Mardi 6 décembre 2005

- Présidence de M. Gilbert Barbier, président -

Audition de MM. Claude Huriet, président, et Dominique Martin, directeur de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam)

La mission d'information a procédé à l'audition de MM. Claude Huriet, président, et Dominique Martin, directeur de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam).

M. Claude Huriet, président de l'Oniam, a indiqué que l'Oniam a une double mission : permettre l'organisation effective du dispositif de règlement amiable des accidents médicaux prévu par la loi et indemniser les victimes d'aléas thérapeutiques, autrement dit, les victimes d'accidents médicaux pour lesquels aucune faute n'a été rapportée. Dans le domaine de compétences de la mission d'information, son rôle est d'intervenir lorsque la sécurité des produits de santé a été défaillante.

Il a présenté les modalités selon lesquelles les victimes peuvent saisir l'Oniam, le rôle d'instruction des dossiers assuré par les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation et les règles présidant à une possible indemnisation, notamment l'exigence d'une incapacité partielle permanente égale ou supérieure à 24 %.

Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a voulu savoir si l'Oniam dispose de statistiques relatives à la survenance d'accidents médicamenteux en France. Elle a rappelé que les chiffres les plus couramment avancés font état de 140.000 hospitalisations provoquées par des accidents médicamenteux et 13.000 décès avérés, sans compter les accidents bénins qui ne font pas l'objet d'une déclaration systématique.

M. Claude Huriet a indiqué que l'Oniam n'établit pas de statistiques particulières relatives aux accidents médicamenteux. Les données qu'il rassemble ont trait aux dossiers qui font l'objet d'une procédure conduite sous l'égide de l'Oniam, elles n'ont pas de valeur de recensement global.

M. Dominique Martin, directeur de l'Oniam, a fait observer que l'Oniam ne dispose que d'une vision partielle de la sinistralité en matière médicamenteuse, car il n'intervient qu'en aval de la filière sécurité sanitaire, à partir d'un certain seuil d'incapacité, alors que la plupart des accidents médicamenteux sont réversibles. En conséquence, à ce jour, l'Oniam ne dispose pas de données statistiques consolidées sur les accidents médicamenteux. L'Observatoire des risques médicaux créé par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, installé auprès de l'Oniam, permettra à terme de disposer de séries statistiques de meilleure qualité, mais il s'agira toujours de données d'indemnisation, et non pas d'un recueil des accidents. Cela dit, contrairement à une idée répandue, les actions contentieuses en matière d'accidents médicaux sont relativement faibles, tout comme les dossiers de demande de réparation : sur environ 4.000 décès prématurés provoqués par une infection nosocomiale, une centaine seulement fait l'objet d'une demande d'indemnisation.

M. Claude Huriet a fait remarquer que tout perfectionnement du système de signalement conduit généralement à faire apparaître une progression par rapport à des situations ignorées jusqu'alors.

Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a voulu connaître les raisons de la survenance des accidents médicamenteux. Elle s'est interrogée sur la pertinence de certaines statistiques selon lesquelles, pour les malades âgés de plus de soixante-dix ans, une ordonnance sur dix pose des problèmes de sécurité et une sur cinquante serait dangereuse.

M. Claude Huriet a indiqué à nouveau que les données statistiques sur les accidents médicamenteux sont parcellaires et qu'il n'existe pas de recueil spécifique de données relatives aux accidents provoqués par des prescriptions inadaptées.

M. Dominique Martin a insisté sur le caractère complexe des accidents médicamenteux qui peuvent avoir pour origine plusieurs causes : la défectuosité du produit, des effets indésirables ou une prescription inadaptée. Dans ce dernier cas, la probabilité de survenance d'un accident est plus forte dans deux situations particulières : une mauvaise association médicamenteuse ou l'absence de surveillance du patient durant le traitement prescrit.

Ainsi, dans le cas d'un traitement antituberculeux, le médecin doit procéder régulièrement à une surveillance hépatique du malade, car le médicament prescrit a des effets indésirables sur le foie. Il faut donc surveiller le patient afin d'éviter la survenance de troubles hépatiques et adapter en fonction la prescription de l'antituberculeux.

M. Claude Huriet a regretté que les prescriptions comportant des associations polymédicamenteuses soient monnaie courante. Les pouvoirs publics doivent réfléchir aux moyens de faire évoluer cette situation. Cela passe, selon lui, par la formation initiale et continue des professionnels de santé, mais également par le développement de logiciels d'aide à la prescription susceptibles d'attirer l'attention des médecins sur le danger potentiel de certaines associations médicamenteuses. Les médecins ne sont pas les seuls concernés par cette situation, car ils sont aussi victimes de l'exigence de médicaments exprimée par les patients et notamment par les personnes âgées. Il a toutefois estimé que l'Oniam n'est pas un bon observateur de ces situations.

M. Gilbert Barbier, président, a voulu savoir si l'Oniam a été amené à alerter les autorités sanitaires à propos d'éventuels accidents médicamenteux identiques survenus à plusieurs reprises.

M. Dominique Martin a précisé que cette situation ne s'est pas encore présentée, mais qu'en tout état de cause, l'Oniam est en liaison régulière avec l'Association française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps) pour l'alerter lorsqu'il a connaissance d'accidents causés par des produits de santé et des dispositifs médicaux. Un dialogue de cette nature s'est d'ailleurs instauré à la suite d'un accident provoqué par la pose d'un micro cathéter.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a ensuite demandé à M. Claude Huriet son opinion sur l'indépendance de l'expertise.

M. Claude Huriet a estimé que l'innovation, qui constitue le corollaire de l'accélération du progrès, a pour conséquence le faible nombre d'experts disponibles sur des problèmes très pointus. De plus, les désaccords fréquents entre experts nécessitent d'en consulter plusieurs sur une question donnée, ce qui limite également la possibilité de ne faire appel qu'à des experts indépendants. La seule réponse réaliste au problème de l'indépendance des experts consiste à connaître les conflits d'intérêts potentiels au moment de leur confier un dossier et à développer la collégialité des décisions.

M. Gilbert Barbier, président, a demandé si le compte rendu des réunions de l'Afssaps doit être rendu public.

M. François Autain a indiqué que la publicité des débats et des votes des experts dans les commissions de l'Afssaps est obligatoire depuis le 30 octobre 2005, par application de la directive européenne de 2004.

M. Claude Huriet a estimé que la publicité des avis des experts est hautement souhaitable, dans un souci de transparence de l'expertise et pour éviter qu'un soupçon ne pèse sur les décisions prises. Il a regretté que la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) n'ait pas encore défini la liste des experts auxquels l'Oniam peut faire appel en matière d'accidents médicamenteux : en conséquence, depuis trois ans, l'expertise dans ce domaine n'est pas le fait de spécialistes.

Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a fait état du témoignage de plusieurs experts qui déplorent que leur avis ne soit pas suivi par l'Afssaps, même quand les membres d'une commission sont unanimes.

M. Claude Huriet a déclaré ne pas être au courant de telles pratiques et a estimé que ces conflits seraient graves s'ils étaient avérés. Il a également rappelé que, lorsqu'un accident médicamenteux est dû à une mauvaise prescription, il ne revient pas à la solidarité nationale, via l'Oniam, d'indemniser la victime, mais à la justice civile de s'en charger.

M. Gilbert Barbier, président, a demandé comment les victimes des effets indésirables du Vioxx seront indemnisées.

M. Claude Huriet a fait valoir que si ces effets indésirables sont dus à la prescription du médecin, la faute sera établie et le juge civil appréciera le niveau de l'indemnisation. M. Dominique Martin a ajouté que si l'erreur de prescription résulte d'une mauvaise information des médecins sur le Vioxx, la question des modalités d'indemnisation des victimes par le laboratoire devra être tranchée par le juge.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé si les accidents médicamenteux sont fréquents dans le cas des enfants.

M. Dominique Martin a indiqué qu'aucun des dossiers de l'Oniam ne concerne, à l'heure actuelle, des enfants.

A l'inverse, M. François Autain a fait état d'un cas d'accident médicamenteux sur un enfant, dû à l'utilisation de morphine.

M. Claude Huriet a indiqué que les neuf dixièmes des médicaments administrés aux enfants sont prescrits hors du champ défini par l'AMM. Cette situation s'explique par la quasi-impossibilité de pratiquer des essais cliniques avant l'AMM sur les nourrissons et les enfants. Pour ce motif, la prescription hors AMM est souvent la seule possible, ce qui pose le problème du dosage médicamenteux pour les enfants, notamment pour les prématurés, dont le foie et les reins sont immatures.

M. François Autain a considéré que la déclaration d'intérêt des experts est nécessaire mais pas suffisante, d'autant que 10 % des experts de l'Afssaps n'ont pas effectué cette déclaration. Il a indiqué, à cet égard, que le président et le vice-président de la commission d'AMM sont liés à huit laboratoires pharmaceutiques. Le soupçon sur l'indépendance des experts est amplifié par la non-publicité actuelle des réunions des commissions, ce qui conduit à souhaiter que la directive européenne soit rapidement appliquée. Il a également déploré la suppression de l'Observatoire des prescriptions par la loi portant réforme de l'assurance maladie. Il a enfin demandé si les patients indemnisés par l'Oniam portent parallèlement plainte devant les tribunaux.

M. Claude Huriet a reconnu que la composition de la commission d'AMM doit faire l'objet d'une réflexion. Il a appelé de ses voeux une application de la directive de 2004 pour éviter que des différences trop grandes n'apparaissent dans ce domaine entre les Etats membres de l'Union européenne.

Concernant les procédures d'indemnisation, le patient peut choisir de se tourner vers l'Oniam ou vers le juge civil ; une procédure pénale peut aussi être suivie parallèlement dans l'un et l'autre cas, mais cela demeure exceptionnel.

M. Dominique Martin a ajouté qu'il arrive que l'Oniam indemnise un patient et se retourne ensuite contre l'assurance du médecin s'il estime que l'accident est dû à une faute professionnelle ; 1 % seulement des victimes préfère le recours à un juge civil plutôt qu'une indemnisation par l'Oniam.

M. Gérard Dériot a estimé que cette procédure est plus efficace que celle du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva), dans laquelle les victimes peuvent cumuler l'indemnisation du fonds et celle accordée par le juge.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé si la composition de la commission d'AMM doit être réexaminée.

Sans se prononcer sur ce point, M. Claude Huriet a estimé que, plus que la composition de la commission, c'est le respect de la collégialité et de la transparence des décisions qui est le signe d'une expertise de qualité.