M. Maurice VINCENT, rapporteur spécial


LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1) Le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » est le support budgétaire des opérations conduites par l'État actionnaire (cession ou acquisition d'une participation, par exemple). Le compte n'est, en principe, pas alimenté par le budget général de l'État : le mode normal de financement d'une prise de participation est la cession d'une autre participation.

2) Des versements à la Caisse de la dette publique, financés par des cessions de participation, peuvent également être effectués à partir du compte afin de participer au désendettement de l'État .

3) Chaque année, le projet de loi de finances inscrit, de manière conventionnelle, 5 milliards d'euros de recettes résultant de cessions, le Gouvernement refusant de s'engager a priori sur un montant ou un rythme de cession pour l'année suivante, notamment pour des raisons de confidentialité.

L'exercice 2015 : la poursuite de la « gestion active » du portefeuille

4) Alors que le Gouvernement avait annoncé en octobre 2014 qu'il réaliserait des cessions pour un montant minimal de 5 milliards d'euros , le montant des cessions effectuées entre le 1 er janvier et le 31 août 2015 ne s'élève qu'à 1,69 milliard d'euros.

5) Les trois principales recettes enregistrées en 2015 sont :

- la cession de titres Safran, pour un total de 1,033 milliard d'euros ;

- l' ouverture du capital de l'aéroport de Toulouse-Blagnac pour 308 millions d'euros ;

- la cession de titres GDF-Suez, pour un total de 206 millions d'euros .

6) La mise en place du droit de vote double prévu par la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 s'est généralement déroulée sans difficulté même si l'État a été conduit à monter au capital de Air France (de 15,88 % à 17,58 % pour 42 millions d'euros) et de Renault (de 15,01 % à 19,74 % pour 1,258 milliard d'euros) afin de s'opposer à l'adoption de résolutions visant à maintenir le droit de vote simple.

7) La contribution du compte d'affectation spéciale au désendettement de l'État devrait être de l'ordre de deux milliards en 2015, alors qu'un versement de 4 milliards d'euros était prévu en loi de finances initiale.

8) Pour l'année 2015, les dividendes de sociétés non financières perçus par le budget général de l'État devraient s'établir à environ 3,2 milliards d'euros, en retrait de 0,5 milliard d'euros par rapport à la prévision.

9) La valeur du portefeuille coté de l'État s'établit à 83,1 milliards d'euros au 30 avril 2015, soit une baisse de 2,73 % sur un an (contre + 41 % sur la période précédente), en grande partie liée aux difficultés rencontrées par le secteur de l'énergie.

10) La participation de l'État dans EDF comptait au 30 avril 2015 pour près de 43 % de valeur du patrimoine coté de l'État. Le secteur énergétique (EDF, GDF-Suez, Areva) représentait à la même date 61,7 % du portefeuille coté de l'État, qui est donc particulièrement sensible aux difficultés que peut rencontrer ce secteur. Entre le 30 avril 2015 et le 30 septembre 2015, le cours de l'action EDF a perdu environ 30 % de sa valeur.

L'exercice 2016 : un important besoin de financement et la perspective de nouvelles cessions

11) Seulement 626 millions d'euros sont inscrits de manière certaine dans le budget pour 2016 . Il s'agit de dépenses obligatoires au titre de divers engagements pris par l'État (par exemple, la participation à la recapitalisation des banques multilatérales de développement est un engagement pris par la France dans le cadre du G 20).

12) Pour autant le besoin de financement sera particulièrement important , notamment afin de satisfaire la nécessaire augmentation de capital d'Areva , dans le cadre de la refondation de la filière nucléaire. L'État reste en outre susceptible d'acquérir jusqu'à 20 % du capital d'Alstom en 2016.

13) Un versement à la Caisse de la dette publique de 2 milliards d'euros est prévu en 2016 .

14) Même si le compte d'affectation spéciale dispose d'un solde cumulé encore largement positif, de nouvelles cessions de participation devront être réalisées pour couvrir ces dépenses.

15) Si votre rapporteur spécial ne souhaite pas préjuger des participations qui pourraient ou devraient être cédées, l' ouverture du capital des aéroports de Nice et de Lyon a été autorisée et le produit de cette opération pourrait être enregistré sur le compte d'affectation spéciale dès 2016 .

16) Pour l'année 2016, les dividendes de sociétés non financières inscrits sur le budget général de l'État sont estimés à 3,289 milliards d'euros .

À la date du 10 octobre, date limite prévue par la LOLF pour l'envoi des réponses au questionnaire budgétaire, votre rapporteur spécial avait reçu 83 % des réponses.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » est le support budgétaire des opérations conduites par l'État en tant qu'actionnaire et, en pratique, par l'Agence des participations de l'État (APE), service à compétence nationale directement rattaché au ministre des finances et au ministre de l'économie.

Le compte spécial est prévu par la loi organique relative aux lois de finances, dont l'article 21 dispose que « les opérations de nature patrimoniale liées à la gestion des participations financières de l'État, à l'exclusion de toute opération de gestion courante, sont, de droit, retracées sur un unique compte d'affectation spéciale ».

Le projet annuel de performances du compte spécial pour 2016 rappelle que « les participations financières de l'État peuvent être définies comme les droits qu'il détient sur d'autres entités, matérialisés ou non par des titres, qui créent un lien durable avec celles-ci et comportent une contrepartie figurant au bilan de l'État. Ces droits peuvent découler de la détention de parts de capital ou de l'existence d'un contrôle exercé sur elles . Une liste indicative de ces entités figure en annexe du décret n° 2004-963 du 9 septembre 2004 modifié, qui a créé l'Agence des participations de l'État (APE) » 1 ( * ) .

Le compte spécial retrace en recettes, à titre principal, les produits des cessions de participations conduites par l'État . En revanche, les dividendes des entités dont l'État est actionnaire sont reversés à son budget général.

Du coté des dépenses, le compte spécial peut financer des prises de participation , mais aussi contribuer au désendettement de l'État par le versement de dotations à la Caisse de la dette publique.

Du point de vue des recettes, le compte spécial présente une particularité : à chaque exercice budgétaire, la prévision de recettes tirées des cessions de participations est fixée conventionnellement à 5 milliards d'euros, car le Gouvernement refuse de s'engager a priori sur un montant de cessions pour l'année suivante .

Le projet annuel de performances souligne en effet, année après année, que « pour des raisons de confidentialité, inhérentes notamment à la réalisation de cessions de titres de sociétés cotées, il n'est pas possible au stade de l'élaboration du projet de loi de finances, de détailler la nature des cessions envisagées. La stratégie de cession dépend en effet très largement de la situation des marchés, très difficile à anticiper, des projets stratégiques des entreprises intéressées, de l'évolution de leurs alliances ainsi que des orientations industrielles retenues par le Gouvernement . Dans ce contexte, le responsable du programme évalue les opportunités, en ligne avec les lignes directrices de l'État actionnaire, et peut proposer au ministre de réaliser une opération ».

En revanche, des dépenses certaines peuvent, pour leur part, être budgétées dans le compte. Elles seront alors soit financées par des cessions, soit par les crédits résultant solde positif du compte à l'issue de l'exercice précédent.

*

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, le Gouvernement remet au Parlement, concomitamment, le projet annuel de performances relatif au compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » (bleu budgétaire), qui fait l'objet d'un vote en séance publique, et le « rapport relatif à l'État actionnaire » (jaune budgétaire), qui est en fait le rapport annuel établi par l'APE et qui met en perspective les éléments budgétaires inscrits sur le compte spécial.

PREMIÈRE PARTIE :
LES GRANDS ENJEUX DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE
EN 2015 ET 2016

I. UNE ÉVOLUTION IMPORTANTE : LA MISE EN PLACE DU DROIT DE VOTE DOUBLE CONFORMÉMENT À LA LOI « FLORANGE »

A. UNE MISE EN PLACE DES DROITS DE VOTE DOUBLES GÉNÉRALEMENT PEU CONFLICTUELLE

La loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, dite loi « Florange », a prévu que, pour les sociétés cotées sur un marché réglementé, un droit de vote double est attribué de droit, sauf clause contraire des statuts, à toutes les actions entièrement libérées et inscrites au nominatif depuis au moins deux ans.

L'octroi d'un droit de vote double vise à récompenser l'investissement de long terme et ainsi favoriser l'émergence d'un bloc stable d'actionnaires de référence au sein des entreprises concernées, dont il accompagnera le développement.

Cette mesure correspond à une préconisation du « rapport Gallois » : « pour investir, les entreprises ont également besoin de visibilité sur l'avenir ; elles ne peuvent être exclusivement soumises aux impératifs - souvent de court terme - des marchés financiers ; en premier lieu, le poids des actionnaires dans les entreprises doit être équilibré, en privilégiant ceux qui jouent le long terme et en donnant la parole aux autres parties prenantes de l'entreprise . Ceci nous conduit à faire les propositions suivantes : - le droit de vote double serait automatiquement acquis après deux ans de détention des actions , l'Assemblée Générale ne pouvant le remettre en cause qu'à la majorité des deux tiers [...] ».

L'État, dont l'horizon d'investissement est rarement inférieur à deux ans, est susceptible de profiter à plein de cette disposition, pour autant que les assemblées générales des actionnaires ne se soient pas opposées pas à la mise en oeuvre de celle-ci.

Dans certains cas, l'application de la loi « Florange » n'a pas posé problème, soit parce que les statuts de l'entreprise prévoyaient déjà le droit de vote double pour les actions détenues au nominatif depuis plus de deux ans, comme c'était le cas pour Safran, soit parce que aucune résolution n'a été soumise à l'assemblée générale des actionnaires pour écarter ce dispositif. Cette dernière situation s'est rencontrée pour EDF ainsi que pour ADP, dont le conseil d'administration a indiqué dans son rapport à l'assemblée générale ordinaire du 18 mai 2015 : « Compte tenu des spécificités d'Aéroports de Paris et du rôle spécifique qu'est en conséquence celui de l'État pour Aéroport de Paris, il est estimé que le fait que les actions d'Aéroports de Paris puissent disposer d'un droit de vote double lorsqu'elles satisfont aux exigences de l'article L. 225-123 du Code de commerce est de nature à préserver et renforcer l'implication indispensable de l'État et à favoriser l'implication des actionnaires dans la vie de la société. Par conséquent, il a été décidé de ne pas proposer de modification des statuts visant à faire obstacle à l'application du droit de vote double prévu à l'article L. 225-123 du code de commerce. »

De même, le rapport du conseil d'administration d'Areva à l'assemblée générale mixte du 21 mai 2015 explique que « compte tenu de la particularité de l'actionnariat de la Société et dans la mesure où cette disposition permet de privilégier et de conforter un actionnariat stable avec une vision long terme, la décision a été prise par le Conseil d'Administration de ne pas écarter les dispositions de l'article L. 225-123 du Code de commerce et de ne pas modifier les statuts ».

Chez Orange, un actionnaire minoritaire - la société de gestion Phitrust - a choisi de présenter une résolution visant à empêcher l'instauration du droit de vote double, alors que la direction n'en avait pas pris l'initiative. La résolution n'a recueilli que 43,3 % des voix.

Dans d'autres sociétés, c'est la direction elle-même qui a soumis aux actionnaires une proposition de résolution.

Cette démarche a pu être motivée par le souhait de donner le choix aux actionnaires, des agences de conseil de vote ayant fait savoir qu'elles noteraient négativement les sociétés qui n'auraient pas au moins proposé à leurs actionnaires une résolution visant à maintenir les droits de vote simples. C'est ainsi que le conseil d'administration de GDF Suez a déposé une telle résolution « afin de permettre, en bonne gouvernance, aux actionnaires de se prononcer sur ce sujet ».

Le conseil d'administration d'Air France a quant à lui pris parti en indiquant dans son rapport à l'assemblée générale du 21 mai 2015 : « Afin de maintenir l'égalité de traitement entre les actionnaires détenant leurs actions au nominatif et ceux les détenant au porteur, il vous est proposé de décider d'utiliser la faculté conférée par l'article L. 225-123 alinéa 3 du Code de commerce de ne pas conférer de droit de vote double, de conserver les droits de vote simples et de modifier en conséquence les statuts ».

Dans ce contexte, l'État a souhaité se donner les moyens de soutenir l'adoption des droits de vote doubles. Entre le 8 et le 13 mai, 5,1 millions de titres Air France ont ainsi été acquis sur le marché pour 42 millions d'euros, portant la participation de l'État de 15,88 % à 17,58 %.

Toutefois la situation la plus conflictuelle s'est rencontrée chez Renault, dont le conseil d'administration a soumis à l'assemblée générale du 30 avril 2015 une résolution visant à l'« instauration statutaire du principe ?une action, une voix? ».

B. LA SITUATION PARTICULIÈRE DE RENAULT

1. Une montée au capital opportune

Face à l'opposition vivement manifestée par la direction de Renault à la mise en place de droits de vote doubles, l'État a fait, le 8 avril 2015, l'acquisition de 14 millions de titres Renault, pour un montant de 1,258 milliard d'euros, portant sa participation de 15,01 % à 19,73 % du capital de l'entreprise.

Par un communiqué de presse en date du 16 avril 2015, Renault a fait savoir que son conseil d'administration réaffirmait son soutien à cette résolution « motivée par la situation spécifique des droits de vote au sein de l'Alliance » entre Renault et Nissan.

Lors de l'assemblée générale, Philippe Lagayette, administrateur référent de Renault, a ainsi expliqué que « ce problème est apparu dès l'adoption de la loi Florange. L'État et Nissan détiennent 15 % chacun du capital de Renault. Or, les règles sur les participations croisées et l'autocontrôle privent de facto Nissan de ses droits de votes. Avant l'adoption de la loi, l'État détenait 17,5 % des droits de vote contre 0 pour Nissan.

Compte tenu des bonnes relations préexistantes au sein de l'Alliance, cette situation était acceptée depuis 10 ans. L'introduction des droits de vote double va accentuer considérablement ce déséquilibre, portant à 28 % la détention des droits de vote de l'État, les droits de vote de Nissan restant à 0 %. Le Conseil d'administration a perçu que cette situation aboutit à un déséquilibre, ressenti comme tel par Nissan. » 2 ( * )

Philippe Lagayette a précisé que « d'autres actionnaires trouvent cette situation préoccupante. C'est notamment le cas de Daimler, autre partenaire de l'Alliance, certes à un pourcentage moindre, ainsi que d'un certain nombre de fonds qui en font parfois une question de respect du principe ?une action, une voix?. »

Ainsi c'est bien « le Conseil d'administration dans sa majorité, à l'exception des représentants de l'État, [qui] partage ce point de vue et a jugé utile de soumettre cette résolution au vote des actionnaires. » Or « le rôle du Conseil d'administration est de déterminer un sentiment majoritaire sur l'intérêt de la Société, surtout en cas de désaccord entre les actionnaires ».

La résolution a finalement recueilli 60,53 % des voix, alors qu'une majorité qualifiée des deux tiers était nécessaire pour son adoption. Sans la montée au capital de Renault réalisée par l'État, cette résolution n'aurait sans doute été rejetée que de justesse.

Au cours de la même assemblée générale, Carlos Ghosn a affirmé que « Renault a traversé la crise sans mettre le genou à terre. Renault fut la seule entreprise à ne pas suspendre ses investissements, à ne remettre en cause aucun de ses projets durant la crise. Les résultats ne vont pas tarder à se faire ressentir. »

Et de conclure avec force : « Les grandes industries se construisent par la patience de leurs actionnaires. »

Votre rapporteur spécial ne peut que souscrire à cette dernière affirmation et considère que l'instauration des droits de vote doubles est justement de nature à encourager la patience des actionnaires en la récompensant.

Il rappelle par ailleurs, que si « « Renault a traversé la crise sans mettre le genou à terre », c'est également grâce à l'État. En effet, Renault, comme PSA, avait sollicité en 2009 l'aide de l'État qui avait répondu présent et mis en place un « Plan automobile » de soutien à la filière, confrontée au manque de liquidités après la crise financière. Dans ce cadre, l'État avait octroyé à Renault, en avril 2009, un prêt d'environ 3 milliards d'euros sur cinq ans, remboursé par anticipation en avril 2011.

Plus généralement, la constance de la présence de l'État au capital de Renault depuis soixante-dix ans, aujourd'hui à un niveau bien moindre que par le passé, a sans doute contribué à la réussite de l'entreprise et n'a pas empêché l'alliance avec Nissan.

Votre rapporteur spécial rappelle également que le fait que Nissan n'a pas de droit de vote au sein de Renault n'a rien à voir avec le niveau de de la participation de l'État.

En effet, depuis la loi n° 89-531 du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, l'autocontrôle est interdit, l'article L. 233-31 du code du commerce disposant que « lorsque des actions ou des droits de vote d'une société sont possédés par une ou plusieurs sociétés dont elle détient directement ou indirectement le contrôle, les droits de vote attachés à ces actions ou ces droits de vote ne peuvent être exercés à l'assemblée générale de la société ».

Renault détient 43,4 % de Nissan, qui détient à son tour 15 % du constructeur français. Or l'article L. 233-3 du code de commerce fixe à 40 % le seuil de détention de capital au-delà duquel une société est présumée en contrôler une autre. Nissan n'a pas donc de droit de vote au titre de sa participation au capital de Renault qui serait sinon en situation d'autocontrôle.

L'idée d'une descente de la participation de Renault sous la barre des 40 % au-delà laquelle son contrôle de Nissan est présumé, afin de permettre à Nissan de récupérer ses droits de vote a été évoquée, avec comme arguments l'évolution du poids respectif des deux constructeurs dans l'alliance et le renforcement de l'État au capital de Renault.

En 2014, 62 % des véhicules vendus par l'alliance sont produits par Nissan, quand la part de Renault est de 32 %. En 2005, Renault réalisait 41,3 % des ventes de l'ensemble. Sur le plan financier, le poids de Nissan est encore plus important : en 2014, le résultat consolidé du groupe s'est établi à 1,998 milliard d'euros, la contribution de Nissan s'élevant à 1,559 milliard d'euros.

Pour autant, Renault n'a aucune obligation juridique de modifier le niveau des participations réciproques qui le lient à Nissan.

Quant au bouleversement qui résulterait de l'instauration des droits de vote doubles, votre rapporteur spécial rappelle qu'en 2012, au moment où Nissan avait pris 15 % de Renault sans droits de vote, la participation de l'État dans Renault atteignait 25,9 %.

Par ailleurs, l'État s'est engagé à ramener rapidement sa participation à son niveau d'origine soit 15,01 %.

Votre rapporteur spécial considère donc que l'État n'a fait que veiller au respect de ses droits, grâce à quoi il s'est mis en position de mieux garantir l'ancrage national de Renault et la pérennité de la filière automobile française.

2. Une descente plus difficile que prévu

Le 8 avril 2015, l'État a annoncé l'acquisition, auprès de Deutsche Bank, de 14 millions de titres Renault. D'après les réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial, cette opération, qui s'est achevée le 20 avril 2015, a coûté, avec tous les frais associés, 1,258 milliard d'euros, soit 89,86 euros par action.

Dès le départ, l'État a expliqué que cette montée au capital ne serait que temporaire, l'achat de titres ne préfigurant « en aucun cas un mouvement durable à la hausse ou à la baisse sur sa participation au capital de l'entreprise » 3 ( * ) .

L'objectif initial étant de revendre ces titres avant la fin de l'année, l'État a souhaité se prémunir contre une éventuelle baisse de leur valeur.

Pour cela, il a souscrit auprès de Deutsche Bank des options de vente portant sur 14 millions d'actions Renault « exerçables au prix par action de 90 % du cours de référence de l'action Renault au 7 avril 2015 » 4 ( * ) . Le cours de référence s'élevant à cette date à 85,26 euros, l'État est ainsi garanti contre une baisse de cours en-deçà de 76,73 euros par action. Sa perte serait donc en théorie limitée à 183,8 millions d'euros, les moins-values étant assumées au-delà de ce montant par Deutsche Bank.

Afin de compenser le coût d'acquisition de ces options, l'État a cédé à Deutsche Bank des options d'achat portant sur le même nombre de titres, « exerçables au prix par action de 110 % par action du cours de de l'action Renault au 7 avril 2015 ». Autrement dit, si le cours de l'action Renault dépasse 93,79 euros, la plus-value par rapport à ce prix reviendra à Deutsche Bank.

Le dénouement de ces deux séries d'options est échelonné linéairement entre le 7 octobre 2015 et le 28 décembre 2015. Ses modalités, en titres ou en numéraire, sont à la main de l'État.

Le cours de l'action Renault, après être monté jusqu'à 98,81 euros le 22 mai 2015, est descendu jusqu'à 62,18 euros le 29 septembre dernier, à la suite de la révélation de l'affaire Volkswagen.

Le 7 octobre dernier, le cours de l'action Renault s'est établi à 74,19 euros, soit un montant inférieur au prix d'exercice des options d'achats détenues par l'État. Celui-ci a donc exercé les options d'achat arrivant à échéance ce jour-là et a choisi un dénouement en numéraire 5 ( * ) .

En conséquence, Deutsche Bank a versé à l'État, pour le nombre d'actions convenu, la différence entre le prix d'exercice et le cours du jour, soit 2,54 euros par action. Cette opération s'est répétée chaque jour suivant, en fonction du cours du jour.

Compte tenu des conditions de marché, l'État conserve pour l'instant les 14 millions d'actions acquises en avril dernier.

C. LA POSSIBILITÉ DE DÉGAGER DES RESSOURCES SANS PERTE D'INFLUENCE

Si l'État souhaite désormais conduire une politique de gestion active de son portefeuille de valeurs cotées, il reste contraint par les seuils minimum de détention publique fixés par la loi pour certaines entreprises.

Le législateur a ainsi fixé un seuil de détention publique de 50 % pour ADP et de 100 % pour RTE. De même, la loi prévoit un seuil minimum de 70 % pour EDF et d'un tiers pour GDF Suez.

Dans ce dernier cas, la contrainte a été allégée par la loi « Florange » dont le VI de l'article 7 dispose que « dans les sociétés anonymes dans lesquelles la loi prévoit que l'État doit atteindre un seuil minimal de participation en capital, inférieur à 50 %, cette obligation est remplie si ce seuil de participation est atteint en capital ou en droits de vote. La participation de l'État peut être temporairement inférieure à ce seuil à condition qu'elle atteigne le seuil de détention du capital ou des droits de vote requis dans un délai de deux ans. »

Cette disposition, qui ne s'applique en pratique qu'à GDF Suez, permet de tirer profit de la mise en place de droits de vote doubles pour réaliser des cessions d'actions sans perte d'influence et dans le respect des seuils de participation publique fixés par la loi.

Le 5 juin 2014, l'État avait cédé 75 millions d'actions GDF Suez (soit 3,1 % du capital). Cette opération avait rapporté environ 1,5 milliard d'euros. Au terme de ce placement, l'État détenait 33,6 % du capital de GDF Suez. Sans la disposition introduite par la loi « Florange », les possibilités de cessions supplémentaires auraient été très réduites.

Conformément à l'arrêté en date du 12 juin 2015 fixant le prix et les modalités de cession d'actions de la société GDF Suez (Engie), l'État a engagé le 16 juin 2015 une cession au fil de l'eau de titres GDF Suez (Engie).

Au total, 11 632 897 actions GDF Suez (Engie), soit 0,48 % du capital de la société, ont été cédées, la recette pour l'État s'élevant à 206 millions d'euros. Au terme de cette opération, l'État détient 32,76 % du capital de GDF Suez.

La participation de l'État est donc passée légèrement en dessous du minimum légal, que cela soit en capital ou en droits de vote. Toutefois, l'instauration de droits de vote doubles, à laquelle l'assemblée générale des actionnaires de GDF Suez ne s'est pas opposée, permettra à l'État de revenir dès le 2 avril 2016, c'est-à-dire dans le délai légal, à un niveau de détention des droits de vote supérieur au tiers.

L'instauration des droits de vote doubles a ainsi permis à l'État de poursuivre la gestion active de son portefeuille tout en restant l'actionnaire de référence de la société GDF Suez.

II. UN COMITÉ STRATÉGIQUE DE L'ETAT ACTIONNAIRE QUI TARDE À SE METTRE EN PLACE

En janvier 2014, Pierre Moscovici, alors ministre de l'économie et des finances et Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif, confirmaient dans une communication en Conseil des ministres sur la stratégie de l'État actionnaire la création prochaine d'un comité stratégique de l'État actionnaire.

Interrogé par votre rapporteur spécial sur le retard pris dans la mise en place de ce comité stratégique, le Gouvernement a répondu que « pour renforcer son rôle d'actionnaire et en éclairer les grands principes d'action, l'État gagnerait à se doter d'un lieu institutionnel d'échange, visant à débattre et à suivre sa politique actionnariale, sur un plan aussi bien stratégique que financier, avec le souci de gérer au mieux des intérêts du pays le portefeuille qui lui a été confié. À cette fin, le Gouvernement travaille aux modalités de mise en place d'un comité stratégique de l'État actionnaire.

« Celui-ci, composé de personnalités indépendantes et qualifiées, aura pour mission d'évaluer dans la durée la stratégie et les objectifs de l'État actionnaire, de l'actualiser si nécessaire, et de juger de la performance de gestion de l'APE. Ce Comité jouera ainsi un rôle précieux pour décrire les options stratégiques du portefeuille dans les principaux secteurs économiques et en définir les orientations. Il constituera un lieu de dialogue utile et de pédagogie nécessaire sur les choix opérés par l'État dans la gestion de ses participations. »

Compte tenu de cette appréciation sur l'utilité d'un tel comité, votre rapporteur spécial s'explique mal les raisons qui conduisent à différer sa mise en place.

III. LA VALEUR DU PORTEFEUILLE DE L'ÉTAT PÉNALISÉE PAR LES DIFFICULTÉS DU SECTEUR DE L'ENERGIE

Le rapport de l'État actionnaire indique que « sur un an (avril 2014 - avril 2015), la valeur du portefeuille a reculé de 2,3 milliards d'euros à 83,1 milliards d'euros (- 2,73 %), alors que les mouvements de cessions et investissements [...] se sont traduits par une rentrée nette de 127 millions d'euros ». Cette évolution est sensiblement inférieure à celle des marchés actions, le CAC 40 ayant enregistré une croissance 12,46 % sur la même période

Le même rapport explique que, « malgré les excellentes performances de la plupart de ses lignes, le portefeuille de titres cotés a peu bénéficié de la hausse générale des marchés actions en raison de sa composition sectorielle ». En effet, « la valeur du portefeuille est affectée par celle de sa principale participation cotée (EDF) dont le cours a reculé 17,78 % sur un an dans un contexte caractérisé par la baisse des prix de l'énergie en Europe ainsi que sur les incertitudes sur la transition énergétique ».

Votre rapporteur spécial rappelle que la forte hausse constatée sur la période précédente (+ 40,75 % du 30 avril 2013 au 30 avril 2014), s'expliquait déjà principalement par l'évolution du cours d'EDF (+ 97,75 % sur un an), entreprise dont l'État possède 85 % du capital.

De fait, la participation de l'État dans EDF comptait au 30 avril 2015 pour près de 43 % de valeur du patrimoine coté de l'État. Le secteur énergétique (EDF, GDF Suez, Areva) représentait à la même date 61,7 % du portefeuille, qui est donc particulièrement sensible aux difficultés que peut rencontrer ce secteur.

On notera cependant que, si l'indice européen des valeurs du secteur électrique a fortement ralenti sa progression sur la période considérée, il augmente tout de même de 6,82 %. EDF se situe donc nettement en-dessous de son benchmark européen.

L'entreprise cumule en effet plusieurs difficultés : elle doit faire face doit faire face à d'importantes dépenses (travaux sur son parc nucléaire français, projet d'EPR au Royaume-Uni, rachat d'une partie de l'activité d'Areva), alors même que des incertitudes pèsent sur ses ressources et sa rentabilité.

À compter du 1 er janvier 2016, conformément à l'article L. 337-9 du code de l'énergie, les sites des consommateurs dont la puissance de raccordement est supérieure à 36 kVA (tarifs « jaune » et « vert ») ne pourront plus bénéficier des tarifs réglementés d'électricité. Les entreprises concernées devront souscrire un nouveau contrat en offre à prix de marché, avec le fournisseur d'électricité de leur choix. Le prix de marché est actuellement inférieur aux tarifs réglementés.

Pourtant les tarifs réglementés ne permettent pas à EDF de couvrir ses coûts de production d'électricité.

Dans son troisième rapport sur les tarifs de vente réglementée d'électricité, publié le 15 juillet 2015, la commission de régulation de l'énergie (CRE) indique que « l es évolutions tarifaires au 23 juillet 2012 et au 1 er août 2013 ne permettaient pas de couvrir les coûts comptables d'EDF avec rémunération constatés sur les années 2012 et 2013. » La CRE rappelle que « les niveaux de sous-couverture des tarifs avaient occasionné un retard en masse de respectivement 509 millions d'euros et 627 millions d'euros pour ces deux années ».

Le régulateur signale également que « l es tarifs fixés au 1 er août 2013 sont restés en vigueur jusqu'au 31 octobre 2014 ». Durant cette période, « les tarifs ne permettaient toujours pas de couvrir les coûts d'EDF, [...] engendrant de nouveaux rattrapages tarifaires à réaliser sur les exercices tarifaires suivants ».

Pourtant, par une décision du 11 avril 2014 6 ( * ) , le Conseil d'État avait, sur un recours déposé par les fournisseurs d'électricité concurrents d'EDF, annulé l'arrêté du 20 juillet 2012 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité et enjoint au Gouvernement de procéder dans les deux mois à une hausse des tarifs permettant de couvrir rétroactivement le manque à gagner pour EDF.

Or le rattrapage effectué réalisés par les tarifs réglementés de vente sur la période du 1 er novembre 2014 au 31 juillet 2015 ne s'élève qu'à 205 millions d'euros.

C'est pourquoi la CRE a préconisé que l'augmentation du tarif « bleu » d'EDF, plutôt destiné aux particuliers, qui devait intervenir le 1 er août 2015, s'établisse à 8 %, pour un rattrapage sur un an des hausses insuffisantes intervenues par le passé, ou à 3,5 % pour un rattrapage en deux ans. Une hausse de 2,5 % était proposée pour le tarif « jaune », plutôt destiné aux petites entreprises.

L'arrêté du 30 juillet 2015 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité, pris par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et par le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, a finalement fixé la hausse du tarif « bleu » à 2,5 % et a gardé inchangé le tarif « jaune ».

Entre le 31 juillet 2015 et le 30 septembre 2015, le cours de l'action EDF a perdu près de 30 % de sa valeur.

IV. L'ACCOMPAGNEMENT PAR L'ETAT DES ENTREPRISES DONT IL EST ACTIONNAIRE

A. LE POIDS DES DÉFAILLANCES PASSÉES : LE SAUVETAGE D'AREVA ET LA REFONDATION DE LA FILIÈRE NUCLÉAIRE

Le 31 décembre 2014, Areva annonçait un résultat net négatif record de 4,8 milliards d'euros, pour un chiffre d'affaires de 8,3 milliards d'euros.

Dans une interview publiée le 18 mai 2015 par le magazine L'Usine nouvelle, Emmanuel Macron, ministre de l'économie, explique que même si « Fukushima a rebattu les cartes du marché mondial », Areva « paie avant tout des choix stratégiques hasardeux, dans lesquels l'État actionnaire des années 2000 a sa part : le choix d'Areva de porter seul le risque de la construction du premier réacteur EPR à Olkiluoto en Finlande, sa diversification dans les mines sans assurer la profitabilité de son coeur de métier et un dysfonctionnement profond de la filière nucléaire française qui s'est fait concurrence à elle-même à l'international », déclarant également : « Il y a quelques années, EDF a décidé de réorienter massivement son approvisionnement vers Rosatom au moment où Areva investissait fortement dans son outil industriel de conversion de l'uranium... Comment peut-on avoir 83 % ou 85 % du capital dans chacune de ces entreprises et laisser faire cela ? »

La défaillance dans le contrôle qu'exerçait l'État actionnaire sur la stratégie et les choix d'investissement d'Areva a notamment été attribuée par un rapport particulier de la Cour des comptes du 23 mai 2014 à la forme de cette société : « La forme de la société anonyme-mère - directoire et conseil de surveillance - est régulièrement critiquée par les tutelles et l'a été par le contrôle général économique et financier. À la différence du conseil de surveillance, un conseil d'administration déterminerait les orientations stratégiques de la société, se prononcerait sur les grandes offres commerciales, arrêterait les comptes et ne dépendrait pas du directoire pour convoquer l'assemblée générale. Dans le schéma actuel de gouvernance, le directoire a pu prendre seul la décision de signer le contrat de l'EPR finlandais OL3, source d'une perte très importante pour AREVA. Le conseil d'administration permettrait à l'État actionnaire, qui y serait représenté, de se prononcer sur les grandes offres commerciales d'AREVA et d'arrêter les comptes, alors que le conseil de surveillance, où ses représentants siègent, n'a pas les mêmes pouvoirs. »

L'assemblée générale mixte des actionnaires d'Areva réunie le 8 janvier 2015 a adopté le changement de gouvernance d'Areva, pour passer d'une structure à directoire et conseil de surveillance à une structure à conseil d'administration.

Par ailleurs, la Cour des comptes relève que « l'histoire de la relation entre le groupe et l'État actionnaire entre 2006 et mi-2011 est donc bâtie sur une opposition régulière entre la présidente du directoire qui réclame une augmentation de capital pour financer un plan d'investissements correspondant à l'ambition des plans stratégiques validés, et les représentants de l'État qui soit relèvent l'ambition excessive des plans (tout en les validant), soit proposent des modalités de financement passant par des cessions (ce sera le cas de T&D), soit examinent d'autres solutions (rapprochement avec Alstom) ».

L'ambition d'Areva, que l'État n'a su ni freiner ni soutenir, s'appuyait sur une conception extensive du « modèle intégré », qui avait motivé la réunion, en juin 2001, des activités de CEA Industrie, du groupe privé Framatome, constructeur de réacteurs, et du groupe public Cogema, spécialisé l'extraction, la production et le recyclage de l'uranium.

À cet égard, La Cour des comptes note que cette notion de « modèle intégré », « qui revient tout au long de la période sous revue dans les fondements des choix stratégiques du groupe, pourrait constituer une notion intéressante pour l'État actionnaire en ce qu'elle lui permet de justifier ou non les choix industriels, capitalistiques, patrimoniaux voire régaliens (sensibilité du secteur) ayant conduit à la création d'Areva et justifiant son maintien plutôt que son démantèlement. Elle l'est beaucoup moins pour le groupe lui-même dans la construction de sa stratégie propre, et l'a conduit parfois à justifier des choix stratégiques qui reposaient avant tout sur une extension illimitée de la notion d'intégration, conduisant elle-même à une forme de fuite en avant. »

Résumant les écueils auxquels peuvent être confrontés les entreprises publiques lorsque l'État n'assume pas pleinement son rôle d'actionnaire, la Cour des comptes souligne que la manière dont le groupe Areva a été constitué l'a doté « des contraintes et de la culture spécifique d'un acteur très particulier dans sa relation avec l'État » et qu'ainsi il « s'est développé sur des bases qui n'étaient pas toujours favorables à l'élaboration d'une stratégie optimale : transparence limitée, prégnance de considérations extra-économiques, etc. »

Face à la situation dramatique d'Areva, le Président de la République a annoncé le 3 juin dernier un plan de « refondation de la filière nucléaire », consistant en le rapprochement, dans une société dédiée, des activités de conception, de gestion de projets et de commercialisation des réacteurs neufs d'EDF et d'Areva.

Le rapport de l'État actionnaire 2014-2015 indique que « cette opération permettra une politique d'exportation ambitieuse et le renouvellement futur du parc nucléaire français. Le rapprochement s'inscrit dans le cadre d'une vaste réflexion menée sur la refondation de la filière nucléaire, qui doit être marquée par la conclusion d'un accord de partenariat stratégique global entre Areva et EDF, sur le plan industriel et capitalistique. Dans ce cadre, l'État a annoncé qu'il recapitalisera Areva, en investisseur avisé, à la hauteur nécessaire. »

En réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial, l'APE précise qu' « à l' occasion de la publication des comptes du premier semestre 2015 le 31 juillet dernier, la direction d'AREVA a annoncé :

« - La signature d'accords préliminaires avec EDF concernant la cession de 75 % d'AREVA NP (« ANP »), ainsi que d'accords sur l'amont et l'aval du cycle permettant de renforcer la solidité des activités éponymes d'AREVA. La sortie du périmètre d'AREVA de AREVA NP a d'ailleurs été entérinée comptablement, puisque la filiale de construction de réacteurs est désormais consolidée par mise en équivalence selon la norme IFRS5 et ne contribue ainsi plus aux principaux indicateurs de gestion que sont le chiffre d'affaires, l'EBITDA ou le cash-flow opérationnel.

« - La poursuite de la mise en oeuvre d'un plan de performance, avec une gestion renforcée des grands projets, des gains attendus sur l'opérationnel (1 milliard d'euros) et une réduction d'ici fin 2017 de 5000 à 6 000 emplois pour l'ensemble du groupe, dans le respect des engagements demandés par le Président de la République sur le dialogue social.

« - La poursuite de la cession de ses activités non stratégiques (projet de vente de sa filiale Canberra, création de la société commune Adwen dans l'éolien off-shore) ainsi que la signature d'accords relatifs à la coopération franco-chinoise dans le nucléaire.

« - Les enjeux et les principales modalités du plan de financement de l'entreprise, avec un besoin de 7 milliards d'euros sur 2015-17 dont environ la moitié seraient couverts par des financements complémentaires (1,2 milliard d'euros) et des cessions d'actifs (2,4 milliards d'euros dont 2 milliards d'euros pour 75 % d'ANP). Le solde d'environ 3,5 milliards d'euros devra être couvert en grande partie par une augmentation de capital, dont le montant exact devra être précisé d'ici mi-novembre 2015 à l'issue anticipée des discussions avec la Commission Européenne.

« Les modalités de mise en oeuvre de cette augmentation de capital sont encore à l'étude par l'entreprise et, ainsi qu'annoncé en juillet dernier, des éléments d'information complémentaires seront apportés d'ici la fin de l'année. »

Jean-Bernard Lévy, président directeur général d'EDF, a annoncé le 18 octobre dernier 7 ( * ) , qu'EDF rachèterait finalement 51 % de la société Areva NP, pour 2,7 milliards d'euros, d'ici fin 2016.

En substance, ce plan consiste donc à mettre fin au « modèle intégré » et à démanteler le groupe Areva pour revenir à la situation d'avant 2001.

La mise à contribution de l'État, sans doute via le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », pourrait être amoindrie, dans une proportion qui reste à déterminer, grâce à l'ouverture du capital d'Areva NP et d'Areva à des investisseurs étrangers.

En particulier, l'hypothèse d'une prise de participation dans Areva NP par des industriels japonais ou chinois a été évoquée.

Le président d'Areva, Philippe Varin, a ainsi expliqué que « La Chine est incontournable pour Areva. C'est maintenant qu'il faut nouer des alliances, car elle est en croissance et a besoin de technologies » 8 ( * ) .

De même, le groupe japonais Mitsubishi Heavy Industries (MHI) a indiqué être en discussion avec Areva. Le Premier ministre a d'ailleurs déclaré le 3 octobre dernier, au cours d'un déplacement au Japon : « Les industries mèneront ces discussions. Tout est envisageable, dès lors que ces alliances entre industriels nous renforcent mutuellement. » Areva et MHI sont déjà liés à travers la coentreprise Atmea qui a développé le réacteur du même nom.

B. LA NÉCESSAIRE CONSOLIDATION DE L'INDUSTRIE DE DÉFENSE TERRESTRE : LE RAPPROCHEMENT ENTRE NEXTER ET KMW

Le 1 er juillet 2014, l'État a annoncé qu'un accord avait été conclu dans le secteur de l'armement entre l'entreprise française Nexter, filiale de la société Groupement industriel des armements terrestres (GIAT) détenue à 100 % par l'État, et l'entreprise allemande KMW (Krauss-Maffei Wegman) afin d'étudier les conditions d'un rapprochement entre ces deux entités.

À cette fin, l'article 189 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Groupement industriel des armements terrestres (GIAT) et de ses filiales.

Le rapprochement entre Nexter et KMW présente plusieurs avantages :

- il contribuera à consolider deux entreprises dont la taille était devenue insuffisante au regard de la concurrence, y compris européenne, et des besoins de recherche-développement ;

- il permet d'envisager une fusion entre égaux ;

- les gammes comme les réseaux commerciaux des deux entreprises sont largement complémentaires.

Votre rapporteur spécial estime que cette opération constitue une opportunité pour l'État actionnaire et souligne qu'il s'agit d'un pas supplémentaire dans le sens de la constitution d'une industrie de défense terrestre véritablement européenne.

La question des conséquences économiques, et notamment en termes d'emplois pour les unités actuelles de GIAT et les territoires concernés, devra faire l'objet d'une attention particulière.

C. LE DÉVELOPPEMENT D'UNE « PÉPITE » DU SECTEUR DES BIOTECHNOLOGIES : L'OUVERTURE DU CAPITAL DU LABORATOIRE DU FRACTIONNEMENT ET DES BIOTECHNOLOGIES À BPIFRANCE

Le Laboratoire du fractionnement et des biotechnologies (LFB) est une société de biotechnologies, spécialisée dans les produits dérivés du sang, notamment le plasma sanguin 9 ( * ) .

L'article L. 5124-14 du code de la santé publique dispose que le capital « est détenu en majorité par l'État ou par ses établissements publics ». Le même article prévoit que les activités du LFB « relatives à la fabrication des médicaments dérivés du sang destinés au marché français, issus du fractionnement du plasma, sont exercées exclusivement par une filiale [...] créée à cet effet. Le capital de cette filiale est détenu, directement ou indirectement, majoritairement par l'État ou par ses établissements publics ».

À ce jour, l'État détient 100 % du capital et des droits de vote de LFB SA, lui-même détenant à 100 % la filiale spécialisée.

L'article 190 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques permet désormais à Bpifrance de monter au capital du LFB. En effet, le principe d'une participation majoritaire publique est maintenu, mais recouvre maintenant non seulement la participation de l'État et de ses établissements publics mais également celle « d'autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public ».

Par un communiqué de presse en date du 12 octobre dernier, le Laboratoire français de fractionnement et des biotechnologies (LFB) a annoncé avoir décidé de procéder à une augmentation de capital de 230 millions d'euros destinée à soutenir son développement. Le calendrier de libération prévoit quatre étapes successives entre la première souscription, avant le 16 octobre 2015, d'un montant de 60 millions d'euros, et la quatrième prévue au plus tard en avril 2018. À l'issue de l'opération, le capital social de LFB SA s'élèvera à 280 millions d'euros.

Le même communiqué explique que cette augmentation « sera souscrite à 100 % par l'État Français, actionnaire unique de LFB S.A. ». Dans le détail, cette augmentation sera souscrite par Bpifrance, dont l'État et la Caisse des dépôts et consignations sont actionnaires. La participation directe de l'État sera ainsi ramenée à 17,86 % du capital de LFB, dont le capital restera cependant 100 % public (État et Bpifrance).

Cette opération illustre le partage des rôles entre l'APE et Bpifrance. Lors de l'examen en première lecture par le Sénat de la loi du 6 août 2015 précitée, Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, a ainsi déclaré : « Le rôle de l'APE, qui a une gestion patrimoniale, n'est pas de réinvestir dans les entreprises dont elle détient une partie du capital pour accompagner leur développement : c'est là une autre activité, celle précisément que nous avons confiée à Bpifrance. »

De fait, l'augmentation de capital financera notamment la construction d'une nouvelle usine de fabrication de médicaments dérivés du plasma, à la fois plus moderne et d'une capacité près de quatre fois supérieure à la capacité des deux lieux de production actuels du LFB. Située à Arras, elle devrait employer environ 500 personnes.

Cette opération permettra d'assurer le développement international du LFB (70 % de la production de la nouvelle usine à vocation à être exportée) et ainsi de renforcer une filière d'avenir dans un domaine de haute technologie.

On relèvera qu'à la suite de la visite du Premier ministre en Arabie saoudite le 12 octobre dernier, le LFB a signé avec le Fonds souverain saoudien un protocole d'accord pour un montant de 900 millions d'euros prévoyant la construction d'une usine de fractionnement dans ce pays. L'appel d'offres avait été remporté par le LFB quatre ans auparavant.

V. LA POLITIQUE DE DIVIDENDES DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE

Les dividendes reçus en 2014 des entreprises se sont élevés à 4,1 milliards d'euros , en légère baisse par rapport aux années précédentes. Comme en 2013, les cinq principaux contributeurs (EDF, Engie, SNCF, Orange et La Poste) représentent plus de 86 % du montant total versé.

La loi de finances pour 2015 prévoit un versement de 3,7 milliards d'euros. Le rapport de l'État actionnaire explique que cette prévision tient compte « du contexte économique et financier » et de « l'anticipation par les entreprises d'une moindre capacité distributive ». Elle s'appuie également sur « l'hypothèse qu'aucun versement de dividendes ne se ferait sous forme de titres » . En outre, elle intègre « la baisse mécanique de dividende de GDF Suez liée à la cession par l'État en juillet 2014 de 3,1 % du capital ».

Malgré la prudence de cette prévision, l'exposé général des motifs du présent projet de loi de finances annonce pour 2015 une « révision à la baisse de 0,5 milliard d'euros des dividendes des sociétés non financières, du fait du versement sous forme de titres d'une partie du dividende d'EDF. Ces versements sont bien un produit pour l'État au sens de la comptabilité nationale mais ne sont pas inscris en recettes du budget général. »

De fait, l'assemblée générale des actionnaires d'EDF du 19 mai dernier a adopté une résolution autorisant « le Conseil d'administration, en cas de distribution d'un ou plusieurs acomptes sur le dividende 2015, à proposer à chaque actionnaire, pour tout ou partie du ou des acomptes sur dividende, une option entre le paiement en numéraire ou en actions nouvelles ».

Il semblerait donc qu'en définitive l'État ait fait le choix d'un paiement en titres d'une partie du dividende que doit lui verser EDF en 2015.

Dividendes perçus par l'État actionnaire

(en milliards d'euros)

Exercice budgétaire

2005

2006

2007

(*)

2008

(*)

2009

(*)

2010

(*)

2011

(*)

2012

(*)

2013

(*)

2014

(*)

2015

LFI

2015

Prév.

2016
PLF

Dividendes en numéraire (**)

1,4

2,9

4,8

5,6

3,3

4,3

4,4

3,2

4,2

4,1

3,7

3,2

3,3

Dividendes en actions

-

-

-

-

2,2

0,1

-

1,4

0,2

-

-

0,5

-

Total

1,4

2,9

4,8

5,6

5,5

4,4

4,4

4,6

4,4

4,1

3,7

3,7

3,3

(*) Y compris acomptes sur dividendes

(**) L'article 21 de la loi organique aux lois de finances prévoit que les opérations de nature patrimoniale liées à la gestion des participations financières de l'État, à l'exclusion de toute opération de gestion courante, sont, de droit, retracées sur un unique compte d'affectation spéciale (CAS PFE). Les dividendes versés en numéraire par les entreprises à participations publiques sont identifiés parmi les recettes non fiscales et directement imputés sur le budget général.

Source : réponses au questionnaire budgétaire et exposé général des motifs du projet de loi de finances pour 2016

Politique de dividendes de l'État actionnaire

« En investissant l'argent des Français dans le capital d'entreprises industrielles et commerciales, l'État actionnaire attend légitimement en contrepartie une rémunération suffisante du risque encouru. L'État assure dans ce contexte une politique de dividendes responsable, lisible et régulière, dans l'intérêt patrimonial de l'État et de la capacité des entreprises à se développer sur le long terme.

« Il est difficile, voire impossible, de conduire une politique de distribution homogène pour l'ensemble du portefeuille, certains secteurs, fortement cycliques, ne pouvant en effet avoir un taux de distribution stable du fait de la nature de leur activité (automobiles, transports) à la différence des secteurs régulés (énergie). Dans la détermination du montant du dividende, l'État s'attache à fixer un niveau de dividende soutenable sur le moyen terme et cohérent avec la trajectoire financière de l'entreprise (résultats récurrents, endettement, investissements nécessaires au développement de l'entreprise). Ce niveau de dividende doit être fondé sur les résultats de l'activité récurrente et non sur sa composante exceptionnelle.

« Le taux de distribution des entreprises du portefeuille reste, pour la plupart d'entre elles, stable par rapport à l'année précédente. Ce taux ne doit pas être cependant sur-interprété. Le résultat de l'entreprise à prendre en compte pour disposer d'un taux de distribution pertinent est le résultat net récurrent et non le résultat net comptable affecté de résultats exceptionnels. L'impact, souvent important de pertes exceptionnelles (par exemple pour dépréciation d'actifs) fait souvent passer le taux de distribution au-dessus de 100 %.

« L'État prend naturellement en compte le contexte propre à certaines entreprises et veille à l'équilibre entre les besoins de liquidité de l'entreprise et la nécessaire rémunération de son investissement. ENGIE par exemple est confrontée depuis plusieurs années à la dégradation des marchés de l'énergie en Europe et a annoncé en 2014 un plan d'investissements ambitieux pour réorienter ses capitaux vers des zones de croissance, notamment dans les pays émergents. En conséquence, ENGIE a réduit d'un tiers son dividende en 2014, au titre de l'exercice 2013, et applique désormais une politique de distribution claire, lui permettant de financer son programme d'investissements sans dégrader sa structure financière.

« Par ailleurs, le taux de distribution est très disparate d'un secteur à l'autre : élevé dans ceux aux revenus peu volatils (utilities, secteurs régulés, etc.), alors que d'autres, fortement cycliques, ne peuvent avoir un taux de distribution stable du fait de la nature de leur activité (automobiles, transports). Le portefeuille de l'État est en grande partie surpondéré en entreprises du secteur énergétique (75 %), ce qui biaise la comparaison avec le CAC 40, composé d'une majorité de cycliques.

« Si on s'en tient aux seuls comparables énergétiques européens, les entreprises publiques sont, à cet égard dans la moyenne. Le secteur énergétique en Europe est caractérisé par un fort taux de distribution en raison de ses caractéristiques.

« A l'inverse, le taux de distribution est très faible dans les entreprises publiques du secteur transport, fortement cyclique (cas de Renault ou le dividende est un simple pass-through de la quote-part de celui perçu de Nissan). Il est nul pour celles en situation financière tendue (Air France - KLM, Areva).

« Si l'on se concentre sur les seules entreprises cotées, le rendement (rapport entre les dividendes perçus en 2014 et la valeur boursière des titres détenus par l'État au 1 er janvier 2014) s'établit à 5,3 %. Bien qu'en diminution par rapport à l'année dernière, ce taux se situe au-dessus du taux de rendement du CAC 40 (3,5 %) en raison notamment de la composition du portefeuille de l'APE, marquée par une forte présence des secteurs énergie et télécommunication, qui ont des politiques de distributions plus élevées que les autres secteurs en raison de leurs caractéristiques. »

Source : APE, réponse au questionnaire budgétaire

DEUXIÈME PARTIE :
L'ÉQUILIBRE DU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « PARTICIPATIONS FINANCIÈRES DE L'ÉTAT »

I. L'EXERCICE 2015 : LA POURSUITE DE LA POLITIQUE DE GESTION ACTIVE DES PARTICIPATIONS DE L'ÉTAT

A. LES CESSIONS RÉALISÉES EN 2015

Comme la loi de finances pour 2015, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit 5 milliards d'euros de cessions. Cette inscription est conventionnelle, l'APE ne s'engageant pas sur le volume précis des cessions qu'elle compte réaliser au cours de l'exercice à venir.

Toutefois, en octobre 2014, Michel Sapin, et le ministre de l'économie, Emmanuel Macron, ont annoncé que l'État souhaitait aller au-delà de ce montant . Ces cessions s'inscrivent dans la nouvelle « politique de gestion active des participations de l'État, qui doit permettre de préserver les intérêts patrimoniaux et stratégiques de l'État tout en dégageant des ressources pour contribuer à l'effort de désendettement et réinvestir dans des entreprises de secteurs porteurs de développement économique ».

Le programme de cession annoncé semble toutefois avoir pris du retard.

D'après les réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial, à la date du 31 août, 1,69 milliard d'euros de produits de cessions ont été enregistrés sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

Faute d'informations plus précises de la part du Gouvernement, votre rapporteur spécial observe que la prévision actualisée pour 2015 du ratio désendettement/réinvestissement s'établit, selon le projet annuel de performances pour 2016, à 90 %. Or la prévision actualisée de la contribution du compte d'affectation spéciale au désendettement de l'État est de 2 milliards d'euros. On en déduit que le montant réinvesti devrait atteindre 2,22 milliards d'euros, soit une prévision actualisée de 4,22 milliards d'euros de cessions.

Pour atteindre la prévision actualisée de 4,22 milliards d'euros de produits de cessions, il resterait donc à réaliser d'ici la fin de l'année pour environ 2,53 milliards d'euros de cessions.

Les trois principales opérations déjà réalisées concernent la cession de titres Safran pour un milliard d'euros, l'ouverture du capital de la société Aéroport de Toulouse-Blagnac pour 308 millions d'euros et la cession de titres GDF Suez pour 206 millions d'euros.

1. La cession de titres Safran dans des conditions de marché très favorables

Le 2 mars 2015, l'État a cédé un bloc d'actions de Safran, représentant 3,96 % du capital, pour un milliard d'euros, « dans des conditions de marché très favorables » selon l'APE. De fait, la valeur de l'action Safran a crû près de 145 % en trois ans.

Au terme de ce placement, l'État détient 18,03 % du capital de Safran.

2. L'ouverture du capital de la société Aéroport de Toulouse-Blagnac

L'État avait annoncé le 4 décembre 2014 retenir le consortium Symbiose comme acquéreur pressenti d'une participation de 49,99 % détenue par l'État au capital de la société Aéroport Toulouse Blagnac. Autorisé par l'arrêté du 20 mars 2015, cette cession a rapporté 308 millions d'euros à l'État.

3. La poursuite de la descente au capital de GDF Suez

L'État, via l'Agence des participations de l'État, a engagé le 16 juin 2015 une cession au fil de l'eau de titres GDF Suez (Engie). Au terme de l'opération, 11 632 897 actions Engie, soit 0,48 % du capital de la société, ont été cédées sur le marché « dans des conditions qui ont permis à l'État de dégager des recettes de cession aux conditions du marché et sans décote, par des banques à qui l'État avait confié un mandat irrévocable de cession, sous une contrainte de prix minimum de vente fixé par la Commission des participations et des transferts » 10 ( * ) . Cette opération a rapporté à l'État 206 millions d'euros. L'État détient désormais 32,76 % du capital d'Engie mais détiendra, au terme prévu par l'article 7 de la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014, plus du tiers des droits de vote (cf. supra ).

B. LES DÉPENSES EFFECTUÉES EN 2015

D'après les réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial, les dépenses réalisées sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » s'élevaient au 31 août 2015 à près de 1,7 milliard d'euros.

Dépenses effectuées (Programme 731) au 31 août 2015

(en euros)

Source : APE

Outre l'acquisition de titres Renault et Air France-KLM pour respectivement 1,3 milliard d'euros et 42 millions d'euros, évoquée supra , les principales dépenses concernent :

- le renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement (AFD), réalisé le 30 mars 2015. L'APE indique ainsi que le compte d'affectation spéciale « est mobilisé pour contribuer au renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement (AFD), rendu nécessaire par l'entrée en vigueur des règles de ?Bâle III? transcrites en droit de l'Union européenne par la directive CRD4 et le règlement CRR du 26 juin 2013. Conformément au courrier du 28 mars 2014 adressé à l'AFD par le ministre de l'économie et des finances, l'État a commencé à souscrire à un montant total 840 millions d'euros de titres de fonds propres additionnels de catégorie 1 (?Additional Tier1?) à émettre par l'AFD en 3 tranches annuelles en 2015, 2016 et 2017. Les titres prennent la forme d'obligations perpétuelles rémunérées au taux de la ressource à condition spéciale du compte de concours financiers ?Prêts aux États étrangers?. En 2015, le montant de l'émission s'est élevé à 280 millions d'euros. »

- la souscription, le 8 août 2015, de titres associatifs émis par l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) (40 millions d'euros). En effet, afin de soutenir l'AFPA, confrontée à d'importantes difficultés de trésorerie, l'État s'est engagé dans le cadre d'une négociation d'ensemble avec ses créanciers menée sous l'égide du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) à souscrire à son programme d'émissions associatives pour un montant de 200 millions d'euros à verser entre 2013 et 2015.

Exécution et solde du compte d'affectation spéciale
« Participations financières de l'État » de 2009 à 2015

(en millions d'euros)

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015
(au 31/08)

Prévisions de recettes

5000

5000

5000

5000

13140

10011

5000

Recettes constatées

3455

2983

634

9729

11091

6868

1695

Crédits consommés

1798

6710

716

10223

9871

7286

1660

Solde de l'exercice

1657

-3727

-82

-494

1220

-418

35

Solde cumulé

5870

2143

2061

1567

2787

2369

2404

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

II. UN EXERCICE 2016 MARQUÉ PAR UN BESOIN DE FINANCEMENT IMPORTANT

A. DES DÉPENSES CERTAINES POUR ENVIRON 626 MILLIONS D'EUROS

D'après le projet annuel de performances, environ 626 millions d'euros seront dépensés à partir du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » en 2016 ( cf. tableau ci-dessous).

Les dépenses certaines du compte d'affectation spéciale
« Participations financières de l'État » en 2016

(en millions d'euros)

Agence française de développement

280,0

Banques multilatérales de développement

15,0

Rachat de titres Areva au CEA

321,0

Fonds publics de capital risque

10,0

TOTAL

626,0

Source : projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2016

Il s'agit en réalité de dépenses contraintes pour l'État.

L'apport de 280 millions d'euros de fonds propres à l'Agence française de développement est nécessaire du fait de l'entrée en vigueur des règles européennes dites « CRD 4/CRR » sur la capitalisation des établissements bancaires. Le projet annuel de performances indique que « l'État souscrira à 840 millions d'euros de titres de fonds propres additionnels [...] à émettre en trois tranches annuelles en 2015, 2016 et 2017 ».

Le rachat de titres Areva au Commissariat de l'énergie atomique (CEA) est la traduction d'un accord conclu entre l'État et le CEA, afin que ce dernier puisse financer une partie du démantèlement de ses installations nucléaires. En 2014, l'État a déjà réalisé une opération similaire, dite de « reclassement de titres », qui permet à la sphère publique de conserver le même taux de participation au sein d'Areva. La loi de finances pour 2015 prévoit également un tel rachat pour un montant de 387 millions d'euros, qui n'a pas encore été réalisé.

La recapitalisation de différentes banques multilatérales de développement résultent des engagements pris par la France devant le G 20. L'échéance 2016, comme celle de 2017, s'élèvera à 15 millions d'euros, alors qu'elle était de 56 millions d'euros en 2015. À partir de 2018 et jusqu'en 2025, l'échéance annuelle sera de 0,5 million d'euros.

Enfin, la dépense programmée à hauteur de 10 millions d'euros, elle aussi renouvelée chaque année, résulte de versements à des fonds de capital-risque auxquels l'État a souscrits, notamment le Fonds de co-investissement pour les jeunes entreprises (FCJE) et le Fonds de promotion pour le capital-risque 2000 (FCPR 2000).

Le Gouvernement a également inscrit 100 millions d'euros de dépenses au titre de la rémunération des services associés à la gestion des participations (banques d'affaires, avocats, etc.). Ce montant correspond, forfaitairement, à 2 % de 5 milliards d'euros, soit le montant total des cessions envisagées.

Faute de connaître à ce jour le montant réel des cessions, la somme de 100 millions d'euros est bien évidemment inscrite de manière conventionnelle. À titre de comparaison, en 2014, seulement 1,2 million d'euros ont été dépensés sur cette ligne.

B. LA PERSPECTIVE D'UNE AUGMENTATION DE CAPITAL D'AREVA

Comme évoqué plus haut, l'État devrait recapitaliser Areva pour un montant qui devrait être compris entre 2,5 milliards d'euros et 3,5 milliards d'euros.

Le montant exact ne pourra être connu que lorsque les conditions de la cession d'Areva NP auront été arrêtées, s'agissant notamment de l'entrée au capital d'investisseurs étrangers.

C. UNE INCONNUE PERSISTANTE : L'INVESTISSEMENT DANS ALSTOM

Le projet de cession des activités Énergie d'Alstom à General Electric a été autorisé le 5 novembre 2014 par le ministre chargé de l'économie au titre du décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 et a été approuvé par l'assemblée générale extraordinaire d'Alstom le 19 décembre 2014.

En outre, les autorités de la concurrence européenne et américaine ont autorisé, sous conditions, l'opération le 8 septembre 2015. Dans ce contexte, la transaction devrait pouvoir être réalisée dans le courant du mois d'octobre 2015.

Aucun recours n'aurait à ce jour été introduit devant une juridiction pour contester l'opération.

Interrogée par votre rapporteur spécial sur la part du capital d'Alstom que l'État acquérir, l'Agence des participations de l'État indique que « dans le cadre de l'opération de cession des activités Énergie d'Alstom à GE, l'État a conclu un accord le 22 juin 2014 avec Bouygues qui prévoit un prêt de titres permettant à l'État d'exercer 20% des droits de vote pendant près de deux ans, et offrant à l'État un accès au conseil d'administration, ce qui lui permettra de peser sur les choix stratégiques d'Alstom et d'accompagner le recentrage de l'entreprise autour de l'activité Transport. En outre, l'État bénéficiera d'un accès privilégié à un bloc de titres représentant 20 % du capital d'Alstom, via des promesses de vente octroyées par Bouygues. Cet accord entrera en vigueur une fois l'opération avec GE finalisée et l'offre publique de rachat d'actions (OPRA) consécutive à la cession approuvée par l'assemblée générale d'Alstom, ce qui devrait être le cas dans le cours du dernier trimestre 2015.

« Par ailleurs, cet accord facilite une entrée au capital d'Alstom par l'État, compte tenu des difficultés que représenterait l'acquisition d'un tel bloc sur le marché, tandis que sa structuration, articulée autour d'options d'achat ouvertes sur une longue période, lui offre une grande flexibilité pour la mise en oeuvre de cette opération.

« Dans ce contexte, il n'est cependant pas possible d'être plus précis sur la stratégie qui sera adoptée compte tenu du caractère confidentiel de ces informations et de leur incidence potentielle sur le marché. »

Comme l'an dernier, le Gouvernement n'a pas confirmé à votre rapporteur spécial s'il comptait effectivement faire jouer la clause de l'accord lui permettant d'acquérir une partie du capital d'Alstom. En tout état de cause, les conditions de marché seront un facteur déterminant dans la décision de l'État .

La levée totale de l'option d'achat des titres prêtés par Bouygues au cours plancher 11 ( * ) prévu par l'accord de prêt représenterait un investissement de 2,18 milliards d'euros. Au regard de la capitalisation actuelle qui s'élève à environ 8,8 milliards d'euros, 20 % du capital d'Alstom valent environ 1,8 milliard d'euros.

D. UNE RECETTE ANNONCÉE : LA CESSION DES PARTICIPATIONS MAJORITAIRES DÉTENUES PAR L'ÉTAT AU CAPITAL DES SOCIÉTÉS DE GESTION DES AÉROPORTS DE NICE ET DE LYON

La cession des participations majoritaires détenues par l'État au capital des sociétés de gestion des aéroports de Nice et de Lyon a été autorisée par l'article 191 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

Au regard des intérêts publics en jeu, locaux comme nationaux, cette cession est accompagnée d'un certain nombre de garanties :

- ces aéroports demeureront gérés dans le cadre de concession accordées par l'État ;

- seul le capital des sociétés concessionnaires, chargées de l'exploitation de ces aéroports, sera ouvert ;

- les infrastructures aéroportuaires ainsi que le foncier demeureront la propriété de l'État concédant ;

- l'État conservera des pouvoirs étendus pour contrôler l'activité des sociétés (en matière d'investissements, de qualité de service, d'environnement, d'horaires d'ouverture,...) et s'assurer de la bonne prise en compte des objectifs d'intérêt général et du respect des missions de service public.

- dans le cadre de ses prérogatives de régulateur, l'État devra approuver chaque année les tarifs des redevances des aéroports concernés.

Sur le plan de la procédure, l'APE indique, en réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial, que « chacune de ces deux cessions fera l'objet d'une procédure d'appel d'offres sur cahier des charges, placée sous le contrôle de la Commission des Participations et Transferts, qui est l'autorité indépendante chargée de superviser les opérations de cession menées par l'État. Cette procédure ouverte, transparente et non-discriminatoire, permettra d'assurer à l'État la meilleure valorisation de son patrimoine, tout en permettant d'intégrer des critères industriels et sociaux répondant aux intérêts des autres actionnaires publics locaux (CCI, collectivités territoriales). Une telle procédure répond en outre aux contraintes juridiques au regard du droit national et européen.

« Le cahier des charges de chaque procédure fixera les critères que devront respecter les acquéreurs potentiels (projet industriel et social, ratio de levier maximum, engagement de stabilité du nouvel actionnaire, etc.). L'État veillera ainsi, dans la structuration de chaque opération, à ce que les investisseurs potentiels présentent un projet industriel, social et territorial cohérent, conforme aux intérêts de l'aéroport et de ses collaborateurs et tenant compte des attentes des actionnaires publics locaux.

« Le cahier des charges devra enfin tenir compte des dispositions de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015. En particulier, son article 191 prévoit que les candidats doivent disposer d'une expérience ?en tant que gestionnaire d'aéroport ou actionnaire d'une société gestionnaire d'aéroport?, et que le cahier des charges devra préciser ?les obligations du cessionnaire relatives à la préservation des intérêts essentiels de la Nation en matière de transport aérien, ainsi que ceux du territoire concerné en matière d'attractivité et de développement économique et touristique? ainsi que ?les obligations du cessionnaire afin de garantir le développement de l'aérodrome en concertation avec les collectivités territoriales sur le territoire desquelles il est installé ainsi qu'avec les collectivités territoriales actionnaires?. »

S'agissant de l'état d'avancement des opérations, les appels d'offres n'ayant pas été lancés, aucune candidature ni offre n'a été déposée à ce jour.

En effet, « l'État a engagé une phase de concertation préalable avec les actionnaires publics locaux (CCI, collectivités territoriales) des sociétés concernées, afin d'identifier avec eux les modalités de mise en oeuvre de ces opérations. Dès lors qu'ils s'engagent à ne pas concourir à l'appel d'offres, l'État associera également les actionnaires publics locaux à l'élaboration du cahier des charges de ces appels d'offres. Les actionnaires publics locaux pourront également, s'ils le souhaitent, apporter leurs titres à une cession aux côtés de l'État. »

L'ensemble de ces garanties et procédures semblent de nature à permettre la meilleure conciliation entre les objectifs de l'État actionnaire et les enjeux d'intérêt général attachés à la gestion de ces aéroports.

Selon des déclarations récentes du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, ces cessions pourraient intervenir dès le premier semestre de 2016.

L'État détient 60 % du capital de chacune des deux sociétés et cèderait l'intégralité de sa participation. Le prix de cession n'est pas encore connu. Toutefois, plusieurs estimations situent la valorisation de la participation de l'État entre 900 millions d'euros et un milliard d'euros s'agissant de l'aéroport de Nice et aux environs de 540 millions d'euros s'agissant de l'aéroport de Lyon.

III. L'ABAISSEMENT DE LA CONTRIBUTION DU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE AU DÉSENDETTEMENT DE L'ÉTAT

Comme indiqué précédemment, la prévision actualisée pour 2015 du montant consacré au désendettement de l'État s'élève à 2 milliards d'euros, contre 4 milliards d'euros prévus par la loi de finances pour 2015. En 2013, la réalisation avait été nulle et s'était élevée à 1,5 milliard d'euros en 2014.

Le montant désormais prévu pour 2015 est reconduit par le présent projet de loi pour 2016. Le projet annuel de performances indique ainsi qu'« en 2015 comme en 2016, le montant consacré au désendettement de l'État devrait être de 2 milliards d'euros, sous réserve des conditions de marché ».


* 1 La liste est annexée au présent rapport.

* 2 Procès-verbal de l'assemblée générale mixte du 30 avril 2015.

* 3 Communiqué de presse de l'APE du 8 avril 2015.

* 4 Document AMF n° 215C0462 du 16 avril 2015.

* 5 Communiqué de presse de l'APE du 7 octobre 2015.

* 6 CE, 11 avril 2014, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), n° 65219.

* 7 Émission « Grand Rendez-Vous Europe 1/Le Monde/iTélé » du 18 octobre 2015.

* 8 Journal du dimanche du 2 août 2015.

* 9 Jusqu'en 1993, les produits et dérivés plasmatiques étaient produits directement par les centres de transfusion sanguine. À la suite de l'affaire du sang contaminé, la loi n° 93-5 du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament sépare la collecte des dons du sang, monopole confié à l'Établissement français du sang (EFS), et la fabrication de produits thérapeutiques à partir du plasma sanguin, confiée au LFB, organisé sous la forme d'un groupement d'intérêt public. L'ordonnance n° 2005-866 du 28 juillet 2005 a transformé le LFB en société anonyme détenue par l'État. Les activités relatives aux médicaments dérivés du sang issus du fractionnement du plasma sont exercées exclusivement par une filiale, LFB Biomédicaments.

* 10 Communiqué de presse de l'APE du 16 septembre 2015.

* 11 35 euros moins une décote de 2 à 3 % selon la note d'analyse budgétaire 2015 de la Cour des comptes.