Mardi 20 juin 2006

- Présidence de M. Alex Türk, président -

Table ronde avec quatre lauréats de l'édition 2005 du concours « Talents des cités »

Lors d'une table ronde réunissant des lauréats de l'édition 2005 du concours « Talents des cités », la mission a tout d'abord entendu M. Jacques Mura, président de la fédération nationale des associations d'entrepreneurs des zones urbaines sensibles (FNAE-ZUS).

M. Jacques Mura a rappelé que cette fédération regroupait une vingtaine d'associations et de clubs d'entreprises. Il a estimé que les zones franches urbaines (ZFU) avaient constitué des bouffées d'oxygène pour les entreprises installées dans ces quartiers paupérisés et confrontées à la défiance des compagnies d'assurances et des banques. Il a ajouté que 90 % des entrepreneurs étaient satisfaits de ce dispositif, même s'ils avaient dû faire face à un certain manque de pédagogie de la part des administrations lors du lancement du dispositif en 1997, et à la méfiance des habitants des quartiers, qui les considéraient comme des « chasseurs de primes ».

Il a à cet égard rappelé que seules pouvaient bénéficier d'exonérations les entreprises de moins de cinquante salariés, dont 20 % au moins de l'effectif était issu de ZFU, et a souligné que cette part atteignait désormais 30 %.

M. Jacques Mura s'est ensuite félicité des créations d'emplois et d'entreprises induites, ainsi que de l'institution d'un observatoire national, en estimant que l'état des lieux ainsi dressé permettait une prise de conscience des difficultés et devait amener à des évolutions et à de l'espoir. Il a toutefois regretté que cette création soit intervenue trop tardivement.

Il a en outre souligné qu'afin de remédier au déficit de qualification des jeunes dans les quartiers, sa fédération avait mis en place des programmes de parrainage ainsi que des stages de découverte en entreprise en classe de quatrième, et gérait des centres sociaux et des plans locaux pour l'emploi. Il a donc appelé à une reconnaissance de l'action des entrepreneurs.

Il a toutefois regretté les retards intervenus dans la mise en place des écoles de la deuxième chance, en soulignant l'importance de la formation pour donner aux jeunes concernés un statut social et éviter d'en faire des aigris. S'agissant des parrainages, il a souligné l'importance d'une adéquation entre l'entreprise, la formation et les capacités du jeune.

Il a enfin estimé que le départ des jeunes des quartiers devait être considéré comme un élément positif.

M. Mamadou Beye, directeur de l'agence de gestion de l'intérim d'insertion, a tout d'abord rappelé les difficultés rencontrées pour créer son entreprise. Il a indiqué que trois ans avaient été nécessaires pour surmonter la lourdeur des réglementations, coordonner les partenariats entre l'Etat et les collectivités territoriales, et convaincre du sérieux de sa démarche. Il a toutefois estimé que ses études de sociologie du travail lui avaient été d'une aide précieuse.

Il a ensuite souligné que ces difficultés persistaient depuis la création de son entreprise en février 2006, et qu'il n'avait ainsi obtenu qu'un seul agrément sur soixante postes présentés par l'ANPE, seules, quatre personnes lui ayant été envoyées par l'ANPE, dont deux par une ancienne collègue. Il a déploré cette situation compte tenu du nombre de personnes ayant des difficultés d'insertion aux Mureaux, où son entreprise est installée.

Il a ensuite formulé deux propositions :

- faciliter l'accès à la fonction publique des jeunes des quartiers difficiles afin que les personnes apprennent à se connaître et à se respecter en travaillant ensemble, par exemple en réservant à leurs habitants l'accès à certains postes situés dans les quartiers, l'Etat devant donner l'exemple ;

- supprimer l'agrément pour les personnes envoyées par des entreprises d'insertion, la loi définissant déjà les personnes en difficulté. Il a en effet déploré que des personnes habitant aux Mureaux ne soient pas considérées comme en difficulté par l'ANPE et ne puissent recevoir d'agrément, celui-ci étant en outre accordé après de trop longs délais.

Mme Hinde Magada, gérante de la société AB Secrétaires installée à proximité de Nancy, a indiqué, au préalable, qu'après être restée sans emploi à l'issue d'un brevet de technicien supérieur (BTS) de commerce international, elle avait enchaîné plusieurs expériences professionnelles, en usine, en centre d'appels, puis en secrétariat médical, où elle a finalement découvert sa vocation.

Elle a précisé que l'entreprise qu'elle a créée en mars 2004 en zone franche urbaine proposait des services d'externalisation de secrétariat et de mise à disposition de secrétaires, pour des professions libérales, des artisans ou des petites sociétés.

Cette entreprise, qui a un partenariat avec l'agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), connaît une croissance lente et difficile, en raison d'un manque de moyens, notamment pour développer une démarche commerciale.

Rappelant qu'elle était, par ailleurs, conseillère municipale et responsable d'une association de quartier dénommée « Tout en couleurs », Mme Hinde Magada a insisté sur l'importance des enjeux en matière de lutte contre les discriminations. Ainsi, elle a fait part de son souhait de créer, au sein de son entreprise, une certaine mixité, par l'embauche de salariés handicapés ou issus de l'immigration notamment.

M. Cédric Nadotti, créateur de Di-services, a indiqué que son entreprise, installée en 2004 à Aulnay-sous-Bois, était spécialisée dans la gestion des déchets industriels pour le compte des collectivités territoriales. Après avoir quitté l'école à 16 ans puis occupé divers emplois de manutentionnaire, il a eu l'idée de ce projet après une expérience de commercial dans une société de collecte de déchets.

Il a considéré que la Maison de l'entreprise et de l'emploi d'Aulnay-sous-Bois, qui regroupe un certain nombre de services, dont une pépinière d'entreprises, avait été particulièrement utile pour l'aider à réaliser son projet.

Soulignant toutefois la très grande complexité administrative d'une installation en zone franche urbaine, ainsi que les difficultés pour obtenir des renseignements précis, notamment sur les dispositifs d'exonération existants, il a suggéré une simplification du système en direction des entreprises.

M. Mustafa Yildiz, gérant de Yildiz Entreprise, spécialisée dans l'électricité et installée dans la banlieue bordelaise, s'est déclaré déçu du dispositif des zones franches urbaines (ZFU) dans lequel il avait placé, pourtant, de fortes attentes. Constatant que le taux de chômage n'avait pas diminué dans ces quartiers, il a considéré que les grandes entreprises s'y étaient installées par opportunisme, et que, pour répondre au critère de 20 % de salariés issus de la ZFU, elles s'arrangeaient pour loger sur place les personnes recrutées en dehors du quartier.

Il a indiqué, en revanche, que son entreprise, dont 8 salariés sur 9 vivent depuis toujours en ZFU, n'avait pas pu bénéficier de l'exonération de charges et d'impôts la première année de son installation, à défaut de remplir, dès le départ, certains critères tels que l'emploi d'une secrétaire à temps plein ou la justification d'un local.

Après avoir estimé que les discours de la politique de la ville revêtaient un caractère superficiel pour les jeunes, il a fait part de son engagement au sein d'une association visant à dynamiser son quartier. Cette action s'est traduite, notamment, par la mise en place d'un Bureau Association Jeunesse, le seul en France à relever du secteur associatif, qui propose des aides à la création d'entreprise et à la recherche d'emploi.

Un large débat s'est alors instauré.

Mme Dominique Voynet a souligné la nécessité de prendre en compte les discriminations relatives aux personnes et non pas seulement celles liées aux territoires. Elle s'est interrogée sur les résultats réels des zones franches urbaines (ZFU), se demandant si elles suscitent des créations nettes d'emplois, de simples transferts ou représentent une « bouffée d'oxygène » pour les entreprises qui sont déjà installées, leur permettant ainsi de se développer et de se diversifier. Elle s'est étonnée de ce que M. Jacques Mura considère le départ du quartier comme une « victoire », alors que les politiques de la ville visent à développer l'activité économique et à animer les quartiers les plus en difficulté. Elle a souhaité également connaître les raisons qui conduisent au « décrochage scolaire » et le moment auquel celui-ci apparaît au cours de la scolarité, ainsi que les formules de rattrapage envisageables.

Mme Hinde Magada a estimé que les activités professionnelles pouvaient être dynamisées dans les quartiers par des personnes venant de l'extérieur.

M. Jacques Mura a fait observer que la mauvaise maîtrise de la langue et la méconnaissance des cursus constituaient un réel handicap pour les jeunes issus de l'immigration. Il a par ailleurs indiqué qu'il n'était pas favorable à l'implantation des cinémas multiplexes dans les quartiers, estimant préférable que les jeunes puissent sortir de leur quartier et découvrir autre chose.

Il a par ailleurs souligné les paradoxes suivants :

- la taxe d'habitation et la taxe foncière sont plus élevées dans certains quartiers classés en zones urbaines sensibles (ZUS) que dans d'autres communes connaissant moins de difficultés, les bases n'ayant pas été actualisées depuis 1971 ;

- le manque de lisibilité des textes et les divergences d'interprétation entre les services fiscaux et l'Urssaf aboutissent à des redressements, qui mettent en péril les entreprises créées en ZFU. A cet égard, il a souhaité que les dispositifs d'exonérations fiscales et sociales soient pérennisés et stabilisés ;

- il a également noté la réticence des entrepreneurs à s'installer en ZFU, malgré les avantages financiers prévus, en raison du sentiment d'insécurité et de la mauvaise image des quartiers ;

- enfin, malgré un taux de chômage élevé dans les quartiers, il a souligné la difficulté des entrepreneurs à embaucher des personnes qualifiées, notamment dans le bâtiment et la mécanique.

Il a estimé que la perspective d'un départ du quartier pouvait représenter l'espoir pour certains jeunes, chaque individu devant pouvoir faire librement ses choix sans être enfermé dans un système ou sur un territoire. Il a ajouté que les politiques de la ville ont pour vocation de remodeler les quartiers après rénovation et de renforcer leur attractivité en améliorant la qualité de vie. A cet égard, l'implantation de professions libérales (avocats, professions de santé) contribue à leur développement économique et permet de favoriser l'essor des services de proximité.

M. Mustafa Yildiz a déploré que de grosses entreprises viennent s'installer dans les quartiers sans embaucher les résidents et a indiqué préférer rester dans son quartier avec des « gens qui lui ressemblent », pour participer à son développement en implantant son entreprise dans le centre-ville.

M. Jacques Mura a rappelé le rôle salvateur du travail et l'importance de la famille.

M. Cédric Nadotti a indiqué que certaines grosses entreprises jouaient le jeu en embauchant des salariés résidant dans la ZFU.

M. Jacques Mura a précisé que les professions libérales, si elles créent peu d'emplois, ont le mérite de produire un environnement socio-économique favorable, propre à instaurer des synergies.

M. Jacques Mahéas a demandé aux intervenants en quoi la perception qu'ils avaient de leur quartier était différente de celle qu'en ont les personnes extérieures. Il s'est également enquis de leurs suggestions pour améliorer l'efficacité des ZFU.

M. Cédric Nadotti a reconnu que l'esthétique de certains quartiers ne contribuait pas à donner aux communes une bonne image, même si une faible partie du territoire de la commune est concernée. Il a souligné la difficulté de construire des pavillons individuels entre des tours d'immeubles, dans le cadre d'une opération de rénovation urbaine.

M. Pierre André, rapporteur, a exprimé son accord avec les observations de MM. Cédric Nadotti et Jacques Mura sur les ZFU. Il a rappelé qu'il était intervenu à plusieurs reprises pour simplifier les règles et rapprocher les interprétations des textes par les services fiscaux et les services sociaux. Il a demandé à M. Mustafa Yildiz, dont la position était plus critique à l'égard du dispositif d'exonérations, s'il était favorable au maintien des ZFU.

Enfin, il est convenu de la difficulté pour les entreprises de trouver du personnel qualifié dans les quartiers et a rappelé que 1.500 emplois avaient été créés dans la zone franche de sa commune.

M. Mustafa Yildiz, qui s'est déclaré favorable au maintien du dispositif des ZFU, a mis en exergue les contraintes que représentent le financement d'un local et l'embauche de salariés dès les premières années de vie de l'entreprise, ainsi que les problèmes d'insécurité.

M. Cédric Nadotti a fait observer que le système éducatif n'était pas adapté au monde de l'entreprise et aux talents qui s'expriment de façon différente selon les jeunes. Certains sont destinés à des métiers manuels et n'ont pas vocation à recevoir une formation purement technique. Il a salué à cet égard le développement de l'apprentissage dès l'âge de 14 ans, qui semble répondre, selon lui, à la situation de nombreux jeunes. Il a souhaité que l'éducation nationale développe une information sur des métiers trop souvent méconnus et pour lesquels il y a de réels débouchés.

M. Mamadou Beye a rappelé que son entreprise n'était pas installée en ZFU, mais en centre-ville pour favoriser la proximité et accompagner les personnes en recherche d'emploi de façon individualisée.

M. Alex Türk, président, a demandé aux intervenants ce qu'ils attendaient du système éducatif.

Mme Hinde Magada a rappelé l'importance du maintien d'un dialogue constant avec les parents d'élèves, qui permet souvent d'identifier des problèmes spécifiques. Certaines écoles organisent même des cours d'alphabétisation pour les parents, afin d'améliorer la communication des familles avec les autres parents d'élèves et favoriser les échanges avec l'équipe pédagogique. Elle a enfin insisté sur l'importance d'une meilleure prise en compte des motivations des élèves, ce qui suppose une plus grande diversification des filières.

M. Cédric Nadotti, s'appuyant sur son expérience d'accueil de stagiaires collégiens, a déploré la méconnaissance de l'entreprise par le système éducatif. Il s'est étonné de devoir apprendre aux jeunes à s'habiller correctement, à rédiger un curriculum vitae, à respecter les contraintes horaires et à adopter un langage adapté au monde du travail.

Mme Dominique Voynet a demandé comment les entrepreneurs des ZFU ont appris les règles de management, de la comptabilité et de l'administration des entreprises.

M. Cédric Nadotti a déclaré avoir appris sur le terrain dans le cadre de ses expériences professionnelles successives.

M. Mamadou Beye a estimé que sa formation universitaire lui avait été d'un grand secours.

M. Alex Türk, président, s'est interrogé sur les éléments qui expliquent l'échec scolaire, les moyens d'y remédier et d'améliorer l'orientation en fonction des besoins des entreprises.

M. Cédric Nadotti a souligné les défaillances de la famille et de l'école concernant les règles élémentaires du « savoir-être ».

Mme Hinde Magada a insisté également sur la deuxième chance que représente la formation professionnelle, indiquant notamment le rôle essentiel que joue l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), à laquelle les entrepreneurs sont associés.