Mardi 30 mai 2006

- Présidence de M. Alex Türk, président -

Audition de MM. Jean-Paul Alduy, président, et Philippe Van de Maele, directeur général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU)

La mission commune d'information a procédé à l'audition de MM. Jean-Paul Alduy, président, et Philippe Van de Maele, directeur général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).

M. Jean-Paul Alduy, président de l'Anru, a rappelé en préalable que la crise urbaine actuelle était sans précédent et qu'elle amenait à choisir entre le rétablissement de la mixité sociale ou l'acceptation d'un système communautariste. Soulignant l'extrême fragilité des villes françaises, il a observé que l'Anru n'était qu'un outil qu'il convenait de resituer dans le cadre général de la politique de rénovation urbaine et des initiatives récentes en faveur des quartiers en difficulté, parmi lesquelles il a cité :

- la réforme de la gouvernance des villes par la délégation de la compétence logement ;

- le plan de cohésion sociale dans ses volets emploi et réussite éducative ;

- la faculté, récemment accordée aux maires par la loi, d'imposer un pourcentage de logements sociaux dans les nouveaux programmes de construction ;

- l'augmentation, qu'il a qualifiée de considérable, de la dotation de solidarité urbaine ;

- la création de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Ancsec).

Il a ensuite souligné avec insistance que l'Anru avait pour seul objectif de mettre en position d'efficacité les maires et responsables d'établissements publics de coopération intercommunale sur leurs propres projets et qu'elle n'avait aucune doctrine préétablie en matière de rénovation urbaine.

Il a fait observer que l'Anru était d'abord un outil financier puissant par l'importance des financements dont elle dispose et garantissant la sécurisation des financements. Il a précisé qu'elle appliquait une certaine discrimination positive en ne subventionnant pas les collectivités de manière égale, mais en tenant compte notamment de leurs capacités financières. Il a aussi souligné que l'agence subventionnait très fortement l'ingénierie et la conduite de projet.

S'agissant des critères d'analyse des dossiers par l'Anru, M. Jean-Paul Alduy a successivement cité :

- la réalité de la mixité sociale ;

- le respect de la règle du un pour un dans les opérations de démolition et de reconstruction, qui peut toutefois connaître certaines dérogations dans des cas exceptionnels pour des villes en diminution de population, et qui ne s'applique pas strictement dans le quartier ou la commune, mais dans le bassin d'habitat ;

- l'existence d'une charte pour l'emploi favorisant l'emploi des jeunes du quartier sur les chantiers de rénovation ;

- la qualité urbaine des projets en termes d'environnement de culture, d'équipements scolaires ou sportifs ;

- la capacité des bailleurs sociaux à mettre en oeuvre les projets présentés ;

- le partenariat avec les collectivités territoriales, dont le niveau de participation souhaitable est de 30 % des financements ;

- la vérification, délicate et souvent renvoyée aux délégués départementaux de l'agence, de la concertation menée avec les habitants.

En conclusion, M. Jean-Paul Alduy a observé que l'Anru ne prônait aucun dogme en faveur de la démolition, l'agence rendant simplement ces opérations possibles, et a estimé que les objectifs fixés par la loi en ce domaine devraient sans doute être revus à la baisse.

M. Philippe Van de Maele, directeur général de l'Anru, a ensuite précisé que 134 conventions avaient été signées et que ce nombre serait rapidement porté à 150. Il a insisté sur l'exigence très forte de la règle du un pour un, sur la nécessaire cohérence avec le programme local de l'habitat (PLH), et sur les effets des programmes de rénovation quant à la remise sur le marché de logements vacants. Il a indiqué qu'au total 80 000 démolitions étaient programmées pour 79 000 reconstructions qui excluent la prise en compte des prêts locatifs sociaux (PLS), soulignant que de nombreux dossiers prévoyaient des démolitions portant sur 10 à 15 % du parc immobilier et que les reconstructions étaient à 50 % prévues dans le quartier concerné par la démolition. Il a également noté la part importante de la reconstruction ou de la réhabilitation d'équipements publics et, en particulier, celle de 250 écoles. Il a enfin observé l'importance de l'accès aux transports et des opérations permettant de relier les quartiers à la ville.

Un large débat s'est ensuite instauré.

M. Jacques Mahéas s'est déclaré frappé par l'enthousiasme des intervenants. Il s'est cependant interrogé sur les conditions du traitement des dossiers et sur les conséquences des disparités entre les partenaires bailleurs sociaux en termes de capacités financières. Il a souligné les difficultés particulières des copropriétés dégradées, citant l'exemple de la Forestière à Clichy-sous-Bois et sur une certaine application de la règle du un pour un qui aboutirait à transférer des populations socialement difficiles dans des quartiers eux-mêmes en situation de grande fragilité.

M. Philippe Van de Maele a reconnu que l'élaboration des dossiers nécessitait de la part des collectivités un travail très lourd, notamment pour l'établissement d'échéanciers, et que certains partenaires avaient une vision différente de la rénovation urbaine qu'il importait de pouvoir concilier. Il a rappelé que l'Anru modulait de 10 % à 90 % les taux de subvention selon les collectivités concernées et qu'elle pouvait désormais également moduler au cas par cas les aides en fonction de la capacité financière du bailleur, office public ou société anonyme d'HLM.

S'agissant des copropriétés dégradées, il a précisé que l'Anru intervenait en complément de l'ANAH et que la difficulté principale résidait dans la mise en oeuvre du projet dans ces immeubles. Revenant sur l'application de la règle du un pour un, il a indiqué qu'une large partie des habitants souhaitaient le relogement sur place, ce qui ne correspondait pas nécessairement aux attentes des bailleurs qui préfèrent un renforcement de la mixité. Il a observé qu'afin de créer des parcours résidentiels positifs, la préférence était donnée au relogement dans des logements neufs ou récents et que le taux de relogement à ces conditions atteignait 50 %. Il a regretté que, dans certains cas, des relogements aient été réalisés dans des immeubles eux-mêmes susceptibles d'être démolis ultérieurement. Il a annoncé la mise en place par l'agence d'un suivi personnalisé des relogements et le démarrage d'une évaluation des chartes pour l'emploi.

Mme Nicole Bricq a demandé des précisions chiffrées sur le nombre de projets, de démolitions et de reconstructions ainsi que sur leur calendrier, s'interrogeant sur l'amélioration apportée par l'Anru en termes de réduction du délai de latence par rapport aux opérations antérieures de démolition. Elle a cité des cas dans le département de Seine-et-Marne où les relogements dans des communes non concernées par le plan de rénovation urbaine ont recréé dans ces communes les problèmes que l'on tentait de résoudre ailleurs par les démolitions.

M. Jean-Paul Alduy a souligné que, par la volonté du législateur, l'Anru était une petite structure de 62 personnes et que son rôle était limité à l'apport de moyens financiers importants et sécurisés, le reste des interventions relevant des collectivités territoriales et des bailleurs qui sont amenés de ce fait à modifier leurs comportements, notamment en matière de relogements. Il a indiqué que l'Anru effectuerait une évaluation dans un délai de 2 ans et il a déclaré que si les engagements n'avaient pas été respectés par les différents partenaires, une rétrocession des crédits de l'Anru serait envisagée.

M. Philippe Van de Maele a précisé que dans les 188 quartiers prioritaires représentant 2,3 millions d'habitants, 134 dossiers avaient été approuvés en comité d'engagement et que 157 se trouvaient en phase de finalisation d'instruction. Il a indiqué que quelques quartiers non prioritaires, mais relevant d'une démarche d'agglomération, étaient également concernés. S'agissant des délais d'instruction, il a précisé qu'ils résultaient principalement de l'ampleur des projets et de la densité urbaine.

M. Jean-Paul Alduy a noté qu'en matière de copropriétés dégradées, aucune intervention n'était possible antérieurement à la création de l'Anru, mais que la réussite des opérations de rénovation sur ces immeubles dépendait en large partie de l'engagement des bailleurs sociaux.

M. André Vallet a demandé des précisions sur la répartition des dossiers et des démolitions entre l'Ile-de-France et les autres régions. Il s'est inquiété des résultats obtenus en matière de participation des régions aux plans de financement et de la possibilité de réaliser effectivement des programmes de construction de maisons à 100 000 euros.

M. Jean-Paul Alduy a précisé que le champ d'intervention de l'Anru comprenait initialement 180 quartiers, dits de catégorie 1, mais que devant l'afflux des demandes, d'autres catégories moins prioritaires avaient été créées. Il a indiqué que le conseil d'administration de l'agence avait pris la décision de ne pas modifier pour autant les clés de calcul des subventions afin de ne pas pénaliser les derniers dossiers déposés et a rappelé qu'en conséquence les financements de l'Anru avaient été portés de 5 à 9,7 milliards d'euros. Les collectivités régionales et départementales ont également été sollicitées pour participer au financement des opérations à hauteur de 30 %, mais peu ont encore répondu à cet appel, bien que certaines conventions aient été signées avec les régions Nord-Pas-de-calais, Bretagne, Rhône-Alpes et que des négociations soient engagées avec la région Ile-de-France.

Il a précisé que le refus de participation des régions ou des départements n'interdisait pas le lancement des opérations.

S'agissant des maisons à 100 000 euros, il a observé que leur réalisation n'était possible que du fait de l'application du taux réduit de TVA et de la gratuité du foncier, mais que ce type de logement était indispensable pour permettre des parcours résidentiels harmonieux. En ce qui concerne les chartes pour l'emploi, il a souligné que l'Anru ne pouvait avoir qu'un rôle accélérateur des dispositifs.

M. Philippe Van de Maele a précisé qu'un tiers des quartiers prioritaires était situé en région Ile-de-France et qu'il revenait au conseil d'administration de l'Anru d'apprécier, en cas de refus de participation de la région ou du département à hauteur de 30 %, si le dossier pouvait être accepté.

M. Alain Dufaut a souligné, en prenant l'exemple d'Avignon, la complexité de certaines procédures de démolition et de relogement qui font intervenir en l'espèce deux régions et trois départements et la lenteur des opérations, plus particulièrement du montage des dossiers qui peut durer cinq années.

M. Thierry Repentin s'est interrogé sur l'environnement administratif de l'Anru et sur la coordination à établir entre cette agence, la nouvelle agence pour la cohésion sociale et les structures administratives classiques de la politique de la ville, comme la délégation interministérielle à la ville (DIV).

M. Pierre André, rapporteur, a salué l'efficacité de l'Anru sur deux ans d'existence, qu'il a comparée avantageusement à celle des organismes qui l'ont précédée. Il a souhaité que les missions de l'Anru ne soient pas élargies à l'excès, estimant qu'elle n'était pas chargée de fournir des statistiques. Il a considéré nécessaires les exigences imposées aux collectivités pour le montage de leurs dossiers, jugeant que les délais d'élaboration permettaient d'engager une réflexion profitable sur les différents aspects de la rénovation urbaine. Il a souligné à cet égard la faible expérience des collectivités et des services de l'Etat en matière d'ingénierie de projet. Il a souhaité, enfin, que soit définitivement réglée la question de la participation des régions et des départements au financement des opérations de l'Anru et que celle-ci formule des suggestions de propositions à la mission, notamment concernant les copropriétés dégradées.

M. Philippe Dallier a rejoint le rapporteur sur l'appréciation de l'efficacité de l'Anru. Il a toutefois indiqué qu'il avait constaté, lors des déplacements et auditions réalisés dans le cadre du contrôle de l'Anru effectué pour la commission des finances, que les élus se préoccupaient souvent de la lenteur des procédures d'examen des dossiers et n'étaient pas tenus informés de leur avancement. Il s'est interrogé sur le déficit éventuel de l'Anru en matière de communication.

M. Jean-Paul Alduy a regretté le décalage entre les méthodes d'action très novatrices de l'Anru et la pesanteur des procédures étatiques, considérant que l'agence était une incitation à la réforme de l'Etat, notamment dans le suivi des engagements ou l'attribution d'avances de subventions. Il a noté que la difficulté à consommer les crédits, qui avait été observée la première année de fonctionnement de l'Anru, était liée à ces innovations ainsi qu'à une sous-estimation des besoins d'ingénierie de projet dans les collectivités. Il a également considéré que la LOLF pouvait être un obstacle à l'efficacité de l'agence et s'est déclaré favorable à une agence unique regroupant les interventions sur le bâti et les interventions sociales. Il a enfin déploré l'absence de réactivité de l'Etat pour le soutien aux initiatives des communes et agglomérations dans le cas des maisons de l'emploi.

M. Philippe Van de Maele a rappelé une nouvelle fois que l'Anru n'avait aucun objectif en termes de démolitions. Il a précisé qu'en matière sociale, l'agence n'avait qu'un rôle incitatif et s'est déclaré personnellement défavorable à l'idée d'une agence unique, soulignant que cette solution supposerait une coordination très forte avec l'Ancsec qui pourrait s'exercer au sein du conseil d'administration de l'Anru. Il a noté, enfin, l'absence de volet économique dans les dossiers présentés, attribuant cette situation aux réticences des bailleurs sociaux.