Travaux de la commission des lois



- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Justice - Action publique en matière pénale - Audition de M. Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de Cassation

La commission a procédé à des auditions sur le projet de loi n° 470 (1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale.

Elle a tout d'abord entendu M. Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de Cassation.

M. Jean-François Burgelin a estimé que le projet de loi, épousant l'évolution historique, favorisait l'émergence d'un réel pouvoir judiciaire se substituant à l'autorité judiciaire visée à l'article 66 de la Constitution.

Il a cité, parmi les multiples facteurs ayant favorisé la montée du pouvoir judiciaire, le doublement, en quarante ans, du nombre des magistrats, la création de l'Ecole nationale de la Magistrature, l'esprit de corps parmi les magistrats et leur syndicalisation, la " judiciarisation " de la société, le développement des affaires politico-judiciaires et les divers renforcements législatifs des attributions des juges.

M. Jean-François Burgelin a relevé que les magistrats avaient progressivement pris conscience de l'utilité de certaines compétences qu'ils détenaient déjà sans y avoir fréquemment recours, comme le placement sous contrôle judiciaire ou la mise en liberté sous caution.

Il a ajouté que les juges avaient été conduits à écarter l'application de certaines lois nationales, en raison de dispositions du Traité de Rome ou de la Convention européenne des droits de l'homme.

M. Jean-François Burgelin a considéré que les médias et l'opinion publique avaient aussi encouragé l'émergence d'un pouvoir judiciaire.

Il a rappelé que les magistrats du siège échappaient à l'autorité du pouvoir exécutif, y compris pour leur nomination, tandis que la situation des magistrats du Parquet apparaissait ambiguë, les textes, appuyés par la tradition, prévoyant leur soumission hiérarchique au garde des sceaux, alors que depuis deux ans et demi, la ministre de la justice s'était engagée à ne plus donner d'instruction dans les dossiers individuels.

M. Jean-François Burgelin a cité, parmi les pouvoirs du garde des sceaux maintenus vis-à-vis du Parquet, celui de donner des instructions sur la politique pénale, l'obligation faite au Parquet de lui rendre compte de l'application de ces instructions et la nomination des magistrats du Parquet, rappelant toutefois que la garde des sceaux s'était engagée à ne procéder à aucune nomination contre l'avis du Conseil supérieur de la magistrature.

Il a considéré que si le Parquet faisait partie intégrante de l'autorité judiciaire, il relevait encore largement du pouvoir hiérarchique du ministre de la justice.

M. Jean-François Burgelin s'est déclaré favorable aux orientations générales du projet de loi, estimant que l'opinion publique doutait de l'indépendance du Parquet et croyait trop souvent que le ministère public agissait sur instruction.

Il a considéré néanmoins que le projet de loi n'allait pas jusqu'au bout de sa logique qui impliquerait le remplacement des liens du Parquet avec le Gouvernement par l'établissement de liens avec une autre autorité étatique, en raison de sa fonction d'application de la loi.

A l'appui de cette observation, M. Jean-François Burgelin a évoqué l'existence de forces centrifuges au sein des parquets, qui avaient souvent leurs propres pratiques, le problème se trouvant accentué par le souhait de nombreux magistrats d'être nommés dans leur région d'origine.

Il a craint que l'autonomie des parquets par rapport à toute autorité étatique n'aggrave l'inégalité des citoyens devant l'application de la loi.

M. Jean-François Burgelin a considéré que la lutte contre le terrorisme nécessitait l'existence d'une autorité nationale pouvant donner des instructions applicables à l'ensemble du territoire, rappelant que la 14e section du parquet de Paris, spécialisée dans les affaires de cette nature, n'avait que des compétences concurrentes à celles des autres parquets.

Il a observé que le traitement des conflits sociaux à caractère national ou des affaires à dimension internationale supposait nécessairement l'intervention d'une autorité supérieure nationale pour diriger l'action publique.

Se référant aux exemples du Portugal, de l'Espagne, de la Norvège et de plusieurs pays d'Europe de l'Est, il a préconisé l'institution d'une autorité étatique non gouvernementale pour contrôler la bonne exécution des instructions définissant l'action publique, se demandant toutefois si une telle réforme n'apparaîtrait pas prématurée pour certains.

M. Patrice Gélard s'est interrogé sur la lisibilité du projet de loi, relevant en particulier que l'opinion publique ne doutait de l'indépendance du ministère public que pour le traitement de certaines affaires particulières, mais considérait que, dans la justice quotidienne, les magistrats du Parquet demeuraient libres.

Il s'est inquiété de l'insuffisante responsabilisation des magistrats du Parquet et du fonctionnement du système hiérarchique, l'autonomie ne facilitant pas la mise en oeuvre d'une politique pénale cohérente et lisible.

Convenant qu'il n'était pas possible de revenir sur le statut de magistrat conféré aux procureurs et substituts, M. Patrice Gélard a estimé néanmoins nécessaire de maintenir un lien particulier entre ces derniers et une autorité nationale.

Enfin, M. Patrice Gélard a observé que l'impossibilité pour le garde des sceaux de donner des instructions dans des dossiers individuels n'empêcherait pas les contacts informels.

M. Jean-Jacques Hyest a douté de la logique des dispositions du projet de loi selon lesquelles, d'une part, interdiction serait faite au garde des sceaux de donner des instructions dans les dossiers individuels et, d'autre part, capacité lui serait donnée de mettre en mouvement l'action publique en l'absence de poursuites pénales par le Parquet.

M. Christian Bonnet a demandé à M. Burgelin si son intervention pouvait être résumée ainsi : le projet de loi tend à consacrer un phénomène irréversible, des garde-fous sont nécessaires que le Sénat pourrait utilement mettre en place. Il a exprimé son inquiétude sur la volonté de plus en plus fréquente des magistrats d'exercer leurs fonctions dans leur région d'origine.

M. Robert Badinter a demandé si les procureurs des tribunaux consultaient la direction des affaires criminelles du ministère de la justice sur les aspects juridiques complexes de certaines affaires et l'expérience des autres parquets.

Il a estimé indispensable que l'autonomie du Parquet, qui ne devait pas être confondue avec l'indépendance, soit contenue afin de préserver une unité de direction de la politique pénale.

M. Robert Badinter a déploré que dans l'attente du vote par le Congrès du projet de loi constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature, les hauts magistrats du Parquet soient toujours nommés en Conseil des ministres comme les préfets.

Il s'est interrogé sur l'autorité compétente pour nommer un éventuel procureur général de la République, évoquant des irrégularités constatées par le Tribunal constitutionnel lors de la nomination du procureur général de la Couronne en Espagne, et sur l'éventualité d'un contrôle juridictionnel de cette nomination.

M. Robert Badinter s'est inquiété de ce qu'un procureur général de la République acquerrait des pouvoirs plus importants que le ministre de la justice, échappant au contrôle parlementaire sans que sa responsabilité puisse être mise en cause.

M. Jacques Larché, président, a considéré qu'il fallait distinguer l'avis des médias sur l'orientation générale du projet de loi de celui de l'opinion publique en général.

Il a rappelé que la décision de convoquer le Parlement en Congrès appartenait au Président de la République et a indiqué comprendre son souhait de connaître préalablement les orientations qui seraient retenues pour les projets de loi concernant la présomption d'innocence et l'action publique en matière pénale.

M. Robert Badinter a considéré que cette logique devrait conduire à attendre de connaître l'ensemble des dispositions législatives proposées pour réformer la justice, y compris celles concernant la responsabilité des magistrats, avant de convoquer le Congrès, réaffirmant cependant qu'il en souhaitait une convocation plus rapide.

Répondant aux différents orateurs, M. Jean-François Burgelin a considéré que la confusion de l'opinion publique entre les fonctions des magistrats du siège et celles des magistrats du Parquet avaient été voulue à l'origine, jamais remise en cause depuis deux siècles et qu'elle était facilitée par l'unité de carrière des magistrats du siège et du Parquet, les uns et les autres étant formés au sein d'une même Ecole nationale de la magistrature.

Il a considéré que ce système pouvait apparaître atypique par rapport à celui mis en place dans différents pays de l'Union européenne, en particulier au Royaume-Uni, ajoutant que l'harmonisation des législations européennes conduirait très certainement à une plus grande différenciation des carrières.

M. Jean-François Burgelin a toutefois estimé nécessaire de préserver une certaine proximité entre magistrats du siège et magistrats du Parquet, et de ne pas trop assimiler ces derniers aux fonctions de police afin de préserver la culture de respect de la liberté individuelle propre aux magistrats.

Rappelant ses fonctions de président de la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du Parquet, il a exposé qu'en moyenne, chaque année, six sanctions étaient prononcées à l'encontre de magistrats du Parquet, et douze à l'encontre de magistrats du siège, précisant toutefois qu'elles étaient généralement motivées par des manquements dans la vie privée et rarement par des motifs professionnels.

M. Jean-François Burgelin a estimé qu'il serait souhaitable de dépasser une réticence traditionnelle à sanctionner certaines fautes professionnelles caractérisées, citant en particulier les exemples de jugements non motivés ou de trop fréquents classements sans suite.

Il a considéré logique la possibilité qui serait reconnue par le projet de loi au garde des sceaux de mettre en mouvement l'action publique, le Gouvernement ne pouvant pas être privé de toute possibilité d'agir. M. Jean-François Burgelin a estimé que cette mise en mouvement revêtirait un caractère exceptionnel et respecterait le principe de la séparation des pouvoirs.

Il a fait valoir que la tendance croissante à la nomination de magistrats dans leur région d'origine constituait une réalité contre laquelle il serait difficile de lutter, beaucoup d'entre eux privilégiant une telle affectation à un choix de carrière et il s'est inquiété de la valorisation exclusive de la mobilité comme critère de qualité professionnelle.

Au sujet de l'institution éventuelle d'une autorité étatique indépendante du gouvernement chargée de contrôler la mise en oeuvre de la politique pénale, M. Jean-François Burgelin a fait valoir qu'à l'instar du système néerlandais, cette autorité pourrait éventuellement être collégiale. Il a souligné que la désignation de cette autorité devrait associer, selon des modalités à définir, le Président de la République, les présidents des assemblées parlementaires et le Conseil supérieur de la magistrature, pour un mandat de cinq ans non renouvelable. Il a estimé que ce personnage ou cette autorité devrait être inamovible, sauf cas de maladie ou d'impossibilité d'exercer ses fonctions.

Enfin, il a estimé que si l'institution judiciaire dans son ensemble n'était pas populaire auprès de l'opinion publique, il en allait différemment de l'action de certains juges dans des affaires déterminées.

Justice - Action publique en matière pénale - Audition de M. Jean-Marie Darde, procureur général près la cour d'appel d'Amiens

Puis, la commission a entendu M. Jean-Marie Darde, procureur général près la cour d'appel d'Amiens.

M. Jean-Marie Darde a indiqué que la Conférence des procureurs généraux, organe informel, s'était prononcée à la quasi-unanimité en faveur des dispositions du projet de loi.

Soulignant que la rupture du lien entre le Parquet et la chancellerie avait été engagée depuis plusieurs années, il a relevé que les parquets rendaient compte à la chancellerie des affaires qui pouvaient présenter un intérêt mais qu'en revanche, ils ne recevaient pas d'instructions négatives tendant à l'arrêt des poursuites.

M. Jean-Marie Darde a par ailleurs précisé que la suppression des instructions individuelles prévues par le projet de loi était également inscrite dans les faits depuis quelques années. Il a néanmoins fait observer que dans la pratique la distinction entre les instructions générales envisagées par le projet de loi et les instructions individuelles qui seraient prohibées pourrait s'avérer délicate.

Puis, relevant que les procureurs généraux pourraient donner des instructions de poursuivre mais pas d'instructions de ne pas poursuivre, M. Jean-Marie Darde a indiqué que certains procureurs généraux avaient regretté l'interdiction des instructions négatives dans la mesure où ils ne pourraient prévenir d'éventuels excès de zèle, lesquels pourraient aboutir à des différences de traitement entre les justiciables. Il a néanmoins précisé que la majorité des procureurs généraux approuvait la prohibition des instructions négatives.

Abordant le problème des classements sans suite, M. Jean-Marie Darde a fait observer que les parquets informaient d'ores et déjà de leur décision les victimes. Après avoir relevé qu'une commission interrégionale pourrait être saisie des décisions de classement confirmées par les parquets généraux, il a, à titre personnel, considéré que cette commission devrait être composée exclusivement de procureurs généraux afin de respecter le principe hiérarchique qui régit le fonctionnement des parquets.

Il s'est enfin interrogé sur l'article premier bis nouveau inséré par l'Assemblée nationale, faisant observer que cette disposition aboutirait à ce qu'une association reconnue d'utilité publique bénéficie de droits plus importants qu'une partie civile personne privée dans la mise en oeuvre de la procédure d'appel.

Puis, répondant à M. Pierre Fauchon, rapporteur, qui s'inquiétait des risques de distorsion dans les appréciations des parquets compte tenu de la nouvelle organisation qui résulterait du projet de loi, M. Jean-Marie Darde a fait valoir que les instructions générales de politique pénale, auxquelles les parquets devraient se soumettre, fixeraient un cadre. Il a en outre relevé que dans la pratique les procureurs généraux disposaient de marges de manoeuvre limitées qui tenaient compte essentiellement du contexte local et que le risque de distorsion entre les pratiques des parquets était limité au niveau des procureurs généraux, lesquels bénéficiaient d'une expérience professionnelle comparable. Il a enfin fait observer que l'homogénéité des pratiques des parquets était également liée au problème de la réforme de la carte judiciaire et du statut des magistrats.

En réponse à M. Jacques Larché, président, qui s'interrogeait sur les possibilités de recours contre des décisions de classements sans suite, lesquelles étaient le plus souvent motivées par l'absence d'identification de l'auteur des faits, M. Jean-Marie Darde a estimé que de tels recours devraient être relativement rares dans la mesure où dans la plupart des cas la partie civile avait la possibilité de déclencher l'action publique.

Après avoir fait observer que dans la mise en oeuvre d'un droit de plus en plus complexe, les procureurs de la République ne disposaient pas tous des mêmes moyens, M. Robert Badinter a souhaité savoir s'ils recueillaient des informations auprès de la direction des affaires criminelles et des grâces ou par l'intermédiaire des procureurs généraux.

En réponse, M. Jean-Marie Darde a indiqué que les substituts et procureurs de la République formulaient leurs demandes par l'intermédiaire des procureurs généraux. Il a fait état du souhait de la direction des affaires criminelles et des grâces de mettre en place un système informatique de documentation. Il a précisé que les procureurs généraux eux-mêmes pouvaient soumettre des questions complexes à cette direction ou au service de la chancellerie chargé des questions européennes.

M. Robert Badinter a alors fait valoir que la chancellerie devait constituer un foyer d'informations pour les parquets et faciliter leur concertation. Il s'est par ailleurs demandé s'il ne serait pas préférable de maintenir la possibilité pour les procureurs généraux, de donner des instructions négatives aux parquets afin d'éviter des excès de zèle.

En réponse, M. Jean-Marie Darde, constatant que la hiérarchie exercée par les procureurs généraux sur les parquets n'avait plus la même nature qu'autrefois, a considéré qu'une modification statutaire et une limitation dans le temps de l'exercice des fonctions de chef de juridiction pourraient constituer une réponse adaptée.

M. Robert Badinter s'est enfin interrogé sur la définition de la notion " d'intérêt suffisant " envisagée par le projet de loi pour le recours contre les décisions de classement sans suite.

Justice - Action publique en matière pénale - Audition de M. Laurent Le Mesle, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nancy

La commission a enfin entendu M. Laurent Le Mesle, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nancy.

M. Laurent Le Mesle a tout d'abord indiqué qu'il avait exercé préalablement les fonctions de sous-directeur à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice.

Il a souligné l'importance du maintien par le projet de loi d'un lien entre le pouvoir exécutif et les parquets, compte tenu des pouvoirs importants confiés aux procureurs.

Il a observé que le projet de loi prévoyait la possibilité pour le garde des sceaux de donner des instructions générales que les procureurs généraux devraient relayer auprès des procureurs de la République. Il a fait valoir que les procureurs généraux et les procureurs de la République devraient établir chaque année un rapport sur l'exécution de ces orientations générales et a estimé que ces rapports pourraient avoir une grande utilité, à condition de ne pas devenir des exercices purement formels.

M. Laurent Le Mesle a ensuite noté que le renforcement des pouvoirs des procureurs généraux était également une évolution positive. Il a rappelé que les procureurs généraux pouvaient actuellement donner des instructions individuelles, mais qu'ils n'étaient que l'intermédiaire du ministre de la justice, le projet de loi tendant à leur accorder en propre ce pouvoir de donner des instructions. Il en a déduit que le risque que certaines affaires importantes ne soient pas poursuivies serait réduit en conséquence, dans la mesure où il faudrait alors une volonté concertée du procureur et du procureur général.

A propos des instructions individuelles données par le garde des sceaux, M. Laurent Le Mesle a fait valoir qu'elles avaient été extrêmement rares au cours des dernières années, mais qu'il existait un dialogue entre la direction des affaires criminelles et des grâces et les procureurs généraux à propos d'affaires individuelles. Il a observé que, dans la mesure où elles existaient, les instructions individuelles " anormales " ou même contraires à l'honneur n'empruntaient pas par définition les circuits traditionnels et ne passaient pas par la direction des affaires criminelles et des grâces. Il s'est déclaré très attaché aux dispositions du projet de loi prévoyant l'information du ministre de la justice par les procureurs généraux et l'obligation pour le garde des sceaux de rendre compte devant le parlement. Evoquant le droit d'action propre du garde des sceaux prévu par le projet de loi, il a estimé que cette disposition pourrait constituer une garantie contre l'inertie de tel ou tel parquet.

M. Jacques Larché, président, a observé que le projet de loi tendait à transférer du ministre aux procureurs généraux le pouvoir de donner des instructions individuelles et a fait valoir que si la légitimité du ministre était incontestable, on pouvait s'interroger sur celle des procureurs généraux.

M. Laurent Le Mesle a alors rappelé que les procureurs généraux resteraient nommés par le Chef de l'Etat sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Il a indiqué que, pour sa part, il se serait accommodé du maintien de la possibilité, pour le ministre de la justice, de donner des instructions uniquement de poursuivre, et a relevé que le projet de loi ne prévoyait également pour les procureurs généraux que le droit de donner des instructions de poursuite. Il a alors fait valoir que le pouvoir le plus important du procureur n'était pas le pouvoir de poursuivre, une juridiction étant ensuite appelée à se prononcer, mais bien la capacité de classer des affaires. Il a observé qu'il s'agissait là d'un pouvoir d'opportunité, s'exerçant en dehors de la règle de droit, celle-ci prévoyant sans plus de précisions que le procureur apprécie la suite à donner aux plaintes et dénonciations. Il en a déduit que le pouvoir des procureurs généraux serait relatif par rapport à celui des procureurs et qu'il n'était en conséquence pas nécessairement utile d'accroître leur légitimité par rapport à celle des autres magistrats.

M. Robert Badinter s'est déclaré convaincu de la nécessité qu'un dialogue perdure entre la direction des affaires criminelles et des grâces et les magistrats du parquet, et a estimé qu'il s'agirait de l'une des clés de la réussite du nouveau système.

M. Laurent Le Mesle a indiqué qu'une évolution positive s'était produite au cours des dernières années. Il a observé que les procureurs généraux étaient fréquemment reçus à la chancellerie, mais que les procureurs ne l'avaient pas été pendant longtemps. Il a estimé que des réunions régulières des magistrats du Parquet à la chancellerie étaient fondamentales pour assurer l'unité de la politique pénale. Il a souligné qu'il appartenait à la chancellerie de donner aux procureurs une culture, une pratique et une approche des problèmes communs. Il a fait valoir que ces réunions régulières présentaient une importance plus grande encore que les circulaires générales du garde des sceaux, lesquelles risquaient de n'avoir plus d'impact si elles devenaient trop nombreuses.

M. Laurent Le Mesle s'est en revanche déclaré réservé à l'égard du mécanisme de recours contre les classements sans suite. Il a estimé que, contrairement à une idée répandue, les commissions de recours seraient fréquemment saisies et s'est déclaré préoccupé par la multiplication du nombre de dénonciations qui lui étaient adressées. Il a rappelé que les requérants recevraient une réponse du procureur de la République, puis pourraient exercer un recours normal auprès du procureur général et que les commissions de recours seraient appelées à connaître des décisions de rejet du recours par le procureur général. Il a indiqué que le système était extrêmement lourd et qu'il privilégiait fortement les personnes n'ayant pas directement subi un préjudice par rapport aux victimes. Il a observé que la plainte avec constitution de partie civile était très contraignante pour la victime et que celle-ci préférait que l'action publique soit engagée par le procureur de la République.

M. Jacques Larché, président, a alors observé que le nombre de dénonciations anonymes augmentait de manière préoccupante. Il a regretté que le Sénat, lors de l'examen du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, n'ait pas adopté un amendement visant à interdire l'utilisation des dénonciations anonymes, sauf à l'égard de certaines infractions.

Evoquant les dispositions du présent projet de loi relatives au contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire, M. Laurent Le Mesle s'est déclaré très attaché à la direction par le procureur de l'exercice de la police judiciaire, rappelant que la direction de la police judiciaire relevait pour sa part du ministère de l'intérieur. Il a indiqué que les relations entre autorité judiciaire et police judiciaire étaient souvent bonnes, mais que des difficultés pouvaient notamment se poser quant à l'affectation des moyens. Il a estimé que les dispositions du projet de loi sur ce point risquaient de ne rien changer à la situation actuelle puisqu'elles ne revêtaient aucun caractère contraignant. Il a estimé très intéressante la proposition de la commission de réflexion sur la justice tendant à prévoir la présence de magistrats de haut niveau au sein des directions concernées par l'exercice de la police judiciaire. Il a en outre jugé souhaitable la création d'une inspection de la police judiciaire ou l'association de l'inspection générale des services judiciaires aux enquêtes concernant les officiers ou agents de police judiciaire.

Mercredi 13 octobre 1999

- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Administration - Droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations - Examen des amendements

La commission a tout d'abord procédé à l'examen des amendements au projet de loi n° 391 (1998-1999), modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

La commission a exprimé un avis favorable à l'amendement n° 30 présenté par MM. Robert Bret et Michel Duffour et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, tendant à créer un article additionnel après l'article 4 afin que le retrait de l'agrément dont bénéficie une association en application de l'article L. 252-1 du code rural ne soit plus une faculté, mais une obligation pour l'administration, dès lors qu'elle constate que l'association ne remplit plus les conditions pour être agréée. M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur, a estimé que cet amendement était complémentaire de l'article 5 bis proposé par le Sénat, les associations agréées bénéficiant d'un accès privilégié à la justice administrative. Il a rappelé que l'administration avait les moyens de contrôler les associations agréées, puisque celles-ci remettaient, chaque année, leur rapport moral et financier. M. Nicolas About a souligné l'intérêt de cet amendement dans le cas des associations dérivées de mouvements sectaires.

A l'article 10 (consultation par le public des comptes des autorités administratives et organismes aidés ou subventionnés), la commission a émis un avis défavorable à l'amendement n° 38 présenté par le Gouvernement. M. Jean-Paul Amoudry a indiqué qu'il n'avait pas d'opposition de fond à cet amendement, mais que sa rédaction posait plusieurs problèmes de coordination avec la position de la commission. En particulier, il a indiqué que la commission s'était déjà prononcée contre la communication d'un document par une autorité administrative qui le détient sans en être l'auteur.

A l'article 26 quater (conséquences de la jurisprudence " Berkani " du Tribunal des conflits pour les agents non titulaires de l'Etat), la commission a émis un avis défavorable aux amendements n°s 31, 32, 33 et 34 présentés par MM. Robert Bret, Michel Duffour et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, tendant à étendre le champ d'application de la jurisprudence " Berkani ", y compris aux recrutés locaux, à permettre l'intégration dans la fonction publique des agents concernés, et à prévoir que les recrutés locaux ne pourront être recrutés sur la base du droit local que dans les pays européens. M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur, a indiqué que ces amendements étaient incompatibles avec l'amendement n° 27 présenté par la commission supprimant l'article 26 quater.

La commission a estimé que l'amendement n° 37 présenté par M. Guy Penne, Mme Monique Cerisier-Ben Guiga et M. Pierre Biarnes et les membres du groupe socialiste et apparentés, tendant à supprimer toute référence aux recrutés locaux dans le présent projet de loi, était satisfait par l'amendement n° 27 présenté par la commission. M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur, a rappelé qu'il interrogerait le Gouvernement en séance publique sur la situation des recrutés locaux.

A l'article 25 quinquies (conséquences de la jurisprudence " Berkani " du Tribunal des conflits pour les agents non titulaires des collectivités territoriales), la commission a émis un avis défavorable aux amendements n°s 35 et 36 présentés par MM. Robert Bret, Michel Duffour et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, tendant à étendre le champ d'application de la jurisprudence " Berkani " et à permettre l'intégration dans la fonction publique des agents concernés. M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur, a estimé que ces amendements étaient incompatibles avec l'amendement n° 28, présenté par la commission, tendant à supprimer l'article 26 quinquies.

Codification - Habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnance, à l'adoption de la partie législative de certains codes - Examen d'un amendement

La commission a ensuite procédé, sur le rapport de M. Patrice Gélard, à l'examen des amendements au projet de loi n° 438 (1998-1999) portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnance, à l'adoption de la partie législative de certains codes.

A l'article premier (champ d'application de l'habilitation et modalités de la codification), la commission a donné un avis défavorable à l'amendement n° 5, présenté par M. Jean-Jacques Hyest, tendant à exclure, du champ d'application de l'habilitation législative, le code de commerce.

Justice - Action publique en matière pénale - Examen du rapport

La commission a enfin procédé, sur le rapport de M. Pierre Fauchon, à l'examen du projet de loi n° 470 (1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a tout d'abord observé que le projet de loi comportait trois parties très inégales, visant respectivement à réorganiser la relation hiérarchique entre le Parquet et le ministère de la justice, à améliorer les garanties offertes aux citoyens face aux classements sans suite, enfin à renforcer le contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire.

Le rapporteur a souligné que la question des relations entre la chancellerie et le Parquet donnait lieu à débat depuis bien longtemps et que le projet de loi ne contestait pas le principe de la hiérarchisation du Parquet, tout en modifiant sensiblement l'organisation de cette hiérarchie. Il a rappelé que l'article 36 du code de procédure pénale permettait actuellement au ministre de la justice de dénoncer aux procureurs généraux les infractions à la loi pénale et de leur enjoindre d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente des réquisitions qu'il jugeait opportunes. Il a indiqué que ce texte était généralement interprété comme empêchant le ministre de la justice de donner des instructions de classement.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a alors fait valoir que ce système était aujourd'hui critiqué et que le Gouvernement souhaitait mettre fin à l'idée selon laquelle les instructions données par le ministre de la justice seraient de nature politique. Il a précisé que le projet de loi tendait tout d'abord à supprimer la rédaction actuelle de l'article 36 du code de procédure pénale et à interdire expressément au ministre de la justice de donner des instructions dans les affaires individuelles.

Le rapporteur a observé que trois dispositions tendaient à réaffirmer, en contrepartie, la hiérarchisation du Parquet et les responsabilités du ministre. Il a indiqué que le pouvoir de donner des instructions individuelles était transféré du ministre de la justice aux procureurs généraux, qui se verraient investis d'un pouvoir fort. Il a souligné que le projet de loi tendait à reconnaître au ministre la possibilité de définir des orientations générales de politique pénale, naturellement dans le cadre de la loi pénale votée par le Parlement. Il a noté que ces orientations seraient envoyées aux procureurs généraux, qu'elles pourraient faire l'objet d'adaptations, qu'elles seraient diffusées aux procureurs mais aussi au public et que leur mise en oeuvre donnerait lieu, chaque année, à des rapports des procureurs et des procureurs généraux. Il a enfin précisé que le ministre devrait rendre compte de l'application de la politique pénale devant le Parlement et que cette déclaration pourrait donner lieu à un débat. Il a estimé que cette dernière disposition était une évolution importante.

Le rapporteur a enfin fait valoir que le projet de loi tendait à reconnaître au ministre de la justice le droit de mettre lui-même en mouvement l'action publique.

Citant le mot du poète " Dichtung und Wahrheit ", c'est-à-dire " poésie et vérité ", le rapporteur a estimé que le projet de loi relevait plus, à certains égards, de la poésie que de la vérité. Il a indiqué que la suppression des instructions individuelles écrites et versées au dossier ne mettrait pas fin au soupçon concernant l'intervention du politique dans les affaires judiciaires et qu'il était parfois possible de faire comprendre beaucoup de choses par un simple geste. Il en a conclu qu'il ne fallait guère se faire d'illusions à propos des instructions de nature politique, rappelant que les instructions anormales ne passaient jamais par des canaux normaux.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a alors estimé qu'une vision optimiste du projet de loi pouvait laisser penser que la chancellerie ne donnerait plus d'instructions individuelles tout en demeurant informée du déroulement des affaires et en donnant toute l'assistance technique nécessaire aux membres du Parquet. Il a déclaré ne pas partager cet optimisme, observant que, d'ores et déjà, les procureurs se sentaient seuls et qu'ils ne recevaient que fort peu d'informations de la chancellerie. Il a exprimé la crainte que ce projet de loi, joint à la tendance actuelle des magistrats de vouloir exercer leurs fonctions dans leur région d'origine, n'aboutisse à une " balkanisation " et à une régionalisation de l'action publique. Il a fait valoir que le projet de loi ne pouvait conduire qu'à un renforcement de l'autonomie des magistrats, qui étaient d'ores et déjà convaincus qu'ils n'avaient à agir qu'en fonction de leur conscience. Il a enfin fait valoir que le désengagement de la chancellerie pourrait provoquer, en contrepartie, un renforcement du pouvoir du ministère de l'intérieur.

Le rapporteur a estimé que le Sénat ne pouvait se contenter d'exprimer son scepticisme face au projet de loi, mais qu'il lui revenait de se montrer constructif. Il a indiqué que le maintien du texte en vigueur pourrait être aisément justifié, mais que le Sénat mènerait un combat inutile en choisissant cette solution et qu'il ne parviendrait vraisemblablement pas à faire comprendre un tel choix par l'opinion publique.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a alors proposé, en observant que cette idée lui avait été inspirée par M. Christian Bonnet, qu'à tout le moins, le ministre de la justice conserve le pouvoir de donner des instructions individuelles dans les affaires relatives à la sûreté de l'Etat, et singulièrement en matière de terrorisme. Il a estimé que, dans les autres affaires, le ministre ne désirant plus assumer ses prérogatives, il était souhaitable de mettre en place une autorité indépendante du pouvoir politique chargée de coordonner l'action publique.

Le rapporteur a rappelé que l'Espagne, le Portugal et la Grande-Bretagne connaissaient d'ores et déjà de tels systèmes. Il a indiqué qu'en Grande-Bretagne, les affaires concernant la sûreté de l'Etat relevaient du ministre de la justice, les autres d'un directeur des poursuites publiques.

Il a proposé qu'un procureur général de la République soit nommé pour cinq ans par le Chef de l'Etat sur une liste de trois noms proposés par le Conseil supérieur de la magistrature. Il a précisé que son mandat ne serait pas renouvelable et qu'il pourrait être mis fin à ses fonctions sur décision du Conseil supérieur de la magistrature.

Le rapporteur a alors indiqué que ce procureur général de la République pourrait, pour sa part, donner les instructions écrites, motivées et versées au dossier que le ministre de la justice se refusait désormais à donner. Il a indiqué que cette solution prenait pleinement en compte la volonté du Gouvernement de mettre fin au soupçon relatif au caractère politique des instructions individuelles, tout en évitant un risque de " balkanisation " de l'action publique.

Au cours du débat qui a suivi l'exposé du rapporteur, M. Christian Bonnet a regretté que l'Etat délaisse de plus en plus ses attributs régaliens. Il a rappelé que les pouvoirs de l'Etat étaient de plus en plus enserrés entre ceux de l'Union européenne et ceux des collectivités locales. Il a noté que les lois trouvaient en outre de plus en plus leur origine dans des faits et que le Parlement se trouvait aujourd'hui conduit à examiner un amendement " Michelin " ou un projet de loi " Himalaya ".

Rappelant que Paul Valéry avait écrit qu'un homme compétent est un homme qui se trompe suivant les règles, M. Christian Bonnet a constaté que le législateur compétent était désormais celui qui légiférait selon l'air du temps. Approuvant les propositions formulées par le rapporteur, il a considéré qu'il était impensable d'abandonner aux procureurs généraux l'ensemble des décisions concernant l'action publique dans des affaires mettant en cause l'Etat, en particulier en matière de terrorisme.

M. Patrice Gélard a approuvé la solution proposée par le rapporteur, tout en regrettant que le système actuel soit remis en cause. Il a observé que le projet de loi ne prévoyait rien à propos de la responsabilité des procureurs et que, d'ores et déjà, chaque procureur, chaque substitut agissait comme bon lui semblait. Il a estimé nécessaire de lier l'entrée en vigueur du présent texte à l'adoption du projet de loi organique concernant le statut de la magistrature.

M. Jacques Larché, président, a rappelé que Mme Elisabeth Guigou s'était déclarée attachée à ce que les décisions du Conseil supérieur de la magistrature deviennent publiques. Il a rappelé qu'il existait bien quelques décisions disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature mais qu'elles ne sanctionnaient que des affaires privées.

M. Lucien Lanier a observé que le projet de loi donnait des pouvoirs considérables aux procureurs généraux et que l'on pouvait craindre, à la limite, une réapparition des Parlements de province d'Ancien régime. Il s'est déclaré favorable à la création d'une autorité permettant un contrôle de l'action des procureurs généraux et s'est demandé si ce rôle ne pourrait pas être exercé par le procureur général près la cour de Cassation.

M. Charles Jolibois a souligné que l'idée de lier l'application du projet de loi relatif à l'action pénale à l'adoption du projet de loi organique sur le statut des magistrats n'apporterait que des garanties minimes, le Sénat n'ayant qu'une prise limitée sur le contenu de la loi organique.

M. Jean-Jacques Hyest s'est déclaré ouvert aux évolutions nécessaires concernant le fonctionnement de la justice, mais a estimé préoccupante la situation actuelle. Il a rappelé que la mobilité des magistrats tendait à devenir lettre morte et que le projet de loi engageait le Parquet dans une voie très incertaine. Il a fait valoir que, pour les citoyens, le procureur était le représentant de l'Etat, en partageant le sentiment que, d'ores et déjà, le Parquet n'était pas dirigé. Il a rappelé que dans certains pays fédéraux, notamment en Allemagne, la lutte contre le terrorisme avait été entravée par la difficulté de coordonner l'action publique et s'est demandé s'il était opportun, pour la France, de suivre un tel chemin. Il a enfin estimé singulier que le ministre puisse mettre en mouvement l'action publique, considérant qu'il s'agissait là d'une prérogative du Parquet. Il a estimé préférable que le ministre donne des instructions quand le Parquet ne remplit pas son office.

M. Robert Badinter a tout d'abord noté que la question des rapports entre la chancellerie et les parquets était évoquée depuis très longtemps dans les milieux judiciaires et qu'elle avait donné lieu à de nombreux colloques. Il a estimé que l'autorité ministérielle s'était écrasée en hélicoptère sur les pentes de l'Himalaya et que l'on n'y pouvait rien changer. Il s'est déclaré partisan de donner aux magistrats du Parquet des garanties fortes sur le déroulement de leur carrière et a souhaité que le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature puisse être adopté dans les meilleurs délais. Il a indiqué qu'il aurait préféré que les conditions de nomination des procureurs et des procureurs généraux soient purement et simplement alignées sur les conditions de nomination des magistrats du siège.

M. Robert Badinter a alors estimé que, dans un monde où se développait la criminalité organisée nationale et surtout internationale, l'exercice de l'action publique impliquait unité, hiérarchie et responsabilité. Soulignant qu'il était possible de s'interroger sur l'importance de la criminalité organisée dans la future Europe élargie, il a affirmé qu'il était de la responsabilité du garde des sceaux d'exercer l'action publique et qu'il devait en être responsable devant l'opinion publique.

Notant que Charles Péguy avait déclaré qu'il était bien d'avoir les mains propres, pourvu qu'on ne se coupe pas les mains, M. Robert Badinter a estimé que cette responsabilité du ministre en matière d'action publique n'était pas dans l'air du temps. Il a constaté qu'il n'était pas possible de répéter impunément pendant des années que les instructions de la chancellerie étaient un mal sans que cela ait des conséquences sur la mentalité et la culture des magistrats. Il a fait valoir que les nouveaux magistrats étaient convaincus que, seule, leur conscience devait dicter leurs choix et que les procureurs généraux n'avaient qu'une autorité de principe sur les procureurs, ces derniers n'ayant eux-mêmes qu'une autorité de principe sur les substituts. Il a indiqué que la magistrature évoluait d'une culture de soumission à une culture de concertation.

M. Robert Badinter a ensuite fait valoir que nous vivions dans une démocratie d'opinion et qu'il était impossible de l'ignorer. Il a rappelé qu'en 1998, selon un sondage, 16 % seulement des citoyens estimaient que la magistrature était indépendante à l'égard du pouvoir politique.

Evoquant la solution proposée par le rapporteur, M. Robert Badinter a estimé qu'elle n'avait pas le mérite de l'originalité. Il a rappelé que l'exemple anglais n'était pas comparable, le directeur des poursuites étant nommé par l'Attorney général, ministre de la justice. Il a indiqué que le véritable exemple était celui du Fiscal général espagnol et a rappelé que la Cour constitutionnelle espagnole avait déjà eu l'occasion d'annuler une décision du conseil des ministres relative au choix de cette personnalité. Il a souligné qu'en France, l'idée de créer un procureur général de la République avait été défendue par l'association professionnelle des magistrats.

M. Robert Badinter a déclaré qu'il était impossible de retenir la solution proposée par le rapporteur, observant que ce nouveau personnage aurait la maîtrise complète des poursuites et des classements, tout en n'ayant aucune responsabilité. Il a fait valoir que le projet de loi tendait simplement à inscrire dans la loi les propositions de la commission de réflexion sur la justice, à savoir la définition d'orientations générales de politique pénale par le ministre de la justice, l'absence d'instructions individuelles du ministre, le maintien d'une concertation et d'échange d'informations entre les parquets et la chancellerie. Il a conclu son propos en observant qu'il existait des situations où nul ne pouvait exercer la responsabilité de la décision en matière d'action publique, hors le pouvoir politique. Il a estimé que, face à certains actes terroristes ou à des situations telles qu'une prise d'otages, le ministre devrait pouvoir donner des instructions écrites et versées au dossier. Il a enfin fait valoir qu'un procureur ou un procureur général n'avait pas à assumer des décisions aussi lourdes.

M. Robert Bret s'est déclaré favorable à l'orientation de la réforme proposée par le Gouvernement, mais a indiqué avoir des interrogations sur la méthode proposée. Il a observé que la société française doutait, qu'elle était en crise, en manque de repères. Il a fait valoir que s'il ne fallait pas légiférer en fonction d'une opinion, il était nécessaire de tenir compte de l'évolution de la société. Il a souhaité que le législateur prenne désormais toujours en compte le développement de l'Union européenne ainsi que la mondialisation. Il a enfin estimé que la solution proposée par le rapporteur n'aurait pour effet que de créer de nouvelles difficultés.

En réponse à M. Robert Badinter, M. Maurice Ulrich a souligné qu'il était facile de réduire la situation psychologique actuelle à quelque épisode exotique passé, mais que d'autres comportements, tout aussi contestables, avaient pu être observés. Il a souhaité savoir si M. Robert Badinter considérait que la nécessité, pour le ministre de la justice, d'intervenir dans certaines circonstances, notamment face à des actes de terrorisme, impliquait la remise en cause de l'adage : " la plume est serve mais la parole est libre ".

M. Robert Badinter a alors souligné que ce principe, auquel on pouvait attacher une valeur constitutionnelle, existait depuis l'origine du Parquet, que l'audience était vivante et modifiait la conviction de chacun et qu'il ne convenait pas de supprimer la liberté de parole du Procureur.

M. Jacques Larché, président, a rappelé que l'adage " la plume est serve mais la parole est libre " était lié au pouvoir hiérarchique.

Répondant aux orateurs, M. Pierre Fauchon, rapporteur, a indiqué qu'il avait regretté pendant la préparation de son rapport, de ne pas disposer du projet de loi organique sur le statut de la magistrature. Il a estimé cohérent que le Président de la République attende de connaître l'ensemble des éléments relatifs au futur statut du Parquet pour réunir le Parlement en Congrès sur le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature.

Le rapporteur a ensuite noté qu'aucun orateur n'avait soutenu le projet de loi présenté par le Gouvernement. Il a estimé contradictoires certains propos de M. Robert Badinter et a remarqué qu'il était difficile d'affirmer à la fois que l'intervention du ministre de la justice dans la politique d'action publique était absolument nécessaire, qu'elle n'était cependant pas dans l'air du temps et qu'il ne fallait surtout pas, malgré l'impossibilité que le ministre conserve son rôle actuel, créer une nouvelle autorité chargée d'assumer ce rôle. Il a en outre noté qu'il était conduit à formuler des propositions parce que l'actuel garde des sceaux refusait d'assumer une mission jugée essentielle par M. Robert Badinter.

Le rapporteur a déclaré que, toujours, lorsqu'une institution nouvelle était proposée, certains prédisaient l'échec inévitable. Il a fait valoir que l'indépendance de la Banque de France n'avait pas conduit au cataclysme annoncé par certains. Il a enfin souligné que la France n'était pas l'Espagne, et qu'elle était capable de mettre en place un système qui lui soit propre.

M. Robert Badinter a indiqué que la demande d'examiner la nécessité éventuelle de rompre les liens entre le Parquet et le Gouvernement avait été exprimée à l'origine par le Président de la République.

M. Patrice Gélard a observé que le système proposé par le rapporteur ne fonctionnait pas qu'en Espagne ou en Grande-Bretagne, mais aussi aux Pays-Bas et au Japon.

La commission a ensuite examiné les amendements présentés par le rapporteur.

A l'article premier (attributions du ministre de la justice), elle a adopté un amendement tendant à remplacer dans le texte proposé pour l'article 30 du code de procédure pénale le mot " directives " par le mot " orientations ". M. Pierre Fauchon, rapporteur, a indiqué que les circulaires de politique pénale n'avaient pas de valeur normative et que le terme d' " orientations ", qui figurait dans le projet de loi initial paraissait plus clair, à cet égard, que celui de " directives ".

La commission a adopté un amendement tendant à compléter le texte proposé pour l'article 30 du code de procédure pénale afin de prévoir la possibilité, pour le ministre de la justice, de donner des instructions individuelles dans les affaires concernant les infractions visées aux titres premier et II du livre IV du code pénal. Le rapporteur a fait valoir que le Sénat se devait de demander solennellement au garde des sceaux de conserver ses responsabilités dans les affaires mettant en cause la sûreté de l'Etat.

M. Patrice Gélard s'est demandé s'il ne faudrait pas faire référence à toutes les affaires ayant une implication en matière de relations internationales. M. Jacques Larché, président, a observé qu'on ne pouvait définir les pouvoirs du ministre qu'en prenant en compte des infractions précises. M. Robert Badinter s'est opposé à l'amendement, soulignant que l'intervention du ministre pouvait être indispensable, non face à certaines infractions quelle que soit leur gravité, mais face à certaines situations dans lesquelles l'intérêt national peut être mis en cause. M. Charles Jolibois s'est demandé s'il ne conviendrait pas que le ministre de la justice conserve également le pouvoir de donner des instructions individuelles en matière de trafic de stupéfiants.

La commission a ensuite adopté un amendement supprimant le texte proposé pour l'article 30-1 du code de procédure pénale, relatif au droit d'action propre du ministre de la justice. Le rapporteur a fait valoir qu'au cours des auditions auxquelles il avait procédé, toutes les personnes entendues avaient qualifié de singulière cette intervention personnelle du garde des sceaux. Il a indiqué que les exemples donnés par la ministre concernant l'utilisation de ce pouvoir propre n'apparaissaient pas convaincants.

M. Jean-Pierre Schosteck a fait valoir que ce droit d'action était l'expression du remords d'avoir abandonné le droit de donner des instructions individuelles.

M. Jacques Larché, président, a souligné que le garde des sceaux avait indiqué que ce droit d'action engagerait sa responsabilité. Il a rappelé que, sous la Ve République, il n'existait aucun moyen d'engager la responsabilité politique personnelle d'un ministre.

La commission a enfin adopté trois amendements de coordination et un amendement de conséquence tendant à supprimer l'information du Parlement sur l'application du droit d'action propre du ministre de la justice.

Après l'article premier, la commission a examiné un amendement tendant à insérer un article additionnel afin d'insérer un chapitre premier ter composé de quatre articles 30-3 à 30-6 dans le titre premier du livre premier du code de procédure pénale, relatif au procureur général de la République. Le rapporteur a souligné que celui-ci veillerait à la cohérence de l'exercice de l'action publique et coordonnerait l'action des procureurs généraux.

Il a précisé que le procureur général de la République pourrait donner des instructions individuelles aux procureurs généraux et qu'il devrait adresser chaque année au Président de la République et au ministre de la justice un rapport sur son activité. Il a observé qu'il serait désigné par le Président de la République sur une liste de trois personnalités proposées par le Conseil supérieur de la magistrature et que son mandat, d'une durée de cinq ans, ne serait pas renouvelable. Il a enfin indiqué qu'il pourrait être mis fin aux fonctions du procureur général de la République en cas d'empêchement ou de manquement grave aux obligations de sa charge, sur décision du Conseil supérieur de la magistrature, prise sur proposition du ministre de la justice.

M. Jacques Larché, président, a indiqué que la nomination du procureur général de la République serait nécessairement un acte soumis à contreseing, les actes ne donnant pas lieu à un tel contreseing étant limitativement énumérés à l'article 19 de la Constitution.

M. Patrice Gélard a souhaité que la décision de mettre fin aux fonctions soit prise par le Conseil supérieur de la magistrature mais que, par respect du parallélisme des formes, elle donne lieu à une décision formelle du Président de la République qui aurait alors compétence liée.

La commission a alors adopté l'amendement ainsi modifié.

La commission a adopté un amendement de suppression de l'article premier bis (droit pour les associations de demander au procureur de faire appel sur l'action publique). Le rapporteur a estimé contestable de permettre à certaines associations de faire pression sur le procureur pour qu'il fasse appel. Il a fait valoir que toutes les parties civiles pourraient revendiquer le même droit.

La commission a adopté un amendement de suppression de l'article premier ter (pourvois dans l'intérêt de la loi) tendant à modifier l'article 620 du code de procédure pénale, afin de fixer des délais pour l'examen par la Cour de Cassation des pourvois dans l'intérêt de la loi.

A l'article 2 (attributions du procureur général près la cour d'appel), outre quatre amendements de coordination, la commission a adopté un amendement tendant à compléter le texte proposé pour l'article 36 du code de procédure pénale afin de prévoir que le procureur général prend des réquisitions écrites conformes aux instructions qui lui sont données soit par le ministre de la justice soit par le procureur général de la République.

La commission a adopté un amendement tendant à supprimer la disposition du texte proposé pour l'article 37 du code de procédure pénale interdisant explicitement aux procureurs généraux de donner des instructions faisant obstacle à la mise en mouvement de l'action publique. Le rapporteur a indiqué que cette précision n'était pas indispensable, la phrase précédente n'autorisant que les seules instructions d'engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de réquisitions écrites.

La commission a adopté un amendement tendant à modifier le premier alinéa du texte proposé pour l'article 37-2 du code de procédure pénale, afin de permettre au procureur général de la République, comme au ministre de la justice, d'être informés sur les affaires individuelles.

Enfin, la commission a examiné un amendement tendant à compléter le texte proposé pour l'article 37-2 du code de procédure pénale, afin de prévoir que les procureurs généraux communiquent leur rapport au procureur général de la République. A la suite d'une intervention de M. Jacques Larché, président, la commission a estimé préférable que les rapports des procureurs généraux soient transmis au procureur général de la République par le ministre de la justice. Elle a adopté l'amendement ainsi modifié.

A l'article 3 (attributions du procureur de la République), la commission a adopté deux amendements de coordination.

La commission a ensuite examiné par priorité un amendement tendant à réécrire l'article 5 (recours contre les classements sans suite) du projet de loi. M. Pierre Fauchon, rapporteur, a indiqué que le chapitre II du projet de loi tendait à renforcer les garanties offertes aux citoyens face aux classements sans suite. Il a précisé que le projet de loi prévoyait la notification et la motivation des décisions de classement et qu'il organisait, dans son article 5, un recours contre ces décisions. Il a observé que cet article tendait à permettre aux personnes n'ayant pas qualité pour se constituer partie civile de faire un recours contre les décisions de classement auprès du procureur général, puis, en cas de réponse négative ou d'absence de réponse, devant une commission interrégionale composée de magistrats du Parquet.

Le rapporteur a estimé qu'il était contestable de limiter le droit d'intenter un recours hiérarchique aux seules personnes n'ayant pas qualité pour se constituer partie civile. Il a souligné que le recours devant les commissions interrégionales était lourd et complexe. Il a donc proposé, d'une part d'ouvrir le recours hiérarchique à tous et de l'inscrire après l'article du code de procédure pénale relatif à la motivation des décisions de classement, d'autre part, de supprimer le second échelon du recours.

Le rapporteur a enfin souhaité que le terme de classement sans suite ne soit plus employé dans le code de procédure pénale et dans le projet de loi, observant que les alternatives aux poursuites n'étaient pas des classements et encore moins des classements sans suite. Il a proposé de remplacer la référence aux décisions de classement par une référence aux décisions de ne pas poursuivre.

La commission a alors adopté l'amendement proposé par le rapporteur.

A l'article 3 (attributions du procureur de la République), la commission a ensuite adopté un amendement de coordination ainsi que deux amendements tirant les conséquences de l'amendement adopté à l'article 5.

Avant l'article 4, la commission a adopté un amendement de conséquence tendant à modifier l'intitulé du chapitre II afin qu'il ne fasse plus référence aux classements sans suite, mais aux décisions de ne pas poursuivre.

A l'article 4 (notification et motivation des classements sans suite), la commission a adopté un amendement tendant à modifier le texte proposé pour l'article 40-1 du code de procédure pénale, afin de remplacer la référence à la décision de classement par une référence à la décision de ne pas poursuivre.

Elle a également adopté un amendement tendant à supprimer la précision selon laquelle la motivation des décisions de ne pas poursuivre doit être faite en distinguant les considérations de droit et de fait. Le rapporteur a fait valoir qu'en pratique les motivations données par les procureurs ne distingueraient pas réellement les considérations de droit et les considérations de fait.

A l'article 6 (prise en compte des directives générales de politique pénale dans l'activité de la police judiciaire), la commission a adopté un amendement de coordination.

A l'article 7 (renforcement des attributions du procureur de la République en matière de police judiciaire), outre un amendement de coordination, la commission a adopté deux amendements tendant à supprimer les deux derniers alinéas de cet article. Le rapporteur a constaté que ces alinéas prévoyaient que le procureur et les services de police ou de gendarmerie définissaient, d'un commun accord, les moyens à mettre en oeuvre en cas d'enquête longue ou complexe et qu'ils se tenaient informés des moyens à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés par les orientations générales de politique pénale. Il a fait valoir que ces dispositions n'apportaient rien au droit positif et donnaient même le sentiment que le procureur et les services de police et de gendarmerie étaient placés sur un pied d'égalité.

Par coordination avec les décisions prises à l'article 7, la commission a adopté un amendement de suppression de l'article 9 (droit de regard du juge d'instruction sur les moyens mis en oeuvre en cas de commission rogatoire).

Après l'article 10, la commission a adopté un amendement tendant à insérer un article additionnel pour prévoir que les enquêtes relatives au comportement d'officiers ou d'agents de police judiciaire dans l'exercice d'une mission de police judiciaire associent l'inspection générale des services judiciaires au service d'enquête compétent et peuvent être ordonnées par le ministre de la justice. M. René-Georges Laurin a souhaité savoir si la gendarmerie serait concernée par cette mesure. M. Jean-Jacques Hyest a alors fait valoir qu'il existait une inspection de la police nationale, ainsi qu'une inspection de la gendarmerie, et que l'amendement du rapporteur avait pour objet d'associer l'inspection des services judiciaires aux inspections concernant l'ensemble des officiers de police judiciaire, qu'ils soient policiers ou gendarmes.

A l'article 11 (coordinations et dispositions diverses), la commission a adopté six amendements de conséquence avec la décision de supprimer le droit d'action propre du garde des sceaux.

A l'article 12 (application dans les territoires d'outre-mer, en Nouvelle-Calédonie et dans la collectivité territoriale de Mayotte), la commission a adopté un amendement tendant à remplacer la référence aux territoires d'outre-mer par une référence à la Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna.

La commission a alors approuvé l'ensemble du projet de loi ainsi modifié.

Jeudi 14 octobre 1999

- Présidence de M. Pierre Fauchon, vice- président.

Elections - Limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions - Examen des amendements

La commission a procédé à l'examen d'amendements sur le projet de loi organique n° 255 (1998-1999) et sur le projet de loi n° 256 (1998-1999), adoptés avec modifications par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, relatifs à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice.

M. Jacques Larché, rapporteur,
a réaffirmé l'importance, pour l'unité nationale, de la possibilité, pour les présidents des assemblées délibérantes de collectivités territoriales, de siéger au Parlement, évoquant notamment les constatations faites par les membres de la récente mission d'information de la commission dans plusieurs départements d'outre-mer.

Il a plaidé pour l'adoption, par le Sénat, d'un texte clair et lisible. En conséquence, il a proposé le retour à la règle simple : deux mandats peuvent être exercés simultanément dont une fonction exécutive.

M. Jacques Larché, rapporteur, a donc proposé d'exclure du dispositif retenu en juin 1999 par la commission les fonctions de président de communauté urbaine et de président de communauté d'agglomération, et d'émettre un avis défavorable aux sous-amendements tendant à retirer de ce dispositif les mandats et fonctions exercés au sein des communes de moins de 3.500 habitants sur lesquels la commission s'en était remise initialement à la sagesse du Sénat. Il a indiqué qu'après une concertation avec l'Association des maires de France, il lui était apparu difficile d'intégrer dès maintenant, au nouveau régime des incompatibilités, les fonctions exercées dans des établissement publics de coopération intercommunale.

M. Christian Bonnet a considéré qu'une telle proposition devrait être comprise aisément par l'opinion et que si le Gouvernement avait présenté les projets de loi dans l'intention de mettre fin à certains excès, les propositions du rapporteur répondaient avec plus juste mesure au problème posé.

M. Daniel Hoeffel a considéré que ces propositions permettraient d'aboutir à un texte lisible et pourraient constituer une deuxième étape dans le processus de réduction du nombre de mandats exercés simultanément, rappelant que la première réforme en 1985 avait pu être mise en oeuvre, en définitive, sans difficulté majeure. Il a ajouté que la solution proposée par le rapporteur n'excluait pas de nouvelles étapes, après quelques années d'application de la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.

M. Daniel Hoeffel a rappelé que le Sénat s'était opposé à une élection au suffrage universel direct des délégués des communes dans les structures intercommunales afin d'éviter tout risque d'émergence de structures rivales des communes ce qui, en définitive, aurait été défavorable au développement de l'intercommunalité.

Il a rappelé que cette position n'était que provisoire, considérant qu'à terme, l'élection au suffrage universel direct serait nécessaire et devrait être accompagnée de l'inclusion de fonctions exercées dans certaines structures intercommunales dans un régime d'incompatibilités.

M. Daniel Hoeffel a estimé que la proposition formulée par le rapporteur était une conséquence logique de la position du Sénat lors de la discussion de la loi sur l'intercommunalité et que l'évolution de la coopération intercommunale conduirait nécessairement à infléchir cette solution provisoire.

Enfin, il a considéré que les mandats et fonctions exercés dans les communes devaient être appréciés de manière égale, sans référence à leur population.

En réponse à M. Daniel Hoeffel, M. Jacques Larché, rapporteur, a indiqué que, selon les propositions de la commission, le parlementaire européen se trouverait dans une situation identique à celle du parlementaire national, l'un et l'autre devant pouvoir bénéficier d'un ancrage local, par l'exercice d'un autre mandat comportant éventuellement une fonction exécutive.

M. Jean-Jacques Hyest, rappelant que le projet de loi organique, relatif au Sénat, ne pouvait être adopté définitivement que par un vote dans les mêmes termes par les deux assemblées, s'est interrogé sur la cohérence du dispositif prévu par le projet de loi ordinaire, dans le cas où seul ce projet serait adopté.

Mme Dinah Derycke a estimé que l'exercice simultané d'une fonction d'exécutif territorial et d'un mandat parlementaire avait débouché, dans les départements d'outre-mer, sur une personnalisation excessive de la vie politique, qui constituait l'une des causes des difficultés de ces départements.

M. Guy Allouche a jugé qu'il y avait un décalage entre les positions de la majorité sénatoriale, souhaitant une évolution lente sur les principaux problèmes de société, et celles de la minorité sénatoriale qui en revanche préconisait une évolution plus rapide. Il a estimé que les projets de loi avaient moins pour but d'interdire l'exercice simultané de plusieurs mandats que de revaloriser le Parlement en donnant, au mandat parlementaire, toute la place qu'il mérite.

Il a fait valoir que la loi était votée par un Parlement dont tous les membres n'étaient pas des exécutifs territoriaux, et que ses délibérations ne portaient pas toujours sur des textes relatifs aux collectivités territoriales.

M. Jacques Larché, rapporteur, a indiqué que si le Parlement était doté de pouvoirs plus importants dans le cadre d'un régime présidentiel, il pourrait être favorable à une limitation stricte du cumul des mandats, voire à l'instauration du scrutin proportionnel pour l'élection des députés, ce qui permettrait au Président de la République de jouer pleinement son rôle par rapport au Gouvernement et aux assemblées parlementaires.

M. Nicolas About s'est opposé à la proposition d'exclure des incompatibilités les fonctions exercées au sein des établissements publics de coopération intercommunale, relevant que dans le département des Yvelines, le budget de l'une des communautés d'agglomération était équivalent à celui du conseil général du département et que les présidents de certains établissements publics de coopération intercommunale exerçaient des responsabilités plus importantes que celles de certains maires.

Il a constaté que le Gouvernement ne faisait pas de propositions concernant les incompatibilités ministérielles et le statut de l'élu.

Relevant que l'électeur ne se montrait pas localement défavorable à l'exercice des fonctions de maire par un parlementaire, M. Jean-Pierre Schosteck a considéré qu'il serait préférable d'examiner les incompatibilités relatives aux fonctions exercées au sein des structures intercommunales lorsque l'on disposerait d'un certain recul par rapport à la nouvelle législation sur l'intercommunalité.

M. Maurice Ulrich a affirmé que l'attitude consistant à adopter systématiquement les solutions présentées par les médias ou préférées par l'opinion publique reviendrait, pour le Parlement, à une démission de ses responsabilités.

M. Daniel Hoeffel a considéré que la question des incompatibilités ministérielles ne pouvait pas être traitée indépendamment de celle du statut de leurs suppléants, afin de permettre aux membres du Gouvernement de retrouver, lorsqu'ils quittent leurs fonctions ministérielles, le mandat qu'ils détenaient au moment de leur nomination.

Convenant qu'un parlementaire, exécutif territorial, pouvait plus facilement traiter des différents dossiers avec les autorités de l'Etat, en particulier dans les départements d'outre-mer, M. Robert Bret a considéré que la solution à apporter à cette difficulté devrait être examinée dans le cadre du projet de loi d'orientation en préparation sur ces départements.

Il a estimé qu'indépendamment de son mode d'élection, le président d'un établissement public de coopération intercommunale était doté de pouvoirs considérables et que le Parlement ne devait pas retenir à cet égard une solution qui ne pourrait pas être maintenue durablement.

Il s'est interrogé sur les difficultés pratiques résultant de l'exercice simultané d'un mandat de parlementaire national et d'une fonction d'exécutif territorial, considérant que le nécessaire ancrage local d'un parlementaire national n'était pas nécessairement subordonné à l'exercice de telles fonctions.

En réponse à M. Lucien Lanier, M. Jacques Larché, rapporteur, a rappelé qu'en deuxième comme en première lecture, la commission avait écarté les dispositions des projets de loi tendant à instituer des incompatibilités entre les fonctions de membre du bureau d'une chambre du commerce ou d'une chambre d'agriculture et les mandats électoraux.

Sur proposition de M. Jacques Larché, rapporteur, la commission a décidé de rectifier à nouveau ses amendements n°s 7 rectifié, 11 rectifié et 13 rectifié aux articles 3, 4 et 5 du projet de loi, pour exclure du dispositif sur les incompatibilités entre fonctions exécutives locales celles de président de communauté urbaine et de président de communauté d'agglomération, aucune fonction au sein d'un établissement public de coopération intercommunale n'étant alors soumise aux incompatibilités prévues par le texte.

M. Jacques Larché, rapporteur, a ensuite proposé à la commission de confirmer la position qu'elle avait prise lors de l'adoption de son rapport en soumettant les élus de toutes les communes, sans distinction de population, au même régime d'incompatibilité, et donc d'exprimer un avis défavorable sur les sous-amendements de MM. Charles Jolibois et Henri de Richemont tendant à exclure du régime des incompatibilités les mandats et fonctions municipales dans les communes de moins de 3.500 habitants.

A M. Guy Allouche qui s'étonnait du lien entre les propositions formulées concernant, d'une part, les établissements publics de coopération intercommunale, et, d'autre part, le seuil de 3.500 habitants, M. Pierre Fauchon, président, a répondu qu'il s'agissait de deux démarches distinctes destinées, pour la première, à la prise en considération du caractère évolutif de la coopération intercommunale et, pour la seconde, à traiter également toutes les communes, quelle que soit l'importance de leur population.

En conséquence, la commission a décidé de donner un avis défavorable au sous-amendement n° 28 à l'amendement n° 4 de la commission sur l'article 2 du projet de loi organique et aux sous-amendements n°s 36 à 50 aux amendements n°s  2, 7, 11, 13, 17, 22, 26, 28 et 30 de la commission sur les articles 1er, 3, 4, 5, 8, 11, 11 bis, 12 et 13 bis du projet de loi, afin de maintenir, dans le dispositif qu'elle a proposé, les mandats et fonctions dans les communes de moins de 3.500 habitants.