Mardi 16 mai 2006

- Présidence de M. Alex Türk, président -

Table ronde consacrée au logement et à l'urbanisme

A l'occasion d'une table ronde consacrée au logement et à l'urbanisme, la mission d'information a entendu M. Roland Castro, architecte, Mme Dominique Dujols, directrice des relations institutionnelles et du partenariat, et Mme Béatrix Mora de l'Union sociale pour l'habitat (USH), M. Bernard Lacharme, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, et Mme Anne Péré, vice-présidente du Conseil français des urbanistes (CFDU).

M. Roland Castro a tout d'abord rappelé que la question du logement était indissociable de la question urbaine, de la forme et de l'esthétique des constructions, ainsi que de la vie publique et culturelle des sites urbains.

Selon lui, la beauté des logements renforce le sentiment de dignité, d'appartenance et d'identité des personnes qui les habitent, et restaure l'attractivité des quartiers concernés. Il existe également un lien manifeste entre l'intensité de la participation à la vie politique et publique des résidents et l'esthétique de leur lieu d'habitation.

Il a souligné par ailleurs les risques que représentent à la fois l'enclavement de certains quartiers dégradés et le manque de logement social.

Il a ensuite suggéré que les lieux de pouvoir, tels que l'Elysée ou Matignon, soient transférés vers les communes de la périphérie, afin de réconcilier le pouvoir et les banlieues. Il a insisté sur l'importance de la présence de signes forts de la République dans les quartiers les plus sensibles, déplorant que la grande bibliothèque et l'Opéra Bastille aient renforcé encore le caractère « monarchique » de Paris. Ces transferts permettraient en outre de récupérer environ 15 milliards d'euros - produit de la vente des bâtiments situés au coeur de la capitale - et de financer de nouveaux logements sociaux, des moyens de transports publics et des rénovations de bâtiments publics.

Enfin, il s'est inquiété de la réaction ponctuelle des pouvoirs publics face à une situation d'alerte qui se pérennise et qui exigerait, selon lui, plus de continuité dans les politiques menées dans les quartiers en difficulté. Il s'est en revanche félicité que l'Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru) ait engagé un programme d'ampleur sur la durée, qui ne devrait pas être remis en cause par les alternances politiques, soulignant à cet égard l'intérêt d'une programmation budgétaire.

Mme Dominique Dujols a tout d'abord rappelé que l'USH regroupait 850 organismes HLM, soit quatre millions de logements, dont un million en zones urbaines sensibles.

Elle a relativisé les échecs de la politique du logement menée dans la période de l'après-guerre, estimant qu'elle avait permis de loger des milliers de personnes qui ont découvert le confort de l'habitat moderne. Toutefois, on peut regretter que les constructions nouvelles aient été reléguées dans des quartiers éloignés du centre des agglomérations. De surcroît, les populations concernées ont subi les effets néfastes de la désindustrialisation et du chômage et se trouvent dans des situations de précarité extrême.

Impliquée dans la politique de la ville dès ses débuts, avec les programmes « Habitat et vie sociale » (HVS), l'USH gère ce patrimoine dans des conditions parfois difficiles. Dans ce contexte, la continuité des politiques conduites est une nécessité et un gage de réussite. L'USH, avec ses 65.000 agents, a accompagné sur le terrain les grosses opérations de restructuration menées dans le cadre des grands projets de ville (GPV) et des opérations de renouvellement urbain et intervient aujourd'hui en partenariat avec l'Anru.

Mme Dominique Dujols s'est montrée enfin réservée sur les opérations de restructurations lourdes, qui supposent des démolitions systématiques. Elle a souhaité que la décision de démolir soit réexaminée au cas par cas et qu'elle soit précédée de la construction de nouveaux logements sociaux pour faciliter le relogement des résidents.

Mme Béatrix Mora a rappelé que les politiques de la ville ont permis la mise en place de parcours individuels d'insertion, qui ont bénéficié à un grand nombre de personnes en difficulté, regrettant cependant une évaluation insuffisante de ces actions.

Concernant la rénovation urbaine, elle a souhaité que l'Anru privilégie une approche pragmatique, qui prendrait davantage en compte la diversité des quartiers et leur vocation résidentielle. La rénovation urbaine pouvant se traduire par la modification de la composition sociologique des agglomérations, il est en effet essentiel qu'un accompagnement social soit prévu et que les questions du relogement et du peuplement soient traitées au niveau de l'agglomération plutôt qu'au niveau des communes concernées. Elle a également proposé qu'une réflexion soit engagée sur les solidarités entre les quartiers, les bailleurs et les communes.

Enfin, observant que la démolition des immeubles les plus dégradés était nécessaire à la réhabilitation des quartiers monofonctionnels, dont l'image est fortement dévaluée, elle a insisté sur l'urgence de la construction de grands logements pour accueillir les familles nombreuses à revenus modiques.

M. Bernard Lacharme a rappelé que la politique de la ville ne pouvait résoudre les problèmes, comme le chômage, qui ne sont pas de son ressort.

Il a ensuite indiqué que les phénomènes de ségrégation spatiale observés dans de nombreuses agglomérations pénalisaient à la fois les populations vivant dans les quartiers les plus sensibles et celles souhaitant accéder à un logement à bas loyer et à qui on oppose l'objectif d'une mixité sociale. Le remodelage du paysage urbain nécessite en conséquence un véritable accompagnement social des populations concernées afin de renouer ou maintenir le lien social.

Il a également souligné le problème que pose la démolition de grands ensembles dans le contexte de pénurie de logements sociaux. Il a ainsi souhaité qu'une attention particulière soit accordée à la question du relogement des personnes pendant la période intermédiaire précédant la reconstruction.

Il s'est également inquiété que la construction de logements sociaux soit insuffisante et privilégie les personnes ayant des revenus intermédiaires. Ainsi, les logements neufs sont inaccessibles aux personnes les plus modestes, ce qui justifierait une mise en cohérence des aides à la pierre et des aides à la personne, les plafonds étant souvent nettement inférieurs aux loyers.

Il a par ailleurs insisté sur l'application de l'article 55 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, qui prévoit que chaque commune compte 20 % de logements sociaux et qui doit permettre à terme de garantir une certaine mixité sociale. Il a suggéré que le pourcentage soit augmenté pour l'agglomération parisienne ou modulé selon les communes.

Enfin, il s'est dit favorable au renforcement du pouvoir des agglomérations afin d'améliorer la cohérence des politiques de logement, de transport et de peuplement, souhaitant que le cas de l'Ile-de-France fasse l'objet d'un traitement spécifique, avec une instance de décision régionale.

Mme Anne Péré a rappelé que le CFDU était une confédération qui rassemble des associations nationales regroupant des urbanistes libéraux et publics, et dotée d'un réseau régional.

Concernant les démolitions, elle a jugé préférable que chaque projet soit réexaminé au regard des spécificités des populations résidentes et des problèmes sociaux que peut poser le relogement des personnes concernées. A cet égard, elle a regretté que la consultation et la participation des habitants soient négligées, alors qu'elles conditionnent la réussite des projets et l'évolution positive des quartiers concernés.

Elle a ensuite insisté sur le caractère indispensable et vertueux de la continuité des politiques publiques, a fortiori lorsqu'il s'agit des actions sociales et de l'accompagnement de proximité relevant des associations, qui devraient bénéficier d'un soutien pérennisé.

Elle s'est étonnée par ailleurs du faible intérêt des politiques publiques et des acteurs locaux pour l'enjeu que représente la culture dans ces quartiers, alors qu'elle est de nature à favoriser l'intégration.

Elle a également souhaité que la centralisation des moyens et des processus par l'Anru ne soit pas un obstacle à une mise en oeuvre territorialisée des projets, au moins au niveau régional. Elle a confirmé la nécessité d'une réflexion approfondie sur les périmètres d'action qui pourraient se situer à la fois à l'échelle de l'agglomération, des communes, via les contrats de ville, ou des quartiers.

Elle a enfin réaffirmé la nécessité de garantir une certaine continuité des politiques de la ville, considérant que certaines actions avaient été abandonnées trop vite au profit d'expérimentations nouvelles peu concluantes.

Un large débat s'est alors instauré.

Insistant sur la nécessité d'un changement radical de méthode, M. Yves Dauge a interrogé les intervenants sur trois points : le changement de nature survenu ces dernières années dans l'approche des politiques de la ville, les moyens de prendre en compte la réalité contrastée des territoires et l'avenir des relations entre l'Etat et les collectivités territoriales.

Faisant état de son pessimisme, M. Louis Souvet a estimé que le problème principal en matière de logement venait non pas de la « richesse » et de la « pauvreté », mais plutôt du mode de vie et du peuplement. Relevant que la mixité sociale était difficile à mettre en oeuvre en raison de l'évolution des modes de vie, il s'est inquiété des conséquences du chômage sur la solvabilité des ménages et a insisté sur la nécessité d'accroître le rôle de la solidarité familiale.

Mme Marie-France Beaufils s'est interrogée sur les conséquences de l'évolution des surloyers sur le peuplement et sur le rôle de l'intercommunalité dans l'équilibre des logements, estimant que les programmes locaux de l'habitat s'éloignaient de l'objectif d'une répartition équilibrée des logements à l'échelle de l'agglomération. Après avoir jugé l'effet des contrats de ville positif, dans la mesure où ils ont conduit les villes à travailler ensemble par thème, elle a déploré l'accent récent mis sur la démolition, estimant que celui-ci stigmatisait le logement social. Insistant sur la nécessité de réhabiliter l'image de ce dernier, elle a ensuite demandé si les aides personnelles étaient suffisantes et a souligné la nécessité d'abaisser le coût de la construction et du foncier.

Après avoir relevé que l'urbanisme n'était pas à l'origine des problèmes des banlieues, mais pouvait être de nature à accroître les difficultés sociales, M. Roland Muzeau a rappelé que la politique de la ville avait un rôle correcteur par rapport aux inégalités territoriales et qu'elle ne pouvait, à elle seule, créer de l'emploi. Précisant que la ville de Gennevilliers avait bénéficié des toutes premières initiatives politiques conduites en matière de politique de la ville, il a jugé que ces actions nécessitaient désormais beaucoup plus de moyens qu'à l'origine, du fait du développement d'un chômage massif dans les quartiers concernés. Insistant sur la forte spécificité de l'Ile-de-France, il a estimé qu'un « apartheid social et spatial » ne cessait de se développer dans les départements franciliens et a déploré les aménagements apportés à l'article 55 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Il s'est également interrogé sur le rôle de la décentralisation, estimant qu'elle avait eu un effet pervers en renforçant le pouvoir des maires. Dans le département des Hauts-de-Seine, a-t-il précisé, 16 villes sur 36 comptent moins de 20 % de logements sociaux, et le préfet remet chaque année à l'Etat une partie importante des autorisations de programme relatives aux aides au logement qui n'ont pas été dépensées. S'interrogeant sur la définition du logement social selon l'article 55 précité, il a déploré que les habitants les plus pauvres n'aient pas toujours accès à ce type de logement, ce qui conduit les communes à leur apporter une aide.

Après avoir relevé que les intervenants s'accordaient sur la nécessité de construire davantage de logements, et sur le fait que le logement et l'urbanisme ne pouvaient, à eux seuls, résoudre l'ensemble des problèmes, M. Thierry Repentin a cité une enquête selon laquelle le logement n'arrive qu'en sixième place dans les préoccupations des habitants des zones urbaines sensibles, après l'emploi, le cadre de vie et l'éducation, et a estimé, en conséquence, que la responsabilité des architectes devait être nécessairement nuancée. S'agissant de l'Anru, il a estimé positive l'existence d'un guichet unique pour les financements et souhaité que le projet social soit davantage pris en compte. Il a également jugé qu'il convenait d'adapter les critères en fonction des spécificités locales. Enfin, il a demandé aux intervenants s'ils estimaient disposer de tous les outils nécessaires, et les a interrogés sur le rôle de l'Etat, le jugeant pour sa part essentiel.

Après avoir souligné que la seule doctrine de l'Anru était la mixité sociale et non la démolition, M. Jean-Paul Alduy a rappelé qu'à partir du constat initial du coût très élevé et dissuasif de la démolition, l'objectif avait simplement été de rendre le coût de celle-ci neutre. Précisant que les maires étaient tous interrogés sur l'impact de leur projet en termes de mixité sociale, il a estimé préférable d'avoir pour interlocuteur le président de l'agglomération plutôt que le maire. Il s'est ensuite interrogé sur l'évolution de la gouvernance des villes, jugeant qu'elle était essentielle dans la question du droit au logement, et a regretté que la question de la politique culturelle comme moyen d'améliorer la mixité sociale ne soit jamais abordée, estimant qu'il fallait « fabriquer de l'énergie sociale » en adaptant le tissu associatif local et l'école. Enfin, il a interrogé les intervenants sur la nécessité de mettre en place des outils supplémentaires, estimant pour sa part qu'ils étaient plutôt trop nombreux.

Après avoir confirmé le changement de nature de la politique de la ville, Mme Dominique Dujols a insisté sur la nécessité de faire oeuvre de « pédagogie » en matière de logement social, afin d'expliquer que celui-ci concerne en principe toutes les catégories de population disposant d'un revenu inférieur à un certain seuil.

Elle a regretté qu'un double reproche soit adressé aux bailleurs sociaux : ne pas loger les plus pauvres dans le logement social ou au contraire les concentrer à l'excès dans les mêmes quartiers. Estimant que les bailleurs n'étaient pas responsables du comportement des habitants, elle a critiqué la volonté récemment exprimée de rendre les surloyers dissuasifs, notamment en région Ile-de-France, et a jugé qu'il convenait de mettre en oeuvre des solutions spécifiques en fonction du lieu.

S'agissant de la définition du logement social, elle a indiqué que le problème venait du trop grand écart entre le niveau de loyers des logements financés par des prêts locatifs sociaux et celui des loyers du marché. Soulignant que les politiques d'attribution de logements sociaux étaient menées avec les pouvoirs publics, elle a jugé qu'il ne fallait plus modifier l'article 55, mais plutôt l'étendre à d'autres parties du territoire. Elle a également considéré qu'aucun nouvel outil n'était nécessaire, mais que les acteurs avaient besoin de consignes claires de la société transmises par la représentation nationale. Elle a relevé que la décentralisation était un élément positif, qui avait entraîné une prise de conscience chez les élus, et a rappelé qu'auparavant, les maires avaient la possibilité de bloquer des projets par le biais du permis de construire. Enfin, elle a estimé indispensable de renforcer la présence de l'Etat en Ile-de-France du fait de la spécificité de cette région.

Après avoir relevé que les quartiers de logements sociaux connaissaient des phénomènes de ségrégation socio-spatiale qui s'accentuaient depuis cinq ans, Mme Béatrix Mora a estimé que la prime à l'amélioration des logements locatifs à usage social (Palulos) était mal mobilisée, et qu'il convenait de s'interroger sur son évolution. Insistant sur la nécessité de favoriser les projets de mobilité résidentielle, elle a considéré que l'accession sociale constituait à cet égard un bon outil. Elle a également souligné que les programmes locaux de l'habitat devaient davantage prendre en compte les projets de rénovation urbaine. A propos de l'Anru, elle a jugé que le portage politique par les maires constituait une avancée, mais qu'une évolution vers un coportage avec les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale serait souhaitable.

Soulignant la nécessité de construire des logements accessibles au plus grand nombre, y compris en accession à la propriété, M. Bernard Lacharme a relevé que l'intégration des prêts locatifs sociaux dans le logement social était acceptable dans la mesure où elle restait marginale. Insistant sur la responsabilité majeure de l'Etat dans les politiques du logement, qui reposent sur la solidarité nationale, il a souhaité le maintien d'un barème national pour les aides à la pierre et à la personne, et la mise en place, sur décision de l'Etat, d'un droit au logement opposable, afin de redonner une cohérence à l'organisation des pouvoirs au niveau territorial. Regrettant la complexité des niveaux locaux de décision, il a déploré que chaque niveau de collectivité ait le pouvoir de bloquer les politiques mises en oeuvre. Il a noté que le droit au logement entrait en concurrence avec d'autres objectifs, et qu'il convenait de mettre en oeuvre l'aspiration collective à la mixité sociale.

Mme Anne Péré a relevé que des réformes à caractère général pouvaient être mises en oeuvre, comme l'élection au suffrage universel des élus des agglomérations ou le droit de vote aux élections municipales des immigrés. Elle a également jugé que les contrats de ville et les zones franches urbaines constituaient de bons instruments, et a estimé que les moyens mis en oeuvre n'étaient pas suffisants, et pourraient opportunément être multipliés par dix, évoquant l'idée d'un « plan Marshall » en faveur des quartiers en difficulté.