Travaux de la commission des lois



- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.

Nomination d'un rapporteur

La commission a nommé M. Jean-Patrick Courtois rapporteur sur la proposition de résolution présentée, en application de l'article 73 bis du Règlement, par M. Robert Del Picchia, au nom de la délégation pour l'Union européenne, sur la proposition de décision du Conseil instituant le Collège européen de police en tant qu'organe de l'Union européenne (E 2765).

Violences envers les femmes - Lutte contre les violences à l'égard des femmes et notamment au sein des couples et lutte contre les violences au sein des couples - Examen du rapport

Avant de procéder à l'examen du rapport de M. Henri de Richemont, rapporteur sur les propositions de loi n° 62 (2004-2005) tendant à lutter contre les violences à l'égard des femmes et notamment au sein des couples par un dispositif global de prévention, d'aide aux victimes et de répression, présentée par M. Roland Courteau et plusieurs de ses collègues, et n° 95 (2004-2005) relative à la lutte contre les violences au sein des couples, présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et plusieurs de ses collègues, la commission a d'abord entendu l'avis présenté au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes par M. Jean-Guy Branger.

M. Jean-Guy Branger, rapporteur au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, a d'abord souligné que les violences au sein du couple, longtemps occultées, étaient une réalité dont l'ampleur était aujourd'hui bien établie. Il a mis en exergue cinq priorités :

- la recherche d'une plus grande cohérence dans l'approche juridique de la lutte contre les violences au sein du couple, et en particulier la prohibition du recours à la médiation pénale pour le traitement de ce type de violences ;

- la formation des acteurs de la lutte contre les violences au sein du couple ;

- l'extension de la mesure prévue à l'article 220-1 du code civil permettant l'éviction du domicile conjugal de l'époux violent, au concubin et au pacsé ;

- le sort des enfants ;

- la conduite d'une vaste campagne d'information destinée à faire évoluer les mentalités.

A la suite de son exposé, M. Jean-Guy Branger, rapporteur au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, a précisé à l'attention de M. Robert Badinter que d'après les informations recueillies par le Conseil de l'Europe, le phénomène des violences conjugales était particulièrement marqué en Russie -où l'on déplorerait la mort d'une femme toutes les quarante minutes des suites de la violence conjugale- et en Europe centrale et orientale mais qu'il était également très présent dans certains pays, comme l'Espagne, qui avait d'ailleurs adopté une législation très avancée dans ce domaine.

M. Pierre Fauchon s'est demandé si le parquet poursuivait avec la rigueur nécessaire les violences commises au sein du couple. Il s'est interrogé en outre sur les sources des statistiques relatives aux violences conjugales en Europe évoquées par M. Jean-Guy Branger. Celui-ci a indiqué qu'il s'agissait de données recueillies dans le cadre du Conseil de l'Europe.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a estimé à cet égard que les statistiques sous-estimaient le nombre des infractions commises compte tenu de la rareté du nombre de plaintes déposées -par ailleurs souvent retirées- et de l'importance des classements sans suite. Elle a constaté que la police et la justice avaient ainsi tendance à minimiser ces faits.

M. Patrice Gélard a pour sa part contesté les chiffres avancés par le rapporteur sur les violences commises en Russie. M. Jean-Guy Branger, rapporteur au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, a relevé que ces données avaient été cependant confirmées par une délégation russe qu'il avait récemment reçue au Sénat.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a alors présenté son rapport sur les deux propositions de loi n°s 62 et 95. Il a d'abord relevé que les violences commises au sein du couple restaient un phénomène très présent dans notre société, même s'il était difficile d'en prendre une mesure précise. Il a noté l'augmentation significative depuis 1995 du nombre de condamnations pour des crimes et délits en matière de violences conjugales en soulignant que cette évolution traduisait sans doute moins une hausse des infractions dans ce domaine qu'une plus grande volonté d'expression des victimes pour porter plainte. En tout état de cause, a-t-il affirmé, ces données restaient sans doute très en deçà du nombre de violences conjugales effectivement commises dans notre pays.

Le rapporteur a observé que ce phénomène était plus particulièrement lié à l'alcoolisme, à l'existence de relations extra-conjugales ou encore à des décalages sociaux, telle que la situation de chômage de l'un des deux conjoints susceptible d'exacerber ces violences. Il a rappelé, par ailleurs, que l'arsenal juridique pour lutter contre ces faits prévoyait l'aggravation des peines pour cinq infractions lorsqu'elles sont commises par le conjoint ou le concubin de la victime :

- les tortures et actes de barbarie (article 222-3, 6° du code pénal) ;

- les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner (article 222-8, 6°) ;

- les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (article 222-10, 6°) ;

- les violences ayant entraîné une interruption totale de travail de plus de huit jours (article 222-16, 6°) ;

- les violences n'ayant pas entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours (article 222-13,6°).

M. Henri de Richemont, rapporteur, a observé que l'évaluation de l'interruption totale de travail apparaissait un élément déterminant dans l'orientation des poursuites, mais donnait lieu actuellement à des interprétations souvent très hétérogènes.

Le rapporteur a alors analysé le dispositif des deux propositions de loi soumises à la commission. Il a relevé que ces textes comportaient trois séries de mesures, les premières, visant à aggraver la répression des violences au sein du couple, les deuxièmes à renforcer la formation et l'information du public, les troisièmes, enfin, à développer l'aide aux victimes. M. Henri de Richemont, rapporteur, a observé que si les mesures prévues dans le domaine de la formation et de la sensibilisation du public apparaissaient absolument indispensables, elles relevaient du domaine réglementaire. Il a considéré également que les mesures d'aide aux victimes étaient d'ores et déjà, pour une large part, satisfaites par le droit en vigueur et qu'elles pourraient se heurter en tout état de cause au principe de l'article 40 de la Constitution interdisant au Parlement d'aggraver les charges financières.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a précisé qu'il n'avait pas estimé pouvoir retenir l'incrimination particulière pour les violences habituelles prévues par l'article premier de la proposition de loi n° 62 au motif que les violences commises au sein du couple apparaissaient presque toujours comme des violences habituelles, caractéristique déjà prise en compte avec l'aggravation des peines. Il a indiqué en outre qu'il ne jugeait pas opportun de viser spécifiquement les violences à caractère psychologique, dans la mesure où d'abord le lien de causalité entre ce type de violences et son résultat peut être parfois difficile à établir et surtout, dans la mesure où la notion de violences, telle qu'elle est actuellement entendue par la jurisprudence, recouvre les violences physiques et psychologiques.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a indiqué qu'il proposerait de retenir quatre éléments essentiels des deux propositions de loi :

- l'élargissement de la circonstance aggravante aux infractions commises au sein du couple par la personne liée à la victime par un pacte civil de solidarité (PACS) ;

- l'extension de la circonstance aggravante aux faits commis par les anciens conjoints, anciens concubins et anciens partenaires de la victime, en limitant cependant l'application à une période de cinq ans suivant le divorce ou la rupture du concubinage ou du PACS ;

- l'incrimination explicite du viol au sein du couple ;

- l'interdiction spécifique du domicile commun pour l'auteur de violences au sein du couple en particulier dans le cadre de la libération conditionnelle.

Par ailleurs, M. Henri de Richemont, rapporteur, a proposé de prévoir l'application de la circonstance aggravante pour le meurtre lorsqu'il est commis au sein du couple.

A la suite de l'exposé du rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué qu'il était impératif de mieux lutter contre les violences au sein du couple et qu'à cet égard, l'éducation jouait un rôle essentiel. Il a attiré l'attention de la commission sur les deux mesures les plus « sensibles » du texte proposé par le rapporteur : d'une part, l'extension dans un délai déterminé de la circonstance aggravante aux infractions commises par les anciens conjoints, concubins et pacsés ; d'autre part, la référence explicite au viol au sein du couple. Sur ce dernier point, il a relevé que Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, envisageait de faire de la qualité de conjoint, ou de concubin, une circonstance aggravante de l'infraction de viol.

M. François Zocchetto a exprimé son accord avec l'extension de la circonstance aggravante aux infractions des violences commises par les pacsés, ainsi qu'à celles commises par les anciens conjoints, concubins ou partenaires. Il a jugé utile à cet égard le délai de cinq ans prévu par le rapporteur. En revanche, il a estimé inutile de préciser l'incrimination du viol entre conjoints, compte tenu des termes généraux retenus par le code pénal pour définir l'infraction de viol. Il a jugé qu'une meilleure information sur ce sujet restait nécessaire. Il a en outre attiré l'attention sur le cas spécifique des violences commises contre les femmes enceintes.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a rappelé que la situation des femmes enceintes était visée par l'article 222-14 du code pénal incriminant les violences habituelles contre les mineurs et les personnes vulnérables. Il a relevé en outre, s'agissant de l'incrimination spécifique du viol entre conjoints, que cette disposition répondait à une très forte attente des associations et des magistrats qu'il avait entendus et qu'elle avait principalement valeur pédagogique.

Selon Mme Michèle André, beaucoup de nos concitoyens ignorent que le viol est incriminé dans le cadre du couple et il est opportun de consacrer explicitement dans notre droit la jurisprudence de la Cour de cassation sur cette question. Elle a rappelé que le texte proposé par le groupe socialiste avait pour objet de rassembler sous une forme à la fois simple et lisible les différentes mesures indispensables pour lutter contre les violences au sein du couple.

M. Pierre Fauchon s'est interrogé sur le nombre de classements sans suite. M. Henri de Richemont, rapporteur, a précisé que s'il ne disposait pas de statistiques sur ce point, il convenait de souligner que les victimes n'étaient pas toujours informées, lorsqu'elles se manifestaient aux services de police, qu'une simple inscription de leur déclaration par main courante ne donnait lieu à aucune enquête ni aucun suivi judiciaire. Il a également indiqué à M. Pierre Fauchon qui appelait de ses voeux l'automaticité des poursuites pour ce type d'infraction, que la Chancellerie avait élaboré un guide de l'action publique consacré aux violences au sein du couple destiné à favoriser une politique répressive plus cohérente et plus systématique.

Mme Alima Boumediene-Thiery a demandé des précisions sur la position du rapporteur relative aux violences psychologiques. Elle a par ailleurs regretté que la disposition concernant le viol au sein du couple ne réponde pas à l'objectif de lisibilité souhaité. Enfin, elle s'est étonnée que le rapporteur n'ait pas retenu le principe de l'extension de l'aide juridictionnelle.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a d'abord souligné que l'aide juridictionnelle couvrait actuellement les infractions les plus graves (atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité de la personne ainsi que le viol). Il a rappelé qu'il incombait au premier chef au délinquant de prendre en charge l'ensemble des frais liés à la procédure judiciaire et que le recours au principe de solidarité nationale ne pouvait prévaloir de manière systématique. Il a ajouté que la mention du terme « violence » dans le code pénal visait toutes les violences, qu'elles soient physiques ou psychologiques. M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé à cet égard que les pressions psychologiques apparaissaient une forme très fréquente de violences que le juge prenait d'ores et déjà en compte dans l'évaluation de la situation de la victime.

Mme Josiane Mathon a souhaité que puisse être pris en compte de manière plus spécifique le harcèlement auquel les victimes pouvaient être soumises. Elle a regretté que les propositions du rapporteur soient davantage orientées vers la répression que la prévention et que l'aide aux victimes n'ait pas été davantage renforcée.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a estimé que plusieurs des dispositions des deux propositions de loi dont l'intérêt n'était pas en cause relevaient néanmoins du règlement, et non de la loi. M. Jean-Jacques Hyest, président, et Mme Michèle André ont rappelé l'importance de l'éducation et de la formation en souhaitant que le rapporteur puisse, en séance publique, demander au Gouvernement de s'engager sur une action ferme et des initiatives concrètes dans ce domaine.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a estimé que l'aide juridictionnelle demeurait insuffisante. Elle a souhaité que l'application de la circonstance aggravante aux anciens, concubins ou partenaires ne soit pas limitée à une période déterminée ; elle a mis en avant en particulier la permanence des relations de l'ancien couple, bien au-delà de la séparation, liée à la présence des enfants. Elle a souligné enfin la nécessité de mieux expliciter dans la loi pénale que l'incrimination de viol n'est pas exclue du couple.

M. Patrice Gélard a observé que le délai de cinq ans prévu pour l'aggravation de la circonstance aggravante aux « ex » n'était pas adapté dans l'hypothèse de la récidive, en particulier après une peine d'emprisonnement, qui justifierait une prolongation de ce délai. Il s'est interrogé en outre sur l'articulation entre la procédure d'éviction du conjoint prévue par le code civil et celle proposée par le rapporteur dans le cadre du contrôle judiciaire et du sursis avec mise à l'épreuve. M. Henri de Richemont, rapporteur, a précisé que ces deux procédures étaient complémentaires, faisant intervenir la première le juge aux affaires familiales, la seconde le juge pénal. M. Patrice Gélard a par ailleurs estimé qu'une sensibilisation à la question des violences au sein du couple, et plus particulièrement au viol, pourrait être faite au moment du mariage ou de la conclusion du pacte civil de solidarité.

M. Robert Badinter a rappelé avec insistance que la législation pénale ne devait pas procéder de mesures d'affichage. Après avoir rappelé qu'il était à l'origine de l'application de la circonstance aggravante aux infractions de violences commises par le conjoint ou le concubin, il a estimé que les sanctions actuellement prévues par le code pénal permettaient une répression sévère de ces faits. Le souhait d'aggraver ces sanctions, a-t-il observé, sous-entendait un certain laxisme de la justice, alors même qu'aujourd'hui, compte tenu de l'évolution sociologique du corps des magistrats, les décisions étaient rendues en majorité par des femmes.

La commission a alors examiné les articles de la proposition du rapporteur.

A l'article premier (Définition du principe général d'aggravation de la peine pour les infractions commises au sein du couple - Extension de cette circonstance aggravante aux faits commis par la personne liée à la victime par un pacte civil de solidarité et par l'ancien conjoint, l'ancien concubin ou l'ancien pacsé), M. Laurent Béteille s'est demandé s'il était nécessaire de prévoir une circonstance aggravante pour les anciens conjoints, partenaires ou pacsés alors même que le juge pouvait d'ores et déjà moduler la peine et le cas échéant l'aggraver afin de tenir compte du lien entre l'auteur de la violence et la victime.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a rappelé que les violences les plus graves se produisaient le plus souvent au moment de la séparation ou dans la période qui suivait.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a ajouté que ces violences pouvaient se poursuivre bien au delà de cinq ans, leur existence même montrant la pérennité du lien passé. Il n'a pas estimé pertinent, en conséquence, de fixer une limite à l'application de la circonstance aggravante.

La commission a alors adopté le principe de l'aggravation de la peine pour les ex-conjoints.

M. Jean-René Lecerf a estimé que le délai d'application de cette circonstance aggravante devait prendre en compte le versement de la pension alimentaire et la garde des enfants.

Mme Nicole Borvo a estimé que ces faits de violence étaient toujours commis, quel que soit le délai depuis la séparation, en raison du lien passé et qu'il n'était donc pas pertinent de fixer une limite à l'application de la circonstance aggravante.

M. Robert Badinter a pour sa part regretté que puisse être envisagée cette circonstance aggravante, indépendamment de tout délai et alors même que le lien initial, qui pouvait par ailleurs avoir été très bref, se serait complètement distendu.

M. Charles Guené a suggéré que cette circonstance aggravante ne soit mise en oeuvre que si l'infraction était commise en raison du lien passé.

La commission a décidé d'écarter tout délai et a adopté, sous cette réserve, l'article 1er de la proposition du rapporteur.

Elle a adopté l'article 3 (Aggravation de la peine lorsque le meurtre est commis par le conjoint ou le concubin) dans la rédaction proposée par le rapporteur.

Au terme d'un échanges de vues auquel ont participé MM. Jean-Jacques Hyest, président, Henri de Richemont, rapporteur, Robert Badinter, François Zocchetto et Bernard Saugey, elle a adopté l'article 4 (Viol au sein du couple) dans la rédaction proposée par le rapporteur.

Elle a ensuite adopté les articles 5 (Eloignement du domicile du couple de l'auteur des violences dans le cadre des obligations du sursis avec mise à l'épreuve et du contrôle judiciaire) et 6 (Application du dispositif de la présente loi aux collectivités d'outre-mer) dans la rédaction proposée par le rapporteur.

La commission a alors adopté le texte proposé par le rapporteur.