LOIS CONSTITUTIONNELLES, LEGISLATION, SUFFRAGE UNIVERSEL, REGLEMENT ET ADMINISTRATION GENERALE

Table des matières


- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Droit civil - Adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et à la signature électronique - Audition de Mme Isabelle Falque-Pierrotin, maître des requêtes au Conseil d'Etat, rapporteur général du groupe d'étude du Conseil d'Etat, auteur du rapport " Internet et les réseaux numériques "

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de Mme Isabelle Falque-Pierrotin, maître des requêtes au Conseil d'Etat, rapporteur général du groupe d'étude du Conseil d'Etat, auteur du rapport " Internet et les réseaux numériques ", sur le projet de loi n° 488 (1998-1999), portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relatif à la signature électronique et sur la proposition de résolution n° 475 (1998-1999) sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur (n° E-1210).

Mme Isabelle Falque-Pierrotin, maître des requêtes au Conseil d'Etat, a estimé que les relations entre le commerce électronique et le droit n'étaient a priori pas évidentes, Internet s'étant développé en dehors de toute réglementation. Elle a indiqué que les Etats-Unis avaient décidé, en 1996-1997, de laisser le marché réguler Internet et les réseaux, mais qu'on assistait actuellement à un rééquilibrage en faveur de la réglementation.

Elle a indiqué que les évolutions technologiques actuelles soulevaient trois questions, à savoir l'éventualité de la création d'un droit nouveau pour le commerce électronique, les rôles respectifs des acteurs publics et privés dans la régulation et la pertinence d'une intervention dans le cadre national.

Sur la première question, elle a rappelé la réflexion menée en France, à travers le rapport du Conseil d'Etat remis en juillet 1998 et intitulé " Internet et les réseaux numériques ", la mission confiée à M. Francis Lorentz sur le commerce électronique et le rapport de M. Guy Braibant sur la protection des données personnelles.

Mme Isabelle Falque-Pierrotin a indiqué que la France avait très clairement refusé d'inventer un droit nouveau pour Internet, considérant qu'une transaction électronique devait respecter les règles relatives aux ventes à distance. Elle a indiqué qu'Internet et les réseaux ne constituaient pas de nouveaux supports justifiant l'élaboration d'un droit spécifique, à l'image du droit de la télévision, du droit du câble ou de celui du satellite, le droit applicable à Internet s'appliquant au contenu des échanges et non au support utilisé. Elle a précisé que le Japon, les Etats-Unis et l'Australie avaient eux aussi refusé de créer un corpus juridique entièrement nouveau pour les transactions électroniques.

Elle a ensuite fait part des mesures élaborées par la France pour adapter le droit existant à la fugacité d'Internet, à savoir la libéralisation en février 1999 de la cryptographie jusqu'à 128 bits, la reconnaissance de la valeur légale du document et de la signature électroniques proposée dans le projet de loi adopté en Conseil des ministres en septembre 1999, enfin le futur projet de loi sur les technologies de l'information, actuellement soumis à consultation publique, et devant être déposé au printemps 2000.

S'agissant du droit de la preuve et de l'adaptation du code civil, Mme Isabelle Falque-Pierrotin a constaté que la législation française en matière de preuve ne connaissait actuellement que le support papier. Elle a rappelé les quatre étapes de la réflexion du Conseil d'Etat, l'admissibilité en preuve du document électronique, l'équivalence entre la valeur probante d'un acte sous seing privé et celle d'un acte revêtu d'une signature électronique présentant des garanties quant à l'identification de l'auteur de l'acte et l'intégrité du message, la présomption de fiabilité d'une signature certifiée, enfin la définition de la signature elle-même.

Elle a estimé que la rédaction du projet de loi, tout en reprenant certains points suggérés par le Conseil d'Etat, comportait un risque de confusion entre les conditions de l'admissibilité en preuve du document électronique et la force probante de la signature électronique. Elle a donc souhaité que le législateur clarifie ce texte.

Abordant la deuxième question, Mme Isabelle Falque-Pierrotin a ajouté que le rythme d'intervention de cette réponse législative et réglementaire n'était pas suffisant, dans la mesure où il était inadapté à la rapidité des évolutions d'Internet et à l'extrême hétérogénéité des intervenants. Elle a donc mis en évidence la nécessité de recourir aux entreprises pour l'autorégulation, c'est-à-dire la déclinaison d'une règle de droit élaborée et acceptée par les acteurs eux-mêmes. Elle a noté que l'autorégulation ne remplacerait pas la loi en tant que norme générale, ni l'intervention du juge.

Elle a souhaité le développement des codes de conduite, contrats ou classifications de sites, participant à l'autorégulation, à l'image des initiatives de l'association des fournisseurs d'accès français ou de la charte " e-commerce " de Vivendi, comportant des normes de protection du consommateur et de la propriété intellectuelle.

Considérant que l'autorégulation était placée entre les mains des acteurs les plus puissants sur Internet, à savoir les entreprises américaines, elle a insisté sur la nécessité d'une veille européenne.

Elle a indiqué que l'autorégulation, contrairement à la loi, n'était pas en mesure d'assurer la primauté de l'intérêt général, ni de trancher entre des intérêts privés. Elle a donc fait part de la proposition du Conseil d'Etat de créer un organisme de corégulation associant des acteurs publics et privés, qui serait une instance d'alerte et de vigilance. Elle a noté que le Gouvernement avait arbitré, en août 1999, en faveur d'un tel organisme, puisqu'il avait confié à M. Christian Paul, député, une " mission de préfiguration " de cet organisme de corégulation.

Sur la troisième question, Mme Isabelle Falque-Pierrotin s'est demandé quel sens pouvait avoir l'élaboration d'une loi nationale, alors qu'Internet concernait 150 millions d'utilisateurs à travers le monde. Elle a remarqué que la coopération internationale était extrêmement difficile à mettre en oeuvre, les Etats étant très réticents à abandonner leur souveraineté sur un phénomène qu'ils ne comprenaient ni ne maîtrisaient véritablement.

Elle a noté que l'échelon européen était déterminant pour la France, qui avait réussi à faire valoir certaines de ses convictions au niveau communautaire, en particulier sur les questions de protection de la vie privée et des noms de domaines.

S'agissant du nommage, elle a rappelé que les adresses électroniques sur Internet étaient sous domination américaine, mais que les Etats-Unis avaient transféré ce monopole à une société de droit américain à but non lucratif, l'Icann. Elle a indiqué que, les noms de domaines constituant une denrée rare, la France avait défendu la responsabilité des Etats dans l'activité de nommage et l'établissement de conditions transparentes pour l'attribution des noms.

Elle a souligné l'opposition existant entre la France, d'une part, et la communauté Internet favorable à l'autogestion et les Etats-Unis d'autre part. Elle a noté la création d'un comité consultatif des Etats auprès de la société Icann n'ait pas été retenue.

S'agissant de la protection de la vie privée, Mme Isabelle Falque-Pierrotin a rappelé l'opposition frontale entre les Etats-Unis, favorables à l'autorégulation par les entreprises, et l'Europe, auteur en 1995 d'une directive relative à la protection des données personnelles, dont l'article 25 soumettait le transfert de données électroniques au respect, par les pays tiers destinataires, d'un niveau de protection équivalent à celui garanti par la directive. Elle a noté que l'évaluation, par les Européens, des systèmes de protection des autres Etats inquiétait les Etats-Unis, dont le niveau de protection était catastrophique. Elle a indiqué que le vice-président Al Gore, au premier trimestre 1999, avait admonesté les entreprises américaines, afin qu'elles parviennent, par l'autorégulation, à un niveau de protection équivalent à celui de la directive européenne, le Gouvernement fédéral prévoyant de légiférer à défaut d'entente des acteurs.

Elle a regretté qu'en juin 1999 l'idée d'un accord entre les Etats-Unis et la Commission européenne n'ait pas abouti, diminuant ainsi la pression politique pesant sur les acteurs de l'Internet.

Mme Isabelle Falque-Pierrotin a énuméré les quatre directives communautaires, à des stades d'élaboration différents, allant régir les échanges électroniques, à savoir les directives sur les droits d'auteur, sur le commerce électronique, sur la signature électronique et sur la communication commerciale.

Elle a indiqué que la directive relative à certains aspects juridiques du commerce électronique avait deux objectifs, étendre les règles du marché intérieur au commerce électronique et harmoniser les règles applicables aux transactions électroniques, que ce soit en matière de responsabilité des acteurs, de conciliation préalable ou encore d'identification des contractants. Elle a estimé que cette directive était d'inspiration très libérale, et qu'elle résultait de deux choix, l'un dynamique, l'autre plutôt dangereux. Elle a expliqué que le premier choix était l'affirmation que la règle de droit applicable serait le droit du pays d'établissement du prestataire, la " loi du pays d'origine " étant très favorable au développement du commerce électronique.

Le second choix, portant sur le droit applicable entre le consommateur et le vendeur, lui a paru dangereux. Mme Isabelle Falque-Pierrotin a fait part des négociations tendues à l'échelon communautaire sur l'article 3 du projet de directive, la France s'étant déclarée en faveur de la " loi du consommateur ", estimant qu'il n'était pas souhaitable que le consommateur de commerce électronique ne bénéficie pas de garanties équivalentes à celles offertes au consommateur de commerce traditionnel. Elle a indiqué que le Conseil d'Etat s'était opposé à cette position, qui lui paraissait contraire à la logique du marché intérieur, selon laquelle les Etats européens étaient suffisamment harmonisés pour s'entendre sur la loi du pays d'origine du producteur.

Elle a rappelé que la proposition française de retenir la loi du pays de réception n'avait pas été acceptée par les partenaires européens, la présidence finlandaise ayant privilégié un accord qui, sans régler la question de fond ni apporter de réponse en droit positif, renvoyait aux conventions internationales existantes, à savoir la convention de Rome et celle de Bruxelles, très favorables au vendeur.

Elle a établi que, d'après le Conseil d'Etat, le consommateur qui prenait l'initiative d'aller sur un site pour acheter en ligne devait en supporter les risques, la loi du vendeur étant alors applicable, mais que le consommateur ciblé par le vendeur, selon des critères de langue, de monnaie de facturation et de localisation du site, devait pouvoir bénéficier de la loi du consommateur. Elle a indiqué que le Conseil d'Etat avait proposé une modification de l'article 5 de la convention de Rome en ce sens, qui n'avait pas été acceptée par le Gouvernement.

Elle a regretté que la directive communautaire renvoie aux mécanismes internationaux existants, laissant échapper une occasion importante de fixer une règle européenne.

A l'échelle internationale, Mme Isabelle Falque-Pierrotin a remarqué la grande variété des instances appelées à se prononcer sur le commerce électronique, en particulier l'Organisation pour la coopération et le développement économique, l'Organisation mondiale du commerce, la Conférence des Nations unies pour le développement du commerce international, le Conseil de l'Europe. Elle a jugé que les Etats ne feraient pas l'économie d'un accord international contraignant sur le commerce électronique, portant sur des questions comme l'identification des acteurs, leur responsabilité, le droit applicable aux transactions, la protection du consommateur.

En conclusion, elle a estimé qu'Internet et les échanges de données informatisées à l'échelle internationale obligeaient notre système juridique à être performant et compétitif.

M. Jacques Larché, président, a insisté sur le pragmatisme nécessaire pour aborder les problèmes juridiques posés par le commerce électronique, la nécessité de l'intervention du législateur et l'importance, pour la France, de faire prévaloir ses principes juridiques dans le système international. Il a évoqué le cas particulier des ventes aux enchères.

M. Nicolas About a souhaité obtenir des précisions sur le cryptage des données informatisées. Il a estimé que le Gouvernement avait eu le courage d'autoriser les chaînes longues de cryptage jusqu'à 128 bits, mais il s'est interrogé sur la solidité de ces chaînes. Concernant la responsabilité des hébergeurs sur Internet, il a jugé inexact d'affirmer que les hébergeurs n'avaient pas les moyens de contrôler le contenu des sites qu'ils accueillaient.

En matière de protection des données personnelles, il a estimé que ceux qui demandaient la plus grande protection étaient les premiers à pratiquer l'espionnage industriel. Il a demandé si la France faisait comme les Etats-Unis, l'Australie et la Grande-Bretagne, qui espionnaient trois millions de communications par jour.

Il a fait valoir que les auteurs semblaient avoir la capacité d'obtenir la fermeture des sites diffusant des programmes de compression numérique des oeuvres musicales, ainsi que des fichiers de format MP3, en application du droit de la propriété intellectuelle, tandis que les sites de pédophilie, ou ceux proposant des enfants à l'adoption, n'étaient pas fermés.

M. Nicolas About s'est ensuite interrogé sur l'applicabilité de la loi du vendeur aux transactions électroniques, un acheteur en France pouvant difficilement prouver l'absence de livraison du bien commandé auprès d'une entreprise implantée à Hong Kong. Il a conclu en regrettant que l'absence de règle européenne laisse le champ libre aux Etats-Unis.

M. Alex Türk a rappelé que la mission commune d'information du Sénat sur l'entrée de la France dans la société de l'information avait déjà préconisé deux ans plus tôt la création d'une Agence de régulation de l'Internet, associant acteurs publics et privés, et que le Gouvernement ne faisait que reprendre les propositions des sénateurs.

Il a noté que les sénateurs avaient alors accepté l'idée de régulation, la préférant à celle de réglementation, et qu'ils avaient proposé la création d'un Observatoire national de l'évolution des technologies de l'information et de la communication, permettant de décloisonner l'intervention de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, du Conseil supérieur de l'audiovisuel, du Conseil supérieur des télécommunications, de la Commission d'accès aux documents administratifs et de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Puis il a estimé que la veille technologique mise en place ne devait pas se limiter à Internet. Enfin il s'est demandé ce que pouvait signifier en termes juridiques un " lieu " dédié à la corégulation.

Mme Isabelle Falque-Pierrotin a répondu que le cadre juridique de l'organisme de corégulation proposé par le Conseil d'Etat restait à définir. Elle a jugé nécessaire une refonte du droit de la communication, actuellement établi par support, considérant que ce qui n'entrait pas dans le cadre de la communication audiovisuelle était mal appréhendé par les lois de 1982 et 1986 relatives à la liberté de communication.

S'agissant de " l'amendement Bloche " au projet de loi relatif à l'audiovisuel public, elle a estimé qu'Internet, relevant de la communication au public au sens large, se situait en dehors du champ d'intervention du Conseil supérieur de l'audiovisuel, compétent en matière de radio et télédiffusion au sens strict.

Elle a indiqué que l'instance de corégulation, qu'elle se nomme agence ou fondation, ne serait pas une autorité administrative indépendante, puisqu'elle ne serait pas dotée de prérogatives de puissance publique et qu'elle n'aurait ni pouvoir, ni de sanction, ni pouvoir de police administrative.

Mme Isabelle Falque-Pierrotin a distingué le cryptage libéralisé, ouvert à l'ensemble des utilisateurs, de son utilisation illégale, contre laquelle la France devait développer des outils de décryptage puissants, au risque de subir la domination américaine.

Revenant au débat sur " l'amendement Bloche ", relatif à la responsabilité des hébergeurs, venant en discussion au Sénat courant janvier 2000, elle a attiré l'attention de la commission sur la définition d'un régime de responsabilité qui ne soit pas incohérent avec la position communautaire, selon laquelle les hébergeurs seraient de simples transporteurs de données, dont la responsabilité ne pourrait être engagée que dans la mesure où, ayant eu effectivement connaissance d'un contenu illégal, ils n'auraient pas pris les mesures adéquates. Elle a souhaité que l'équilibre atteint au niveau communautaire ne soit pas modifié, soulignant par ailleurs les avancées imposées par la France en matière d'identification des abonnés et de communication de la liste des abonnés par l'hébergeur à la demande du juge. Elle a ajouté qu'une réflexion d'ensemble sur l'évolution du droit de la communication par rapport au développement d'Internet s'imposait.

M. Charles Jolibois, rapporteur, est revenu sur la modification du code civil nécessitée par l'introduction de la signature électronique. Il a souhaité savoir s'il était souhaitable d'établir une stricte égalité entre la signature électronique et la signature manuscrite, et comment pourraient se résoudre les conflits entre les deux. Il a estimé que la France ne pouvait légiférer sans prendre en compte le droit international, ce qui plaiderait pour une adaptation du droit existant, plutôt que pour la définition d'un droit nouveau.

Il s'est interrogé sur le renvoi au règlement dans le projet de loi relatif à la signature électronique. Puis il a souhaité savoir quel droit serait applicable aux échanges sur Internet, en application de la directive européenne, considérant l'opposition frontale entre l'Europe, dotée d'un système de protection des droits d'auteur et de la vie privée, et les Etats-Unis, partisans du copyright. Il a souhaité que la France fasse valoir ses positions à l'échelon communautaire, y compris en appuyant la création d'une " CNIL européenne ", dans la mesure où le renvoi au droit international privé soulèverait de nombreux problèmes pratiques.

Mme Isabelle Falque-Pierrotin a répondu que l'annexe régissant les contrats entre les consommateurs et les prestataires dérogeait à l'article 3 de la directive, qui affirme la règle du marché intérieur, à savoir la primauté de la loi du vendeur. Elle a expliqué que l'échec de la France à faire valoir sa position tenait à l'impossibilité de faire respecter les quinze lois des pays de réception.

S'agissant de la signature électronique, elle a estimé que le renvoi au décret en Conseil d'Etat avait paru nécessaire pour ne pas surcharger la loi de dispositions relatives à la certification de la fiabilité des systèmes utilisés. Elle a rappelé que la directive européenne distinguait les signatures selon le degré de protection offert.

Mme Isabelle Falque-Pierrotin a estimé que le projet de loi opérait une confusion entre, d'une part, l'équivalence fonctionnelle entre signature électronique et signature manuscrite, d'autre part l'admissibilité en preuve du document électronique doté d'une signature électronique, la seconde seule devant être soumise à condition.

M. François Marc a demandé quel était le calendrier communautaire d'adoption de la directive sur le commerce électronique, et s'il était encore temps, pour la France, de faire valoir la protection du consommateur défendue jusqu'ici.

Mme Isabelle Falque-Pierrotin a indiqué que le Conseil de l'Union européenne était parvenu à un accord politique sur la directive la semaine passée, son adoption étant envisageable au cours de l'année 2000.

En conclusion, elle a souligné que les conditions posées par le projet de loi pour l'admissibilité en preuve du document électronique étaient en fait applicables à l'équivalence fonctionnelle des deux formes de signature. Elle n'a pas jugé indispensable de préciser dans la loi que le juge trancherait en cas de conflit.

Droit de la Preuve - Signature électronique - Démonstration sur matériel informatique

Puis la commission a procédé à l'audition, appuyée sur une démonstration sur matériel informatique, de Mme Muriel Collignon, MM. Jean-François Ragu, Bernard Naudin et Gilles Ragueneau, de la société IBM, sur les aspects techniquesdu projet de loi relatif à la signature électronique et de la proposition de résolution sur la proposition de directive relative à certains aspects du commerce électronique.

Mme Muriel Collignon, responsable des offres de sécurité,
a défini la notion de document électronique, recouvrant le courrier, les fichiers, les commandes à un fournisseur ou les moyens de paiement, convertis en signaux numériques et envoyés sur une ligne de télécommunication. Elle a précisé qu'un document électronique n'avait que la valeur de son contenu.

Elle a indiqué que le consommateur et le fournisseur voulaient être assurés de l'existence même de la commande, de son contenu, de l'exécution du paiement et de l'identité du cocontractant. Elle a remarqué que le commerce traditionnel donnait lieu aujourd'hui à environ 1 % de litiges, tandis que le commerce électronique susciterait 15 à 37 % de litiges, portant essentiellement sur les paiements.

M. Jean-François Ragu, architecte sécurité des réseaux et responsable de la cellule " tests d'intrusion ", a indiqué que la signature électronique utilisait soit une clé symétrique, soit une paire de clés ou " bi-clé ", c'est-à-dire une clé publique et une clé privée. Il a indiqué que le chiffrement, consistant à brouiller les données pour assurer la confidentialité du message, étai t à clé symétrique lorsque la même clé servait à l'émetteur pour chiffrer et au destinataire pour déchiffrer le document. Il a estimé que cette solution nécessitant un algorithme très puissant était relativement peu satisfaisante en termes de sécurité. Il a ensuite présenté le chiffrement à double clé, l'émetteur conservant sa clé secrète pour chiffrer les données et transmettant au destinataire sa clé publique permettant de déchiffrer le message. Il a indiqué que la sécurité était assurée par des algorithmes spéciaux interdisant de déduire une clé à partir de l'autre clé.

M. Jacques Larché, président, a demandé si la transmission de la clé était ponctuelle ou définitive. M. Jean-François Ragu a répondu que l'émetteur choisissait la durée de validité de la clé transmise. Il a souligné l'intérêt des clés symétriques permettant des échanges très rapides, y compris pour des documents de taille importante, tandis que les bi-clés, nécessitant un temps de calcul supérieur, étaient plus sûres. Il a rappelé que la clé publique de l'émetteur était en accès libre à l'ensemble de ses correspondants, soit au moyen d'un échange de clés, soit en consultant un annuaire électronique.

Procédant à une démonstration sur vidéoprojecteur, M. Jean-François Ragu a expliqué les différentes étapes permettant à " X " d'envoyer un message confidentiel à " Y ". X récupère la clé publique de Y avec laquelle il chiffre le document qu'il souhaite envoyer. Seul Y peut le déchiffrer puisqu'il tient secrète sa clé privée, laquelle forme un binôme inséparable avec la clé publique qu'il a envoyée à X. A la réception du message, Y n'est pas certain que X est bien l'émetteur, puisque la clé publique de Y a pu être envoyée à différents correspondants.

En conséquence, M. Jean-François Ragu a souligné l'intérêt d'une signature électronique permettant d'authentifier l'identité de l'émetteur et d'assurer la non-répudiation du message.

Il a signalé que la signature s'accompagnait du scellement du document, permettant au destinataire, en cas d'interception de message, de savoir immédiatement si le moindre caractère a été modifié par rapport au document initialement émis. Il a remarqué que le scellement présentait un avantage considérable par rapport au support papier. Puis il a rappelé que la signature seule ne protégeait pas la confidentialité du document, celui-ci circulant en clair. Il a noté que la signature avait pour seul but de certifier l'auteur et le contenu du message de façon très simple pour l'utilisateur, par échange de clés publiques.

M. François Marc a demandé quand intervenait le cryptage du document. M. Bernard Naudin, responsable des offres " e-business ", a indiqué que l'émetteur pouvait signer le document sans le crypter ou utiliser les deux fonctions à la fois.

M. Jacques Larché, président, ayant demandé si un document crypté dans une langue pouvait être décrypté dans une autre langue, M. Bernard Naudin a répondu que le décryptage aboutissait à un texte exactement identique à celui envoyé par l'émetteur et qu'il fallait ensuite recourir dans ce cas à une traduction.

M. Gilles Ragueneau, directeur des relations extérieures, citant l'exemple de l'envoi d'une déclaration d'impôts, a souligné que le contribuable et l'administration fiscale devaient avoir des logiciels utilisant la même technologie, d'où l'intérêt des standards de hachage et de cryptologie.

M. Nicolas About a demandé quelle était la longueur des chaînes de cryptage et a remarqué que les chaînes de quarante bits étaient facilement " craquées ", en particulier par les Etats. M. Gilles Ragueneau a répondu que les chaînes étaient de quarante, cinquante-six et cent-vingt-huit bits, les chaînes de cinquante-six ayant longtemps été considérées comme une arme de guerre aux Etats-Unis, mécontents de la libéralisation menée en France.

M. Jean-François Ragu a indiqué que selon la réglementation française, les chaînes de cryptage étaient libres pour la signature électronique, seules les chaînes cryptant le contenu du message étant plafonnées. Il a estimé qu'un chiffrement utilisant une chaîne très longue pour la signature, associé à un cryptage du message à quarante bits, permettait un échange très sécurisé en conformité avec la loi. De plus, il a remarqué que la clé pouvait être spécifique à un échange donné, ce qui limitait considérablement les possibilités de piratage.

M. Nicolas About s'est demandé comment faisaient les pirates pour " craquer " les messages. Mme Muriel Collignon a répondu qu'il suffisait d'utiliser des filtres sur certains mots clés et M. Gilles Ragueneau a précisé que les attaques étaient ciblées sur quelques zones de correspondances. Il a fait part des discussions au Service central de la sécurité des systèmes d'information (SCSSI) tendant à distinguer les règles de cryptologie applicables aux particuliers et aux entreprises d'une part, aux militaires d'autre part. Il a estimé que les technologies actuelles permettaient la protection des données sensibles, l'échange de documents administratifs et le commerce électronique, mais que les possibilités de sécurité étaient insuffisamment utilisées.

M. Bernard Naudin a remarqué que beaucoup de sites sur Internet laissaient circuler en clair les numéros de cartes bleues et n'utilisaient aucun algorithme de signature ni de cryptage.

M. Jacques Larché, président, ayant demandé si la sécurité en matière d'identification de l'émetteur était statistiquement " absolue ", M. Bernard Naudin a répondu qu'en termes de calculs, il était plus improbable de trouver une signature pour un message piraté qui soit identique à celle du message émis à l'origine que de trouver un faussaire pour imiter un tableau de maître.

M. Gilles Ragueneau a fait part des discussions actuelles sur la protection des données médicales, la technologie étant disponible, mais le débat portant sur le coût financier.

M. Jacques Larché, président, a demandé s'il était possible d'imposer des contraintes en matière de sécurité différentes selon les domaines. M. Bernard Naudin a répondu qu'il était possible de coder le numéro de carte bleue au choix en quarante, cinquante-six ou cent-vingt-huit bits, selon le montant de la somme dépensée, ce choix pouvant être optionnel ou automatique.

M. Charles Jolibois, rapporteur, ayant demandé quelle forme pourrait prendre la double signature des contrats internationaux, M. Jean-François Ragu a répondu que la double signature électronique était possible dans la mesure où le deuxième signataire signait à la fois le document réceptionné et la signature du premier signataire.

M. Charles Jolibois, rapporteur, ayant demandé si les chaînes de cryptage au-dessus de quarante bits étaient interdites, Mme Muriel Collignon a répondu qu'elles étaient soumises à une autorisation délivrée par le Service central de la sécurité des systèmes d'information (SCSSI).

M. Charles Jolibois, rapporteur, a demandé si un utilisateur pouvait chiffrer à plus de quarante bits sans le savoir. Mme Muriel Collignon a répondu par la négative, le logiciel n'étant autorisé par le SCSSI que dans la mesure où il chiffrait à cent-vingt-huit bits maximum sur la signature mais était limité à quarante bits pour le texte. M. Bernard Naudin a ajouté que l'utilisateur qui importait un logiciel chiffrant le texte à cent-vingt-huit bits commettait intentionnellement une infraction.

En réponse à M. Charles Jolibois, rapporteur, M. Jean-François Ragu a distingué la clé, qui devait demeurer secrète, de l'algorithme, fonction mathématique. Il a estimé que la publicité de l'algorithme était un gage de sécurité puisque les tentatives des mathématiciens pour " craquer " les chaînes permettaient de corriger les failles éventuelles du programme.

A la demande de M. Nicolas About, M. Jean-François Ragu a expliqué que dès que la société IBM mettait sur le marché français un logiciel de cryptage, elle était obligée d'en communiquer le code source. M. Bernard Naudin a ajouté que le SCSSI détenait tous les logiciels soumis à déclaration ou à autorisation.

M. Gilles Ragueneau a souhaité une harmonisation européenne et mondiale des règles applicables en matière de cryptologie, la négociation d'accords bilatéraux et multilatéraux et la mise à jour de la législation nationale. M. Charles Jolibois, rapporteur, a approuvé la nécessité d'insérer la législation nationale dans le cadre juridique international.

M. Gilles Ragueneau, rappelant que tout contrat, commande ou transaction devait pouvoir être prouvé, a distingué le droit commercial, selon lequel la preuve était libre, du droit civil exigeant une véritable preuve, d'où l'intérêt d'admettre la force probante de la signature électronique dans le code civil.

M. Jacques Larché, président, a demandé s'il était possible d'organiser une vente aux enchères sur Internet et quelle sécurisation était possible, s'agissant d'offres successives. M. Bernard Naudin a répondu qu'il était très facile de monter un site de vente aux enchères sur Internet, que chaque enchère était enregistrée, afin de constituer un historique des enchères.

Mme Muriel Collignon a ensuite fait part des aspects juridiques du commerce électronique. Elle a indiqué que le droit applicable et le tribunal compétent devaient être précisés dans le contrat et qu'à défaut, la convention de Rome s'appliquerait, à condition que les pays des cocontractants l'aient signée. Elle a mis en évidence la manque de confiance des consommateurs dans les achats en ligne.

Elle a précisé que la signature électronique était utilisée pour initialiser la transaction, afin d'authentifier l'identité des cocontractants, le chiffrement étant ensuite utilisé pour assurer la confidentialité des échanges lors de la négociation des termes du contrat.

Elle a exposé les six principes de l'e-business, à savoir la surveillance, la gestion des accès, le contrôle de la confidentialité des données, la conservation dans le temps des sécurités initialement introduites, l'autorisation des personnes habilitées à contracter et la disponibilité du système.

M. Bernard Naudin a remarqué que seulement 1,6 milliard de francs étaient échangés en France au moyen du commerce électronique en 1998, mais que 280 milliards pourraient être échangés en 2003.

M. Nicolas About ayant demandé comment était acquittée la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dans le commerce électronique, Mme Muriel Collignon a répondu qu'elle était acquittée par l'acheteur dans son pays au moment de la livraison du produit. M. Gilles Ragueneau a estimé qu'un organisme pourrait collecter les fonds de la TVA, en particulier l'Association française des banques, puisque celle-ci était en mesure d'identifier les paiements. M. Bernard Naudin a précisé qu'aux Etats-Unis, la vente en ligne n'était pas aujourd'hui fiscalisée.

M. Nicolas About s'est interrogé sur l'effet des virus informatiques sur le système de clés. M. Jean-François Ragu a répondu que l'ordinateur du destinataire, doté d'un logiciel antivirus, devait être en mesure de détecter le virus dans le document réceptionné. Il a insisté sur la nécessité de l'archivage par le destinataire du document non chiffré mais signé et accompagné de sa clé publique. Il a remarqué que les correspondants seraient amenés à changer de système de clés au cours de leurs relations et qu'il était nécessaire de conserver avec chaque document la clé correspondante.

A la demande de M. Jacques Larché, président, M. Bernard Naudin a indiqué que la France se plaçait en douzième position parmi les douze pays les plus industrialisés en matière de pénétration d'Internet dans les entreprises et chez les particuliers, et qu'il existait une corrélation entre le taux d'équipement en ordinateurs et le prix des télécommunications d'une part, et le nombre de transactions électroniques d'autre part. Il a ajouté que la France devait se doter d'une politique de télécommunication adéquate.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a estimé qu'il n'était pas acceptable que les ventes en lignes suscitent 37 % de litiges. Il a remarqué que les litiges sur les cartes bleues étaient nombreux et plaçaient les consommateurs dans des situations très défavorables, en particulier lorsque les montants étaient inférieurs à 500 francs.

Nomination de rapporteurs

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission a nommé M. Pierre Jarlier, rapporteur sur la proposition de loi n° 325 (1998-1999) de M. Bernard Joly, tendant à permettre la dévolution directe de tous les biens vacants et sans maître à la commune en lieu et place de l'Etat.

Aménagement du territoire - Création et développement des entreprises sur les territoires - Demande de saisine pour avis

Après un échange de vues, la commission a décidé de demander à se saisir pour avis de la proposition de loi n° 254 (1998-1999) de M. Jean-Pierre Raffarin et plusieurs de ses collègues, tendant à favoriser la création et le développement des entreprises sur les territoires et a en conséquence nommé sous réserve M. Paul Girod, rapporteur pour avis de cette proposition de loi.

Droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire

Puis la commission a désigné pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, comme candidats titulaires : MM. Jacques Larché, Jean-Paul Amoudry, Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Paul Girod, Jacques Mahéas et Robert Bret ; et comme candidats suppléants : MM. Guy Allouche, Robert Badinter, Guy Cabanel, René Garrec, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier et Jacques Peyrat.

Résolutions européennes - Aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur - Fixation du délai-limite pour le dépôt des amendements

La commission a ensuite fixé au lundi 17 janvier 2000 à 17 heures, le délai-limite pour le dépôt des amendements sur la proposition de résolution n° 475 (1998-1999), présentée par M. René Trégouët au nom de la délégation pour l'Union européenne, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur (n° E-1210).

Libertés publiques - Renforcement du dispositif pénal à l'encontre des associations de groupements à caractère sectaire - Examen du rapport

Puis la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Nicolas About sur sa proposition de loi n° 79 (1998-1999) tendant à renforcer le dispositif pénal à l'encontre des associations ou groupements à caractère sectaire qui constituent, par leurs agissements délictueux, un trouble à l'ordre public ou un péril majeur pour la personne humaine ou la sûreté de l'Etat.

M. Nicolas About, rapporteur,
a tout d'abord observé que la proposition de loi avait pour objet principal de compléter la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées afin de permettre la dissolution rapide de groupements condamnés à plusieurs reprises ou dont les dirigeants ont été condamnés à plusieurs reprises et qui constituent un trouble à l'ordre public ou un péril majeur pour la personne elle-même ou la sûreté de l'Etat.

Le rapporteur a souligné que la liberté de croyance et la liberté d'association étaient deux principes fondamentaux en France, et que toute législation relative aux mouvements sectaires devait s'inscrire dans le respect de ces deux principes. Il a observé qu'il était extrêmement difficile de donner une définition de la secte et a rappelé que la commission d'enquête de l'Assemblée nationale avait établi un faisceau d'indices pour déterminer le caractère sectaire d'un mouvement. Il a indiqué que parmi les indices retenus figuraient la déstabilisation mentale, le caractère exorbitant des exigences financières, les atteintes à l'intégrité physique et l'importance des contentieux. Il a remarqué qu'en fait, ces indices étaient souvent constitutifs d'infractions pénales.

Le rapporteur a alors fait valoir que le dispositif pénal permettant de lutter contre les sectes était déjà important. Il a souligné qu'un grand nombre d'infractions pouvait s'appliquer aux sectes, notamment l'homicide et les blessures involontaires, l'escroquerie, les atteintes sexuelles, l'abus de faiblesse. Il a en outre rappelé que le Parlement avait adopté, notamment à son initiative, une loi renforçant le contrôle de l'obligation scolaire.

M. Nicolas About, rapporteur, a toutefois constaté que, si le nombre de procédures judiciaires à l'encontre des mouvements sectaires tendait à augmenter, ces procédures se heurtaient néanmoins à des difficultés sérieuses. Il a fait valoir que bon nombre de victimes n'osaient pas porter plainte et que, dans bien des cas, on assistait à des désistements des plaignants au cours de la procédure. Il a souligné que des circulaires gouvernementales incitaient à prendre en compte de manière très sérieuse toutes les plaintes impliquant des mouvements sectaires.

Le rapporteur a alors évoqué la question de la dissolution éventuelle des mouvements sectaires. Il a rappelé que cette dissolution était déjà possible dans un grand nombre de cas, soit en utilisant la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, soit en s'appuyant sur les dispositions du code pénal sur la responsabilité pénale des personnes morales. Il a toutefois noté qu'aucun mouvement sectaire n'avait jamais été dissous sur le fondement de l'un de ces textes et a remarqué que les personnes morales n'avaient, depuis l'entrée en vigueur du code pénal, été condamnées qu'à des peines d'amende. Il a alors indiqué que sa proposition de loi avait pour objet de permettre la dissolution rapide de mouvements très dangereux.

Le rapporteur a souligné que la loi du 10 janvier 1936 avait été adoptée en vue de lutter contre des ligues qui cherchaient à mettre en danger la République. Il a toutefois noté que ce texte avait été par la suite complété et qu'il permettait en particulier aujourd'hui de dissoudre notamment des mouvements racistes ou des mouvements terroristes. Il a indiqué que la proposition de loi tendait à compléter cette loi de manière à permettre la dissolution par le Président de la République de groupements déjà condamnés pénalement et qui portent atteinte à l'ordre public ou constituent un péril majeur pour la personne humaine ou la sûreté de l'Etat.

Le rapporteur a indiqué que deux articles de la proposition de loi initiale tendant respectivement à faciliter la dissolution d'associations et à permettre aux associations de lutte contre les sectes d'exercer les droits reconnus à la partie civile lui étaient à la réflexion apparus inutiles. Il a rappelé que le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes contenait déjà une disposition permettant aux associations de lutter contre les sectes et d'intervenir dans certains procès.

M. Nicolas About, rapporteur, a fait valoir qu'il proposait en revanche trois dispositions nouvelles. Il a estimé souhaitable de permettre la mise en cause de la responsabilité des personnes morales en cas d'exercice illégal de la médecine et de la pharmacie, infractions fréquemment commises par des mouvements sectaires. Il a en outre jugé nécessaire d'aggraver les peines encourues en cas de maintien ou de reconstitution d'une association dissoute. Il a en effet observé que la reconstitution de groupements dissous en application de la loi de 1936 était beaucoup plus sévèrement réprimée que la reconstitution d'associations dissoutes en application de la loi du 1er juillet 1901. Enfin, soulignant que certains mouvements sectaires utilisaient le droit ouvert aux associations d'exercer les droits reconnus à la partie civile pour intervenir dans de nombreux procès, il a proposé que la mise en mouvement de l'action publique soit réservée aux associations reconnues d'utilité publique.

M. Robert Bret a tout d'abord souligné que la question du développement des mouvements sectaires devait faire l'objet de la plus grande attention. Il a rappelé qu'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les sectes et l'argent avait formulé de nombreuses propositions intéressantes et s'est étonné que ce rapport n'ait pas reçu, jusqu'à présent, de suites. Il s'est alors déclaré assez réservé sur la proposition de loi, tout en reconnaissant qu'elle avait le mérite d'ouvrir un débat nécessaire. Il a souligné que la proposition de loi apportait une réponse peut-être trop partielle à ce problème, observant que l'un des phénomènes les plus inquiétants était la puissance économique et financière de certains mouvements sectaires. Il a fait valoir que le développement des sectes était l'une des manifestations de la crise de notre société et traduisait une perte de repères et la fragilisation de certaines personnes.

M. Robert Bret a ensuite souligné que la législation française ne souffrait peut-être pas tant d'une insuffisance de mesures législatives que d'une application défaillante des dispositions existantes. Il a exprimé la crainte que la proposition de loi ne porte atteinte au principe de la liberté d'association.

Mme Dinah Derycke a tout d'abord estimé indispensable de lutter contre les sectes dans le respect de la liberté de croyance et de la liberté d'association. Elle a regretté que la proposition de loi soit examinée si rapidement et a observé qu'il aurait peut-être été souhaitable d'attendre la publication du rapport de la mission interministérielle de lutte contre les sectes. Elle a reconnu que, malgré les affirmations fréquentes selon lesquelles l'arsenal pénal était suffisant, les sectes n'en continuaient pas moins à se développer. Elle s'est interrogée sur l'exigence que plusieurs condamnations aient été prononcées contre un mouvement pour qu'il puisse être dissous, soulignant que, dans certains cas, une seule infraction pouvait être beaucoup plus grave que plusieurs. Elle a en outre rappelé qu'en 1968, de nombreuses associations avaient été dissoutes et s'étaient aussitôt reconstituées.

M. Daniel Hoeffel a tout d'abord souligné qu'il comprenait et approuvait les objectifs de la proposition de loi. Il a toutefois formulé plusieurs interrogations. Il a rappelé que la notion de secte était évolutive, et qu'il était fort difficile de définir une secte en usant de critères objectifs. Il a rappelé que certaines institutions étaient en déclin et qu'un grand nombre de personnes avaient tendance à rechercher un sens à leur vie dans des mouvements plus jeunes et plus dynamiques. Il a estimé qu'il convenait d'être très prudent sur ce sujet, observant qu'à force de vouloir préserver la liberté, on risquait au contraire de la remettre en cause.

M. Nicolas About, rapporteur, a alors observé que le terme de secte n'était à aucun moment employé dans le dispositif de la proposition de loi, sans souci de définition des mouvements sectaires. Il a indiqué que le critère principal de dissolution qu'il proposait était celui des condamnations pénales préalables. Il a rappelé que, dans la loi de 1936, la dissolution était prononcée par décret en Conseil des ministres du président de la République et qu'un recours devant le Conseil d'Etat était possible. Il en a déduit que la proposition de loi ne mettait pas en cause la liberté de croyance et la liberté d'association.

M. Patrice Gélard a estimé que le texte proposé était très habile, dans la mesure où le critère de dissolution retenu était parfaitement objectif, puisqu'il s'agissait des condamnations pénales subies. Il a souhaité savoir quelle était l'attitude de la Cour européenne des droits de l'Homme à l'égard des mouvements sectaires. Il a en outre observé que le texte proposé pourrait s'appliquer à des groupements sans aucun caractère religieux, mais ayant des activités répréhensibles et portant atteinte à l'ordre public.

M. Raymond Courrière a tout d'abord déclaré qu'il n'avait aucune complaisance à l'égard des mouvements sectaires. Il s'est toutefois demandé si la proposition de loi ne risquait pas de donner lieu à des interprétations qui conduiraient à dissoudre des mouvements totalement inoffensifs. Il a rappelé que la loi du 10 janvier 1936 avait été utilisée par l'Etat français en 1940 pour dissoudre certains mouvements.

M. Jacques Larché, président, a fait valoir que tout l'intérêt du texte était d'aborder le problème des sectes au travers des condamnations pénales. Il s'est demandé si la mention des groupements à caractère sectaire dans le titre de la proposition de loi était indispensable. Il a en outre observé que la proposition de loi prévoyait la dissolution de mouvements condamnés et portant atteinte à l'ordre public ou constituant un péril majeur pour la personne humaine ou la sûreté de l'Etat. Il a fait valoir que la référence à la sûreté de l'Etat était peut-être inutile, d'autres dispositions permettant de dissoudre des groupements portant atteinte à la sûreté de l'Etat.

M. Nicolas About, rapporteur, a alors proposé de supprimer toute référence à l'atteinte à la sûreté de l'Etat dans la proposition de loi et de ne plus mentionner les groupements à caractère sectaire dans l'intitulé de la proposition.

M. Pierre Fauchon s'est alors interrogé sur l'article 4 du texte proposé par le rapporteur. Il a estimé que cette proposition de loi n'était pas un cadre adapté pour débattre de la question de l'exercice par les associations des droits reconnus à la partie civile. Il a rappelé que dans certains cas, pour des raisons diverses, le parquet et la victime n'intervenaient pas et que les associations défendant des intérêts généraux pouvaient avoir un rôle très utile. Il a fait valoir qu'il conviendrait sans doute de sanctionner les abus existant en matière de constitution de partie civile par les associations, mais s'est déclaré très réservé à l'égard de la proposition tendant à réserver aux seules associations reconnues d'utilité publique la mise en mouvement de l'action publique.

M. Nicolas About, rapporteur, a alors indiqué que des abus étaient commis par certaines associations en matière d'intervention dans les procès. Il a souligné qu'il avait voulu lancer un débat nécessaire et que la réflexion devrait se poursuivre sur ce sujet. Il a reconnu que la proposition de loi n'était pas le cadre le plus adapté pour traiter de cette question et a indiqué qu'il retirait sa proposition de réserver aux seules associations reconnues d'utilité publique la mise en mouvement de l'action publique.

La commission a alors adopté le texte proposé par le rapporteur ainsi modifié.

Nationalité française - Conditions d'acquisition de la nationalité française par les militaires étrangers - Examen du rapport

La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport de M. Alex Türk sur les propositions de loi n°s 104 (1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture, modifiant les conditions d'acquisition de la nationalité française par les militaires étrangers servant dans l'armée française, et74 (1999-2000) de M. Jean-François Picheral et les membres du groupe socialiste et apparentés, relative à l'attribution de la nationalité française à tout étranger engagé dans les armées françaises qui a été blessé en mission, au cours ou à l'occasion d'un engagement opérationnel, et qui en fait la demande.

M. Alex Türk, rapporteur, a tout d'abord rappelé que la commission des lois était saisie, non seulement de la proposition adoptée par l'Assemblée nationale et de celle identique de M. Jean-François Picheral sur lesquelles elle s'apprêtait à statuer, mais également de la proposition déposée par M. Michel Pelchat et plusieurs de ses collègues, cette dernière, bien que fondée sur le même principe que les deux premières, ayant des conséquences d'une toute autre ampleur puisqu'elle visait à appliquer à des milliers d'anciens combattants le dispositif adopté par l'Assemblée nationale en faveur de cinq légionnaires blessés par an.

Il a constaté que la France, malgré la dette qu'elle avait contractée à l'égard des combattants des pays issus de la décolonisation s'étant dévoués pour sa défense, avait souvent laissé ces derniers dans une situation pitoyable, n'accordant par exemple annuellement que 100 F de pension de retraite d'ancien combattant à un Vietnamien et 320 F à un Marocain.

Il a donc considéré que la France devait montrer sa gratitude à ces anciens combattants au même titre qu'aux légionnaires et que l'occasion pourrait en être donnée lors de l'examen ultérieur de la proposition de loi de M. Michel Pelchat.

Concernant le texte transmis par l'Assemblée nationale, M. Alex Türk, rapporteur, a indiqué qu'il instituait un dispositif spécifique d'acquisition de la nationalité au profit des légionnaires blessés en opération, encore engagés au moment où ils en font la demande. Qualifiant ce dispositif de semi-automatique, il a observé que le texte gardait par prudence un rôle de filtre au ministre de la défense qui serait notamment juge du comportement du légionnaire blessé. Il a rappelé que l'acquisition de la nationalité française n'était possible, en tout état de cause, qu'une fois effectuée, le cas échéant, la rectification de l'identité du légionnaire engagé sous une fausse identité. Précisant que les enfants mineurs du légionnaire résidant avec lui bénéficieraient de la même procédure d'acquisition de la nationalité en cas de décès de leur parent en opération, il a indiqué que cette condition de résidence pouvait apparaître trop restrictive dans un petit nombre de cas sans cependant remettre en cause la validité du dispositif.

M. Alex Türk, rapporteur, a insisté sur l'aspect très symbolique de ce texte, tout en soulignant que ses conséquences seraient concrètement limitées, les légionnaires demandant à être naturalisés obtenant à l'heure actuelle, pour la plupart, des décisions favorables dans un délai inférieur à un an et le nombre de légionnaires étrangers blessés en opération ne dépassant pas cinq par an en moyenne, même s'il pouvait malheureusement augmenter en cas de conflit.

M. Alex Türk, rapporteur, a proposé à la commission d'adopter la proposition de loi sans modification de manière à ce que ce texte portant reconnaissance symbolique du rôle joué par la Légion puisse devenir définitif.

En réponse à M. Jacques Larché, président, et à M. Robert Bret, qui s'inquiétaient de la non-application du dispositif aux anciens légionnaires, M. Alex Türk, rapporteur, a indiqué que la question pourrait être abordée ultérieurement dans le cadre de l'examen de la proposition de M. Michel Pelchat.

En réponse à M. Patrice Gélard, il a précisé que la notion d'opération au cours de laquelle se produisait une blessure ne comprenait pas l'entraînement mais pouvait viser des missions humanitaires ou de maintien de la paix n'impliquant pas de combat.

A la demande de M. Patrice Gélard, il a précisé que si l'impact d'une extension du dispositif prévu pour les légionnaires à tous les anciens combattants des pays issus de la décolonisation n'avait pas pu être évalué de manière précise, on pouvait chiffrer à la moitié des 18.000 bénéficiaires de pensions d'invalidité originaires de ces pays le nombre de personnes blessées au combat, ce nombre diminuant avec le temps.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter sans modification la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale.