M. Philippe Dallier, rapporteur spécial

SECONDE PARTIE : PRÉSENTATION DES PROGRAMMES

Quatre programmes composent la mission « Égalité des territoires et logement ». 82 % des crédits se concentrent toutefois au sein du programme 109 « Aide à l'accès au logement ».

Crédits de paiement par programmes de la mission

Source : commission des finances du Sénat d'après le projet annuel de performances pour 2015

I. LE PROGRAMME 177 « PRÉVENTION DE L'EXCLUSION ET INSERTION DES PERSONNES VULNÉRABLES » : DE L'INSINCERITÉ DU BUDGET PROPOSÉ MALGRÉ DES MOYENS RENFORCÉS

Le programme 177 est exécuté sous l'autorité du ministre de l'égalité des territoires et du logement mais a pour responsable le directeur général de la cohésion sociale qui relève du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Regroupant les crédits de la politique d'hébergement et d'accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées, il dispose de 1,375 milliard d'euros pour 2015, soit une augmentation de 4,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2014.

Évolution des crédits par actions du programme (AE=CP)

(en millions d'euros)

Intitulé de l'action

LFI 2014

PLF 2015

Évolution 2015/2014

Prévention de l'exclusion

56,26

59,17

5,2 %

Hébergement et logement adapté

1 242,45

1 300,44

4,7 %

Conduite et animation des politiques de l'hébergement et de l'inclusion sociale

17,13

15,88

- 7,3 %

Total

1 315,84

1 375,49

4,5 %

Source : commission des finances d'après le projet annuel de performances pour 2015

Une seule dépense fiscale sur impôt d'État est rattachée à ce programme : l'exonération d'impôt sur le revenu des allocations, des indemnités et des prestations d'assistance et d'assurance dont le coût associé est stable par rapport aux deux années précédents, avec 45 millions d'euros pour 2015.

A. DES BESOINS TOUJOURS PLUS IMPORTANTS EN TERMES D'HÉBERGEMENT D'URGENCE ET DE LOGEMENT ADAPTÉ

Comme indiqué précédemment, le programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » voit ses crédits augmenter de 4,5 %, correspondant à 59,7 millions d'euros , entre 2014 et 2015. L'action 12 « hébergement et logement adapté », qui concentre 94,5 % de l'enveloppe du programme, connaît une hausse de 4,7 % de ses crédits, avec 1,3 milliard d'euros inscrits pour 2015.

Conséquence directe de la crise économique qui frappe notre pays , cette évolution des moyens budgétaires consacrés à l'hébergement d'urgence et au logement adapté met en évidence les difficultés rencontrées par de plus en plus de personnes pour accéder à un logement, qu'elles soient sans-abri ou mal logées. En outre, l'hébergement d'urgence doit faire face au nombre toujours plus important de demandeurs d'asile qui, soit ont été déboutés, soit ne disposent pas de places dans les structures qui leur sont en principe réservées et font donc appel aux dispositifs de droit commun. L'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles pose le principe de l'hébergement inconditionnel des personnes en situation de détresse : « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence ».

Le programme traduit également les engagements pris par le Gouvernement dans le cadre du Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale adopté le 21 janvier 2013 lors du Comité interministériel de lutte contre les exclusions.

L'action 11 « prévention de l'exclusion », qui représente 4,3 % du programme, couvre principalement les allocations et dépenses d'aide sociale en direction des personnes âgées et des personnes handicapées sans domicile fixe (40 millions d'euros pour 2015). Elle correspond également aux crédits accordés aux actions de prévention et d'accès aux droits, pour 19,2 millions d'euros, soit une augmentation de 4,1 millions d'euros par rapport à 2014.

À ce titre, il convient de mentionner que 16,5 millions d'euros sont consacrés aux aides au logement temporaire accordées pour le fonctionnement des aires d'accueil des gens du voyage (dispositif « ALT2 ») qui connaît une importante réforme en 2015. En effet, de nouvelles modalités de calcul seront mises en oeuvre à compter de cette année, avec la transformation de l'aide forfaitaire actuelle en une aide qui comprendra :

- une part fixe par place, correspondant aux deux-tiers du montant maximal de l'aide ;

- une part variable pour le reste, proportionnelle au taux d'occupation effective des places 8 ( * ) .

Cette évolution tend à répondre aux remarques formulées par la Cour des comptes 9 ( * ) , en rendant l'aide financière plus incitative pour les gestionnaires des aires d'accueil. Le taux d'occupation moyen de ces aires se situe à 55 %, avec 23 899 places existantes.

S'agissant de l'hébergement et du logement adapté (action 12), la veille sociale 10 ( * ) voit ses crédits augmenter de 0,5 % à structure courante et de 3,3 % à structure constante , pour atteindre 89,11 millions d'euros 11 ( * ) , conformément aux besoins nécessaires pour la mise en oeuvre du Plan de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale précité. Ainsi, le projet annuel de performances précise que le budget alloué intègre « le rebasage des crédits supplémentaires ouverts en 2013 pour faire face à la hausse des flux et aux spécificités des publics accueillis (femmes avec enfants et personnes à droits administratifs incomplets) ».

D'après les réponses au questionnaire budgétaire, ce montant devrait également permettre de poursuivre le renforcement du rôle des services intégrés d'accueil et d'orientation, qui ont traité 942 776 demandes sur les 1 499 059 demandes enregistrées au cours de l'année 2013. À terme, les SIAO devraient intégrer le 115 pour constituer une plateforme commune. Votre rapporteur spécial se félicite de cette évolution et appelle de ses voeux toute réforme susceptible de rationaliser les procédures applicables en vue de faciliter l'accueil de personnes qui peuvent parfois se trouver complètement démunies face à la difficulté de joindre ces services .

L'hébergement d'urgence connaît une augmentation de 67 millions d'euros entre la loi de finances initiale pour 2014 et le projet de loi de finances pour 2015, soit une hausse de 21 % pour une enveloppe fixée à 389 millions d'euros .

Au 31 décembre 2013, 28 692 places d'hébergement d'urgence étaient offertes en centres d'hébergement hors centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), contre 22 091 places en 2012 et 19 766 en 2011.

Malgré ces efforts de pérennisation des places d'accueil, le nombre de nuitées d'hôtel ne cesse par ailleurs d'augmenter . Au 31 décembre 2013, 25 496 places d'hôtel étaient ainsi ouvertes, contre « seulement » 20 727 places au 31 décembre 2012. Avec 148,4 millions d'euros en crédits de paiement 12 ( * ) , la dépense s'est ainsi accrue de 38 % par rapport à 2012.

L'essentiel des dépenses enregistrées en nuitées d'hôtel concerne l'Île-de-France. Ainsi, le SAMU social de Paris recouvre 75 % de la capacité nationale d'hébergement en hôtel et traite une demande qui a été multipliée par 9 depuis 1999.

Contrairement à ce qui pourrait être imaginé, les nuitées d'hôtel constituent le mode d'hébergement le moins onéreux pour l'Etat . En effet, selon les chiffres recueillis auprès de la direction générale de la cohésion sociale, le coût moyen annuel est le suivant :

- une place à l'hôtel : 5 000 à 7 000 euros ;

- une place en hébergement d'urgence : 9 000 à 11 000 euros ;

- une place en CHRS : 15 000 euros.

Pour autant, le recours à l'hôtel ne constitue pas une bonne solution car il correspond généralement à un hébergement de mauvaise qualité. En tout état de cause, il doit être réservé aux seuls cas où toutes les places pérennes seraient utilisées ou lorsqu'aucune autre possibilité n'est envisageable (par exemple l'hébergement d'une famille).

Le montant attribué aux CHRS reste stable en 2015, avec 623 millions d'euros accordés, tandis que l'enveloppe consacrée au logement adapté baisse de 4,5 % pour s'établir à 199,4 millions d'euros.

Cette diminution des crédits alloués au logement adapté s'explique notamment par le fait que le dispositif « accompagnement vers et dans le logement » est désormais intégralement financé par le Fonds national d'accompagnement vers et dans le logement (4 millions d'euros étaient inscrits en loi de finances initiale pour 2014).

En outre, le budget consacré à l'intermédiation locative 13 ( * ) passe de 70,1 millions d'euros en 2014 à 64,8 millions d'euros en 2015. Il peut paraître regrettable que ce dispositif, qui constitue un moyen efficace pour permettre à des ménages de retrouver un logement, voit ses crédits baisser, cette évolution est toutefois expliquée, dans le projet annuel de performances, par un réajustement du montant prévu au regard de la montée en charge réelle de l'intermédiation locative.

Votre rapporteur spécial note que le projet annuel de performances comprend cette année beaucoup moins d'éléments que les années précédentes sur la décomposition de la dépense dans la justification par action , notamment s'agissant des enveloppes prévues pour chacun des différents dispositifs d'hébergement d'urgence. La direction générale de la cohésion sociale, qu'il a interrogée sur ce point, lui a indiqué que cette répartition n'était pas encore connue car elle devra résulter des dialogues de gestion mis en place avec les opérateurs ainsi que des retours des services déconcentrés.

B. UNE DOTATION POUR 2015 SANS AUCUN DOUTE INSUFFISANTE

Depuis de nombreuses années, le programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » connaît une sous-budgétisation chronique, comme l'illustre le graphique ci-dessous :

Évolution des crédits du programme 177 entre 2008 et 2015

* Jusqu'à la loi de finances initiale pour 2012, le programme 177 couvrait les dépenses liées à l'aide alimentaire qui représentait 22,8 millions d'euros en LFI 2012) transférée à compter de la LFI 2013 vers le programme 304 « Lutte contre la pauvreté : revenu de solidarité active et expérimentations sociales » qui relève de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Source : commission des finances du Sénat

En 2013, la loi de finances initiale avait prévu un rebasage de 17 millions d'euros et pourtant, après que la réserve de précaution a été intégralement dégelée (73 millions d'euros), deux décrets d'avance du 27 septembre 2013 et du 28 novembre 2013 ont dû procéder à l'ouverture de respectivement 107 et 87 millions d'euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement. Ces crédits devaient permettre à la fois de financer le plan de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale ainsi que l'hébergement d'urgence dont les besoins exprimés s'avéraient bien supérieurs à la prévision.

De même, le Gouvernement a déjà ouvert 56 millions d'euros en 2014 , par un décret d'avance du 7 octobre 13 ( * ) , afin de couvrir les dépenses d'hébergement d'urgence, après que la réserve de précaution a été intégralement dégelée et que des redéploiements interne ont été effectués, avec notamment 51,6 millions d'euros issus des dotations initialement allouées à l'aide au logement temporaire (ALT 1 et ALT 2). Pourtant, plus de 92 millions d'euros supplémentaires avaient été alloués au programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » en loi de finances initiale pour 2014.

Le projet de loi de finances rectificative pour 2014 présenté en Conseil des ministres le 12 novembre dernier annonce qu' un second décret d'avance devrait très prochainement ouvrir des crédits supplémentaires notamment au titre de l'hébergement d'urgence . Par ailleurs, le projet de loi de finances rectificative prévoit lui-même l'ouverture de 43,8 millions d'euros afin de couvrir les dépenses liées à l'allocation de logement temporaire dont la dotation initiale a été redéployée au profit de l'hébergement d'urgence en cours d'année.

Comme pour les années passées, l'essentiel des besoins supplémentaires concernent l'hébergement d'urgence dont les crédits initialement alloués sont insuffisants.

Pour 2015, il semble peu probable que l'enveloppe attribuée pour le programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables », même bénéficiant une nouvelle fois de 59,6 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2014, soit suffisante .

En effet, avec 1,375 milliard d'euros, le programme ne dispose déjà pas de crédits à la hauteur de l'exécution enregistrée en 2013 (1,396 milliard d'euros à périmètre constant 14 ( * ) ). La ligne consacrée à l'hébergement d'urgence semble, de toute évidence, également sous-évaluée, avec 389 millions d'euros prévus pour une exécution en 2013 de 410 millions d'euros .

Or il est peu probable que l'année 2015 connaisse moins de dépenses d'hébergement d'urgence que les années passées , compte tenu du contexte économique difficile que connait la France, du taux de chômage élevé depuis plusieurs années et du nombre croissant de demandeurs d'asile. Il est notamment à craindre que les chômeurs en fin de droit soient plus nombreux, conduisant à des situations de mal logement voire à de nouvelles populations de sans-abris.

La direction générale de la cohésion sociale a toutefois estimé que la réforme annoncée du droit d'asile devrait permettre de désengorger pour partie l'hébergement d'urgence . Selon elle, en raccourcissant les délais d'instruction, l'administration devrait être en mesure de procéder plus aisément à des reconduites à la frontière, les personnes concernées n'ayant pas eu le temps de s'installer durablement sur le territoire français (scolarisation des enfants...). En outre, le Gouvernement espère que cette réforme réduira le nombre de demandeurs d'asile dont le flux a augmenté de 15 % entre 2011 et 2013 mais semble se réduire légèrement en 2014.

Votre rapporteur spécial entend cet argument qui ne saurait, pour autant, être retenu pour espérer une baisse de la dépense pour l'année 2015 , le projet de loi relatif à la réforme de l'asile n'étant qu'au début de son examen par le Parlement.

En outre, la réforme du droit d'asile pourrait au contraire conduire à un nombre plus important de demandeurs d'asile dans les centres d'hébergement d'urgence relevant du programme 177. En effet, étant déboutés plus vite, ils feront alors appel à l'hébergement de droit commun et ne pourront plus bénéficier des places qui leur sont spécifiquement réservées dans les centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA).


* 8 En vertu de l'article 138 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

* 9 Notamment dans son rapport thématique « L'accueil et l'accompagnement des gens du voyage » d'octobre 2012.

* 10 La veille sociale « permet de connaître et de soutenir les personnes sans abri en établissant un premier contact et un premier accueil, en leur proposant des aides matérielles (douches, vestiaires, restaurations...) en procédant à un recueil de leur besoin d'hébergement et à une proposition d'orientation dans des structures d'hébergement, d'accompagnement et d'orientation » (projet annuel de performances pour 2015).

* 11 Conformément au 4 ème plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes 2014-2016, une enveloppe de 890 000 euros destinée au financement des accueils de jour pour les femmes victimes de violence est prévue dans la loi de finances pour 2015. Prévue en 2014 sur le présent programme, elle a été transférée en 2015 au sein du programme 137 « Egalité entre les hommes et les femmes » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Le montant des crédits prévus en 2015 s'établit à 15 millions d'euros en AE=CP. Selon le projet annuel de performances de cette mission, le transfert devrait permettre « de notifier les crédits plus rapidement aux associations porteuses du dispositif et ainsi de sécuriser les structures en évitant des transferts en gestion ».

* 12 Par ailleurs, 10,8 millions d'euros ont financé des nuitées d'hôtel au titre de la campagne hivernale en 2013 (7,1 millions d'euros en 2012).

* 1 L'intermédiation locative permet à des ménages défavorisés d'accéder à des logements du parc privé, par le biais d'associations ou des organismes de logement social qui prennent le bail. Les crédits accordés couvrent le différentiel entre le loyer payé par le ménage et le prix du marché ainsi que les charges de fonctionnement des opérateurs et l'accompagnement social des ménages concernés.

* 13 Décret n° 2014-1142 du 7 octobre 2014 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.

* 14 C'est-à-dire hors action 04 « Rapatriés ».