Mardi 27 juin 2006

- Présidence de M. Alex Türk, président, puis de M. Pierre André, rapporteur -

Audition de MM. Jean-Pierre Bellier, directeur général d'Agir pour la citoyenneté (APC) et président d'APC Recrutement, et Said Hammouche, directeur général d'APC Recrutement, et M. Samir Abasse, porte-parole de l'Association Collectif Liberté Egalité Fraternité Ensemble et Unis (ACLEFEU)

La mission a tout d'abord entendu MM. Jean-Pierre Bellier, directeur général d'Agir pour la citoyenneté (APC) et président d'APC Recrutement, et Said Hammouche, directeur général d'APC Recrutement, et M. Samir Abasse, porte-parole de l'Association Collectif Liberté Egalité Fraternité Ensemble et Unis (ACLEFEU).

M. Jean-Pierre Bellier a indiqué que son association avait été créée en 2001 en raison d'un certain « laisser-aller » des politiques publiques relatives à la promotion de la diversité. Il a estimé que les problèmes rencontrés par les jeunes des quartiers populaires étaient certes pris en compte depuis quelques décennies, mais que leur gestion était parfois trop politique, opportuniste, et très segmentée au niveau des administrations intéressées. Il a ensuite indiqué que son association avait vocation à rassembler tous les acteurs concernés, à décloisonner les actions et à interpeller les politiques. Elle vise également à faire connaître les initiatives des jeunes, et pas seulement leurs revendications.

Il a rappelé qu'elle avait organisé « Huit Parlements des quartiers », et un « Parlement des banlieues » au Sénat en novembre 2005, qui a formulé 19 propositions. Il a précisé que la création d'APC recrutement résultait du constat de l'existence, dans les quartiers populaires, de jeunes diplômés qualifiés voulant entrer sur le marché du travail, et victimes d'une discrimination liée à leur domicile : APC recrutement a ainsi constitué une base de données d'environ 4.000 jeunes. Tout en indiquant n'être pas hostile au CV anonyme, il a néanmoins jugé que les jeunes ne devraient pas avoir besoin de dissimuler leur appartenance et précisé qu'APC les aidait à préparer des CV audiovisuels.

M. Samir Abasse a indiqué que son collectif avait été créé à Clichy-sous-Bois à la suite des émeutes de l'automne, afin de responsabiliser les jeunes. L'association a ensuite développé une action sur le département de Seine-Saint-Denis au mois de mars 2006, afin de constituer un cahier de doléances à partir des observations des habitants de toutes les communes. Le succès de cette initiative a conduit à élargir l'action au niveau national, dans plus de 60 villes de province aboutissant à plus de 200.000 doléances. Le collectif est également allé à la rencontre d'étudiants, de salariés à la sortie des usines et de consommateurs dans les centres commerciaux.

Il a ensuite noté que les personnes interrogées insistaient sur la recherche de dignité et de respect, et qu'elles se sentaient déconsidérées par le monde politique. Il a également indiqué que l'embellie de la « France de 1998 » avait été mise à mal à partir du 11 septembre 2001, avec les progrès du communautarisme. Précisant que les cahiers de doléances portaient sur une vingtaine de thèmes, il a souligné que la discrimination principale était économique, et non pas ethnique. Selon lui, les classes moyennes n'existent plus, et de nombreux bénéficiaires de minima sociaux préféreraient travailler plutôt que de vivre des revenus de l'assistance. Il a ensuite fait part du souhait du collectif de remettre la synthèse des doléances recueillies à la représentation nationale le 27 octobre, date anniversaire des évènements de l'automne dernier, ajoutant que la classe politique devrait mieux accepter la jeunesse.

M. Jacques Mahéas a rappelé qu'au début des années 80, avant sa « ghettoïsation », le quartier de la Forestière à Clichy-sous-Bois était une cité plutôt privilégiée. Il s'est interrogé sur les moyens à mettre en oeuvre pour impliquer davantage les jeunes, notamment s'agissant de leur inscription sur les listes électorales, et s'est inquiété des perspectives de nouvelles flambées de violence. Enfin, il a demandé aux intervenants s'ils constataient un déficit d'éducation chez les jeunes.

M. Jean-Pierre Bellier, évoquant l'action de l'association « Z'y va » qui a été créée à Nanterre, a souligné la très forte attente des habitants à l'égard des élus.

Se fondant sur son expérience d'enseignant dans un lycée professionnel, M. Samir Abasse a estimé que les parents ne disposaient pas toujours du temps ou des moyens pour offrir à leurs enfants une éducation satisfaisante et s'en remettaient le plus souvent au système éducatif, les élèves étant, dès l'école primaire, laissés à eux-mêmes après les cours.

M. Yves Dauge a demandé aux intervenants si la situation était différente selon les quartiers et s'ils enregistraient des progrès. Il s'est également interrogé sur les réponses à apporter au problème de la segmentation des actions relevant de la politique de la ville, sur l'opportunité de donner davantage de pouvoirs aux maires, et sur l'importance des questions de sécurité et de justice.

M. Samir Abasse a estimé qu'une loi d'amnistie en faveur des jeunes qui se sont révoltés à l'automne dernier pourrait constituer un signal positif. Il a également jugé que les forces de police pouvaient avoir l'impression d'être « couvertes » et avaient perdu leur « fibre sociale ». Enfin, il a relevé que les maires ne disposaient pas de moyens financiers suffisants.

M. Said Hammouche a souligné le découragement des familles, lié à la baisse de leur pouvoir d'achat, et noté que cette situation avait un impact sur l'éducation de leurs enfants, même si on observait aujourd'hui une prise de conscience des parents en ce domaine. Il a indiqué que la population inscrite dans la base de données d'APC recrutement était constituée à 60 % de demandeurs d'emplois franciliens, dont beaucoup ont un niveau bac+3, et a noté qu'il était plus difficile de trouver des candidats pour des postes de cadres en province. S'agissant de la sécurité, il a estimé que la police de proximité permettait de mener une politique de prévention, par un contact quotidien avec la population, et qu'une décentralisation plus importante pourrait être opportune. Relevant que la richesse du département des Hauts-de-Seine correspondait au produit intérieur brut de la Grèce, il a jugé indispensable de donner davantage de moyens à certains territoires.

M. Jean-Pierre Bellier a estimé que la réussite de la décentralisation dépendait de la dimension des collectivités et a noté que le transfert de la formation professionnelle aux régions avait entraîné paradoxalement une recentralisation, alors que cette compétence relevait auparavant, au niveau déconcentré, des départements. Il a ensuite souligné que les jeunes éprouvaient un sentiment d'arbitraire et d'impunité à l'égard des forces de police. Il a également insisté sur les disparités entre territoires, qu'il s'agisse du niveau de vie et de l'emploi, soulignant que les tensions étaient beaucoup plus fortes dans les grandes villes.

M. Pierre André, rapporteur, a rappelé que la mission d'information avait procédé à de nombreuses auditions ainsi qu'à plusieurs déplacements en Ile-de-France, en province et à l'étranger, notamment à Londres, Barcelone et Rotterdam. Il a considéré que l'un de ses objectifs était de faire des propositions et qu'à cet égard les 19 propositions du Parlement des Banlieues lui semblaient encore trop générales. Il a souhaité savoir si la mission d'information pouvait relayer certaines initiatives prises par ces associations, comme les « cahiers de doléances ».

É

voquant les difficultés particulières rencontrées en Seine-Saint-Denis, il s'est interrogé sur la possibilité d'adopter un traitement spécifique pour ce département. Il a enfin considéré qu'il existait un problème particulier concernant les jeunes diplômés qui ne trouvaient pas d'emploi, alors même qu'ils constituaient des exemples pour leur voisinage. Il a observé que, dans le même temps, les chefs d'entreprise déclaraient ne pas trouver de main-d'oeuvre qualifiée, ce qui posait également la question de l'orientation vers l'enseignement technique, trop souvent perçue comme un échec.

M. Alex Türk, président, a estimé que les familles dont les parents ont une activité professionnelle s'occupaient plus, peut-être, de leurs enfants que les autres. Il a considéré, par ailleurs, que certains jeunes n'étaient pas adaptés aux règles de la vie en société, ce qui pouvait expliquer que des jeunes ayant une formation ne soient pas, pour autant, employables. Il a également déclaré que de trop nombreuses formations ne débouchaient sur aucune offre d'emploi. Il a souhaité savoir exactement quelles étaient les propositions des uns et des autres pour lutter contre les discriminations et favoriser l'emploi.

M. Saïd Hammouche s'est déclaré opposé au principe de la discrimination positive. Il a estimé qu'il était beaucoup plus efficace d'engager des actions auprès des recruteurs pour « changer leur imaginaire » et les convaincre de l'aptitude au travail des jeunes issus des quartiers en difficulté. Il a expliqué qu'il travaillait à sélectionner de bons profils qui pourraient convaincre les recruteurs sur la base de leurs compétences.

M. Jean-Pierre Bellier a expliqué que l'on recourait depuis longtemps à la discrimination positive sur un plan territorial à travers le zonage des politiques. Il a estimé que la difficulté concernait le recours éventuel à des quotas, formule qui ne garantit pas pleinement la prise en compte du critère de compétence. Il a fait remarquer que la discrimination positive était un concept importé de pays anglo-saxons ayant un « passif » historique important, qui appelait une politique inspirée d'une « logique de réparation », une telle situation ne se retrouvant pas en Europe.

M. Samir Abasse a considéré que les mauvaises expériences de certains employeurs pouvaient les amener à nourrir une prévention générale et durable à l'encontre d'un certain type de population.

Il a regretté que, dans une « société du paraître », certains recruteurs ne donnent pas plus d'importance aux compétences réelles. Il a observé que, pour beaucoup d'employeurs, l'image du « jeune des quartiers » ne correspondait pas à celle qu'ils se faisaient de leur futur employé. Il a remarqué que de nombreux jeunes s'interrogeaient très tôt sur les perspectives réelles, notamment en matière de rémunération, que pouvait leur offrir une orientation vers l'enseignement professionnel. Il a constaté que beaucoup de jeunes qui s'orientaient vers une filière professionnalisée ne souhaitaient pas rejoindre par la suite la branche professionnelle correspondante du fait des faibles rémunérations.

M. Jean-Pierre Bellier a estimé que cinq objectifs pourraient être poursuivis pour redéfinir la politique en faveur des quartiers en difficulté.

Tout d'abord, il a estimé qu'il convenait d'inciter les jeunes à sortir de leur quartier pour acquérir, par exemple, une expérience internationale. Il a remarqué qu'alors que les jeunes sont incités à faire preuve de mobilité, dans les quartiers, la tendance était inverse et que l'on s'efforce d'y créer des emplois à domicile.

Il a ensuite proposé que les préfets soient chargés de mieux définir les interlocuteurs au niveau local, sachant qu'ils peuvent être différents en fonction des particularités locales.

Il a considéré également qu'il manquait une culture du résultat et de l'évaluation à nos politiques locales. Il a aussi estimé indispensable de mettre l'accent sur les obligations collectives comme pendant des droits individuels, en faisant remarquer que les jeunes attendaient que la société exige quelque chose d'eux.

Il a, par ailleurs, appelé de ses voeux une évolution des pratiques des services de police et de justice afin que les jeunes n'aient pas le sentiment d'être méprisés.

Il a considéré, enfin, qu'il fallait poursuivre les initiatives en faveur du parrainage des jeunes pour les accompagner vers le monde adulte.

Audition de Mme Sihem Habchi, vice-présidente, et de M. Mohammed Abdi, secrétaire général du mouvement « Ni putes ni soumises »

La mission a enfin procédé à l'audition de Mme Sihem Habchi, vice-présidente, et de M. Mohammed Abdi, secrétaire général du mouvement « Ni putes ni soumises ».

Mme Sihem Habchi a présenté le mouvement, en soulignant son caractère féministe et antiraciste, ainsi que sa vocation à alerter l'opinion et les pouvoirs publics sur la dégradation de la condition des femmes dans les quartiers difficiles.

Elle a considéré que les émeutes de novembre 2005 renvoyaient à la ghettoïsation de certains quartiers, et au souhait des jeunes d'être entendus et de se voir reconnaître une place au sein de la société.

Elle a estimé que la baisse des crédits alloués aux associations, au cours des dernières années, avait fortement contribué au déclin de la présence associative dans les quartiers en difficulté. Elle a insisté sur l'importance, d'autant plus grande dans ce contexte, du bénévolat pour les associations.

M. Mohammed Abdi s'est référé à son expérience personnelle, associative et professionnelle, en tant qu'attaché territorial, pour évoquer les événements de la fin de l'année dernière, et tenter d'en expliquer les raisons.

Il a observé qu'en dépit de la volonté d'agir des maires et des crédits importants consentis au cours des dernières années à la politique de la ville, les problèmes posés par les quartiers en difficulté étaient loin d'être résolus. Il a déploré les délais, liés à une bureaucratie excessive, dans la prise de décision et dans la mise en oeuvre concrète sur le terrain.

Il a insisté sur la montée d'une violence diffuse, touchant les plus fragiles et les femmes, et bénéficiant, parfois, d'une solidarité implicite des familles. Il a considéré, également, que les anciens repères tendaient à disparaître, les associations parvenant difficilement à combler cette absence de valeurs, du fait d'une pérennité incertaine.

Il s'est interrogé, ensuite, sur les causes du sentiment de peur qui a envahi la société française à l'occasion des émeutes de novembre 2005, et qui, selon lui, était largement injustifié.

Il a plaidé pour l'entretien du lien social, via des relais dans les quartiers populaires et des actions civiques. A cet égard, il a regretté la disparition du service militaire obligatoire, qui jouait auparavant un rôle de « sas » utile pour les jeunes des quartiers.

M. Pierre André, rapporteur, a également souligné la peur démesurée qui s'est emparée des Français lors des événements. Il s'est interrogé sur le rôle de la presse à cette époque, ainsi que sur la place tenue par les femmes dans les quartiers en difficulté. Il a fait part de son impression selon laquelle les femmes sont de moins en moins présentes dans les structures associatives et a regretté que le bénévolat soit en perte de vitesse.

Faisant référence aux travaux de la commission Stasi sur les signes religieux à l'école, M. Mohammed Abdi a fait observer que, même si les médias se livrent parfois à une certaine surenchère alarmiste, ils contribuent à un effort pédagogique d'ensemble et à une prise de conscience de la part du citoyen.

Mme Sihem Habchi a ajouté que, lors des débats de la commission Stasi, le mouvement « Ni putes ni soumises » a utilisé la loi comme « point d'appui pour exister ». Elle a reconnu, par ailleurs, que les femmes participent effectivement moins que les hommes à l'animation de l'espace public, citant, en particulier, l'exemple des maisons de quartier, essentiellement destinées aux jeunes garçons.

Elle a rappelé qu'une association avait besoin de moyens pour exister, et que ceux-ci ne peuvent provenir que de la mairie ou de bénévoles. A cet égard, elle a souligné le rôle du bénévolat, de la solidarité et de la laïcité, pour recréer du lien social, de la mixité et de la mobilité, estimant que l'égalité devait être à la fois un moyen et un objectif à atteindre dans les quartiers.

M. Mohammed Abdi a jugé que le déclin du bénévolat s'expliquait par l'unique alternative laissée aujourd'hui aux associations : être « vassalisées » (pour accéder à une subvention publique) ou marginalisées. Pour redonner du sens à l'engagement associatif, il s'est prononcé en faveur d'un statut, reconnaissant et récompensant le travail des bénévoles.

Il s'est réjoui, par ailleurs, du consensus existant en France, s'agissant de la prise en compte de la diversité dans le cadre de la représentation nationale. Il a noté, toutefois, que ce processus prendra du temps et ne pourra tirer sa légitimité que du terrain.

Un débat s'est alors instauré.

Se fondant sur son expérience passée de président d'un office public d'HLM, M. José Balarello a félicité Mme Sihem Habchi et M. Mohammed Abdi pour la pertinence de leur analyse. Il a regretté, également, la disparition du service militaire, dont la durée aurait pu être réduite à six mois.

Il a considéré que, si un sentiment de peur avait effectivement émergé en novembre 2005, il avait été entretenu, également, par les médias et la presse étrangère.

Il a souligné le rôle dans les quartiers des clubs sportifs, qui sont des lieux d'apprentissage du respect et de la différence.

M. Mohammed Abdi a confirmé que les expériences menées dans les clubs sportifs étaient positives, car fondées sur une dynamique de groupe et d'espoir. Il a précisé que l'engagement associatif au sein de clubs sportifs différait sensiblement de l'investissement personnel, par exemple dans des associations de soutien scolaire, où les tensions peuvent être plus vives et sont parfois de nature à décourager les bénévoles.

Afin de mieux reconnaître le bénévolat, il a indiqué sa préférence pour un passeport civique, qui donnerait un avantage pour les concours de la fonction publique ou qui faciliterait les contacts avec les administrations, plutôt que pour des avantages financiers.

M. Pierre André, rapporteur, a évoqué la difficulté de mener une politique de mixité, dès lors que certains publics semblent s'exclure volontairement de ce mouvement et que les populations de quartiers plus favorisés n'y sont, parfois, guère favorables. Dans cette perspective, il a estimé que les associations pouvaient jouer un rôle fondamental par la promotion de la mixité sur un territoire donné.

Il a regretté l'insuffisance des informations disponibles sur les problèmes liés à la condition des femmes dans les quartiers, ainsi que la difficulté à mesurer les violences dont elles sont l'objet.

Mme Sihem Habchi a indiqué que les femmes des quartiers étaient encore soumises à une pression sociale et familiale s'agissant de leur liberté de circuler, de leur indépendance et de leur habillement. Elle a rappelé, à cet égard, que de nombreuses jeunes filles fuyaient, aujourd'hui, les quartiers en difficulté pour pouvoir conquérir leur autonomie.

Elle a insisté sur la nécessité de changer les mentalités et d'aller résolument vers une égalité concrète. Elle a concédé, toutefois, que la mise à la disposition des femmes d'outils d'émancipation prendra du temps. Elle a jugé que ce travail devait commencer à l'école, l'éducation étant devenue un enjeu en termes d'égalité et de mobilité.

Elle a regretté que le choix, fait aux Etats-Unis, de « l'affirmative action », ait conduit à défavoriser les classes moyennes, et a souligné l'intérêt d'autres modèles étrangers, tels que celui développé en Suède. Elle a considéré que la condition de la femme était, quel que soit le pays, le reflet de l'état de la société.

M. Mohammed Abdi a précisé que la situation des femmes dans les quartiers populaires différait selon leurs origines ethniques, notamment le souhait de plus en plus répandu des jeunes maghrébines de sortir de l'espace de la mixité.

D'une manière plus générale, il a remarqué que le cheminement vers l'affirmation de soi, y compris au moyen de la violence, correspondait à la combinaison de l'exclusion sociale, la précarité et de la marginalisation.

Il a critiqué le relativisme culturel qui est à l'origine, selon lui, de la violence tendant, aujourd'hui, à se développer dans les quartiers. Il a vivement déploré, également, la politique dite des « grands frères », menée il y a quelques années et qui n'a eu pour conséquence que de légitimer le patriarcat dans les quartiers populaires et de rabaisser le rôle de la femme.

Mercredi 28 juin 2006

- Présidence de M. Alex Türk, président -

Audition de M. Gilles Aubry, commissaire divisionnaire, coordinateur des groupements d'intervention régionaux (GIR) à la direction centrale de la police judiciaire, et M. Bernard Petit, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS)

La mission commune d'information a d'abord procédé à l'audition de M. Gilles Aubry, commissaire divisionnaire, coordinateur des groupements d'intervention régionaux (GIR) à la direction centrale de la police judiciaire, et M. Bernard Petit, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS).

M. Gilles Aubry a rappelé que les GIR, qualifiés de véritable « révolution culturelle », avaient été créés par une circulaire interministérielle du 22 mai 2002 visant à lutter contre l'économie souterraine, la délinquance dans les zones sensibles, et à détecter et confisquer les avoirs illégaux.

Il a indiqué qu'il existait désormais 29 GIR en métropole, dont 8 en Ile-de-France, 19 d'entre eux étant rattachés à la police et 10 à la gendarmerie, et a précisé que les unités permanentes d'organisation et de commandement (regroupant 287 personnes) s'appuyaient sur des services ressources (de 1.400 personnes) constitués de policiers, de militaires, de douaniers, d'agents des services fiscaux et des directions du travail, de la concurrence et de la répression des fraudes.

M. Gilles Aubry a indiqué que des cellules de coordination étaient placées sous l'autorité des directeurs centraux de la police judiciaire et de la gendarmerie nationale et que dans chaque département, le préfet et le procureur de la République faisaient partie d'un comité de pilotage.

Il a souligné que les GIR étaient une force de projection tendant à assister les services locaux en matière de trafics de stupéfiants ou d'actions ponctuelles diligentées par la justice, et estimé que leur absence d'autonomie répressive prévenait des situations de concurrence avec les services locaux et les services spécialisés.

Il s'est ensuite félicité du bilan des GIR, en rappelant que 2.246 opérations avaient été menées, 15.510 personnes placées en garde à vue (dont 3.953 sous mandat de dépôt). Il a ajouté que les GIR avaient permis de saisir des biens mobiliers et immobiliers, ainsi que des valeurs numéraires et des sommes bloquées sur des comptes bancaires, pour une valeur de 48 millions d'euros.

M. Gilles Aubry a indiqué que la lutte contre le trafic de stupéfiants, le blanchiment d'argent, la prostitution et la non-justification de ressources représentait 30 % de son activité (ce dernier poste ayant récemment augmenté de plus de 300 %), la lutte contre les cambriolages 9 %, et la lutte contre le travail dissimulé, les faux papiers et les infractions économiques et financières, un autre tiers. Il a ajouté que les GIR visaient également à lutter contre l'exploitation des jeux de hasard, les manquements aux règles d'urbanisme, les infractions commises par des sociétés privées de sécurité, et qu'ils avaient permis d'intensifier les contrôles des établissements recevant du public.

Il a souligné que la lutte contre l'économie souterraine ne passait pas seulement par la poursuite d'infractions pénales telles que la contrefaçon, le trafic de stupéfiants -bien qu'il constitue le fil conducteur de l'économie souterraine- ou le recel organisé, mais tenait également à la lutte contre la fraude fiscale, les infractions douanières, à la législation sur le travail et la répression des fraudes. Il a ensuite estimé que la valeur ajouté des GIR résidait dans la démarche patrimoniale engagée, notamment par les agents des administrations fiscales douanières.

Enfin, M. Gilles Aubry a indiqué que des unités permanentes seraient prochainement créées en Guadeloupe, en Guyane et en Martinique.

M. Bernard Petit, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), a tout d'abord rappelé que la résine de cannabis, la cocaïne, l'héroïne et l'ecstasy n'étaient pas contrôlées par les mêmes organisations criminelles, même si elles pouvaient être distribuées par les mêmes dealers.

Il a souligné que la résine de cannabis était omniprésente dans les cités et constituait le coeur de l'économie souterraine, de par le volume trafiqué, les revenus induits et le nombre de personnes impliquées. Il a indiqué que cela constituait une source de nuisance pour les habitants, du fait du bruit, de la présence de chiens et de guetteurs dans les cages d'escaliers, de la transformation des caves en lieux de stockage, voire de mesures d'intimidation de la part de véritables « caïds » constituant un système économique et social parallèle.

M. Bernard Petit a observé que le deal constituait une activité organisée et que certaines cités étaient devenues de véritables pôles régionaux attirant de petits fournisseurs, parallèlement au développement des « go fast », ces voitures puissantes acheminant de la drogue depuis le sud de l'Espagne.

Il a ensuite observé que l'héroïne connaissait un regain d'intérêt et que la cocaïne se répandait dans toutes les couches de la société.

Face à la complexité de cette question, il a appelé à la mise en place d'une réponse interministérielle coordonnée et équilibrée mêlant prévention, répression et soins. Il s'est insurgé contre l'idée selon laquelle la répression serait inutile, en rappelant qu'un tiers de la production marocaine était saisie chaque année. Il a enfin souhaité que la répression ne se limite pas aux petits trafics dans les cités, qui se reconstituent très rapidement, mais intervienne plus en amont, notamment par le développement de programmes de coopération avec les pays producteurs, comme le Maroc, ainsi qu'avec les pays de rebond, comme l'Espagne.

Un débat s'est alors instauré.

M. André Vallet s'est interrogé sur l'importance de la plus-value apportée par les GIR, puis s'est enquis de la possibilité de demander à des jeunes circulant dans des voitures de luxe de justifier de la provenance des fonds ayant permis de les acquérir. Il a également préconisé une meilleure association des maires aux opérations de police menées dans les cités, avant de s'inquiéter de la dégradation des rapports entre jeunes et policiers. Il s'est enfin enquis des dispositifs mis en oeuvre pour lutter contre le trafic de drogue aux abords des établissements scolaires.

M. Gilles Aubry a reconnu l'existence de tensions entre jeunes et policiers et regretté, à titre personnel, qu'après avoir été érigée au rang de priorité, la police de proximité ait été ensuite totalement abandonnée. Il a donc préconisé de restaurer une certaine proximité dans la police en parvenant à un équilibre.

S'agissant de l'information des maires, il a indiqué que ces opérations étant menées sous la direction du juge d'instruction ou du procureur de la République, il importait d'associer l'autorité judiciaire à cette réflexion. Rappelant qu'existaient déjà des comités locaux de prévention de la délinquance permettant une approche partenariale, ainsi que des commissions départementales de sécurité, il s'est interrogé sur l'opportunité d'associer les maires à ces dernières.

S'agissant des véhicules automobiles évoqués, il a relevé qu'il n'était pas possible de demander a priori à une personne de justifier de ses ressources, à moins de démontrer l'existence d'un trafic. Il a rappelé que l'article 222-39-1 du code pénal réprimait le « proxénétisme de la drogue », c'est-à-dire le fait de ne pouvoir justifier de ses ressources tout en étant en relations habituelles avec un trafiquant. Il a toutefois indiqué que les renseignements généraux et l'administration fiscale pouvaient être contactés pour évaluer les revenus de la personne incriminée.

Répondant à M. Alex Türk, président, qui a fait part d'une résurgence de ce phénomène à Lille, M. Bernard Petit a indiqué qu'il était toujours possible de procéder à un contrôle policier afin de s'assurer de la possession d'un permis de conduire, d'une assurance et de la propriété du véhicule. Toutefois, il a rappelé qu'il n'était pas possible de procéder à un contrôle de l'identité des passagers, à moins que ceux-ci aient commis une infraction. Il a cependant précisé que le véhicule et son conducteur pouvaient être signalés à la sûreté urbaine ou départementale aux fins de saisine des GIR après vérifications. Il a enfin estimé que la multiplication de ces véhicules puissants s'expliquait par le développement des « go fast » dû à un travail à flux tendus afin de prévenir des vols de stocks.

M. Pierre André, rapporteur, a ensuite souligné la nécessité de lutter contre le sentiment d'insécurité de la population, avant de s'inquiéter de la perception de la police dans les quartiers en difficulté, rappelant que les opérations coup de poing menées par les compagnies républicaines de sécurité aboutissaient souvent à des échauffourées et à des incidents après leur départ. Tout en reconnaissant le besoin d'une police très spécialisée, il a également jugé nécessaire d'associer la population à la lutte contre la petite délinquance, comme dans certains pays étrangers, et rappelé que la plupart des violences débutaient après des problèmes entre jeunes et policiers. Il a donc préconisé un renforcement de la police de proximité et la mise en place de relais sur le terrain afin de garder le contact avec la population.

Après avoir rappelé que les GIR procédaient à des frappes chirurgicales après enquête, M. Gilles Aubry a toutefois reconnu que le concept de police de proximité n'était pas précisément défini.

M. Bernard Petit a indiqué qu'il existait des dealers à temps plein, puis rappelé que des relations avaient déjà été établies entre l'éducation nationale et la police afin d'assurer la sécurité aux abords des établissements scolaires. Il a cependant noté qu'afin d'échapper à la surveillance de la police, les dealers n'opéraient pas forcément aux abords immédiats des écoles, mais plutôt dans des lieux de restauration rapide et des débits de boissons.

Il a répondu à M. André Vallet qu'il ne disposait pas de statistiques concernant le trafic de drogue à l'école.

M. Gilles Aubry a alors précisé que si les responsables d'établissement scolaire avaient été longtemps réticents à l'idée de coopérer avec les services de police, il avait observé une évolution positive ces dernières années du fait des contacts noués avec les directeurs départementaux de la sécurité publique au sein des commissions départementales de sécurité.

M. Alex Türk, président, s'est ensuite interrogé sur la pertinence de remonter systématiquement les filières plutôt que de mettre un terme immédiat aux nuisances, estimant que cette politique n'était pas comprise par la population et qu'elle la décourageait de dénoncer les trafics. Il s'est ensuite interrogé sur l'opportunité d'une dépénalisation de la consommation de drogues.

M. Bernard Petit a déploré que le débat récurrent concernant la dépénalisation occulte les « vecteurs criminels » qui sont de plus en plus organisés, tandis que M. Gilles Aubry a rappelé que la définition d'une stratégie d'enquête imposait de respecter la hiérarchie des services et pouvait effectivement prendre un certain temps, estimant qu'il fallait savoir interrompre une procédure trop lourde que la justice ne serait pas en mesure de traiter.

Audition de M. François Molins, procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Bobigny

La mission a enfin entendu M. François Molins, procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Bobigny.

Après avoir défini les « violences urbaines » comme des actes commis contre les biens, les personnes ou les symboles dépositaires de la force publique par des individus agissant en groupe, spontanément ou avec préméditation, M. François Molins a jugé que ce phénomène devenait de plus en plus protéiforme et malaisé à cerner et qu'il soulevait la question des limites des dispositifs de prévention. Il a expliqué que si le parquet avait délivré de nombreuses réquisitions de contrôles d'identité aux services de police, les exigences liées au retour de l'ordre public avaient parfois pris le pas sur celles de la police judicaire, avec des répercussions sur les procédures. Il a déploré qu'une loi de décembre 2005 ait supprimé, juste après les violences de l'automne, l'infraction consistant à détenir des engins incendiaires, tels que les « cocktail Molotov », qui peuvent être considérés comme des engins explosifs ou incendiaires.

M. François Molins a ensuite estimé que ces violences étaient peu prévisibles, même si elles sont souvent provoquées par un événement perçu par les jeunes comme une injustice ou une intrusion sur leur « territoire » (perquisition, accident de la circulation, tentatives d'interpellation, intervention des pompiers, incident avec des vigiles dans un centre commercial). Il a indiqué qu'il existait désormais malheureusement des dates « anniversaires », le 14 juillet et le 31 décembre, qui donnaient lieu à des événements de plus en plus graves, relevant de véritables « guérillas urbaines ». De plus, les services de police ont observé une certaine planification de ces événements, s'agissant notamment de la confection des engins, des coupures d'électricité dans les quartiers, de la multiplication d'actes de violence pour retarder l'arrivée des secours et des forces de police ou pour les attirer dans de véritables guet-apens.

Après avoir rappelé que les violences de l'automne, déclenchées par le décès tragique de deux jeunes, s'étaient propagées d'abord dans le nord-est du département pour revenir ensuite à Clichy-sous-Bois, il a souligné que des événements dramatiques étaient survenus : un décès dans une affaire criminelle, une handicapée physique gravement brûlée dans l'incendie volontaire d'un bus à Sevran, de très nombreux dommages aux commerces et aux édifices publics, avec notamment l'incendie du conseil des prud'hommes de Bobigny, et 1.300 véhicules automobiles incendiés dans le département. Il a ensuite indiqué que 248 interpellations avaient été effectuées et que le parquet de Bobigny avait opté pour deux réponses : soit les faits n'étaient pas suffisamment caractérisés et les personnes interpellées ont alors été remises en liberté, soit ils étaient caractérisés et les individus interpellés, majeurs ou mineurs, ont été systématiquement déférés au parquet ; 207 personnes ont ainsi été déférées en trois semaines, parmi lesquelles on comptabilisait 122 majeurs et 85 mineurs. Sur les 122 majeurs, 115 ont été poursuivis par voie de comparution immédiate, et 54 mandats de dépôt ont été prononcés. S'agissant des 85 mineurs, parmi lesquels 62 % n'étaient pas connus des services de police, et un tiers d'entre eux avaient moins de 16 ans, le parquet a requis 11 mandats de dépôt, et n'a été suivi, au final, que dans un seul cas. Selon les services de la protection judiciaire de la jeunesse, nombre de ces jeunes se trouvaient dans des situations de déscolarisation qui auraient dû, dans un certain nombre de cas, être signalées par les services sociaux.

M. François Molins a ensuite insisté sur l'extrême violence de ces événements, dont la « sauvagerie » a parfois surpris, notamment s'agissant de très jeunes adolescents, d'autant que, dans certains cas, les scènes de violence étaient organisées et filmées. Il a ajouté que la plupart des personnes interpellées, souvent sorties prématurément du système éducatif, avaient nié les faits. Indiquant qu'un « débriefing » entre magistrats avait eu lieu, il a souligné que ceux-ci avaient souligné la sérénité des juridictions pendant ces événements, notamment celle du tribunal correctionnel. Après avoir précisé que le parquet encourageait la police à rechercher les flagrants délits, afin de disposer de procédures solides, il a relevé que le phénomène des « skyblogs » prenait de l'ampleur, plusieurs centaines de ces sites internet étant ouverts et fermés chaque année en Seine-Saint-Denis, et que leur surveillance permettait à la fois d'anticiper et de servir d'élément de preuve dans les procédures.

M. François Molins a ensuite apporté des précisions sur l'organisation du parquet pendant les violences. La permanence générale a été dissociée du traitement des émeutes urbaines, qui a été confié à un magistrat ad hoc, placé auprès du chef de la sûreté départementale, ce qui permettait à ce magistrat d'être informé environ 10 à 15 minutes après les faits, d'assurer une direction plus effective de la police judiciaire, et de faire remonter les informations.

Soulignant que le nombre et la violence des affrontements avaient surpris, il a estimé qu'ils n'étaient sous-tendus par aucune idéologie politique ou religieuse, et étaient le fait de jeunes n'ayant que la violence comme mode d'expression. Il a ajouté que l'école était particulièrement visée, et que ces événements pouvaient résulter d'une réaction aux politiques menées en matière de prévention et de sécurité, les deux n'ayant peut-être pas été suffisamment reliées. Enfin, il a précisé que certaines cités, très dures, avaient échappé aux violences, peut-être du fait de l'existence de « caïds locaux » souhaitant poursuivre leurs trafics.

M. François Molins a ensuite abordé la question de l'action territoriale du parquet. Sur les 40 communes du département, celui-ci suit 32 contrats locaux de sécurité (CLS) ou conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) au travers d'un magistrat référent, ainsi que les six groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD). Il existe en outre six correspondants Justice-ville, choisis sur la base de conventions passées avec les municipalités, qui servent d'interface avec les communes, puisqu'ils ont accès aux bases informatiques du parquet, et peuvent informer les maires sur le traitement judiciaire des affaires.

Il a ensuite décliné les objectifs de l'action du parquet de Bobigny : l'intensification de la lutte contre les déterminants fondamentaux de la délinquance, comme le trafic de drogue et le travail illégal, le renforcement de la coordination entre le parquet et les services de police, avec la fixation d'objectifs territoriaux destinés au groupement d'intervention régional (GIR), la lutte contre les discriminations, notamment dans le cadre des GLTD, avec la création prochaine d'un groupe sur le quartier des Bosquets, à Montfermeil, l'amélioration du partenariat avec les communes et une articulation plus satisfaisante des missions respectives de l'école et de la justice. S'agissant de ce dernier point, après avoir relevé que 44 % des mineurs interpellés à Paris étaient déscolarisés, il a souhaité une action plus collective de lutte contre la violence quotidienne dans les établissements et contre l'absentéisme scolaire, ainsi qu'une meilleure prise en charge pédopsychiatrique des jeunes.

En réponse à Mme Raymonde Le Texier, qui lui demandait des précisions sur la relation des jeunes interpellés avec l'école, sur le rôle des CLSPD et sur la notion de « sanctuarisation de l'école », M. François Molins a relevé que les enseignants avaient parfois des réticences à travailler avec le parquet, notamment sur la question de l'absentéisme scolaire. S'agissant de la signification des nombreuses agressions contre les écoles, il a confirmé que les cibles choisies n'étaient pas neutres, et que le phénomène de décrochage scolaire pouvait expliquer cette situation. Il a ajouté que d'autres actes, comme l'incendie d'une concession automobile, ont pu découler d'une volonté de vengeance. S'agissant des CLS, il a estimé qu'il s'agissait d'une « coquille », pouvant être plus ou moins active en fonction de l'implication des élus locaux.

M. Pierre André, rapporteur, a reconnu, tout d'abord, que l'implication de l'ensemble des partenaires, aux côtés du maire, était une condition déterminante au bon fonctionnement et à la réussite des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD).

Il a fait valoir, en outre, que ces derniers permettaient d'associer la population aux questions de sécurité et de justice, alors qu'il est en effet essentiel de mieux faire comprendre le sens des actions engagées dans ces domaines.

Relevant, par ailleurs, que les personnes auditionnées par la mission, ainsi que celles rencontrées sur le terrain, avaient souligné le caractère non organisé de la violence dans les « banlieues », il a demandé à l'intervenant des précisions sur le sens qu'il donnait au terme de « planification ». Il a souhaité savoir si cela correspondait, notamment, aux troubles ou incendies de voitures qui ont traditionnellement lieu le 14 juillet ou le soir du 31 décembre.

Il l'a interrogé, ensuite, sur le fonctionnement des Maisons de la justice et du droit, avant de s'enquérir de ses réactions à la proposition formulée par un acteur associatif auditionné la veille par la mission, visant à amnistier les jeunes ayant pris part aux évènements de novembre dernier.

M. Pierre André, rapporteur, ayant souligné, enfin, que la lutte contre la délinquance dans les villes entraînait, lorsqu'elle était efficace, un déplacement de la violence vers les zones rurales, M. François Molins a constaté que ce phénomène s'observait au sein même de la Seine-Saint-Denis, département qui cumule tellement de problèmes de précarité et de délinquance qu'il est impossible de tous les traiter simultanément.

Il a apporté, ensuite, les éléments de réponse suivants :

- outre l'occurrence de troubles à certaines dates symboliques, la préparation à l'avance d'engins explosifs et incendiaires employés lors des manifestations de violence peut s'interpréter comme une forme de programmation et de planification ;

- les 7 Maisons de la justice et du droit implantées en Seine-Saint-Denis fonctionnent de manière satisfaisante, à la fois dans leur rôle de point d'accès au droit et de rappel à la loi ; elles souffrent néanmoins d'une répartition géographique déséquilibrée ;

- dans la mesure où la Seine-Saint-Denis ne compte que 40 communes, et donc 40 maires, il est possible de mettre en place des formes souples d'organisation : les maires et les représentants des parquets se réunissent ainsi 4 fois par mois ;

- accorder l'amnistie aux auteurs des violences de l'automne dernier ne règlerait pas les problèmes de fond qui en sont les causes, et qu'il convient de traiter ; en outre, ce message serait équivoque en ce qu'il contribuerait à renforcer le sentiment d'impunité envers qui il est nécessaire de lutter.

Partageant ces propos, Mme Raymonde Le Texier a ajouté qu'amnistier ces jeunes reviendrait à ne pas les reconnaître comme des citoyens responsables.

Elle a déploré, en outre, que les Maisons de la justice et du droit ferment les unes après les autres dans le département du Val d'Oise, en raison, d'une part, d'un manque de moyens, dans la mesure où une grande partie de leur fonctionnement incombe désormais aux communes, et, d'autre part, du peu de disponibilité des magistrats.

Elle s'est interrogée, enfin, sur le rôle des « correspondants Ville-justice ».

M. François Molins lui a répondu que les Maisons de la justice et du droit de la Seine-Saint-Denis avaient également connu des difficultés, du fait de l'insuffisance en personnels des juridictions. Rappelant que leur fonctionnement nécessitait, pour le moins, la mise à disposition d'un greffier, il a souligné que le renforcement des effectifs dont allait bénéficier le tribunal de Bobigny permettrait aux magistrats d'intervenir dans ces structures.

Il a précisé, par ailleurs, que les « correspondants Ville-justice » avaient été institués dans le cadre des contrats emplois jeunes, en vue de servir d'interface entre le parquet et les mairies. Le dispositif repose désormais sur des conventions passées avec les maires ; il en existe six à ce jour. Les personnes concernées sont recrutées sur la base, notamment, des nouveaux contrats aidés, puis sont soumises à agrément. Ayant pour mission d'assurer le suivi des procédures et d'en tenir le maire informé, ces correspondants, installés au sein du palais de justice, contribuent à améliorer la lisibilité des politiques pénales.