M. Yvon COLLIN et Mme Fabienne KELLER

II. L'APD FRANÇAISE EN HAÏTI : UNE AIDE MULTIFORME

Proche par une langue et une histoire partagées, au voisinage des départements français d'Amérique (DFA), Haïti est lié à la France par des relations étroites d'amitié et de solidarité. Si les relations commerciales avec ce pays sont traditionnellement modestes, les relations politiques de haut niveau se renforcent par de nombreuses visites. Le Président de la République a effectué, le 17 février 2010, la première visite d'un chef de l'Etat français en Haïti, et a posé les bases d'un engagement durable en faveur de ce pays.

A. LA COOPÉRATION BILATÉRALE

Les actions de la coopération française bilatérale se sont considérablement développées depuis le départ du Président Aristide (2004)
- et la tenue d'élections libres - puis l'arrivée du Président Préval en 2006. De 12 millions d'euros en 2005, leur volume a atteint 26 millions d'euros en 2008 et avoisinait les 30 millions d'euros en 2009.

Les projets de coopération bilatérale, mis en oeuvre par le SCAC et l'Agence française de développement (AFD), se déclinent selon les priorités définies par les deux gouvernements dans le Document Cadre de Partenariat (DCP) 2008-2012 signé entre la France et Haïti fin 2007. Ce document avait retenu deux secteurs de concentration de l'aide - les infrastructures (route, eau, gestion des déchets) et l'éducation - et deux secteurs hors concentration - la santé et le développement rural.

Le séisme a naturellement bouleversé cette programmation stratégique et entraîné un approfondissement important de la coopération française dans le cadre de la reconstruction.

Par une aide en provenance de Martinique et de Guadeloupe, la France a ainsi été le premier pays à envoyer des secours dès le lendemain du séisme du 12 janvier 2010. Notre pays a déployé plus de 1 170 personnes pour venir en aide aux sinistrés. Nos équipes ont dégagé des survivants, effectué 17 000 consultations médicales, 2 550 hospitalisations, 1 300 interventions chirurgicales et évacué environ 3 000 personnes, dont 1 200 Haïtiens soignés aux Antilles. Ces opérations d'urgence ont représenté un coût estimé à 25 millions d'euros.

Au cours de la visite qu'il a effectuée le 17 février 2010, le Président de la République a annoncé un effort d'une exceptionnelle ampleur puisque l'aide française à la reconstruction doit atteindre, pour 2010 et 2011, un volume de 326 millions d'euros. A la mi-2011, plus de la moitié de cette somme avait été décaissée.

1. L'aide budgétaire

Lors de la Conférence de New York du 31 mars 2010, la France s'est engagée à apporter une aide budgétaire globale de 40 millions d'euros répartis sur 2010 et 2011 pour la reconstruction post-séisme, notamment le recouvrement des dépenses budgétaires de la République d'Haïti.

En 2010, 20 millions d'euros ont été versés, dans le cadre de conventions préparées par l' Agence Française de Développement (AFD) : 15 millions d'euros au Trésor public haïtien et 5 millions d'euros au Fonds pour la Reconstruction d'Haïti, dont un million pour un programme de distribution de semences. Les affectations précises de cette somme sont détaillées dans le tableau ci-dessous.

Répartition sectorielle de l'aide française en Haïti après le séisme

(en euros)

Secteur

Montant de l'aide

Part de l'aide totale

Redressement de l'Etat haïtien

2 120 000

10,5 %

Renforcement des capacités administratives

420 000

2,1 %

Développement de l'ensemble du territoire

6 520 000

32,6 %

Appui aux populations - Santé

7 600 000

38,0 %

Relance de l'éducation

3 140 000

15,7 %

Relance de l'activité économique

150 000

0,8 %

Culture et patrimoine

50 000

0,3 %

Total

19 980 000

100,0 %

Source : commission des finances, d'après le ministère des affaires étrangères et européennes

Pour l'année 2011, les modalités de versement de cette aide budgétaire n'étaient pas encore arrêtées lors de la venue à Port-au-Prince de votre rapporteur spécial. De fait, un désaccord existe au sein des autorités françaises entre les partisans d'une aide bilatérale directe à l'Etat haïtien et ceux qui privilégient plutôt une aide transitant par des bailleurs de fonds internationaux de type Banque mondiale.

Par ailleurs, l'enveloppe bilatérale de coopération s'est élevée à 1,5 million d'euros en 2010 et à 1,4 million d'euros en 2011. Les crédits du Fonds de solidarité prioritaire (FSP) accordés au poste en 2010 se montent à 1 million d'euros en autorisation d'engagement et 390 000 euros en crédits de paiement.

L'appui financier de la France s'est également traduit par l'annulation de la totalité de la dette haïtienne envers la France (57,5 millions d'euros), dans le cadre d'un accord signé le 18 novembre 2010.

2. L'aide à projets

Le montant total de l'aide à projets est de 100 millions d'euros sur les années 2010 et 2011. Les priorités de la coopération française sont la réaffirmation de l'Etat haïtien, en particulier dans ses fonctions régaliennes, le soutien à la reconstruction et au développement du pays, le renforcement du secteur éducatif et la valorisation de la culture haïtienne.

a) L'aide au redressement de l'Etat haïtien pour lui permettre d'exercer ses missions et de restaurer ses fonctions régaliennes

La France apporte son appui au rétablissement des capacités de l'Etat haïtien, à la formation des cadres administratifs et de magistrats, à la fourniture d'équipements et de véhicules pour la police et la sécurité civile. Elle participe à la mise en place d'un projet foncier, préfigurant un cadastre.

On soulignera notamment l'existence d'un appui au renforcement du système judiciaire haïtien et à la promotion de l'Etat de droit, doté de 500 000 euros sur deux ans et d'une assistance technique, avec trois objectifs : formation continue des magistrats, des greffiers et des avocats ; aide à l'organisation des greffes avec reconstitution des dossiers dispersés lors du séisme ; accompagnement de la réforme de la politique pénale et pénitentiaire à l'égard des mineurs. Ainsi depuis septembre 2010, l'accueil de la première promotion de 20 élèves-magistrats à l' Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) et de 8 formateurs de l'encadrement de l'Ecole de la Magistrature (EMA). Les magistrats haïtiens pourront être opérationnels dès janvier 2012.

b) Le soutien à la reconstruction et au développement du pays

La France s'attache à la remise sur pied du système de santé en participant, notamment, à la réhabilitation-reconstruction de l'Hôpital-Université d'Etat de Port-au-Prince, en partenariat avec les Etats-Unis.

L'Hôpital de l'Université d'État d'Haïti (HUEH) sera en effet reconstruit selon les normes parasismiques et totalement restructuré au cours des cinq prochaines années. Un accord entre la France, les Etats-Unis et Haïti a été signé pour un montant évalué à 53 millions de dollars, dont 25 millions de dollars apportés par la France, 25 millions de dollars par les États-Unis et 3 millions de dollars par Haïti. Une première tranche de financement, approuvée à hauteur de 11,7 millions d'euros, a fait l'objet d'une convention de financement, signée le 17 mars 2011 par l'Agence française de développement et le ministère de l'économie et des finances. Cet établissement d'instruction servira de base à la formation des cadres en santé et des spécialistes qui font défaut au pays. L'Ecole nationale d'infirmières et une autre école de sages-femmes seront également reconstruites dans le cadre de ce projet.

La France apporte également son soutien à des centres de santé maternelle et infantile, en partenariat avec le Brésil, et a conduit une étude de faisabilité pour la mise en place d'un système de couverture maladie minimum pour les populations les plus défavorisées.

c) Le soutien aux initiatives de la société civile et à des projets de développement local

Dans le cadre du Fonds social de développement (FSD), une enveloppe de 800 000 euros a été mise à disposition de l'ambassade sur trois années pour financer des projets de lutte contre la pauvreté ou favorisant l'activité économique. En 2010, cette nouvelle enveloppe a permis de financer six projets structurants sur l'ensemble du territoire. Ces projets ont été sélectionnés dans deux domaines d'action prioritaires (environnement et développement rural) : mise en place de potagers, valorisation de l'écotourisme, gestion et tri des déchets, mise en valeur de la filière canne à sucre, ateliers de transformation du manioc et de la canne à sucre, reconstruction d'une école-orphelinat.

d) Les actions dans les secteurs des infrastructures routières, de l'eau, de l'assainissement et de l'aménagement urbain

Au lendemain du séisme, et conformément aux voeux des autorités haïtiennes, l'AFD s'est engagée à poursuivre les projets initiés avant le 12 janvier 2010, avec les inflexions nécessaires pour répondre pleinement aux besoins liés à la reconstruction et au développement maîtrisé du territoire.

Ces projets concernent la réhabilitation de la route Hinche-St Raphaël pour désenclaver la région du Plateau Central (39,1 millions d'euros), la lutte contre les inondations et le drainage des eaux pluviales à Jacmel (12 millions d'euros).

Parallèlement, de nouveaux financements ont été octroyés en 2010 par l'AFD dans les secteurs de l'aménagement urbain et de la reconstruction des édifices publics.

La France mène via l'AFD une opération de rénovation urbaine et de construction d'au moins 1 000 logements dans deux quartiers populaires touchés par le séisme à Port-au-Prince. Ainsi, une subvention de 6,46 millions d'euros a été octroyée pour la première phase d'un projet de rénovation urbaine de deux quartiers touchés par le séisme à Port-au-Prince : Martissant (50 000 habitants) et Baillergeau (15 000 habitants). Votre rapporteur spécial a pu visiter les projets menés dans ce dernier quartier et a pu mesurer à cette occasion combien les besoins des populations restent considérables.

En outre, une centaine de chantiers de réhabilitation, de déblaiement et l'installation de camps d'accueil ont été effectués par 150 jeunes des régiments du service militaire adapté (SMA) de Martinique et de Guadeloupe et par des régiments du génie, dans les mois qui ont suivis le séisme.

e) L'aide alimentaire

En 2010, l'aide alimentaire de la France s'est élevée à 3,4 millions d'euros : 2 millions d'euros ont été versés dès le lendemain du séisme, pour soutenir les actions du Programme alimentaire mondial (PAM) et de l'ONG Action contre la Faim (ACF), et 1,4 million d'euros ont été apportés pour poursuivre le programme d'achats locaux, ce qui a permis de livrer au PAM 1 000 tonnes métriques de céréales (riz et maïs moulu). Les organisations de producteurs, partenaires de ce programme, ont également bénéficié de financements pour améliorer leurs infrastructures et moderniser leurs équipements (entrepôts, glacis de séchage, moulins motorisés, etc.) afin de mieux répondre à la demande en quantité et en qualité.

f) L'aide au secteur éducatif

L'AFD continue d'apporter son soutien à la réforme du ministère de l'éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFPT) par un projet d'amélioration de la gestion du personnel de l'éducation. Le financement de ce projet s'élève à 1,5 million d'euros.

E n matière de coopération culturelle et linguistique, la programmation française s'appuie sur les activités des six alliances françaises implantées dans le pays, de l'Institut Français d'Haïti, dont les salles de cours ont été rapidement reconstruites, et du lycée Alexandre Dumas, premier établissement à avoir rouvert ses portes après le séisme, qui accueille 670 élèves. La France mène seule, ou avec des partenaires francophones, des opérations de restauration du patrimoine, des dons de livres, l'installation de bibliothèques dans les camps et la constitution d'une bibliothèque numérique haïtienne. Elle apporte aussi son soutien aux médias audiovisuels par des dons de programmes et des sessions de formation.

En matière éducative, des volontaires du service civique travaillent à la rescolarisation des enfants et des adolescents ; le réseau universitaire français, notamment dans les Antilles et en Guyane, s'est mobilisé pour apporter son concours à la reconstruction de l'enseignement supérieur en Haïti grâce à des programmes de formation à distance, des stages et l'accueil d'au moins 700 étudiants et universitaires haïtiens supplémentaires en 2010 et 2011.

B. UNE ACTION DE LA FRANCE S'INSCRIVANT DANS UN CADRE EUROPÉEN ET MULTILATÉRAL

L'action de la France s'inscrit également dans un cadre européen et multilatéral. L'Union européenne (Commission européenne et Etats membres) a mobilisé près de 295 millions d'euros d'aide humanitaire immédiate. Pour la poursuite de l'assistance humanitaire, la reconstruction et l'appui budgétaire au gouvernement haïtien, l'Union européenne mobilise plus de 1,2 milliard d'euros en 2010 et 2011.

La France contribue pour sa part au budget que consacre l'Union européenne en Haïti à hauteur de 65 millions d'euros.

Dans le cadre de la force de gendarmerie européenne, la France a mis en 2010 deux escadrons de gendarmes mobiles à disposition de la Mission des Nations-Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), soit 146 gendarmes formant une unité de police constituée, dont un escadron est demeuré sur place jusqu'à la fin 2010, en plus de la soixantaine de gendarmes et policiers déployés individuellement.

Sur le plan diplomatique et dans les enceintes impliquées dans la reconstruction, la France est un membre actif du groupe des partenaires-clés d'Haïti qui, outre les grandes organisations multilatérales (ONU, Banque mondiale, BID, UE, OEA), regroupe les Etats-Unis, le Canada, le Brésil et l'Espagne notamment. Le ministre des affaires étrangères et européennes a co-présidé la Conférence internationale des donateurs pour un nouvel avenir en Haïti, organisée le 31 mars 2010 au siège des Nations-Unies à New York. Les autorités haïtiennes y ont présenté leur « Plan d'Action pour le Relèvement et le Développement National » (PARDN), soutenu par des annonces de financement de la communauté internationale de 9,9 milliards de dollars (soit 7 milliards d'euros) qui s'inscrit sur le long terme.

Les principes de l'action de la communauté internationale y ont été consacrés : reconstruction du pays (et pas seulement de ses infrastructures), devant être pilotée par les Haïtiens eux-mêmes, avec l'implication d'acteurs non-étatiques (ONG, entreprises, diaspora, collectivités territoriales) et avec le soutien sur le long terme de la communauté internationale. La France siège au sein de la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d'Haïti (CIRH) qui rassemble, à parité, des représentants haïtiens et internationaux et est au coeur du système de validation, de coordination et de suivi des projets de reconstruction.

C. L'ACTION DE LA FRANCE MOBILISE ÉGALEMENT DE NOMBREUX ACTEURS NON-ÉTATIQUES.

Au-delà des 65 millions d'euros de dons récoltés dans les semaines qui ont suivi le séisme du 12 janvier 2010 par les organismes caritatifs français, la solidarité avec Haïti mobilise depuis longtemps le milieu associatif, les grandes ONG et de nombreuses collectivités territoriales françaises. Plus d'une centaine d'associations françaises ou franco-haïtiennes oeuvrent dans les domaines de l'intégration et du droit de séjour en France, de l'aide au développement ou des échanges artistiques.

Les grandes ONG, pour la plupart présentes sur le terrain depuis plus de 20 ans, interviennent dans les domaines de l'éducation, de la santé ou de l'agriculture.

La coopération décentralisée, mise en oeuvre par une trentaine de collectivités territoriales françaises, est dynamique et répond à une volonté des autorités haïtiennes de mener un ambitieux processus de décentralisation. Les collectivités françaises interviennent en matière de formation des élus, de gestion municipale, d'aménagement du territoire, de relance des activités économiques et pour l'affirmation de la culture haïtienne. Un effort de coordination est engagé au sein du groupe-pays Haïti de Cités-Unies France (CUF).

Une conférence internationale des collectivités territoriales pour Haïti, rassemblant des élus ou experts haïtiens et internationaux, s'est tenue à Fort-de-France le 23 mars 2010, à l'initiative de la France, et a permis une prise en compte de la gouvernance locale lors de la conférence des donateurs à New York (31 mars). Grâce à l'appui des associations des collectivités territoriales que sont l'Association des Maires de France (AMF) et l'Assemblée des Départements de France (ADF), 1 429 communes, 16 départements et une région ont contribué au fonds de concours mis en place par le ministère des affaires étrangères et européennes à hauteur de 2 millions d'euros, alloués essentiellement à des projets menés par des ONG présentes en Haïti, le reliquat étant affecté à la lutte contre l'épidémie de choléra.

L'adoption en Haïti

En matière d'adoption, la France est traditionnellement le premier pays d'accueil des enfants adoptés en Haïti : 403 en 2007, 731 en 2008 et 652 en 2009. Depuis le séisme du 12 janvier 2010, et afin d'éviter les dérives et les trafics dont les enfants abandonnés ou en difficulté sont les premières victimes, la France avait décidé le gel de toutes les nouvelles adoptions, en attendant la mise en place d'un cadre adapté. Cependant, en accord avec les autorités haïtiennes, le mouvement a été accéléré pour les enfants qui se trouvaient en cours de procédure d'adoption à la date du séisme : près de 1 000 enfants ont ainsi pu, en 2010, être accueillis par leur famille en France.

La situation a aujourd'hui évolué en Haïti. A l'occasion de la conférence du « groupe de Montréal » qui s'est tenue à Port-au-Prince du 22 au 24 juin 2011, les autorités haïtiennes ont tenu à faire part de leur volonté de sécuriser les procédures d'adoption et se sont engagées de façon précise sur le calendrier de remise à niveau de leur législation en matière d'adoption et de ratification de la Convention de La Haye. C'est la raison pour laquelle, après s'être concertée avec les autres Etats qui accueillent traditionnellement des enfants haïtiens, la France a décidé la reprise progressive des adoptions en Haïti.

Cette décision, dictée par le souci d'offrir aux enfants privés de famille, notamment aux enfants devenus orphelins après le séisme ou abandonnés dans des centres d'enfants, un projet de vie meilleure, prendra effet à compter de l'adoption d'un arrêté du Président haïtien mettant un terme aux adoptions individuelles. Le président Martelly a en effet officiellement annoncé qu'Haïti ne donnerait plus suite à aucune demande d'adoption individuelle. La France a pris acte de cette décision et ne saurait que s'y conformer.

La reprise des adoptions revêtira dans un premier temps un caractère probatoire afin de s'assurer que les procédures se déroulent dans le strict respect des règles qui régissent les adoptions internationales. Cette période de probation bénéficiera aux familles dont les demandes ont été gelées à la suite du séisme. La France souhaite qu'elle débouche à brève échéance sur la réouverture complète de l'adoption internationale en provenance d'Haïti.

Source : commission des finances, d'après le ministère des affaires étrangères et européennes