Travaux de la commission des affaires sociales



Mercredi 16 février 2005

- Présidence de M. Bernard Seillier, vice-président -

Droits des malades et fin de vie - Audition de M. Michel Ducloux, président du Conseil national de l'Ordre des médecins

La commission a procédé à l'audition de MM. Michel Ducloux, président du Conseil national de l'Ordre des médecins et François Stefani, président de la section éthique et déontologique de ce conseil sur la proposition de loi n° 90 (2004-2005), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux droits des malades et à la fin de vie.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a souhaité connaître le sentiment du Conseil national de l'Ordre des médecins sur les dispositions de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, notamment l'introduction dans la loi du principe du refus de l'obstination déraisonnable, le droit pour le patient de refuser tout ou partie d'un traitement ou de son alimentation, la possibilité de recourir à des directives anticipées pour faire connaître sa volonté ou encore la référence explicite à l'éventualité qu'un traitement contre la douleur puisse avoir pour effet secondaire d'abréger la vie du patient. Il s'est également interrogé sur les spécificités posées par la fin de vie des nouveau-nés victimes de graves pathologies ou de malformations. Il s'est enfin enquis des réponses proposées par la médecine aux patients qui, bien que n'étant pas en fin de vie, estiment leur état incompatible avec l'idée qu'ils se font de leur dignité et parfois, de ce fait, réclament qu'il soit mis fin à leurs jours.

En préambule, M. Michel Ducloux a déclaré que les dispositions de la proposition de loi présentée par M. Jean Léonetti répond à des préoccupations précédemment exprimées par le Conseil national de l'Ordre, celui-ci ayant été, dès 1995, à l'origine de l'introduction dans le code de déontologie médicale de la notion d'obstination déraisonnable.

Il a également observé que la référence à la notion de collégialité recueille l'assentiment du Conseil, bien qu'il fasse la distinction entre les situations hospitalière et ambulatoire : dans le premier cas, l'ensemble de l'équipe médicale doit prendre part à la décision ; dans le second cas, le Conseil a préconisé que le médecin recherche un avis concordant, lorsque cela est possible, avant de prendre toute décision grave. Il a enfin insisté sur la faculté de refus de soins par le patient qui s'impose au médecin aux termes de l'article 36 du code de déontologie.

Sur le thème de la collégialité, M. François Stefani a précisé que la section éthique et déontologique du Conseil national de l'Ordre a toujours été favorable au principe de la décision partagée, dans l'hypothèse où le médecin est conduit à interrompre des soins. Il a toutefois mentionné les inquiétudes ayant résulté d'un projet de nouvelle rédaction du code de déontologie qui poserait une exception à la règle de collégialité pour les médecins intervenant seuls, notamment hors de l'hôpital : de ce fait, ceux-ci ont parfois été conduits à recommander l'hospitalisation du patient dans la crainte de poursuites judiciaires s'ils prenaient seuls la décision d'arrêter ou de ne pas accomplir certains soins qui, bien que nécessaires à la survie du malade, leur paraissaient disproportionnés. Il a donc souhaité la rédaction d'une formule permettant de distinguer selon qu'il s'agit d'interrompre un traitement, ce qui n'intervient pas en situation d'urgence et qui autorise toujours l'intervention d'une procédure collégiale, ou d'entreprendre un traitement, notamment en urgence, lorsque le recours à la collégialité n'est matériellement pas envisageable.

Il a précisé que le Conseil national de l'Ordre avait longuement débattu des termes à retenir pour définir les modalités d'expression de l'acte collégial et qu'il avait finalement préféré la notion d'« avis concordant » à celle d'« accord », la première impliquant nécessairement une motivation de la décision retenue par un groupe de pairs. Il a insisté, à ce titre, sur le fait que le médecin exerce un métier à haute responsabilité, qui exige une parfaite transparence dans la prise de décision.

Il a ensuite considéré qu'il appartient aux médecins de prendre les risques nécessaires pour soigner et soulager les patients. Cette position a été rappelée par le rapport 2004 du Conseil qui a, pour ce motif, renoncé à mentionner explicitement, dans l'article 38 du code de déontologie, la possibilité qu'un traitement ait pour effet secondaire d'entraîner la mort du patient. Le risque étant partie à l'exercice quotidien de la médecine, le Conseil n'a pas jugé utile de nourrir la crainte des médecins d'être judiciairement poursuivis, ni celle des patients vis-à-vis des thérapies anti-douleur.

Puis M. Michel Ducloux a observé qu'il n'y a pas lieu de faire de différence entre la fin de vie chez le nouveau-né et chez l'adulte, le refus de l'obstination déraisonnable s'appliquant de manière générale. Il a insisté sur les risques pervers découlant paradoxalement des progrès de la réanimation et a cité l'exemple d'une famille dramatiquement perturbée à la suite de la réanimation d'un nouveau-né porteur de lourdes séquelles incurables.

Il est ensuite revenu sur la situation des personnes présentant un handicap majeur, sans risque mortel à court ou moyen terme, mais qui formulent le souhait de mourir. Il a considéré qu'il est paradoxal que, durant l'année même où la prise en charge du handicap et la reconnaissance de la dignité des personnes handicapées ont été élevées au rang de priorité nationale, un jeune handicapé ait souhaité mourir précisément au nom de sa dignité. Il a réaffirmé l'opposition du Conseil national de l'Ordre aux principes de l'euthanasie ou du suicide assisté, insistant sur l'extraordinaire envie de vivre des personnes handicapées qu'il a eu l'occasion de rencontrer et sur le caractère rarissime des demandes d'euthanasie formulées par ces personnes.

A ce propos, M. François Stefani a considéré qu'accueillir favorablement la demande d'euthanasie d'une personne handicapée contribue à renforcer celle-ci dans son sentiment d'indignité. Au nom du respect de la personne humaine, il appartient aux médecins et aux proches de témoigner au patient l'attention et la reconnaissance qu'il mérite.

M. Michel Ducloux a enfin insisté sur l'importance pour le praticien de faire preuve d'humilité et d'avoir conscience des limites de la médecine.

M. André Lardeux a souhaité connaître l'accueil réservé par le Conseil de l'Ordre au dispositif du testament de vie et au principe d'une exception d'euthanasie.

M. Michel Ducloux a insisté sur le fait que l'article 36 du code de déontologie médicale prévoit déjà la prise en compte de la volonté des patients, l'expression de cette dernière devant toutefois toujours demeurer réversible.

Il a ensuite fait état de son désaccord avec le comité national consultatif d'éthique sur l'opportunité d'instaurer le principe d'une exception d'euthanasie.

M. François Stefani a précisé que le rapport du conseil consultatif national d'éthique a rappelé qu'il ne doit pas être prévu, de manière institutionnelle, de transgression à l'interdit de tuer. Il a en outre jugé utile de connaître les souhaits du patient et, à ce titre, les directives anticipées constituent un moyen utile, parmi d'autres, tant qu'elles demeurent dépourvues de caractère impératif.

Mme Christiane Kammermann s'est interrogée sur l'opportunité de demander à la famille d'un proche son avis avant la prescription d'un traitement pouvant entraîner la mort. Elle a en outre souhaité savoir si le médecin qui avait, dans le cas rapporté par M. Michel Ducloux, réanimé l'enfant au prix de séquelles profondes, avait pris la mesure du risque potentiel de handicap encouru.

M. François Stefani a considéré très exagéré le risque imputé aux médicaments antalgiques, estimant que les effets de leurs prescriptions se trouvent neutralisés, sur le plan physiologique, par la douleur ressentie par le patient. Il a insisté sur la nécessité d'apporter une juste information aux familles, tout en respectant la limite d'humanité qui interdit d'en révéler certains aspects ou risques.

M. Michel Ducloux a estimé que le médecin ayant procédé à la réanimation avait dû penser pouvoir sauver l'enfant sans séquelles. Il a réaffirmé la nécessité de s'en remettre, en l'espèce, à la conscience du praticien.

Mme Marie-Thérèse Hermange s'est enquise de l'augmentation de la consommation d'antalgiques dans les hôpitaux. Elle a estimé plus approprié, dans le cadre de la procédure collégiale, de recourir à un accord plutôt qu'à un avis concordant. Elle s'est ensuite interrogée sur l'exercice de cette collégialité en milieu rural. Elle a enfin considéré mieux adaptées les dispositions existantes du code de la santé publique faisant référence aux soins disproportionnés.

M. Michel Ducloux ainsisté sur la juste place à réserver, dans la décision médicale concernant un patient, à l'intervention de ses proches. On ne peut en effet ignorer que ceux-ci sont parfois, même si le cas se produit rarement, animés de sentiments qui ne sont pas désintéressés.

M. François Stefani a considéré que l'usage du terme « avis concordant » est plus adapté, en raison de son caractère motivé, que celui de l'« accord confraternel », qui se résume parfois à un rapide accord téléphonique confirmé par écrit. Il a attribué l'augmentation constatée des prescriptions d'antalgiques aux progrès réalisés par la médecine palliative, malgré les réticences ayant initialement entravé le développement de cette pratique.

Il a insisté à nouveau sur la nécessité de distinguer entre la poursuite d'un traitement intervenant à l'hôpital, ne supposant pas d'urgence médicale et permettant la prise collégiale d'une décision, et le choix d'entreprendre, ou non, un traitement effectué par un médecin isolé ou dans l'urgence.

M. Marcel Lesbros a souligné qu'il faut faire confiance aux médecins, notamment au médecin traitant, et à leur sens des responsabilités pour choisir l'initiative la plus judicieuse dans l'intérêt du patient.

M. François Autain a demandé s'il ne serait pas opportun de mieux associer les parents de nouveau-né à la prise de décision concernant la réanimation de leur enfant, à l'exemple des États-Unis où l'on requiert le consentement des parents avant tout arrêt de soins. Il s'est ensuite inquiété de la divergence entre la position du Conseil de l'Ordre des médecins sur l'euthanasie et les sondages qui font état, de manière réitérée, d'une majorité de praticiens favorable à l'euthanasie, voire disposée à pratiquer cet acte. Il s'est enfin enquis des risques encourus par des proches d'un patient ayant demandé à mourir et qui aideraient ce dernier à satisfaire son souhait.

M. Jean-Claude Étienne a considéré que la proposition de loi permettrait de priver d'effets certaines procédures judiciaires fondées sur une interprétation stricte du code pénal. Il s'est interrogé sur la rédaction qui sera finalement retenue pour la réécriture de l'article 37 du code de déontologie médicale.

M. Michel Ducloux a insisté sur l'importance du bon sens et de la responsabilité du médecin, la loi devant se borner à fixer les grands principes et les interdictions. Il a précisé qu'en néo-natalité, les familles sont associées à la prise des décisions concernant leur enfant. Il a ensuite considéré que le résultat d'un sondage dépend pour beaucoup des termes dans lesquels celui-ci est formulé : on peut ainsi être contre l'acharnement thérapeutique sans pour autant être favorable à l'euthanasie. Il a rappelé la recommandation de M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, de ne pas légiférer sous le coup de l'émotion. Il a enfin observé qu'un proche aidant une personne handicapée à se suicider devra répondre de ses actes devant la justice, celle-ci se montrant toutefois généralement indulgente dans la sanction de ces crimes compassionnels.

M. François Stefani a observé que, lorsqu'il avait pris position contre le principe de dépénalisation de l'euthanasie, le Conseil national de l'Ordre n'avait été saisi d'aucune protestation de la part des membres du corps médical. Il a enfin précisé qu'une première proposition de réforme de l'article 37 du code de déontologie médicale a été transmise au Gouvernement, mais qu'elle doit faire l'objet d'adaptations pour que ses dispositions soient compatibles avec celles de la présente proposition de loi.

Table ronde sur le thème « Médecine et fin de vie »

Puis la commission a participé à une table ronde sur le thème « Médecine et fin de vie ».

M. Bernard Seillier, président, a rappelé que l'ensemble des sénateurs a été convié à participer à la table ronde qui réunit aujourd'hui le professeur Philippe Colombat, hématologue, président du groupe de réflexion sur l'accompagnement et les soins palliatifs en hématologie et oncologie au CHU de Tours, le professeur Louis Puybasset, responsable de l'unité de neuroréanimation chirurgicale à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, membre du groupe de réflexion éthique de la société française d'anesthésie réanimation, le docteur Renée Sebag-Lanoë, ancien chef de service de gérontologie et soins palliatifs à l'hôpital Paul Brousse, le professeur Marc Verny, neurogériatre à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et le professeur Jean-Michel Zucker, chef de département honoraire de l'Institut Curie (oncologie pédiatrique).

M. Gérard Dériot, rapporteur, a présenté trois questions sur lesquelles il souhaite connaître le sentiment des participants. La première est consacrée aux difficultés médicales et éthiques soulevées par la fin de vie des patients ; la deuxième traite des apports de la proposition de loi elle-même ; la dernière concerne la situation des personnes qui, bien que n'étant pas en fin de vie, réclament, au nom de leur dignité, un droit à mourir.

En préambule, M. Philippe Colombat a rappelé sa double qualité de chef de service en hématologie-oncologie, au titre de laquelle il dirige des recherches cliniques et fondamentales, et de praticien engagé dans la démarche des soins palliatifs, notamment en tant que président du groupe de réflexion sur l'accompagnement et les soins palliatifs en hématologie et oncologie. Lors de ses études, il a adhéré à la section tourangelle du mouvement « Jusqu'à la mort, accompagner la vie - JAMALV». Depuis, il a piloté la conception et la mise en oeuvre d'un projet d'équipe mobile, d'un projet de réseaux de soins palliatifs à domicile, ainsi que la mise en place d'une unité de soins palliatifs à l'horizon 2006.

Il a ensuite affirmé que la fin de vie des patients en cancérologie et en hématologie ne présente pas de spécificités par rapport aux autres disciplines médicales, même si certains symptômes physiques s'avèrent difficiles à contrôler. En hématologie, les pathologies évoluent rapidement, contraignant les praticiens à une adaptation constante des traitements pour conserver aux soins leur caractère proportionné. Il est donc absolument nécessaire d'améliorer la formation des médecins, de leur permettre de recourir à des aides extérieures et de favoriser des mécanismes de prises de décisions sur la base d'une démarche participative respectueuse des préférences des patients et de leurs familles.

M. Philippe Colombat a ensuite déclaré qu'au cours de ses trente années d'exercice, il n'avait été confronté qu'à deux demandes d'euthanasie, chiffre à rapporter aux 500 nouveaux patients par an qu'il doit traiter. La première demande émanait d'un homme en fin de vie qui avait appris, de manière incidente, que sa famille attendait sa mort avec impatience. La deuxième demande avait été formulée par une patiente en proie à une grande souffrance physique, mais qui, accompagnée au moyen d'une sédation et d'un recours à des séances de balnéothérapie, avait finalement fini ses jours paisiblement, non sans avoir auparavant eu par deux fois l'occasion de rentrer chez elle et de se retrouver parmi ses proches.

Puis il s'est félicité de la méthodologie adoptée par la commission de l'Assemblée nationale, présidée par Jean Léonetti, et a approuvé sans réserve le contenu de la proposition de loi qu'elle a élaborée. Celle-ci clarifie les problèmes auxquels sont confrontés les praticiens, et notamment les réanimateurs, dans la prise en charge des patients en fin de vie. Faisant suite aux travaux réalisés par les sociétés savantes qui ont permis l'émergence d'un consensus sur le traitement approprié de la fin de vie, elle met l'accent sur le caractère collégial de la prise de décision médicale et sur le développement des soins palliatifs au-delà de l'hôpital, dans les structures médico-sociales. Seule, la question des personnes lourdement handicapées et qui réclament la mort n'est pas abordée, mais celle-ci relève d'une problématique différente.

M. Philippe Colombat a affirmé, à ce titre, qu'il n'existe pas de consensus pour légiférer en faveur d'une dépénalisation de l'euthanasie. L'introduction d'une exception d'euthanasie, hors les cas de fin de vie, porterait atteinte à des valeurs fondamentales, notamment au respect intangible de la vie, et se heurterait rapidement à la difficulté de définir le handicap pouvant justifier une telle exception : les patients atteints de la maladie d'Alzheimer et d'autres maladies neuro-dégénératives, ou simplement grabataires, pourraient se trouver ainsi visés. Il a insisté sur le fait que le médecin ne doit pas disposer du droit de tuer.

Il a enfin souligné l'importance des moyens nécessaires pour assurer l'accès de tous à une médecine palliative de qualité et s'est inquiété de la situation matérielle et morale du monde hospitalier, les médecins souffrant notamment d'un sentiment de déconsidération.

En préambule, M. Alain Faye a fait part de son expérience de chirurgien digestif à l'hôpital Poincaré de Garges, où il est régulièrement sollicité pour installer une sonde permettant d'alimenter des patients handicapés, certains étant lourdement atteints, inconscients ou encore frappés du syndrome de « locked-in ».

Il s'est déclaré surpris que l'alimentation ait pu être assimilée à un traitement et, de ce fait, que le patient puisse la refuser. L'alimentation n'est pas consubstantielle à la maladie et constitue un droit fondamental de la personne humaine, comme l'hygiène et le confort. Il s'est inquiété que l'on puisse s'abstenir d'alimenter une personne, même à sa demande, rappelant que le défaut d'alimentation avait constitué l'un des pires supplices dans l'Antiquité ou au Moyen-âge. Il a considéré que l'augmentation des demandes d'arrêt d'alimentation présentées devant les tribunaux américains est imputable à la pression exercée par des compagnies d'assurance refusant d'acquitter le prix de la survie d'un patient.

M. Alain Faye a également observé que la prise en charge d'un patient place le praticien devant une obligation de moyens, celui-ci ayant pour mission d'en préserver le bien-être et la dignité. Il a considéré que le caractère déraisonnable d'un soin, ou encore l'acharnement thérapeutique, n'apparaît manifeste qu'a posteriori.

Il a enfin fait part de ses craintes que les dispositions de la proposition de loi n'entraînent des dérives graves en ne permettant de résoudre qu'un petit nombre de cas.

En préambule, M. Louis Puybasset a rappelé sa qualité de responsable de l'unité de neuro-réanimation chirurgicale à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et a fait part de ses réflexions sur les dispositions de la proposition de loi, estimant nécessaire de distinguer les différents types de patients, conscients, inconscients ou handicapés.

Il a tout d'abord détaillé la situation du patient conscient qui ne souffre pas d'un handicap majeur. Le refus de l'obstination déraisonnable constitue une garantie, tant pour celui-ci que pour son médecin. La proposition de loi consacre les droits du malade en donnant à celui-ci le dernier mot, hors le cas de l'urgence vitale et sous la réserve qu'il ait reçu l'information nécessaire et mûri sa réflexion. La proposition prévoit, en outre, utilement, l'extension de ces dispositions aux soins palliatifs, tout en maintenant l'interdit de l'injection létale.

M. Louis Puybasset a ensuite exposé le cas du patient conscient, victime d'un handicap majeur et qui, malgré son désir, ne peut se suicider. Le premier devoir du praticien est de constater l'absence de trouble du jugement chez le malade, qui ne saurait, dans cette hypothèse, exprimer une volonté libre et éclairée. Les patients lourdement handicapés, tout en restant parfaitement lucides, relèvent de quelques pathologies énumérables : les syndromes de « locked-in », les tétraplégies très hautes, la maladie de Charcot et certaines formes très avancées de sclérose en plaques. La proposition de loi propose d'arrêter les soins si ces personnes le réclament. Le patient étant maître de son jugement, personne ne doit pouvoir le contraindre à recevoir des soins pour demeurer en vie ou être contraint à s'alimenter. Il a précisé que les autorités de l'église catholique n'ont pas dénoncé l'ouverture d'une telle faculté au profit du malade. Il a également indiqué que, dans l'état américain de l'Oregon, qui ouvre aux patients le droit au suicide assisté ou à l'arrêt de l'alimentation entraînant la mort, ceux-ci préfèrent la seconde solution à la première.

Puis M. Louis Puybasset a présenté le cas des patients inconscients, en réanimation, et présentant un pronostic désespéré. Le médecin, après une analyse neurologique approfondie, peut connaître les séquelles éventuelles dont souffrira le malade. La procédure des directives anticipées permet de connaître la volonté de ce dernier. Il a estimé nécessaire, d'une part, de rechercher si le patient souffrait déjà de la maladie concernée lorsqu'il s'est exprimé et, d'autre part, de ne pas faire peser les décisions d'entreprendre ou de poursuivre les soins sur les membres de la famille.

En conclusion, il a considéré que la proposition de loi votée par l'Assemblée nationale constitue une voie originale, présentant une synthèse harmonieuse entre la liberté, c'est-à-dire le respect de la volonté des patients, l'égalité - par la recherche de l'homogénéisation des pratiques et des soins - et la fraternité. Elle permet, en outre, de faire entendre en Europe la voix française du point de vue de l'éthique.

En préambule, Mme Renée Sebag-Lanoë a rappelé sa qualité d'ancien chef du service de gérontologie et de soins palliatifs à l'hôpital Paul Brousse. Elle a fait part de sa longue expérience en matière d'accompagnement des patients et des personnes âgées, qui a débuté en 1977 et s'est poursuivie tout au cours des années 1980 et 1990 : elle a notamment participé en 1985 à la commission présidée par Mme Geneviève Laroque, ayant abouti à la rédaction du rapport « soigner et accompagner jusqu'au bout », et à la création d'un enseignement en soins palliatifs. Elle a précisé qu'elle avait quitté ses fonctions de chef de service en 2001.

Elle a ensuite observé que, si les fins de vie sont identiques d'un point de vue médical, chaque patient appelle en lui-même une attention particulière et une réponse personnalisée. Aussi bien est-il nécessaire de prévoir, dans les structures hospitalières, des équipes suffisamment nombreuses, formées et soutenues pour apporter cette réponse.

Mme Renée Sebag-Lanoë s'est ensuite félicitée de l'inscription, dans la loi, du principe du refus de l'obstination déraisonnable, les praticiens qui refusaient l'acharnement thérapeutique ayant eu, par le passé, le sentiment d'avoir transgressé la loi, alors même que ce type d'abstention relève du bon usage des soins. Elle a toutefois souhaité que cette inscription n'aboutisse pas au risque inverse de l'abandon thérapeutique injustifié, souvent craint en gériatrie, qui conduit à proposer au patient des soins de qualité médiocre sous couvert de compassion.

Puis elle a confirmé la nécessité de prévoir, dans la loi, le droit pour le patient de refuser tout ou partie d'un traitement, car on ne peut soigner une personne contre sa volonté. Elle a insisté, en revanche, sur deux préalables à cette prise en compte : le premier est que le patient ait reçu une information dans des termes clairs et compréhensibles, le langage médical devant être parfois traduit ; le second est que le praticien se soit assuré que le malade n'est ni déprimé, ni confus, ni délirant, c'est-à-dire hors d'état d'exprimer un jugement libre et éclairé, ce qui est fréquent chez les vieillards.

Mme Renée Sebag-Lanoë a ensuite observé que l'inscription dans la loi des risques entraînés par les traitements à « double effet » peut apparaître comme un avertissement excessif, la pharmacologie distinguant précisément la dose thérapeutique de la dose toxique. Elle a craint que cette précision ne renforce la prévention qu'ont certains patients à l'encontre des traitements antalgiques qui, pourtant, en les soulageant efficacement, leur permettent de mieux vivre, et parfois plus longtemps.

Puis elle a estimé que la faculté offerte au patient de rédiger des directives anticipées permettrait peut-être de calmer leurs angoisses. Elle a réitéré son sentiment sur l'importance d'assurer une bonne information des personnes sur l'environnement médical de la fin de vie, la connaissance des soins palliatifs par les patients restant souvent imprécise.

En conclusion, Mme Renée Sebag-Lanoë a affirmé que la médecine doit s'efforcer d'assurer le confort des malades en fin de vie, de leur procurer un soutien psychologique et, éventuellement, de traiter leur dépression. Elle doit, en outre, être discrète avec le malade, notamment au moment d'épisodes aigus intercurrents. Elle doit enfin leur envoyer une image moins dévalorisée d'eux-mêmes, la notion de dignité étant intrinsèque à l'être humain, même si elle dépend parfois, dans l'esprit des patients, du regard porté sur eux par les autres.

Après avoir rappelé sa qualité de neurogériatre, M. Marc Verny a souhaité distinguer, dans les problèmes posés par la fin de vie, les patients dont les équipes soignantes ont connaissance et pour lesquelles les décisions ont pu être préparées, de ceux parvenant à l'hôpital en situation d'urgence ou au stade terminal de leur maladie, et dont le relatif anonymat pose des difficultés particulières aux praticiens.

Il a ensuite insisté sur la nécessité de ne pas confondre le respect de la volonté ou le traitement de la souffrance des patients de ceux de leur entourage, faisant valoir que l'intérêt des proches ne coïncide parfois pas avec celui du malade.

Il a ensuite défini ce qu'il considère comme le juste soin, c'est-à-dire celui qui offre au patient le maximum de confort. La définition de ce soin repose sur une balance bénéfice-risque, la prescription devant, dans l'intérêt du malade, comporter plus d'avantages que d'inconvénients. Il a également souligné les complications qu'entraîne parfois l'alimentation artificielle, en termes de surinfection.

Puis M. Marc Verny a cité, pour illustrer les risques que comporte le recours à des directives anticipées, le cas des patients qui indiquent leur intention de se suicider s'ils devaient être atteints de la maladie d'Alzheimer et qui se rétractent lorsque la maladie est déclarée. Il a souligné l'importance de la résilience, c'est-à-dire la capacité du patient à accepter sa maladie ou son handicap, puis à apprendre à les supporter et les surmonter.

En conclusion, il a insisté sur les moyens humains et matériels nécessaires pour assurer à chaque patient une fin de vie digne.

M. Jean-Michel Zucker a tout d'abord déclaré avoir participé au groupe de pédiatres français qui s'étaient intéressés précocement aux soins palliatifs pédiatriques. Il a précisé avoir été auditionné par la mission présidée par M. Jean Leonetti à l'Assemblée nationale et qu'il avait été invité à rédiger un document annexé au rapport remis par Mme Marie de Hennezel, sur l'accompagnement de la fin de vie.

Il a ensuite fait part des spécificités de la prise en charge de la fin de vie chez l'enfant. Celle-ci, bien que peu fréquente, est toujours douloureuse. Aussi, depuis quelques années, l'offre de soins palliatifs pédiatriques s'est organisée, parallèlement aux soins prodigués aux adultes. Elle a consisté à équiper les services de soins pédiatriques dans le souci d'assurer un suivi continu de l'enfant par les équipes soignantes. Il a estimé, par ailleurs, que le développement de lieux d'accueil pour les parents dans les structures pourrait encore progresser.

Puis M. Jean-Michel Zucker a observé que l'enfant fait face à des besoins physiques et intellectuels auxquels les soignants doivent s'adapter, requérant ainsi la mise en place de soins intensifs et imaginatifs. Il a évoqué le livre « L'enfant éternel », écrit par le père d'une enfant malade, M. Philippe Forest, pour qui la dernière année vécue avec sa fille fut d'une grande intensité émotionnelle.

Il a considéré que l'inscription dans la loi du principe du refus de l'obstination déraisonnable valide une évolution des pratiques médicales. En pédiatrie, les praticiens ont longtemps eu tendance à privilégier la réanimation comme ultime soin apporté à l'enfant, mais préfèrent désormais une fin de vie au sein du service hospitalier ou à son domicile.

Il a enfin formulé sa crainte que l'inscription dans la loi du risque des effets secondaires d'un traitement destiné à lutter contre la douleur du patient n'entraîne la réticence de ces derniers et dégrade l'image des soignants. Il a insisté sur l'importance de l'intention avec laquelle est prescrit le traitement, qui doit être dénué de toute volonté de tuer. S'il a admis que certaines pathologies ou handicaps particulièrement invalidants peuvent poser la question de l'exception d'euthanasie, la notion de dignité demeure consubstantielle à l'être humain, comme le souligne le livre de M. Jacques Ricot, consacré à « La philosophie et la fin de vie ».

Mme Isabelle Debré s'est interrogée sur la capacité de la médecine à prédire l'état psychique et physique futur d'une personne à la seule analyse d'une image par résonance magnétique (IRM). Elle a par ailleurs relevé ce qui lui semblait être une contradiction entre l'affirmation de la légitimité de tenir compte des directives anticipées établies par un malade et la constatation que beaucoup de patients en fin de vie sont déprimés.

Mme Renée Sebag-Lanoë a observé que le rôle du médecin est d'écouter le malade, la volonté précédemment exprimée par ce dernier devant demeurer réversible. L'existence de directives anticipées permet, en revanche, aux personnes d'être rassurées devant l'angoisse de se trouver un jour dans l'impossibilité d'exprimer cette volonté.

M. Louis Puybasset a précisé que le recours à une IRM correctement menée permet réellement d'apprécier l'état du patient au cours de la phase aiguë et les conséquences qui en résulteront. Il a regretté l'accès encore trop restrictif des malades à cette technique d'imagerie.

M. François Autain a considéré que la médecine n'est pas une science exacte et comporte nécessairement une part d'incertitude. Il a souligné que tous les intervenants ont dénoncé le manque de moyens dont souffre la médecine hospitalière et s'est interrogé sur la capacité et la volonté de la société à dégager les moyens nécessaires pour faire face au vieillissement. Il a dénoncé le risque de voir s'établir durablement une médecine à plusieurs vitesses qui écarterait les personnes aux revenus modestes des bénéfices des soins les plus modernes. Il a ensuite qualifié de barbare de proposer l'arrêt de l'alimentation en compensation au refus de dépénaliser l'euthanasie. Il s'est enfin interrogé sur l'opportunité d'inscrire les directives anticipées du patient au sein de son dossier médical personnel.

M. Guy Fischer a constaté le consensus sur le fait que le texte de la proposition de loi réponde aux besoins des médecins. Il s'est, en revanche, inquiété du manque de moyens affectés à la médecine et, notamment, aux soins palliatifs dans les quartiers populaires. Il a enfin dénoncé le douloureux transfert de charge morale et matérielle sur les proches d'un patient en fin de vie, dû aux seules lacunes et à la paupérisation du système de soins.

M. Alain Faye a jugé contestables les positions prises par certaines autorités de l'Eglise catholique sur l'arrêt de l'alimentation des patients.

M. Louis Puybasset a insisté sur la nécessité d'affecter les moyens nécessaires au bon fonctionnement des soins palliatifs, faisant valoir qu'en Hollande, la dépénalisation de l'euthanasie avait constitué une solution de facilité, moins onéreuse que le développement d'une médecine palliative de qualité.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a observé que les soins palliatifs demeurent une discipline récente et que la loi permettra leur développement. Il a également considéré que les collectivités territoriales, dont les départements, qui ont la charge des maisons de retraite, seront amenées à médicaliser celles-ci progressivement.

M. Philippe Colombat a insisté sur la nécessité d'aboutir à une prise en charge globale satisfaisante du patient, le développement des soins palliatifs nécessitant, par ailleurs, une dynamique et une démarche participatives, en elles-mêmes économes de moyens.

Mme René Sebag Lanoë a rendu hommage aux bénévoles qui accompagnent et soutiennent les patients, tout en insistant sur la nécessité de ne pas confondre leurs tâches avec celles des soignants. Elle a déploré que la présence des bénévoles soit plus importante en cancérologie qu'en gériatrie. Elle a, par ailleurs, souhaité que la rédaction des directives anticipées soit effectuée avec le médecin traitant et a insisté sur l'importance de la circulation de l'information. Elle a ensuite considéré que la prise en charge d'un patient en fin de vie constitue une sollicitation de tous les instants pour la famille, épuisante lorsqu'elle se prolonge très longtemps, et a souligné, à ce titre, les limites de l'accompagnement à domicile. Elle a enfin observé que des progrès considérables restent à accomplir dans les établissements médico-sociaux.

M. Jean-Michel Zucker a insisté pour que soignants, patients, familles ou médias cessent d'utiliser les termes détestables de « légume » ou de « condamné » pour désigner certains malades, terminologie dépourvue de tout fondement scientifique ou humain.

Jeudi 17 février 2005

- Présidence de M. Alain Gournac, vice-président -

Emploi - Organisation du temps de travail dans l'entreprise - Examen du rapport

La commission a procédé à l'examen du rapport de M. Louis Souvet sur la proposition de loi n° 181 (2004-2005) adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que la politique de réduction du temps de travail a toujours donné lieu à des débats très tranchés. Alors que certains affirment qu'elle a été créatrice d'emploi et positive pour les entreprises, d'autres lui imputent la responsabilité des délocalisations et de la dégradation des conditions de travail.

Sans vouloir entrer dans ces débats, le rapporteur a souhaité rappeler deux idées simples : en premier lieu, il a jugé déraisonnable de faire croire aux Français qu'ils pourront gagner plus tout en travaillant moins, la réduction du temps de travail s'étant d'ailleurs accompagnée d'une modération salariale ; en second lieu, il a noté que la France reste le seul pays développé à s'être engagé sur cette voie et a observé que les pays où l'on travaille le plus sont également ceux où le taux de chômage est le plus faible.

Il a ensuite souligné que la proposition de loi apporte de nouveaux aménagements au droit de la durée du travail, sans remettre en cause la durée légale, qui reste fixée à trente-cinq heures par semaine. Il a ajouté que le texte accorde une large place à la négociation collective, ce qui témoigne de la confiance de la majorité dans le rôle des partenaires sociaux.

Il a estimé que les réactions suscitées par ce texte sont souvent excessives et fait valoir que plusieurs grandes entreprises ont d'ores et déjà annoncé qu'elles ne remettraient pas en cause leurs accords de réduction du temps de travail, même après l'adoption de la présente proposition de loi.

M. Louis Souvet, rapporteur, a ensuite exposé les dispositions des trois articles du texte.

L'article premier rénove et simplifie le régime du compte épargne-temps : il supprime les multiples restrictions existant aujourd'hui en matière d'alimentation ou d'utilisation du compte ; il facilite également la monétisation, c'est-à-dire la transformation en argent, des droits acquis et autorise leur versement dans un plan d'épargne d'entreprise ou un plan d'épargne retraite ; enfin, en cas de défaillance de l'employeur, les droits acquis sont garantis par l'Association pour la garantie des salaires (AGS).

L'article 2 crée un nouveau régime d'heures choisies, qui permet aux salariés de continuer à travailler, avec l'accord de leur employeur, au-delà de leur contingent d'heures supplémentaires. Le recours aux heures choisies est subordonné à la conclusion d'un accord collectif, qui détermine leur niveau de rémunération, lequel ne peut être inférieur à celui applicable aux heures supplémentaires effectuées dans l'entreprise.

L'article 3 proroge, jusqu'à la fin de l'année 2008, les règles dérogatoires applicables aux entreprises employant au plus vingt salariés. Dans ces petites entreprises, en effet, le taux de majoration des heures supplémentaires est de seulement 10 %, contre 25 % dans les entreprises de plus de vingt salariés, et les heures supplémentaires ne s'imputent sur le contingent qu'au-delà de la 36e heure et non de la 35e heure. Les entreprises qui employaient vingt salariés au plus au 1er janvier 2000 continuent de bénéficier aujourd'hui de ces dérogations même si elles ont dépassé ce seuil depuis lors. L'Assemblée nationale a souhaité remettre à jour ce dispositif et a adopté un amendement prévoyant qu'elles s'appliqueront, désormais, aux entreprises comptant vingt salariés au plus à la date de promulgation de la présente loi. Ce même article institue, par ailleurs, au profit des salariés de ces entreprises, un système transitoire de renonciation à des jours de repos contre rémunération.

M. Louis Souvet, rapporteur, a conclu en indiquant qu'il présenterait, à l'issue du débat, un petit nombre d'amendements pour compléter le travail déjà effectué à l'Assemblée nationale.

M. Roland Muzeau a confirmé que beaucoup de grandes entreprises ne souhaitent pas renégocier leurs accords de réduction du temps de travail, dans la mesure où elles ont trouvé des compromis satisfaisants. Il s'est inquiété, en revanche, de la situation des salariés des plus petites entreprises, qui sont soumis à des règles dérogatoires en matière d'heures supplémentaires et ne bénéficient pas de la protection que peut apporter un comité d'entreprise ou un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). L'augmentation de la durée du travail risque ainsi de menacer la santé des travailleurs. Il a estimé que les trente-cinq heures constituent une grande avancée sociale, que la présente proposition de loi vise en réalité à abroger. Il a annoncé que le groupe communiste républicain et citoyen s'opposera résolument à l'adoption du présent texte et a demandé au rapporteur quel pourra être son avis sur des amendements d'inspiration très libérale susceptibles d'être examinés lors du débat en séance publique.

M. Claude Bertaud a indiqué que beaucoup de petits entrepreneurs se plaignent de la modification introduite par l'Assemblée nationale à l'article 3. Ils souhaiteraient pouvoir bénéficier, jusqu'en 2008, des dérogations relatives aux heures supplémentaires, bien que leur effectif dépasse maintenant vingt salariés. Ils ont le sentiment de faire, de ce fait, l'objet d'une forme de sanction, alors même qu'ils ont développé leur entreprise et accru l'embauche.

Mme Françoise Henneron s'est réjouie de la nouvelle possibilité offerte aux salariés de travailler plus pour gagner plus. Elle a indiqué que de nombreux salariés avaient été privés de primes ou d'autres compléments de salaire au moment du passage aux trente-cinq heures et a souligné que cette dégradation de leur pouvoir d'achat n'avait pu que favoriser le développement du travail au noir.

Mme Raymonde Le Texier a demandé pourquoi une réforme aussi importante se présente sous la forme d'une proposition de loi et non d'un projet de loi défendu par le Gouvernement. Elle a contesté l'idée selon laquelle ce texte permettrait aux salariés de travailler plus pour gagner plus et a considéré qu'une majoration du taux de rémunération des heures supplémentaires aurait permis d'atteindre plus sûrement cet objectif. Elle a affirmé que l'affectation de droits sur le compte épargne-temps serait un moyen pour les employeurs de réduire le niveau de leurs contributions sociales. Elle a enfin douté de la valeur de la garantie apportée par l'AGS, qui n'assure les créances des salariés que dans la limite d'un plafond et qui est, par ailleurs, dans un situation financière très délicate.

M. Claude Domeizel a demandé au rapporteur, au vu du petit nombre d'amendements qu'il présente, s'il estime probable que le Sénat vote conforme le texte de la proposition de loi.

M. Guy Fischer a rappelé que le groupe communiste républicain et citoyen avait critiqué certains aspects de la deuxième « loi Aubry », notamment le caractère très aléatoire des créations d'emplois promises en contrepartie des allègements de charges. Il a estimé que le niveau trop bas des salaires est à l'origine d'un véritable problème de pouvoir d'achat en France. Il a souligné enfin que plusieurs grands groupes avaient obtenu une révision, à leur avantage, des accords de réduction du temps de travail en menaçant les salariés de délocaliser leurs emplois.

M. Dominique Leclerc a jugé que ce n'est pas la loi, mais le dynamisme des entreprises, qui est facteur de création d'emplois. Il a regretté que les questions sociales fassent trop souvent l'objet d'une approche dogmatique, qu'il a attribuée à la distance séparant les représentants patronaux ou syndicaux de leurs mandants. Il a estimé que la réforme des trente-cinq heures avait dévalorisé l'image du travail dans notre pays et a soulevé le problème du niveau des charges sociales pesant sur les entreprises.

En réponse à M. Roland Muzeau, M. Louis Souvet, rapporteur, a reconnu que le taux de majoration réduit applicable aux heures supplémentaires effectuées dans les plus petites entreprises mécontente légitimement leurs salariés. Il a ajouté avoir été destinataire d'un grand nombre d'amendements d'inspiration très libérale mais n'en avoir retenu aucun.

En réponse à M. Claude Bertaud, il a déclaré comprendre les demandes des entreprises qui souhaiteraient conserver le bénéfice des règles dérogatoires qui leur sont aujourd'hui applicables. Mais il a considéré qu'il est désormais nécessaire, après une longue période de transition, que ces entreprises se voient appliquer la règle commune pour ne pas laisser perdurer de multiples situations distinctes comme cela a pu être le cas ces dernières années au niveau du SMIC. En conséquence, il ne proposera pas de revenir sur la modification introduite à l'Assemblée nationale.

En réponse à Mme Raymonde Le Texier, il a indiqué qu'il est loisible à tout parlementaire de déposer une proposition de loi, laquelle peut recevoir ensuite le soutien du Gouvernement. Il a rappelé que le texte de la proposition de loi exclut que les droits acquis sur le compte épargne-temps excèdent le plafond garanti par l'AGS, sauf à prévoir une assurance complémentaire. Il a contesté l'affirmation selon laquelle le compte épargne-temps pourrait être un outil utilisé par les employeurs pour se dérober à leurs obligations de paiement de cotisations sociales.

M. Louis Souvet, rapporteur, a ensuite répondu à M. Claude Domeizel qu'il juge probable que le Sénat adopte des amendements à ce texte.

En réponse à M. Dominique Leclerc, il a dit partager son sentiment d'une fracture entre les représentants et les citoyens. Il s'est interrogé également sur la manière dont les salariés les plus modestes pourraient utiliser la nouvelle liberté qui leur est offerte de travailler plus pour gagner plus. Il a fait valoir que ces salariés, généralement occupés à des tâches répétitives, sont liés à un horaire collectif de travail et qu'ils peuvent donc difficilement déterminer individuellement leur durée du travail.

La commission a ensuite examiné les articles et les amendements présentés par le rapporteur.

A l'article premier (réforme du compte épargne-temps), la commission a adopté un amendement excluant la possibilité d'affecter la cinquième semaine de congés payés sur le compte épargne-temps pour obtenir un complément de rémunération. Elle a également adopté un amendement prévoyant que les droits affectés sur le compte épargne-temps puis versés dans un plan d'épargne retraite d'entreprise bénéficieraient de la même incitation fiscale que les versements effectués directement sur ces mêmes plans.

A l'article 2 (institution d'un régime de temps choisi), elle a adopté un amendement précisant que l'accomplissement d'heures choisies ne pourra avoir pour effet de porter la durée journalière du travail au-delà du maximum légal.

Elle a adopté l'article 3 (mesures concernant les petites entreprises de vingt salariés au plus) sans modification.

La commission a adopté la proposition de loi ainsi amendée.