LOIS CONSTITUTIONNELLES, LEGISLATION, SUFFRAGE UNIVERSEL, REGLEMENT ET ADMINISTRATION GENERALE

Table des matières


- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Commissions mixtes paritaires - Désignation de candidats

La commission a tout d'abord procédé à la désignation de candidats pour faire partie de commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion des projets de loi suivants :

- pour le projet de loi relatif à l'élection des sénateurs, ont été désignés : MM. Jacques Larché, Paul Girod, Patrice Gélard, Jean-Patrick Courtois, Jean-Jacques Hyest, Guy Allouche, Robert Bret, commecandidats titulaires, et MM. Christian Bonnet, Guy-Pierre Cabanel, Daniel Hoeffel, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Jean-Pierre Schosteck, Simon Sutour, commecandidats suppléants,

- pour le projet de loi relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage : MM. Jacques Larché, Jean-Paul Delevoye, Pierre Hérisson, Jean-Pierre Schosteck, Paul Girod, Jean-Claude Peyronnet, Robert Bret, commecandidats titulaires, et MM. Nicolas About, Guy-Pierre Cabanel, Raymond Courrière, Luc Dejoie, Daniel Hoeffel, Bernard Murat, Simon Sutour, comme candidats suppléants,

- et pour le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et des droits des victimes : MM. Jacques Larché, Charles Jolibois, Patrice Gélard, Pierre Fauchon, Georges Othily, Robert Badinter, Robert Bret, comme candidats titulaires, et MM. Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Louis de Broissia, Guy-Pierre Cabanel, Luc Dejoie, Mme Dinah Derycke, M. Henri de Richemont, comme candidats suppléants.

La commission propose en outre la candidature de M. Robert Bret pour le remplacement de M. Michel Duffour, membre titulaire de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, de l'Assemblée de Polynésie française et de l'Assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna.

Nomination de rapporteur

Puis la commission a nommé M. Alex Turk comme rapporteur de la proposition de loi n° 117 (1999-2000) de M. Pierre Laffitte et plusieurs de ses collègues, tendant à généraliser dans l'administration l'usage d'Internet et de logiciels libres.

Parité - Egal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives - Examen des amendements

La commission a enfin procédé, sur le rapport de M. Guy-Pierre Cabanel, à l'examen des amendements au projet de loi organique n° 296 (1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie, de l'assemblée de la Polynésie française et de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna et au projet de loi n° 295 (1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

Sur l'article 2 bis du projet de loi (dispositions relatives à l'élection des membres du Conseil supérieur des Français de l'étranger), la commission a émis un avis défavorable à l'amendement rédactionnel n° 17 de Mme Monique Cerisier ben Guiga et les membres du groupe socialiste, après que M. Guy-Pierre Cabanel, rapporteur, eut rappelé que la commission avait adopté un amendement de suppression de cet article.

Sur l'article premier du projet de loi organique (candidatures à l'Assemblée territoriale de Polynésie française), la commission a donné un avis défavorable à l'amendement n° 3 de Mme Dinah Derycke et les membres du groupe socialiste, tendant à prévoir que chaque liste serait composée alternativement d'un candidat de chaque sexe.

En outre, M. Guy-Pierre Cabanel, rapporteur, a exposé qu'une ordonnance du 19 avril 2000 portant actualisation et adaptation du droit électoral applicable outre mer, publiée au Journal Officiel du 22 avril 2000, insérait dans le code électoral diverses dispositions qui figuraient précédemment dans des textes particuliers.

Il a indiqué que cet élément nouveau le conduisait à proposer à la commission la rectification formelle de deux de ses amendements.

La commission a, en conséquence, rectifié ses amendements n° 9 sur l'article 7 du projet de loi (dispositions relatives aux élections municipales en Polynésie française) et n° 1 sur l'article 2 du projet de loi organique (candidatures à l'Assemblée territoriale de Wallis et Futuna).

Mercredi 26 avril 2000

- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Droit civil - Remplacement de la procédure de divorce pour faute par une procédure de divorce pour cause objective - Audition de Mme Françoise Dekeuwer-Defossez, professeur à l'Université de Lille II, présidente du groupe de travail " rénover le droit de la famille "

La commission a procédé à des auditions publiques sur la proposition de loi n° 266 (1998-1999) de M. Nicolas About, visant à remplacer la procédure de divorce pour faute par une procédure de divorce pour cause objective.

M. Jacques Larché, président, a rappelé que ces auditions avaient pour objet de consulter sur une proposition de loi sénatoriale tendant à modifier la loi de 1975 sur le divorce, qu'il a replacée dans le contexte d'une année où furent également examinées la loi sur l'interruption volontaire de grossesse et celle sur l'abaissement à 18 ans de l'âge de la majorité. Constatant une évolution de la société et des couples en particulier, il s'est réjoui de recueillir l'avis d'éminents juristes et praticiens à l'occasion de ces auditions publiques, au principe inauguré par la commission des lois, et qui se trouvaient diffusées pour la première fois en direct sur la chaîne parlementaire.

La commission a tout d'abord entendu Mme Françoise Dekeuwer-Defossez, professeur à l'université de Lille II, présidente du groupe de travail " Rénover le droit de la famille ".

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez
a rappelé que le groupe de travail de 15 personnes qu'elle avait présidé avait été constitué à la demande de Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, et qu'il était l'auteur collectif d'un rapport intitulé " Rénover le droit de la famille ".

Elle a précisé que ce groupe de travail avait réfléchi au problème de la suppression éventuelle de la procédure de divorce pour faute, posé par la proposition de loi présentée par M. Nicolas About, et qu'il avait estimé qu'une telle réforme ne serait pas opportune.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez a constaté que la France, où le divorce pour faute conservait une place importante, avait une position un peu isolée par rapport à beaucoup de pays voisins, qui l'avaient remplacé par un divorce pour cause objective, cette position française pouvant apparaître quelque peu anachronique.

A la réflexion, elle a cependant estimé que la suppression du divorce pour faute entraînerait un changement considérable dans le mariage et le droit de la famille. Se référant à l'exposé des motifs de la proposition de loi présentée par M. Nicolas About, selon lequel il n'appartiendrait pas à la justice de trancher des conflits d'ordre affectif et privé dans lesquels la société n'aurait pas à s'immiscer, elle a considéré que si l'on supprimait le divorce pour faute, le mariage ne comporterait plus d'obligations juridiques sanctionnables et deviendrait donc un arrangement privé se situant juridiquement en dessous du niveau du contrat.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez s'est par ailleurs interrogée sur l'opportunité de supprimer le principe actuel selon lequel le divorce ne peut être imposé à quelqu'un qui ne le souhaite pas et qui n'a commis aucune faute, rappelant que dans le droit français, le divorce devait être motivé et qu'à défaut d'accord entre les deux époux, celui qui voulait reprendre sa liberté devait justifier d'une séparation de fait ou d'une faute du conjoint. Elle a en effet souligné que si l'on supprimait ce principe, la seule différence entre le mariage et le pacs sur ce point serait le délai fixé pour consommer la rupture, à savoir deux ans pour le mariage contre trois mois pour le pacs.

Se demandant si un tel changement serait judicieux, elle a rappelé que l'objectif d'une telle réforme serait d'éviter les combats juridiques stériles qui aggravent la situation du couple en ajoutant à la blessure de la rupture celle de la procédure. Or, elle a considéré que l'on ne pouvait supposer que la procédure créait le litige, celui-ci existant en tout état de cause dès lors qu'il y avait rupture, et que si l'on supprimait la notion de faute, il y aurait un déplacement du terrain des conflits au sein du couple, notamment sur le plan pénal, évoquant les possibles invocations d'abus sexuels, de violences conjugales, de détournements financiers ou d'escroqueries.

D'autre part, Mme Françoise Dekeuwer-Defossez a souhaité éclaircir l'origine de cette demande de réforme, constatant qu'elle émanait en grande partie de juges aux affaires familiales qui estimaient que les avocats montaient des dossiers de divorce pour faute de toutes pièces, alors que ceux-ci soutenaient pour leur part qu'ils essayaient au contraire d'atténuer les conflits. Elle a considéré que reporter la résolution des conflits du juge au médiateur aboutirait à une forme de déni de justice par refus d'établir les torts respectifs.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez a souligné que le groupe de travail qu'elle avait présidé avait ressenti la difficulté de concilier, d'une part, le souhait partagé par tous de dédramatiser le divorce et d'éviter que celui-ci n'ajoute une souffrance supplémentaire à celle de la rupture et, d'autre part, le constat que la fragilité accrue des couples et des familles entraînait des souffrances pour les enfants et constituait d'ailleurs, selon un article récent publié dans un grand quotidien, une des causes des suicides des adolescents.

En conclusion, Mme Françoise Dekeuwer-Defossez a souhaité que sans accumuler les obstacles au divorce, on ne facilite pas non plus les séparations par une permissivité excessive, soulignant qu'une suppression du divorce pour faute ne constituerait pas un signe en faveur d'une stabilité de l'union familiale.

A l'issue de cet exposé, M. Jacques Larché, président, a demandé à Mme Françoise Dekeuwer-Defossez si des débats animés avaient eu lieu au sein du groupe de travail sur ce sujet.

En réponse, après avoir rappelé que le groupe de travail avait à l'origine était mandaté par Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, pour réfléchir à la question d'un divorce sans juge qui avait pour sa part suscité des débats houleux, Mme Françoise Dekeuwer-Defossez a précisé que lorsque le divorce sans faute avait été évoqué, il n'avait pas trouvé de défenseur au sein du groupe de travail. Soulignant par ailleurs que le divorce pour faute représentait aujourd'hui 50 % des cas de divorce en France, elle a fait part des difficultés à imaginer une formule pour le remplacer.

M. Nicolas About, rapporteur, a estimé que si le divorce pour faute séparait effectivement le plus sûrement les époux, il était également certainement le plus destructeur pour les enfants. Il a souligné que sa proposition de loi avait pour objet de privilégier le sort des enfants au sein de la procédure de divorce.

Précisant qu'il souhaitait dissocier la faute du divorce, il a fait valoir que rien n'empêcherait les époux de régler leurs différends dans un autre cadre après le divorce et que le recours fréquent à la procédure de divorce pour faute s'expliquait par le fait que les autres procédures ne permettaient pas un règlement efficace des problèmes.

Mme Françoise Dekeuwer-Defossez a alors constaté qu'en droit la faute des parents n'avait aucun lien avec le sort des enfants. Elle s'est donc interrogée sur la possibilité d'améliorer le sort des enfants en supprimant la notion de faute des parents.

Rappelant qu'en 1975 trois procédures alternatives au divorce pour faute avaient été créées, elle a estimé qu'il serait préférable d'améliorer ces procédures plutôt que de supprimer le divorce pour faute, considérant qu'en tout état de cause les conflits ne pourraient pas être évités.

Audition de Mme Jacqueline Rubellin-Devichi, professeur à l'université de Lyon III, directeur du centre du Droit de la Famille, et M. Alain Bénabent, professeur agrégé, avocat aux Conseils

La commission a ensuite entendu Mme Jacqueline Rubellin-Devichi, professeur à l'université de Lyon III, directeur du centre du Droit de la Famille, et M. Alain Bénabent, professeur agrégé, avocat aux Conseils.

Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a tout d'abord indiqué que la suppression du divorce pour faute l'attristerait. Elle a indiqué que le pacs avait permis de résoudre les problèmes rencontrés par les homosexuels, mais que le mariage demeurait quelque chose de fondamentalement différent, créateur d'obligations pouvant être sanctionnées par un divorce pour violation de ces obligations.

Elle a estimé qu'aujourd'hui comme en 1975, des individus se mariaient avec la conviction que leur union durerait aussi longtemps que chacun des conjoints se conduirait conformément aux obligations du mariage. Elle a observé que la faute avait une portée symbolique et que, conformément aux propos du doyen Carbonnier, les fautes du divorce dessinaient en creux les obligations du mariage.

Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a ensuite estimé qu'il n'était pas entièrement exact d'expliquer l'importance du nombre de divorces pour faute par l'inadaptation des autres procédures de divorce. Elle a indiqué que la modicité du nombre de divorces par consentement mutuel s'expliquait par l'extrême rigidité de l'attitude de la Cour de Cassation, qui exigeait un accord total entre les époux pour admettre un tel divorce.

Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a ensuite souligné que la manière de divorcer des parents n'avait pas d'influence sur la manière d'attribuer l'autorité parentale. Elle a indiqué qu'il était utile que les parents s'accordent sur la question de l'autorité parentale, mais a rappelé que les mesures relatives à l'autorité parentale et à l'entretien des enfants étaient révisables jusqu'à la majorité des enfants, voire jusqu'à la fin de leurs études. Elle a en outre observé que les enfants n'étaient pas entendus au cours des procédures de divorce pour faute sauf éventuellement en ce qui concerne la garde. Elle en a déduit que le divorce pour faute n'aggravait pas le traumatisme subi par les enfants. Elle a ajouté qu'il n'était plus exact que les enfants soient systématiquement hébergés par l'époux " innocent " et que les juges dissociaient parfaitement la question de la faute et celle de l'autorité parentale.

Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a ensuite fait valoir que, dans bien des cas, les juges, à la demande des parties, ne mentionnaient pas les fautes dans le jugement de divorce afin de ne pas aggraver la situation. Elle a en outre noté qu'une demande de divorce pour faute n'empêchait pas le juge de prononcer un divorce aux torts partagés des époux.

Evoquant les exemples étrangers, Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a souligné que le Danemark avait été contraint de réintroduire dans son droit la notion de faute pour tenir compte du phénomène des violences conjugales. Elle a indiqué que la Grande-Bretagne souhaitait instituer une procédure de divorce par médiation, mais que l'examen de cette réforme avait été reporté par deux fois. Elle a observé que le droit anglais prévoyait une compensation pour l'époux ayant subi une infidélité ou des violences de la part de son conjoint, au moyen de l'attribution de certains biens dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial.

Mme Jacqueline Rubellin-Devichi s'est donc déclarée opposée à la mise en place d'un divorce par volonté unilatérale de l'un des conjoints. Elle a en revanche estimé que la proposition de loi contenait des dispositions bienvenues, en particulier la possibilité de demander le divorce après une séparation de fait d'une durée de trois ans ou la possibilité de demander le divorce en cas d'altération des facultés mentales du conjoint depuis plus de trois ans.

Elle a également approuvé la possibilité prévue par la proposition de loi de maintenir un devoir de secours si le divorce devait avoir des conséquences d'une extrême dureté pour l'un des conjoints. Elle a estimé cette disposition très utile au moment où le législateur s'apprêtait à limiter les possibilités d'attribuer des prestations compensatoires sous forme de rente.

Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a noté que la proposition de loi ne supprimait pas entièrement la notion de faute, puisqu'elle prévoyait la possibilité d'attribution de dommages et intérêts à l'un des époux. Elle s'est déclarée très favorable à la disposition prévoyant une information des divorçants, estimant que les personnes concernées par le droit de la famille en ignoraient tout. Elle a ainsi noté que la plupart des justiciables ignorait que les donations entre époux étaient révocables, contrairement aux donations entre concubins ou entre signataires d'un pacs.

Tout en s'interrogeant sur son financement, Mme Jacqueline Rubellin-Devichi s'est déclarée favorable au développement de la médiation. Elle a toutefois noté que la médiation ne permettrait pas de résoudre tous les problèmes.

Concluant son propos, Mme Jacqueline Rubellin-Devichi a estimé qu'il était grave de vouloir mettre fin à un aspect symbolique important du droit français de la famille. Elle a estimé que le divorce pour faute avait évolué et qu'il était aujourd'hui une procédure de divorce aussi neutre que les autres.

M. Alain Benabent a estimé que la proposition de loi de M. Nicolas About était une heureuse initiative. Il a indiqué que l'exposé des motifs démontrait clairement les effets catastrophiques d'un contentieux imposé aux époux souhaitant divorcer. Il a fait valoir qu'en 1975 il était nécessaire de maintenir le divorce pour faute, mais que cette procédure paraissait aujourd'hui inadaptée. Il a indiqué que de nombreux jeunes se demandaient pour quelles raisons un procès était nécessaire pour divorcer. Il a en outre noté l'insatisfaction des personnes ayant vécu une procédure de divorce pour faute. Il a observé que cette procédure était souvent utilisée en l'absence de toute faute, simplement parce que les époux n'étaient pas d'accord sur toutes les conséquences du divorce et ne pouvaient donc recourir à un divorce par consentement mutuel. Enfin, il a estimé que le divorce pour faute était à l'origine de la désaffection de nombreuses personnes à l'égard du mariage et que le pacs avait été soutenu par de nombreux couples refusant de s'engager dans un droit archaïque du mariage et du divorce.

M. Alain Benabent s'est déclaré convaincu de la nécessité de laisser de côté, au moment du divorce, le débat sur les origines de celui-ci. Il a estimé qu'il convenait de s'intéresser prioritairement aux effets du divorce.

Il a ensuite estimé que la disparition du divorce pour faute n'aurait pas pour effet d'abaisser le mariage au niveau d'un sous-contrat. Il a en effet noté que la proposition de loi prévoyait simplement que la faute ne serait plus la condition nécessaire pour sortir du mariage. Il a en outre fait valoir que le juge pourrait toujours intervenir sur un contentieux ponctuel, mais que le passage obligatoire par une phase conflictuelle disparaîtrait. Il a également souligné qu'il n'était pas sérieux de plaider pour le maintien du divorce pour faute simplement parce qu'il représente la moitié des affaires traitées par les tribunaux.

M. Alain Benabent a ensuite regretté que le dispositif de la proposition de loi soit en retrait par rapport à l'exposé des motifs. Il a estimé que la demande de divorce invoquant des " faits rendant intolérable le maintien de la vie commune " n'empêcherait pas un juge de considérer que les faits mentionnés n'empêchent pas le maintien de la vie commune. Il a fait valoir que le droit français demeurait marqué par une logique d'indissolubilité du mariage et a souhaité que le divorce puisse devenir de droit lorsque l'un des conjoints estime que la vie commune n'est plus possible. Il a estimé abusif de parler de répudiation à propos de la possibilité d'une rupture unilatérale du mariage par l'un ou l'autre conjoint et a fait valoir qu'il n'était pas conforme aux droits de l'homme de maintenir une personne dans des liens dont elle ne voulait plus.

M. Alain Benabent a estimé faux de prétendre que la suppression du divorce pour faute porterait atteinte à la stabilité de l'union matrimoniale. Il a observé que la plus ou moins grande difficulté de rompre le mariage n'avait aucun effet sur la qualité des relations entre les époux. Il a observé que l'ordre public n'avait plus beaucoup de place dans le droit du mariage, sauf en ce qui concerne les couples parentaux. Il en a déduit qu'il fallait non seulement supprimer la faute, mais aussi supprimer toute référence à la cause du divorce.

M. Nicolas About, rapporteur, a alors rappelé que sa proposition de loi ne supprimait en rien les obligations et les responsabilités du mariage, mais qu'elle dissociait la faute du divorce afin de préserver les intérêts des enfants.

M. Jacques Larché, président, a demandé à M. Alain Benabent s'il était favorable à la mise en place d'une procédure de divorce non judiciaire.

M. Alain Benabent a répondu qu'une telle évolution lui paraissait souhaitable pour les couples sans enfants.

Audition de Me Jacqueline Beaux-Lamotte, présidente de la commission du droit de la famille du barreau de Paris et Me Marie-Pierre Certin-Teitgen

La commission a ensuite entendu Me Jacqueline Beaux-Lamotte, présidente de la commission du droit de la famille du barreau de Paris et Me Marie-Pierre Certin-Teitgen.

Me Jacqueline Beaux-Lamotte
a tout d'abord constaté qu'il existait un accord pour que le divorce n'encourage pas les passions et les haines entre les époux et qu'il privilégie l'intérêt de l'enfant.

Elle a relevé un souhait d'assouplissement de la loi de 1975 exprimé par les praticiens en vue d'accroître la transparence dans les procédures de divorce et d'accélérer la liquidation des régimes matrimoniaux.

Me Jacqueline Beaux-Lamotte s'est interrogée sur l'opportunité de procéder dès maintenant à une révision des procédures de divorce, alors que le Gouvernement avait engagé une réflexion et des consultations sur une réforme plus vaste du droit de la famille.

Elle a rappelé que le groupe de travail présidé par Mme Françoise Dekeuwer-Defossez souhaitait faciliter l'accord des personnes divorçant et s'opposait à la suppression du divorce pour faute.

Me Jacqueline Beaux-Lamotte a souligné que la suppression de ce mode de divorce serait de nature à modifier profondément le sens du mariage alors que la famille devait demeurer le pilier de la société, singulièrement depuis la promulgation de la loi sur le pacs.

Elle a considéré que la suppression de la faute effacerait la notion de violation des obligations conjugales et fragiliserait l'engagement dans la durée, la dissolution du mariage pouvant être imposée par l'un des époux.

Me Jacqueline Beaux-Lamotte a considéré que la réforme proposée ne revêtait pas un caractère d'urgence, contrairement à celle de la prestation compensatoire qui ne pouvait pas attendre la réforme annoncée du droit de la famille.

Elle a exposé que le groupe de travail Dekeuwer-Defossez avait proposé, pour dédramatiser le divorce, d'en maintenir les quatre causes, tout en ne prévoyant que deux procédures au lieu des quatre prévues par la législation actuelle.

Me Jacqueline Beaux-Lamotte a indiqué que le groupe de travail préconisait, dans le divorce par consentement mutuel, en cas d'accord complet des époux sur ses conséquences, la possibilité pour le magistrat de dispenser les époux de se présenter à la seconde audience, pour les cas les plus simples ou lorsqu'il apparaîtrait que les époux ont suffisamment réfléchi sur les conséquences de leur séparation.

Elle a exposé que pour tous les autres cas de divorce, le groupe de travail proposait une procédure unique au cours de laquelle la requête initiale ne serait pas motivée, ce qui permettrait le prononcé rapide de mesures provisoires sans attendre de parvenir à un accord global, laissant ensuite aux parties une période de réflexion de nature à favoriser une solution amiable.

Me Jacqueline Beaux-Lamotte a indiqué que le groupe de travail Dekeuwer-Defossez prévoyait le choix par les époux de la cause de divorce lors de l'introduction de la demande de divorce et préconisait la possibilité de modifier la demande en cours de procédure.

Elle a considéré que de la sorte, il n'y aurait plus de demande de divorce pour faute qui serait motivée par des raisons de procédure.

Enfin, Me Jacqueline Beaux-Lamotte a énuméré les principales raisons pour lesquelles il lui paraissait nécessaire de maintenir le divorce pour faute.

Elle a fait valoir que l'après divorce ne dépendait pas des circonstances dramatiques éventuelles de la procédure mais plutôt de la nouvelle vie des ex-conjoints après le divorce et que le souhait de dédramatiser ne devait pas conduire à une banalisation du divorce.

Me Jacqueline Beaux-Lamotte a souligné que certains justiciables attendaient des tribunaux qu'ils prennent position sur les responsabilités des époux, considérant que l'attribution de compensations financières ne suffirait pas à supprimer le contentieux si les torts de l'époux responsable n'étaient pas reconnus.

Elle a estimé que le maintien du divorce pour faute était lié à l'existence d'obligations résultant du mariage et a souligné l'importance morale, pour l'époux innocent, d'un divorce aux torts exclusifs.

M. Jacques Larché, président, a observé que la réforme d'ensemble du droit de la famille était déjà attendue depuis un certain temps et que le calendrier parlementaire à moyen terme ne laissait pas espérer un créneau pour l'examen d'un texte aussi important, estimant que, dans l'attente, le Sénat pouvait prendre des initiatives pour améliorer ce qui pouvait l'être.

Me Marie-Pierre Certin-Teitgen a constaté que partisans et adversaires du maintien du divorce pour faute souhaitaient limiter la dramatisation de la procédure.

Me Marie-Pierre Certin-Teitgen a estimé que la reconnaissance du statut de victime accordé à l'un des époux pourrait apparaître comme le prolongement d'un statut de femme mariée correspondant à une vision désuète de la société au regard de ses évolutions depuis 25 ans.

Elle a considéré que la distinction opérée par le juge entre le conjoint innocent et le conjoint coupable était contraire à la dignité humaine et a relevé que le juge répugnait de plus en plus à prononcer des divorces aux torts exclusifs, soulignant que des parties s'abstenaient souvent de participer à une procédure conflictuelle.

Me Marie-Pierre Certin-Teitgen a estimé que le juge ne pouvait appréhender la partie la plus intime de la vie privée, soulignant les difficultés qu'il rencontrait pour déceler la véracité des griefs invoqués.

Elle a fait valoir que le juge prononçait trop souvent un divorce aux torts exclusifs essentiellement en considération des effets patrimoniaux qu'il entraînait.

Me Marie-Pierre Certin-Teitgen a constaté que le juge, dans une procédure de divorce pour faute, était appelé à n'interpréter que le seul aspect négatif de la personnalité des conjoints sans pouvoir en appréhender tous les éléments.

Elle a fait valoir que si les tribunaux avaient le droit de juger, ils ne leur appartenaient pas d'humilier les justiciables, évoquant les risques d'abus de pouvoir, aussi bien du juge, dans son choix des termes du jugement, que de l'un des conjoints qui apporterait des preuves mensongères.

Analysant les statistiques sur les causes de divorce, elle a exposé que sur les 48.000 divorces pour faute prononcés chaque année, 10 % l'étaient aux torts exclusifs de l'un des époux et 90 % aux torts partagés.

Me Marie-Pierre Certin-Teitgen en a déduit que sur 10 ans, 960.000 conjoints avaient subi une procédure de divorce pour faute afin de permettre à 480.000 personnes d'assouvir un besoin de vengeance.

Elle a souligné que le divorce ne devait pas conduire à la destruction d'une personnalité, s'interrogeant sur la possibilité de reprendre une vie familiale sereine après une procédure marquée par un souci de vengeance.

Me Marie-Pierre Certin-Teitgen a estimé que la justice civile devait être une justice de réparation et non de pénalisation, la rupture des liens du mariage ne devant entraîner que des conséquences pécuniaires.

Enfin, Me Marie-Pierre Certin-Teitgen a considéré que la procédure de divorce pour faute n'était pas conforme aux articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, faisant valoir que le juge du divorce était préalablement celui de la conciliation, et qu'il ne pouvait donc pas faire preuve de l'impartialité requise par cette convention.

Elle a estimé que l'audition séparée de chaque époux ne permettait pas à la procédure de revêtir un caractère pleinement contradictoire et que l'audience de conciliation était inutile.

Me Marie-Pierre Certin-Teitgen a souligné que les attestations présentées au cours de la procédure étaient souvent imprécises et permettaient difficilement à la partie adverse d'apporter une preuve contraire.

Elle a fait valoir que la soustraction de documents intimes destinés à constituer des preuves portait atteinte à la protection de la vie privée garantie par la Convention européenne des droits de l'homme.

En réponse à M. Nicolas About, rapporteur, Me Jacqueline Beaux-Lamotte a souligné que le rôle premier de l'avocat était d'apaiser les conflits, évoquant la pratique de nombreux avocats de prendre contact avec la partie adverse.

Audition de Mme Danièle Ganancia, juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de Nanterre, et Mme Marianne Lassner, juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de Paris

La commission a ensuite entendu Mme Danièle Ganancia, juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de Nanterre, et Mme Marianne Lassner, juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de Paris.

Après s'être réjouie que la proposition de loi de M. Nicolas About s'inspire de dispositions qu'elle avait formulées notamment au cours de précédentes auditions de la commission des lois, Mme Danièle Ganancia a confirmé son souhait de voir substituer le divorce pour cause objective à l'actuel divorce pour faute, qu'elle a jugé anachronique et destructeur. Elle a indiqué que le principal objectif de la réforme du divorce devait être la pacification de la séparation, le divorce n'étant plus vécu comme la sanction d'une faute, mais comme le constat de la faillite d'un couple.

Elle a rappelé qu'aussi bien le rapport de Mme Irène Théry que celui de Mme Françoise Dekeuwer-Defossez mettaient en évidence les inconvénients de la procédure contentieuse de divorce, aboutissant à la négation de l'autre, à la violation de la vie privée, à la mise en danger des enfants. L'objectif de toute réforme du droit de la famille devant être la poursuite de la co-parentalité, elle a estimé que l'institution du mariage n'avait rien à gagner au maintien du divorce pour faute.

Mme Danièle Ganancia a noté que l'affirmation du devoir conjugal relevait d'une conception périmée du couple, la cause du divorce n'étant pas la faute en elle-même, mais le dysfonctionnement du couple. Elle a bien distingué le lien affectif du lien social créé par le mariage, ajoutant que la justice, ne disposant que d'éléments partiels, n'avait pas à sanctionner la morale conjugale.

Bien que certains divorçants se considèrent comme victimes et aient besoin de caractériser une faute pour obtenir des dommages-intérêts, elle a estimé souhaitable de ne plus subordonner l'obtention du divorce à la preuve de la faute. Elle a noté que la seule cause objective commune à tous les divorces était l'impossibilité de vivre ensemble, cette seule cause devant permettre le prononcé du divorce.

Mme Danièle Ganancia a indiqué qu'il convenait d'instituer, à côté du divorce par consentement mutuel, une seule autre cause de divorce, fondée sur la rupture irrémédiable du lien conjugal, qui pourrait être invoquée par un seul des époux. Elle a estimé que le juge devait constater la désunion, en tirer les conséquences et ménager un temps de dialogue et de réflexion, afin d'éviter l'alternative actuelle entre divorce pour faute et divorce par consentement mutuel. Elle a souligné l'intérêt d'un délai de réflexion de dix-huit mois dans les cas où l'époux non demandeur n'accepterait pas le principe du divorce pour rupture irrémédiable du lien.

S'agissant de la procédure de divorce, Mme Danièle Ganancia a insisté sur la nécessité que le juge statue sur l'ensemble des conséquences de la rupture du lien conjugal, en réunissant, en un seul jugement, le prononcé du divorce et de ses conséquences patrimoniales.

Le délai de réflexion lui a paru un moyen efficace de ne pas banaliser le divorce, de donner une chance supplémentaire au mariage ou d'en faire le deuil, tandis que la médiation serait utilisée pour préparer l'après-divorce, à l'opposé de l'idée de répudiation. Elle a remarqué que certains Etats avaient fait de la médiation une étape obligatoire du divorce, permettant une co-parentalité effective. Elle a souhaité un entretien obligatoire de médiation familiale, dans tous les cas de divorce, dès lors que les divorçants ont des enfants et sont en désaccord sur les conséquences du divorce. De plus, elle a appelé de ses voeux l'établissement par le notaire d'un projet de liquidation du régime matrimonial. Mme Danièle Ganancia a estimé que les époux devaient redevenir les acteurs principaux de leur divorce et que le juge devait pouvoir concentrer son activité sur la résolution des conflits après l'échec de la tentative de conciliation.

En conclusion, Mme Danièle Ganancia a souhaité substituer à une logique de destruction une logique de dialogue et de responsabilisation.

La grande réforme du droit de la famille étant annoncée pour 2001, Mme Marianne Lassner a jugé prématurée la proposition de loi de M. Nicolas About. Elle a estimé nécessaire de mener une réforme d'ampleur sur le droit de la famille, plutôt que d'en modifier certains aspects au coup par coup. A titre d'exemple, elle a regretté que la nécessaire réforme de la prestation compensatoire ait porté sur sa révision, avant que ses fondements mêmes eussent été envisagés.

Mme Marianne Lassner s'est refusée à opposer divorce pour faute et divorce pour cause objective. Tout en estimant nécessaire la création d'un divorce pour cause objective, lorsque les époux ne veulent pas se combattre, elle s'est déclarée défavorable à la suppression du divorce pour faute, celui-ci répondant au besoin de reconnaissance sociale des époux victimes.

Mme Marianne Lassner a souhaité la suppression du lien entre l'attribution de la prestation compensatoire et la détermination des torts. De plus, elle a noté que la suppression du divorce pour faute aboutirait à déplacer le conflit sur la garde des enfants, lorsque les couples voulaient se combattre. Elle a considéré que le combat n'était pas lié à la procédure de divorce, mais à la pathologie du couple.

Tout en soulignant les difficultés pour la financer, elle a indiqué que la médiation familiale devait être renforcée.

En conclusion, elle a rappelé que le but de toute procédure de divorce devait être de maintenir la co-parentalité, le divorce pour cause objective devant être réservé aux couples capables de divorcer sans combattre.

M. Nicolas About, rapporteur, a regretté que la grande réforme du droit de la famille promise par le Gouvernement se solde par l'addition de plusieurs projets de loi partiels toujours annoncés mais non inscrits à l'ordre du jour. S'agissant du divorce pour faute, il a indiqué que les enfants étaient doublement instrumentalisés, pour établir les fautes et pour punir l'ex-conjoint après le divorce.

Mme Marianne Lassner a considéré que la procédure de divorce pour faute n'instrumentalisait pas les enfants, mais que les couples qui voulaient se battre utilisaient toute procédure et s'accusaient, le cas échéant, mutuellement en tant que père et mère, et non en tant qu'époux.

Mme Danièle Ganancia a noté que les enfants étaient souvent amenés à choisir leur camp dans les procédures de divorce pour faute.

Mme Marianne Lassner a indiqué que de nombreux parents n'avaient pas conscience de faire souffrir leurs enfants lorsqu'ils les prenaient à témoin, se plaignaient auprès d'eux ou cherchaient à s'en faire préférer. Elle a estimé que la procédure n'était pas en cause dans la souffrance des enfants, le divorce pour faute étant utile dans certains cas, en particulier en l'absence d'accord sur la liquidation du régime matrimonial. Elle a approuvé la création d'un divorce pour cause objective, dont la procédure serait simple, dans les cas où les deux époux ne seraient pas d'accord sur toutes les conséquences du divorce.

M. Jacques Larché, président, s'est demandé si le juge aux affaires familiales prononçant le divorce aux torts exclusifs n'était pas influencé par sa première décision lorsqu'il devait ensuite décider du sort des enfants.

Mme Marianne Lassner a répondu par la négative, considérant que le divorce aux torts exclusifs était souvent prononcé en raison de l'absence du conjoint non demandeur. Cependant, elle a souligné que la forte proportion des divorces aux torts partagés résultait de la procédure moins contraignante, la présence de l'avocat n'étant pas obligatoire.

M. Jean-Jacques Hyest s'est demandé si la faute pouvait être considérée comme une cause objective du divorce.

Mme Danièle Ganancia a indiqué que la cause objective désignait simplement le constat de la dissolution du lien conjugal, tandis que l'actuel divorce pour rupture de la vie commune était très pénalisant pour le demandeur.

M. Jean-Jacques Hyest a préféré la modification des procédures actuellement en vigueur à la création de la nouvelle entité juridique que constituerait le divorce pour cause objective. Il s'est en outre déclaré défavorable à la suppression du divorce pour faute.

Mme Marianne Lassner a indiqué que le " divorce-constat " pouvait être introduit en droit français aussi bien par la modification des catégories existantes des cas de divorce que par la création d'une nouvelle catégorie, la principale caractéristique du divorce pour cause objective étant la reconnaissance de la dissolution du lien conjugal.

Audition de Me Gérard Crémont, rapporteur de la commission " Demain la famille, les ruptures ", du 95e congrès des notaires de France, et Me Annie Rollet, du Mouvement Jeune Notariat

La commission a enfin entendu Me Gérard Crémont, rapporteur de la commission " Demain la famille, les ruptures ", du 95e congrès des notaires de France, et Me Annie Rollet, du Mouvement Jeune Notariat.

Me Gérard Crémont,
après avoir rappelé que la loi de 1975 sur le divorce avait eu pour double objectif de dédramatiser le divorce et de globaliser les effets de la rupture, a considéré que, sur le premier point, la loi n'avait pas démérité si l'on considérait que les divorces sur requête conjointe représentaient près de la moitié des cas de divorce. Il a estimé, en revanche, que les résultats obtenus sur le deuxième point apparaissaient insuffisants.

Il a souligné, à cet égard, que le règlement des questions patrimoniales étant, hors le cas de divorce par requête conjointe, dissocié du prononcé du divorce même, les conflits entre époux perduraient au-delà du prononcé du divorce, si bien que le divorce des personnes était prolongé par un divorce des biens, souvent tout aussi pénible et destructeur que le premier.

Me Gérard Crémont a considéré que la majeure partie des questions patrimoniales devrait pouvoir être réglée au cours de l'instance en divorce, tant pour éviter les manoeuvres dilatoires et les disparitions d'actifs que pour permettre au juge de prendre, en connaissance de cause, les décisions relatives à la prestation compensatoire, aux pensions alimentaires et à l'attribution du logement.

Jugeant inconcevable que des décisions aussi graves puissent être prises sans que le juge soit en possession d'un état liquidatif du régime matrimonial, il a plaidé pour une application systématique, dès le stade des mesures provisoires, de la procédure déjà prévue par l'article 1116 du code de procédure civile permettant au juge de charger un notaire de dresser un projet de liquidation du régime matrimonial.

Me Gérard Crémont a considéré que les délais de réflexion prévus par la proposition de loi présentée par M. Nicolas About pourraient être mis à profit pour élaborer cet état liquidatif, et il a indiqué que les notaires étaient tout à fait à même de remplir un rôle de conciliation et de médiation en la matière.

Il a également proposé que les dispositions de l'article 1450 du code civil, permettant aux époux de passer par acte notarié pendant l'instance en divorce des conventions sur le partage de la communauté, soient étendues aux époux séparés de biens et à la fixation d'une prestation compensatoire.

Il a enfin considéré que le projet de liquidation de la communauté annexé à la requête conjointe de divorce, en application de l'article 1091 du code de procédure civile, devrait être suffisamment précis.

S'agissant de l'objectif de dédramatisation du divorce, Me Gérard Crémont a reconnu que le divorce pour faute exacerbait les tensions, que les enfants se trouvaient les enjeux d'un conflit et que 80 % des divorces pour faute étaient prononcés aux torts partagés. Toutefois, rappelant l'opinion du doyen Carbonnier selon laquelle la faute dessinait en creux les obligations du mariage, il a jugé difficilement concevable de n'attacher aucune conséquence à la violation des droits et obligations du mariage.

Il a d'ailleurs relevé que la proposition de loi laissait au juge le soin de décider si les faits invoqués par un conjoint rendaient réellement intolérable le maintien de la vie commune.

Soulignant que les exemples du droit comparé montraient que la faute, une fois supprimée comme cause de divorce, réapparaissait sous un autre aspect, il s'est déclaré persuadé que l'abandon de la faute ne ferait pas cesser le combat entre époux, mais le reporterait sur des actions en responsabilité intentées au titre de l'article 1382 du code civil.

Me Gérard Crémont a enfin estimé que, sans créer une nouvelle procédure de divorce pour cause objective, il convenait de modifier le divorce pour rupture de la vie commune actuellement impraticable en raison de son caractère pénalisant pour le demandeur. Il a en effet considéré qu'une rupture prolongée représentait l'unique élément objectif de l'échec d'une union.

Me Annie Rollet a rappelé que le congrès du jeune notariat sur la séparation et la recomposition familiale, qui s'était déroulé sous sa présidence, avait placé l'enfant au coeur de ses préoccupations, en souhaitant une pacification du divorce permettant un maintien du couple parental au-delà de la séparation des époux.

Elle s'est déclarée très favorable à la proposition de loi de M. Nicolas About. Elle a, en premier lieu, approuvé la suppression proposée du divorce pour faute, estimant que ce type de divorce, destructeur des enfants comme de l'entourage proche des époux, apparaissait socialement improductif et qu'il pervertissait en outre les autres formes de divorce, un époux pouvant menacer d'y recourir pour obtenir de meilleures conditions dans un divorce par consentement mutuel. Elle a, en second lieu, donné son adhésion à la simplification que représenterait la création d'un divorce pour cause objective devenant la seule procédure de divorce à côté du divorce par consentement mutuel.

Me Annie Rollet a, en revanche, estimé que les propositions du groupe de travail présidé par Mme Dekeuwer-Defossez étaient insuffisantes pour dédramatiser le divorce, dans la mesure où elles ne supprimaient pas le divorce pour faute et où elles ne créaient pas un véritable divorce pour cause objective, les aménagements proposés au divorce pour rupture de la vie commune gardant un caractère pénalisant à ce type de divorce en maintenant le demandeur dans une position plus défavorable que celle de l'époux voyant le divorce prononcé à ses torts exclusifs. Elle a jugé paradoxale l'affirmation du rapport du groupe de travail selon laquelle les systèmes de remplacement proposés au divorce pour faute n'auraient pas la même flexibilité et ne répondraient pas aussi bien aux besoins des justiciables.

Me Annie Rollet a ensuite suggéré quelques compléments à la proposition de loi, s'agissant de la cause du divorce, de la procédure et des effets du divorce.

Concernant la cause du divorce, elle a estimé qu'il fallait s'assurer que le juge n'aurait pas de pouvoir d'apprécier les faits allégués par les époux comme rendant intolérable le maintien de la vie commune.

Sur la procédure, Me Annie Rollet a considéré que la durée de trois ans pour la séparation de fait pouvant justifier un divorce était trop longue compte tenu des délais de procédure susceptibles de s'y ajouter et elle a donné sa préférence à un délai d'un an. Elle a plaidé à tout le moins pour une harmonisation avec le délai de réflexion pouvant être imposé par le juge en cas de dépôt d'une requête pour des faits rendant intolérable le maintien de la vie commune. Elle a ensuite estimé que la médiation ne devrait pas être effectuée par des professionnels de la défense judiciaire. Elle a en outre souhaité que le projet de partage des biens commence à être élaboré dès le début de la procédure.

Favorable à la déjudiciarisation de la procédure de divorce par consentement mutuel en l'absence d'enfants, elle a estimé qu'il convenait de réserver l'intervention du juge au règlement des situations conflictuelles, envisageant que la responsabilité de prononcer certains divorces puisse être confiée aux maires, aux greffiers de tribunaux de grande instance ou aux notaires.

S'agissant en dernier lieu des conséquences du divorce, Me Annie Rollet a souhaité que la prestation compensatoire soit fixée dans une limite maximale prévue par un barème et que le devoir de secours soit supprimé dans tous les cas, laissant éventuellement place à une prestation compensatoire. Elle a considéré que la faute devrait être sanctionnée par des dommages et intérêts en dehors de la procédure du divorce.

M. Jean-Jacques Hyest a admis qu'un aménagement de la procédure de divorce pour rupture de la vie commune était souhaitable mais a manifesté son incompréhension devant la volonté de supprimer le divorce pour faute et de permettre à un des époux d'imposer sa volonté à l'autre en alléguant des faits rendant intolérable le maintien de la vie commune.

Me Annie Rollet a signalé la situation de femmes battues ne voulant pas en faire état, soulignant qu'elles ne disposaient pas actuellement de la possibilité de divorcer si leurs maris ne le souhaitaient pas.

En réponse à Mme Dinah Derycke, Me Gérard Crémont a considéré qu'une réforme des régimes matrimoniaux n'apparaissait pas nécessaire, mais qu'en revanche, il convenait, comme il en était question de longue date, de réformer le droit des successions, notamment concernant la situation des conjoints survivants. Me Annie Rollet a souligné la nécessité de prévoir la séparation de biens des époux dès la date de l'assignation en divorce.

Remerciant l'ensemble des intervenants, M. Nicolas About, rapporteur, s'est déclaré surpris que la démonstration de la valeur du mariage semble résider pour certains dans le maintien du divorce pour faute. Il a souligné que la multiplication des couples recomposés démontrait que le divorce concernait autant les hommes que les femmes et il a répété que, dans l'intérêt des enfants, il fallait avoir l'ambition de séparer les époux sans séparer les parents.