vote à Paris d'une taxe sur les transactions financières peut provoquer un déplacement des transactions financières vers d'autres capitales.

Ecoutez, nous vivons tout de même une situation absolument étonnante ! Aujourd'hui, le Sénat, l'Assemblée nationale, le Gouvernement, le Président de la République sont, à quelque chose près, tous d'accord sur la mise en place de cette taxe. Et, s'ils sont d'accord, c'est parce que le Président de la République conduit cette négociation et la conduit bien.

Finalement, quelle image allons-nous donner si nous votons l'amendement ? Le Gouvernement sera contraint de le faire retirer à l'Assemblée nationale car, faute d'avancées de la négociation internationale, la taxe ne pourra s'appliquer qu'en France. Nous donnerons alors sur la scène internationale l'impression qu'il y a un hiatus entre le Parlement et le Gouvernement.

En revanche, le vote d'une résolution du Sénat pour demander la mise en oeuvre de cette taxe aurait constitué un appel public, politique et parlementaire ; nous aurions pu d'ailleurs le transmettre aux autres parlements d'Europe et du monde.

Je le répète, mettre en difficulté le Gouvernement français dans la négociation internationale ne va pas dans le sens de notre intérêt général, lequel transcende les clivages politiques.

Je suis pour la transaction et, si je savais que les autres pays étaient partants, je voterais sans la moindre difficulté l'amendement de Mme le rapporteur général. Mais je pense qu'en l'état actuel des choses il vaut mieux s'abstenir, si l'on ne veut pas mettre le Gouvernement français dans une situation compliquée.

M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, pour explication de vote.

M. Yann Gaillard. J'ai trouvé ce débat absolument merveilleux ! Il y a eu une sorte d'unanimité morale à l'intérieur de notre assemblée après les renversements de majorité que nous avons connus et qui sont un très grand souvenir pour nous tous !

Reste le problème - je ne suis pas un spécialiste - de la conséquence possible sur les négociations d'un amendement voté dans une chambre et pas forcément dans les deux.

En tout cas, si nous reculons, après tout ce que nous avons dit, après toutes les belles paroles que nous avons répandues, je crains que nous ne confortions pas la position française. Or celle-ci mérite d'être confortée ! On peut considérer qu'elle le sera si le Sénat, lui-même, vote l'amendement. Il y a tout de même des moyens de faire en sorte que cet amendement ne soit pas adopté à l'Assemblée nationale avant l'issue de la négociation !

En conséquence, je ne peux pas partager tout à fait la position exprimée par le représentant de mon groupe, que j'estime beaucoup par ailleurs.

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, rapporteur pour avis.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. Je souhaiterais m'exprimer en tant que co-rapporteur de l'aide au développement pour dire que je regrette un peu, madame le rapporteur général, la méthode qui a été la vôtre même si j'ai été très sensible aux propos que vous avez tenus.

Je souhaite revenir sur l'approche de la commission des affaires étrangères et rendre hommage au président Carrère, qui a souhaité instaurer ce doublon de rapporteurs de tendances différentes. En l'occurrence, sur ce sujet, cela a son importance. Conscient que cette pratique n'est pas suivie dans toutes les commissions, je suis heureux de la souligner en l'occurrence.

Sur le fond, la commission des affaires étrangères a suivi deux priorités.

La première était d'accompagner le travail formidable du Président de la République et du Gouvernement dans ce domaine, travail qui a été reconnu sur toutes les travées. Cela a été l'un des éléments forts du G20. Nous avons donc voulu donner un sens à notre engagement sur ce sujet.

Notre seconde priorité était de prendre en considération le fait que, comme M. le secrétaire d'État l'a rappelé tout à l'heure, le Gouvernement était en négociation et qu'il était nécessaire de laisser la main à la négociation. C'est la raison pour laquelle nous proposions, dans notre amendement, non pas un taux fixe, mais un plafond de 0,05 %. La précision a son importance. En effet, pour ne pas bloquer le jeu au niveau européen, pour inciter d'autres pays à nous rejoindre et à nous suivre, peut-être était-il nécessaire, dans un premier temps, de choisir un taux inférieur à 0,05 %.

Telles sont les raisons pour lesquelles, sans me retrouver exactement dans la position de mon collègue et ami Robert del Picchia, je ne pourrai pas non plus, à mon grand regret, en tant que co-rapporteur de l'aide au développement, voter votre amendement, madame le rapporteur général, même si je suis convaincu de la nécessité pour notre assemblée de faire un pas.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je serai brève car tout le monde s'est déjà exprimé et je ne veux pas retarder les débats.

Ce qu'un citoyen normal va retenir de nos débats, c'est que nous ne voulons pas taxer les transactions financières.

Or je reviens de ma Normandie, où nous avons manifesté contre 350 licenciements boursiers à Condé-sur-Noireau. Nous recevons tous des demandes d'explications de personnes qui ont été très frappés par les manipulations boursières et les diverses transactions qui s'opèrent.

Et ce que chacun retiendra de nos débats, c'est que le Sénat n'aura pas voulu taxer les transactions financières pour un objectif hautement louable... C'est la raison pour laquelle, moi, je voterai l'amendement de la commission. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

M. Thierry Foucaud. La droite sénatoriale a toujours traîné les pieds devant cette question de la taxe Tobin hormis, je le reconnais, notre collègue Yann Gaillard, dont je salue le courage pour le propos qu'il a tenu il y a un instant et qui lui fait honneur.

La droite sénatoriale, disais-je, a toujours traîné les pieds. Mais aujourd'hui, sa position est fonction de la prise de position du dernier G20 et du dernier Conseil européen, au cours desquels les questions fondamentales de la régulation, de la transparence et des recettes ont été posées.

Ce soir, on nous parle de l'Europe. Mais, monsieur le secrétaire d'État, il faut cesser de s'identifier à l'Europe et à la Commission européenne ! Nous sommes de grandes personnes, comme nous l'expliquaient, il y a un instant, Mme Goulet et M. Gaillard. Nous pouvons voter cette taxe.

Je voudrais d'ailleurs faire un rappel à l'intention de ceux qui refaisaient l'histoire. Sous les gouvernements successifs, qu'ils soient de gauche ou de droite, le groupe CRC a toujours posé cette question. Tous les ans, nous avons proposé la création de cette taxe avec un seuil au taux de 0,1 %. Aujourd'hui, nous acceptons un repli à 0,05 %.

En quoi, monsieur le secrétaire d'État, la parole et le vote des parlementaires seraient-ils gênants pour la mise en place de cette taxe Tobin ? Monsieur le secrétaire d'État, laissez voter les parlementaires !

Mme Catherine Procaccia. Il ne peut pas faire autrement ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Si j'ai bien compris, il y a, sur le fond des choses, une grande convergence et un consensus.

M. Yann Gaillard. Oui !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et ce consensus vise à soutenir les efforts du Président Nicolas Sarkozy dans la négociation. Il est susceptible d'être renforcé, dans sa position de négociation, par une expression aussi large que possible du Sénat.

Mme Chantal Jouanno. Une proposition de résolution serait préférable !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Quelle est la bonne procédure ?

M. Robert del Picchia. Une résolution !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nous sommes, il est vrai, dans la discussion d'un projet de loi de finances, mais, mes chers collègues, nous avons déjà voté beaucoup d'amendements dont nous savons qu'ils ne figureront pas dans le texte définitif de la loi de finances. Nous pouvons en tout cas le présumer, avertis que nous sommes du jeu normal des institutions et des majorités. Par conséquent, un amendement de plus, est-ce vraiment si grave ? (Rires sur diverses travées.)

Je ne pensais pas provoquer l'hilarité ! Mais, quoi qu'il en soit, ce sera vu de l'extérieur comme étant l'équivalent d'un voeu ou d'une résolution.

Mme Nathalie Goulet. Voilà !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C'est ainsi que j'interprète la démarche initiée par Mme la rapporteure générale.

Un aspect a été soulevé à juste titre par Chantal Jouanno tout à l'heure. C'est celui de l'affectation d'une éventuelle taxe mondiale. En effet, si l'on examine cette mesure en loi de finances, c'est bien que l'on suppose qu'elle puisse avoir une incidence sur nos finances publiques et sur la résorption de notre déficit.

Par ailleurs, s'il doit y avoir une convergence au niveau européen, voire au niveau mondial, ce sera sans doute aussi parce qu'un accord aura été trouvé sur des programmes d'intérêt commun au niveau international.

Sans doute est-il utile de réfléchir sur le fond à cette question, de trouver les bons arbitrages et de se demander, par exemple, quelles modifications cela induirait pour notre aide publique au développement, pour la charge qui en résulte sur nos finances publiques et sur le partage qui pourrait éventuellement intervenir entre notre pays et des initiatives multilatérales.

Bref - et M. le secrétaire d'État le sait bien - c'est une question très féconde qui, non seulement en termes de débat international et de négociations, mais aussi en termes de gouvernance des finances publiques, sera très certainement présente dans nos débats des années à venir.

Je trouve, pour ma part, que quelle que soit la forme que l'on utilise, le fait qu'il y ait un très large accord sur toutes les travées est une donnée politique vraiment très importante.

Mes chers collègues, je pense que nous avons, à cet égard, joué tout notre rôle.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je voudrais dire à ceux qui ont invoqué les mannes de Tobin et de Keynes que je laisse les morts reposer en paix, même si, je le sais bien, nous connaissons une crise financière très grave, profonde et durable.

Ce sujet est sur la table depuis dix ans, monsieur le secrétaire d'État ! L'Assemblée nationale avait en effet adopté en 2001, lors du vote de la loi de finances pour 2002, une taxe sur les transactions financières.

Je ne reprendrai pas les arguments qui ont été échangés dans ce débat nourri, et je crois que le fond et la forme se rejoignent.

Le Président de la République, avant même qu'il ne prononce le discours auquel a fait référence mon collègue et ami François Marc, avait évoqué une taxe « techniquement possible », « financièrement indispensable » et « moralement incontournable ».

Je crois que nous avons démontré, au travers de nos différents amendements, qu'il était techniquement possible de mettre en place une taxe sur les transactions financières. J'émettrai cependant un bémol sur les derniers mots : « moralement incontournable ». Je sais mal ce qu'est la morale en politique ; je sais en revanche que cette taxe est un choix politique majeur.

M. le secrétaire d'État nous a invités à utiliser l'article 88-4 de la Constitution. Nous l'avons fait à plusieurs reprises, la dernière fois à la fin du mois de juin dernier : une résolution portant sur les observations de la Commission européenne sur le programme de stabilité de la France, fondée sur cet article, avait été adoptée par le Sénat, sur l'initiative du président et du rapporteur général de la commission des finances de l'époque, MM. Arthuis et M. Marini.

Si nous n'avons pas utilisé l'article 88-4, ce n'est pas uniquement parce que nous avions l'opportunité de discuter de cette mesure lors de l'examen de la loi de finances, mais parce que le 14 juin 2011 - peut-être nos collègues n'y ont-ils pas été attentifs  - l'Assemblée nationale a adopté une proposition de résolution. Depuis cette date, les travaux de la Commission européenne ont avancé ; le délai que nous avons prévu lui permettra, me semble-t-il, de mener la négociation à son terme.

J'ajouterai, monsieur Cambon, que le taux retenu dans la proposition de résolution votée par l'Assemblée nationale est le même que celui qui est proposé dans l'amendement de synthèse de la commission des finances.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-206.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 5, et les amendements n os I-122, I-76, I-148, I-59 et I-175 rectifié deviennent sans objet.