Mme Marie-Hélène des Esgaulx, rapporteur spécial

II. LA « SUSPENSION » DE L'ÉCO-TAXE : UNE PERTE DE RECETTES DE 760 MILLIONS D'EUROS POUR LA POLITIQUE DE TRANSPORT

Le 29 octobre 2013, le Premier ministre a annoncé la « suspension » et le report sine die de la mise en oeuvre de l'éco-taxe poids lourds, qui devait intervenir le 1 er janvier 2014 .

Cette décision a des conséquences budgétaires importantes puisque l'éco-taxe devait principalement financer l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), à hauteur d'environ 760 millions d'euros .

Or, en l'état actuel, le Gouvernement n'a pas annoncé de quelle manière il entendait compenser le manque à gagner pour l'AFITF . L'ampleur du manque à gagner dépendra lui-même du temps de « suspension » de l'éco-taxe.

Le 7 novembre 2013, devant la commission élargie de l'Assemblée nationale, Frédéric Cuvilier, ministre chargé des transports, a rappelé que la suspension n'était pas l'abandon de l'éco-taxe.

Quelques rappels sur l'éco-taxe poids lourds

L'éco-taxe poids lourds a été décidée à la suite des conclusions du Grenelle de l'Environnement . Dans son principe, elle a été adoptée par le Parlement dans le cadre de la loi dite « Grenelle I », mais ses modalités ont été fixées par l'article 153 de la loi de finances pour 2009.

Elle traduit le principe du pollueur-payeur . C'est pourquoi, elle est établie sur le réseau national non concédé, c'est-à-dire les routes nationales et les autoroutes gratuites, ainsi que sur le réseau local susceptible de subir un report de trafic.

Elle concerne les poids lourds de plus de 3,5 tonnes et son tarif moyen est de 12 centimes par kilomètre parcouru sur le réseau taxable. Le tarif est modulé en fonction de la classe Euro et du nombre d'essieux du véhicule. Il est réduit de moitié en région Bretagne et de 25 % en Aquitaine et en Midi-Pyrénées.

Le recouvrement de l'éco-taxe est assuré sous la responsabilité de l'administration des douanes. Compte tenu de la complexité technique du dispositif de recouvrement, l'Etat a décidé de recourir à partenariat public-privé avec la société Ecomouv' en vue de la collecte de l'éco-taxe.

Le montant brut du produit de l'éco-taxe devait s'élever à environ 1 200 millions d'euros, répartis à raison de 760 millions pour l'AFITF, 160 millions pour les départements, 230 millions pour la rémunération d'Ecomouv' et 50 millions au titre de la TVA.

A. UN DISPOSITIF PRÊT À ÊTRE MIS EN SERVICE

Initialement, le dispositif technique de recouvrement de l'éco-taxe devait être mis à disposition de l'Etat pour le 21 juillet 2013. Un premier report a été annoncé afin de reporter l'entrée en vigueur au 1 er octobre 2013. Finalement, un arrêté du 2 octobre 2013 fixait son entrée en vigueur au 1 er janvier 2014 à 0h 2 ( * ) .

Depuis fin juillet, Ecomouv' avait organisé une « marche à blanc » afin de tester le système et de vérifier le processus de facturation et de liquidation. Environ 4 500 poids lourds y participaient.

En outre, les enregistrements ont débuté à la même date, d'abord de manière confidentielle. À compter de la rentrée, le rythme des enregistrements avait nettement progressé. Environ 120 000 dossiers seraient, à ce jour, enregistrés et validés et 45 000 dossiers en cours de traitement, pour un total d'environ 800 000 poids lourds devant être enregistrés . Il faut d'ailleurs noter que les transporteurs étrangers ont été parmi les premiers à opérer les démarches d'enregistrement.

Ecomouv' a assuré à votre rapporteur spécial qu'il ne rencontrait aucun problème avec la montée en charge du dispositif. Pour y faire face, le consortium a embauché 235 personnes .

B. UNE « SUSPENSION » COÛTEUSE

À compter de la date de mise à disposition du système, qui devrait intervenir à la fin du mois de novembre 2013, l'Etat est contractuellement engagé à acquitter un loyer à Ecomouv' . Il comprend une partie fixe, qui vient rémunérer les investissements, et une partie variable, fonction du trafic de poids lourds sur le réseau taxable. Le loyer s'élèverait à environ 13 millions d'euros par mois (part variable non comprise).

Devant votre rapporteur spécial, les représentants d'Ecomouv' ont estimé que la responsabilité des reports de la mise en service dans le courant de l'année 2013 était « partagée » avec l'Etat . À l'inverse, celui-ci fait valoir que le système d'Ecomouv' ne présentait pas les caractéristiques prévues par le contrat et ne permettait pas un recouvrement de l'éco-taxe dans des conditions de sécurité et de fiabilité optimales.

Ce point est tout spécialement important puisqu'il devrait conduire les co-contractants à engager une discussion sur le prix du contrat et d'éventuelles pénalités. La charge pour l'Etat pourrait donc être allégée. À la date des auditions réalisées par votre rapporteur spécial, cette négociation n'avait pas débuté.

C. UNE « SUSPENSION » TEMPORAIRE

En tout état de cause, la « suspension » n'est pas une solution pérenne . Outre son coût pour l'Etat, il ne semble pas opportun de maintenir en activité - ou plutôt en absence d'activité - de manière prolongée les personnels d'Ecomouv' et de la Douane (soit environ 400 emplois concernés).

L'Etat dispose donc de quelques mois pour décider de l'abandon de l'éco-taxe ou bien de sa remise en service, scenario pour l'instant privilégié par le Gouvernement .

S'agissant de l'AFITF, plusieurs hypothèses peuvent être envisagées sachant que l'ampleur de l'effort à réaliser pour le budget de l'Etat - dans un contexte déjà fortement contraint - dépendra du temps de « suspension » .

Une première possibilité consiste en ce que l'Etat décide de compenser entièrement le manque à gagner pour l'AFITF . Il doit alors dégager des ressources, soit par augmentation des impôts existants, soit par des économies supplémentaires gagées sur l'ensemble du budget général.

À l'opposé, une deuxième possibilité serait de ne pas compenser du tout la perte résultant de la « suspension ». L'AFITF devrait alors opérer des « coupes » dans son budget à hauteur de 760 millions d'euros, alors même que ses dépenses sont, pour beaucoup, déjà engagées et qu'elle ne peut s'y soustraire.

Aucune de ces solutions ne paraît viable au regard des différentes obligations qui pèsent sur l'Etat : l'AFITF doit honorer ses paiements et il n'existe pas d'importantes marges de manoeuvre budgétaire ou fiscale.

Il est donc probable que la compensation à l'AFITF ne soit que partielle, compromettant ou reportant l'exécution d'une partie de son budget initialement prévu pour 2014 .

Enfin, une dernière hypothèse doit être évoquée, même si elle est vigoureusement écartée par le Gouvernement : il s'agit de l'abandon pur et simple de l'éco-taxe. Elle serait incontestablement coûteuse pour les finances publiques.

D'une part, l'Etat serait alors obligé - compte tenu des clauses contractuelles du PPP - de rembourser l'intégralité des investissements réalisés par Ecomouv', soit un montant d'environ 650 millions d'euros. À cette somme, doivent être ajoutées les conséquences financières liées aux ruptures d'autres contrats, en particulier ceux liant Ecomouv' aux sociétés habilitées de télépéage. Au total, la perte pour l'Etat serait au maximum de 800 millions d'euros .

D'autre part, il faudrait alors trouver une nouvelle ressource pérenne à hauteur de 760 millions d'euros pour financer l'AFITF .


* 2 Arrêté du 2 octobre 2013 relatif à la date d'entrée en vigueur de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises.