MM. Philippe ADNOT et Michel BERSON, rapporteurs spéciaux

II. LE POIDS DES OPÉRATEURS : UN ATOUT POUR LA RECHERCHE, LA NÉCESSITÉ D'UNE COORDINATION

A. 45 OPÉRATEURS QUI REPRÉSENTENT 87 % DES CRÉDITS ALLOUÉS À LA RECHERCHE

1. Des opérateurs nombreux, dont les statuts et les missions sont divers
a) Des opérateurs nombreux

Au total, on dénombre 45 opérateurs pour lesquels les programmes relatifs à la recherche sont « chefs de file ». C'est le programme 142 « Enseignement supérieur et recherche agricoles » qui totalise le plus grand nombre d'opérateurs du fait des 12 écoles d'enseignement supérieur agricole et vétérinaire qui lui sont rattachées, mais c'est en réalité le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » qui dénombre la plus grande partie des opérateurs de recherche à proprement parler.

La répartition par programme des 45 opérateurs de la recherche

Programme et opérateur(s)

Nombre

142 - Enseignement supérieur et recherche agricoles

14

Associations de coordination technique agricole et des industries agroalimentaires

2

Écoles d'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

12

172 - Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires

11

Académie des technologies

1

ANR - Agence nationale de la recherche

1

CEA - Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

1

CNRS - Centre national de la recherche scientifique

1

Génopole

1

IHEST - Institut des Hautes Études pour la Science et la Technologie

1

INED - Institut national d'études démographiques

1

INRIA - Institut national de recherche en informatique et en automatique

1

INSERM - Institut national de la santé et de la recherche médicale

1

IPEV - Institut polaire français Paul-Émile Victor

1

OST - Observatoire des sciences et des techniques

1

186 - Recherche culturelle et culture scientifique

1

Universcience

1

187 - Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources

6

BRGM - Bureau de recherches géologiques et minières

1

CIRAD - Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

1

IFREMER - Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer

1

INRA - Institut national de la recherche agronomique

1

IRD - Institut de recherche pour le développement

1

IRSTEA - Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (ex-CEMAGREF)

1

190 - Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables

3

IFP Energies nouvelles

1

IFSTTAR - Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux

1

IRSN - Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire

1

192 - Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle

9

Ecoles des mines

6

GENES - Groupement des écoles nationales d'économie et statistique

1

Institut Mines-Télécom

1

SUPELEC - Ecole supérieure d'électricité

1

193 - Recherche spatiale

1

CNES - Centre national d'études spatiales

1

Total général

45

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

b) Des statuts et des missions divers
(1) Des statuts différents

Les opérateurs des programmes de la recherche, du fait de leur histoire ainsi que des spécificités de leurs secteurs respectifs, n'ont pas tous le même statut.

Si la plupart sont des établissements publics, administratifs (comme l'Agence nationale de la recherche), industriels et commerciaux (par exemple le Commissariat à l'énergie atomique), ou encore culturels, scientifiques et professionnels (Institut Mines-Télécom), d'autres constituent par eux-mêmes une catégorie d'opérateurs (comme les écoles d'enseignement supérieur agricole et vétérinaire). Certains, souvent plus récents, sont enfin organisés sous forme de groupement d'intérêt public (GIP) : c'est notamment le cas de Génopole et de l'Observatoire des sciences et techniques.

Les statuts des opérateurs de la recherche

Opérateur hors catégorie ou catégorie d'opérateur

Statut

Académie des technologies

EPA

ANR - Agence nationale de la recherche

EPA

Associations de coordination technique agricole et des industries agroalimentaires

Catégorie sui generis

BRGM - Bureau de recherches géologiques et minières

EPIC

CEA - Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

EPIC

CIRAD - Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

EPIC

CNES - Centre national d'études spatiales

EPIC

CNRS - Centre national de la recherche scientifique

EPST

Écoles d'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

Catégorie sui generis

École des mines

Catégorie sui generis

GENES - Groupement des écoles nationales d'économie et statistique

EPSCP

Génopole

GIP

IFP Énergies nouvelles

EPIC

IFREMER - Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer

EPIC

IFSTTAR - Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux

EPST

IHEST - Institut des Hautes Etudes pour la Science et la Technologie

EPA

INED - Institut national d'études démographiques

EPST

INRA - Institut national de la recherche agronomique

EPST

INRIA - Institut national de recherche en informatique et en automatique

EPST

INSERM - Institut national de la santé et de la recherche médicale

EPST

Institut Mines-Télécom

EPSCP

IPEV - Institut polaire français Paul-Emile Victor

GIP

IRD - Institut de recherche pour le développement

EPST

IRSN - Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire

EPIC

IRSTEA - Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (ex-CEMAGREF)

EPST

OST - Observatoire des sciences et des techniques

GIP

SUPELEC - École supérieure d'électricité

Associa-tion

Universcience

EPIC

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Cette diversité des statuts n'est pas en soi un obstacle au bon fonctionnement de chacun des opérateurs considérés, mais elle entraîne l'application d'une variété de régimes juridiques qui peuvent compliquer le pilotage de l'État et faire obstacle à des projets de fusion ou de rapprochement, notamment du fait que le statut des personnels peut différer d'une structure à l'autre (régime de droit public dans les établissements publics administratifs, et non dans les établissements publics industriels et commerciaux).

Du fait du nombre des écoles d'enseignement supérieur agricole et vétérinaire, 45 % des opérateurs liés aux programmes de recherche appartiennent à une catégorie sui generis et ne se rattachent pas à un statut préexistant.

(2) Des missions variées

Les opérateurs n'ont ni la même taille, ni les mêmes statuts, ni des fonctions identiques : si certains sont certes actifs dans le domaine de la recherche mais avant tout dirigés vers l'enseignement supérieur, comme par exemple l'École des mines ou Supélec, d'autres ont pour objet exclusif des activités de recherche.

Il faut signaler, en particulier, que certains opérateurs sont des relais pour le financement d'autres activités de recherche : si l'Agence nationale de recherche, qui assure le financement de la recherche sur projet en France, en est l'exemple le plus paradigmatique, c'est également le cas du Centre national des études spatiales, dont une partie importante des crédits alloués dans le cadre du budget général de l'État sont en fait destinés à financer l'ESA (l'agence spatiale européenne).

2. La situation budgétaire des opérateurs : un poids important, des évolutions contrastées
a) Le poids des opérateurs : entre 90 et 100 % des crédits pour cinq des sept programmes « Recherche »

Au-delà de leur nombre, c'est le poids des opérateurs dans les crédits des différents programmes qui témoigne le mieux de leur importance : à l'exception des programmes 192 «Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle» et 142 «Enseignement supérieur et recherche agricoles», les opérateurs représentent plus de 90 % des crédits, voire jusqu'à 100 % pour le programme 193 «Recherche spatiale» et le programme 191 «Recherche duale (civile et militaire)».

La proportion des crédits de chaque programme bénéficiant aux opérateurs en 2014 et 2015

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ce poids budgétaire important des opérateurs est la traduction de leur rôle prépondérant dans le champ de la recherche , comme en témoigne l'évolution des brevets déposés : d'après un rapport de l'Observatoire de la propriété intellectuelle, « depuis quelques années, la France se distingue par une forte progression des brevets issus d'organismes publics de recherche » 30 ( * ) .

Au vu de ces éléments, votre rapporteur spécial regrette que les documents budgétaires de la mission « Recherche et enseignement supérieur » ne présentent pas un tableau synthétique des crédits alloués aux opérateurs pour l'ensemble des programmes. Les données relatives aux opérateurs sont en effet éclatées dans chaque programme : ce morcellement nuit à l'analyse budgétaire tout autant qu'à la lisibilité des politiques menées.

b) Une évolution des crédits accordés aux opérateurs contrastées selon les programmes

Les crédits accordés aux opérateurs augmentent fortement dans les programmes 142 « Recherche et enseignement supérieur agricoles » (+ 12,6 %) et 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » (+ 4,9 %).

Évolution des crédits alloués aux opérateurs en 2014 et 2015

(en milliers d'euros)

Total en 2014

Total prévu pour 2015

Évolution 2014/ 2015

(en valeur)

Évolution 2014/ 2015

(en %)

Programme 172

5 932 618

5 936 049

3 431

0,1%

Programme 190

1 271 294

1 297 565

26 271

2,1%

Programme 191

192 069

192 075

6

0,0%

Programme 192

218 916

229 540

10 624

4,9%

Programme 193

1 429 109

1 434 502

5 393

0,4%

Programme 186

108 754

111 588

2 834

2,6%

Programme 142

90 885

102 326

11 441

12,6%

Total

9 243 645

9 303 645

60 000

0,6%

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ces évolutions recouvrent deux phénomènes différents : en ce qui concerne le programme 142 « Enseignement supérieur et recherche agricoles », c'est en réalité le financement accordé aux opérateurs de l'enseignement supérieur (les écoles d'enseignement supérieur agricole et vétérinaire) qui augmente , et non celui alloué aux opérateurs de recherche proprement dit.

Pour le programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle », la hausse semble être liée à une mesure de périmètre : le laboratoire national de métrologie et d'essais est rattaché à ce programme dans son intégralité pour la première année - il était auparavant rattaché au programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie », qui assurait son financement à hauteur de 10,5 millions d'euros en 2014 tandis que le programme 192 contribuait pour 14,3 millions d'euros. Le rapatriement des 10,5 millions d'euros du programme 134 au programme 192 explique la très large part de la hausse constatée en 2015 (+ 10,6 millions d'euros).

L'évolution des crédits alloués aux opérateurs des programmes 142 et 192

(en milliers d'euros)

Réalisation 2013

LFI 2014

PLF 2015

Évolution 2015/2014 (crédits de paiement)

Programme de rattachement

Opérateur concerné

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle »

Écoles des Mines

71 655

71 695

74 437

74 437

74 102

74 102

-0,5%

-0,5%

GENES - Groupement des Écoles nationales d'économie et statistique

8 235

8 286

8 482

8 482

8 489

8 489

0,1%

0,1%

Institut mines - Télécom

108 028

108 028

111 076

111 076

111 819

111 819

0,7%

0,7%

LNE - Laboratoire national de métrologie et d'essais

24 803*

24 803*

24 828*

24 828*

24 506

24 506

-1,3%

-1,3%

SUPELEC - École supérieure d'électricité

17 769

17 769

17 921

17 921

17 732

17 732

-1,1%

-1,1%

Programme 142 « Enseignement supérieur et recherche agricoles »

Association de coordination technique agricole et des industries agro-alimentaires

8 571

8 531

8 461

8 461

8 461

8 461

0,0%

0,0%

Écoles d'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

58 863

60 471

65 449

65 449

78 387

74 887

19,8%

14,4%

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

N.B. : jusqu'en 2015, environ 10 millions d'euros étaient pris en charge par le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie ».

c) L'évolution des crédits des grands opérateurs : une diminution préoccupante des ressources de l'IRSN

L'analyse de l'évolution des crédits budgétaires principaux opérateurs fait apparaître des évolutions contrastées. Si le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives voit ses ressources augmenter, encore que dans une faible proportion (+ 0,4 %) après une augmentation de 7,4 % entre 2013 et 2014, ce n'est pas le cas de la plupart des autres opérateurs qui connaissent une baisse plus ou moins marquée de leurs ressources.

Il faut noter que la baisse apparente du financement alloué au CNES est principalement liée à un « effet d'optique » en raison du contrecoup du programme des investissements d'avenir , qui se sont élevés à 50 millions d'euros en 2014 (ouverture de crédits sur le programme 409 « Écosystèmes d'excellence »).

Évolution des crédits des principaux opérateurs de recherche

(en milliers)

Ouverts en 2013

Demandés pour 2014

Demandés pour 2015

Évolution 2015/2014

Évolution 2014/2015 (en valeur)

(en %)

Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

AE

1 386,4

1 520,7

1 527,5

0,4%

6,8

CP

1 386,4

1 520,7

1 527,5

0,4%

6,8

Centre national d'études spatiales (CNES)

AE

1 512,8

1 595,3

1 550,7

-2,8%

-44,6

CP

1 512,8

1 595,3

1 550,7

-2,8%

-44,6

Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

AE

2 595,4

2 603,7

2 597,6

-0,2%

-6,1

CP

2 595,4

2 603,7

2 597,6

-0,2%

-6,1

IFP Énergies nouvelles

AE

141,2

142,638

141,647

-0,7%

-1,0

CP

136

142,638

141,647

-0,7%

-1,0

Institut national de la recherche agronomique (INRA)

AE

675,314

677,678

677,848

0,0%

0,2

CP

675,314

677,678

677,848

0,0%

0,2

Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA)

AE

170,754

171,269

169,615

-1,0%

-1,7

CP

170,754

171,269

169,615

-1,0%

-1,7

Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

AE

615,217

620,613

619,228

-0,2%

-1,4

CP

615,217

620,613

619,228

-0,2%

-1,4

Institut national de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

AE

202,857

189,547

182,241

-3,9%

-7,3

CP

202,857

189,547

182,241

-3,9%

-7,3

TOTAL

AE

1 386,4

1 520,7

1 527,5

0,4%

6,8

CP

1 386,4

1 520,7

1 527,5

0,4%

6,8

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La situation de l'Institut national de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) apparaît à cet égard particulièrement préoccupante : après avoir déjà subi une coupe de près de 10 % entre 2013 et 2014, l'Institut voit ses ressources diminuées de nouveau à hauteur de près de 4 % . Ces diminutions successives apparaissent problématiques au regard de l'enjeu citoyen et écologique que représente la sûreté nucléaire, en particulier à la suite des graves accidents nucléaires survenus dans les dernières années.

L'évolution des crédits alloués à l'IRSN depuis 2013

(en milliers d'euros)

Réalisation 2013

LFI 2014

PLF 2015

Évolution entre 2013 et 2015

Programme intéressé ou nature de la dépense

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

190 / Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables

199 257

199 257

185 776

185 776

178 406

178 406

-10,5%

-10,5%

Subventions pour charges de service public

199 257

199 257

185 776

185 776

178 406

178 406

-10,5%

-10,5%

212 / Soutien de la politique de la défense

3 440

3 440

3 611

3 611

3 675

3 675

6,8%

6,8%

Subventions pour charges de service public

3 440

3 440

3 611

3 611

3 675

3 675

6,8%

6,8%

217 / Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables

160

160

160

160

160

160

0,0%

0,0%

Transferts

160

160

160

160

160

160

0,0%

0,0%

Total

202 857

202 857

189 547

189 547

182 241

182 241

-10,2%

-10,2%

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

C'est pourquoi votre rapporteur spécial propose, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, la création d'un « Jaune » budgétaire regroupant l'ensemble des financements publics qu'il est prévu de consacrer à la sûreté nucléaire, à la radioprotection et à la transparence. Ce rapport devra notamment comprendre une évaluation, en coûts complets, des budgets prévisionnels de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'IRSN.

B. LE PILOTAGE ET LA COORDINATION DES OPÉRATEURS : DES OUTILS NOMBREUX, L'ÉMERGENCE DES ALLIANCES

Au vu du nombre d'opérateurs et de leur hétérogénéité, la coopération et la coordination des acteurs les uns avec les autres constitue une nécessité , tant du point de vue du pilotage budgétaire et stratégique de l'État, que de celui de l'efficience de la recherche.

1. Entre l'État et les opérateurs : une démarche de performance, une stratégie nationale
a) Pour chaque opérateur : une démarche de performance qui doit être à la fois individualisée et cohérente avec l'ensemble du programme

La loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 a conduit l'État à systématiser une démarche de performance , mise en oeuvre à travers les projets annuels de performances (PAP) et contrôlée dans les rapports annuels de performances (RAP) .

La question de la cohérence entre les deux niveaux de performance que constituent l'État et les opérateurs se pose pour l'ensemble des programmes de recherche mais se présente avec une acuité particulière pour les deux programmes 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » et 193 « Recherche spatiale » qui sont pour l'essentiel, comme on l'a vu, des « programmes opérateurs ».

La démarche de performance des organismes de recherche passe avant tout par la conclusion d'un contrat d'objectifs entre l'opérateur et sa tutelle : comme l'ont souligné les interlocuteurs de votre rapporteur spécial, « c'est au regard des objectifs contractualisés et des indicateurs associés que s'apprécie la ?performance? de l'établissement, entendue comme l'accomplissement observable et mesurable de ses missions statutaires telles que les interprète et les oriente l'État sur la durée du contrat ».

La construction d'indicateurs spécifiques pour les opérateurs de la recherche est à la fois nécessaire à la bonne prise en compte des spécificités de leur action et problématique au regard de la comparabilité entre les opérateurs.

Ainsi, quelques grands objectifs transversaux se retrouvent dans les deux programmes et concernent de la même façon tous les opérateurs : production de connaissances, développement de la valorisation, construction de l'espace européen de la recherche. Ces indicateurs sont par ailleurs présents et calculés au niveau de la mission elle-même.

La convergence des objectifs au niveau du programme et des opérateurs est assurée par la reprise systématique, dans les contrats d'objectifs de chaque opérateur, des objectifs et indicateurs associés du programme de rattachement de sa dotation budgétaire . Sont cependant également définis, dans le cadre des contrats d'objectifs, des objectifs et indicateurs de résultats « complémentaires » propres à chaque opérateur.

Toutefois, pour le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » , les informations transmises à votre rapporteur spécial soulignent que la parfaite corrélation entre objectifs du programme et objectifs des opérateurs s'avère difficile à construire du fait du caractère pluridisciplinaire du programme ainsi que de « l'extrême variété des domaines scientifiques explorés par les différents opérateurs ».

b) Pour l'ensemble des opérateurs : la stratégie nationale de la recherche

Inscrite dans la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013, la stratégie nationale de recherche a pour but d'identifier, en lien avec les orientations de la politique communautaire de la recherche, un nombre limité de priorités scientifiques et technologiques permettant de répondre aux défis majeurs des prochaines décennies . La conception de cette stratégie s'appuie sur un processus de concertation avec la communauté scientifique et universitaire et fait également intervenir des entreprises et des industriels.

Dix « grands défis » ont été identifiés :

- gestion sobre des ressources et adaptation au changement climatique,

- une énergie propre, sûre et efficace,

- stimulation du renouveau industriel,

- santé et bien-être,

- sécurité alimentaire et défi démographique,

- mobilité et systèmes urbains durables,

- société de l'information et de la communication,

- sociétés innovantes, intégrantes et adaptatives,

- une ambition spatiale pour l'Europe,

- liberté et sécurité de l'Europe, de ses citoyens et de ses résidents.

2. La coordination par le système des alliances
a) Entre les acteurs : une dynamique de coopération dont attestent les dépôts de brevet

Loin d'une vision segmentée de la recherche publique, les opérateurs de la recherche coopèrent entre eux et avec les acteurs privés de la recherche : si besoin en était, une étude réalisée par l'Institut national de la propriété intellectuelle, au titre de l'année 2011 31 ( * ) , le met en exergue. Il apparaît en effet que 1 308 demandes de brevets émanant de 162 organismes publics de recherche 32 ( * ) ont été publiées. Or, ces demandes se distinguent par une proportion plus élevée de co-dépôts que la moyenne : alors que, parmi l'ensemble des brevets publiés par les personnes morales françaises, 8 % ont plusieurs déposants, cette proportion est de 26 % pour les brevets des organismes publics de recherche, soit une proportion plus de trois fois supérieure. Lorsqu'un organisme de recherche effectue un co-dépôt d'une demande de brevet, ce co-dépôt est effectué dans 20 % des cas avec un autre organisme de recherche français .

Proportion des brevets déposés en dépôt conjoint par plusieurs personnes morales

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

b) Le développement des alliances

Les alliances sont des structures légères réunissant les principaux acteurs de la recherche (organismes, universités, écoles), qui ont vocation à renforcer la fonction de programmation nationale : elles font le lien entre les orientations définies par le Gouvernement dans la stratégie nationale de recherche et la recherche réalisée dans les établissements .

Cinq alliances ont été créées à partir de 2009 . Ce sont l'alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN), l'alliance nationale de coordination de recherche pour l'énergie (ANCRE), l'alliance des sciences et technologies du numérique (ALLISTENE), l'alliance alimentation, eau, climat, territoires (ALLENVI) et enfin l'alliance des sciences humaines et sociales (ATHENA). Les membres des alliances sont récapitulés dans le tableau ci-après.

Les différentes alliances et leurs membres

Alliances

Membres de l'alliance

AVIESAN (alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé)

Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Centre national de recherche scientifique (CNRS)

Commissariat à l'énergie atomique (CEA)

Institut national de recherche agronomique (INRA)

Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA)

Institut de recherche pour le développement (IRD)

Institut Pasteur

Conférence des présidents d'universités (CPU)

Conférence des directeurs généraux de centre hospitalier universitaires

ANCRE (alliance nationale de coordination de recherche pour l'énergie)

Commissariat à l'énergie atomique (CEA)

Centre national de recherche scientifique (CNRS)

Institut français du pétrole- Énergies nouvelles

ALLISTENE (alliance des sciences et technologies du numérique)

Conférence des directeurs d'écoles et formations d'ingénieurs (CDEFI)

Commissariat à l'énergie atomique (CEA)

Centre national de recherche scientifique (CNRS)

Conférence des présidents d'universités (CPU)

Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA)

Institut Télécom

ALLENVI (alliance alimentation, eau, climat, territoires)

Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Commissariat à l'énergie atomique (CEA)

Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA)

Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)

Centre national de recherche scientifique (CNRS)

Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER)

Conférence des présidents d'universités (CPU)

Institut national de recherche agronomique (INRA)

Institut de recherche pour le développement (IRD)

Laboratoire central des ponts et chaussées (LCPC - désormais intégré à l'IFSTTAR)

Météo France

Muséum national d'histoire naturelle

ATHENA (alliance des sciences humaines et sociales)

Centre national de recherche scientifique (CNRS)

Conférence des Grandes écoles (CGE)

Conférence des présidents d'universités (CPU)

Institut national des études démographiques (INED)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Les quatre premières alliances recouvrent les axes de développement prioritaires des stratégies de recherche, la cinquième concerne les sciences humaines et sociales qui s'inscrivent dans la stratégie comme devant jouer un rôle de premier plan au sein de l'ensemble des axes prioritaires.

Leur rôle et leur mode de fonctionnement diffèrent d'une alliance à l'autre, pour des raisons sectorielles mais aussi historiques (comme par exemple le poids des universités en matière de sciences humaines et sociales).

c) Les alliances, animatrices de la recherche en France et interlocutrices à l'international
(1) En France

Le rôle et les actions des alliances sont protéiformes.

Elles participent d'une manière générale, à la définition des grandes orientations de leur champ de compétence. ANCRE a par exemple participé à la commission Énergie 2050 mise en place par le ministre chargé de l'énergie et ALLISTENE s'est dotée fin 2012 d'une commission de réflexion sur l'éthique de la recherche en sciences et technologies du numérique, la Cerna (comité d'éthique de la recherche du numérique) qui a remis son premier rapport en septembre 2014 sur le thème de la robotique 33 ( * ) .

Les alliances participent également de l'organisation de la valorisation de la recherche , c'est-à-dire du transfert des résultats vers des applications industrielles ou à tout le moins socio-économiques. Les alliances ont ainsi aidé à émerger les instituts de recherche technologique (IRT) : c'est particulièrement le cas pour ALLISTENE, qui a également joué un rôle important dans la définition du plan France-Numérique 2020. Enfin, dans le cadre des investissements d'avenir, les alliances ont toutes été le cadre d'un consortium de valorisation thématique (CVT) : son objet consiste à assurer une plus grande efficacité aux actions de valorisation qui sont menées par les différents opérateurs. Ce consortium joue également un rôle de coordination avec les sociétés d'accélération du transfert technologique (SATT).

Les alliances participent également à la définition de la stratégie nationale de recherche : ce sont elles qui, après un travail de réflexion mené en partenariat avec des industriels, ont présenté au printemps 2014 des stratégies thématiques communes à tous les acteurs de la recherche publique. C'est sur la base de ces éléments que le conseil stratégique de la recherche a reconnu 38 « priorités-orientations », déclinées en « priorités-actions ». Ces actions devraient être mises en oeuvre en 2015.

Enfin, le ministère a demandé aux alliances et au CNRS de construire le plan d'action pour 2014 de l'Agence nationale de la recherche dans le cadre des dix défis identifiés dans l'agenda stratégique France-Europe 2020. Cette modification du mode de programmation de l'Agence nationale de la recherche illustre la place décisive prise par les alliances.

(2) À l'international

Les alliances jouent un rôle dans l'espace européen et mondial : ce sont elles qui représentent la France dans les initiatives de programmation conjointe de l'espace européen de la recherche et elles ont également participé à l'élaboration de la stratégie de coopération internationale avec la Chine, l'Inde, les « pays développés d'Asie » et le Brésil.

De façon générale, les alliances représentent les communautés scientifiques françaises dans les instances bilatérales de dialogue scientifique et technologique.

d) L'évolution de la maquette budgétaire en lien avec le renforcement des alliances

Le nouveau programme 172 présenté dans le projet de loi de finances pour 2015 résulte de la fusion des programmes 172 et 187 des projets de loi de finances précédents 34 ( * ) . Ce programme regroupe désormais l'ensemble des opérateurs de recherche de tous les domaines scientifiques, à l'exception du spatial.

En effet, la création du programme 187 répondait au moment de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances, en 2006, au besoin exprimé par la Cour des comptes d'une meilleure coordination des opérateurs de recherche dans le champ de la gestion des milieux et ressources. Cette coordination a, par la suite, été jugée sans réelle efficacité 35 ( * ) , du fait notamment de l'absence d'acteurs clé dans ce domaine tel que le CNRS. Comme la Cour des Comptes l'a souligné dans sa note d'analyse, la création des alliances nationales (en particulier ALLENVI dans le champ agro-environnemental) a répondu à cette exigence d'une meilleure coordination et d'un meilleur pilotage par le ministère chargé de la recherche.

3. Les partenariats avec les acteurs privés

La faiblesse de la recherche du secteur privé en France a été largement documentée et analysée : c'est elle qui explique la majeure partie de l'écart des dépenses de recherche entre la France et les pays les plus tournés vers l'innovation.

Ainsi, en dépit de financements publics croissants, la France n'a pas progressé par rapport à l'objectif de consacrer 3 % du PIB à la recherche et développement. La dépense intérieure de recherche et développement publique et privée s'est maintenue depuis dix ans à 2,2 % du PIB, pendant que, de 2000 à 2012, ce ratio passait en Allemagne de 2,47 % à 2,84 %. Ce résultat tient principalement à la faiblesse des dépenses de recherche et développement des entreprises, qui stagnent à 1,43 % du PIB (contre 1,58 % pour la moyenne des pays de l'OCDE).

Aussi l'incitation au développement de partenariats avec les acteurs privés constitue-t-elle un pôle important du pilotage des opérateurs publics de la recherche. Différents dispositifs ont été créés, qui apparaissent parfois redondants.

a) Les pôles de compétitivité et les instituts de recherche technologique

La politique des pôles de compétitivité remonte à 2004 36 ( * ) . Ceux-ci rassemblent sur un territoire et autour d'une thématique ciblée , des entreprises, des laboratoires de recherche et des établissements de formation. Les pouvoirs publics nationaux et locaux sont associés au pôle par le biais de financements et d'un pouvoir d'orientation.

Un pôle de compétitivité a vocation à stimuler l'innovation en soutenant le développement de projets collaboratifs de recherche et développement. Les pôles de compétitivité sont également censés accompagner le développement et la croissance des entreprises membres : la mise sur le marché de nouveaux produits, services ou procédés issus des résultats des projets de recherche doivent les aider à se développer.

Les pôles de compétitivité ont donné naissance aux instituts de recherche technologique, instituts thématiques interdisciplinaires rassemblant les compétences de l'industrie et de la recherche publique dans une logique de « co-investissement public-privé et de collaboration étroite entre tous les acteurs », qui doivent permettre de « renforcer les écosystèmes constitués par les pôles de compétitivité » 37 ( * ) . En somme, les instituts de recherche technologique doivent permettre d'assurer la visibilité internationale de thématiques d'excellence et de permettre aux entreprises françaises de se positionner sur de nouveaux marchés.

b) Les sociétés d'accélération du transfert technologique

Les sociétés d'accélération du transfert technologique (SATT) ont été conçues comme permettant de mettre fin au morcellement des structures de valorisation des sites universitaires et par là-même d'en améliorer significativement l'efficacité.

Leur mise en oeuvre s'est heurtée à quelques difficultés : comme le résume le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, bien que les SATT aient initialement été pensées comme un outil de simplification, « l'arrivée d'une nouvelle structure dans un écosystème déjà complexe peut, dans un premier temps, concourir au manque de lisibilité du système ».

Les sociétés d'accélération du transfert technologique créées il y a trois ans font présentement l'objet d'une évaluation. Votre rapporteur spécial sera attentif à ce que les résultats de cette évaluation lui soient communiqués afin d'être en mesure d'analyser la pertinence actuelle des dispositifs de valorisation de la recherche, qui pourraient gagner en cohérence.

Le processus d'évaluation des SATT

« Les premières SATT 38 ( * ) font actuellement l'objet d'une évaluation. Celle-ci, conduite avec un prestataire, doit permettre au comité de pilotage du « Fonds national de valorisation » (FNV) de juger du niveau d'atteinte par les SATT concernées des objectifs qui leur ont été assignés par l'État à trois ans et de mesurer leur capacité à poursuivre leurs activités et à obtenir un équilibre financier à terme. Après la remise par le prestataire de ses conclusions et de ses recommandations fin octobre, des auditions des présidents des SATT seront conduites par le comité de pilotage FNV entre novembre et décembre 2014. Au terme de cette évaluation, l'État décidera du versement et du montant d'une seconde tranche de financement. »

Source : réponse au questionnaire budgétaire


* 30 Observatoire de la propriété intellectuelle, dossier de mars 2012 « Les brevets issus de la recherche publique française ».

* 31 Observatoire de la propriété intellectuelle, dossier de mars 2012 « Les brevets issus de la recherche publique française »

* 32 Établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) et établissements à caractère industriel et commercial (EPIC).

* 33 Disponible en ligne.

* 34 Les indicateurs, largement identiques entre le programme 172 dans son ancien périmètre et le programme 187, sont repris pour leur plus grande partie avec quelques ajustements.

* 35 Cour des comptes, note d'analyse du programme 187 de mai 2011 portant sur l'exercice 2010.

* 36 Comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires du 14 septembre 2014.

* 37 Projet de loi de finances rectificative pour 2010.

* 38 Conectus, Lutech, Île-de-France Innov, Toulouse Tech Transfert et Sud-Est.