Mercredi 27 janvier 2010

- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -

Jeux d'argent et de hasard en ligne - Examen du rapport pour avis

La commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Nicolas About sur le projet de loi n° 29 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, dans le texte n° 210 (2009-2010) adopté par la commission des finances le 19 janvier 2010.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a tout d'abord précisé que, outre la commission des finances, saisie au fond, deux autres commissions se sont saisies pour avis de ce texte. La commission des affaires sociales s'est, pour sa part, penchée sur neuf articles du projet de loi présentant un caractère sanitaire ou social car chacun sait que les jeux de hasard et d'argent sont porteurs de risques sanitaires et sociaux. Or, bien que les premiers diagnostics cliniques de « manies » ou « d'addictions » aient été portés dès la fin du XIXe siècle, on ignore encore le nombre de personnes touchées, en France, par le jeu dit « problématique », c'est-à-dire par le jeu excessif ou pathologique.

A la suite des deux rapports d'information sur les jeux d'argent en France, présentés par François Trucy au nom de la commission des finances du Sénat, qui dénonçaient notamment ce défaut de connaissances, une expertise collective à été commandée à l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) par le Gouvernement. Elle a été rendue en juillet 2008 et constitue un outil précieux pour comprendre les enjeux sanitaires liés aux jeux de hasard et d'argent. Néanmoins, elle n'apporte aucune connaissance en matière épidémiologique. Une telle étude a bien été confiée à l'observatoire français des drogues et toxicomanies, mais elle n'aboutira qu'en 2011. Il n'est donc pas possible de savoir si le phénomène augmente ou s'il touche des catégories particulières de population, si ce n'est grâce à la pratique des associations ou aux comparaisons internationales. On peut ainsi estimer qu'1% de la population est concernée par le jeu pathologique, et 4 % à 5 % par le jeu excessif.

En conséquence, une attitude particulièrement prudente doit être adoptée, notamment sur l'idée que les jeux en ligne seraient un domaine « à part » et que les questions sanitaires et sociales qu'ils posent ne seraient pas les mêmes que pour les jeux légaux existants : cette idée est fausse, tant du point de vue social que du point de vue de la santé.

Pour ce qui concerne les enjeux sociaux, il faut souligner que les opérateurs historiques, Française des jeux et PMU, seront aussi opérateurs en ligne et en profiteront pour diversifier leur activité. Cette évolution va bouleverser le panorama du jeu, tel qu'il existe depuis 1933 et qui présente une répartition claire entre formes de jeu et distribution des revenus du jeu :

- les produits des jeux « publics » accessibles à tous, y compris à ceux disposant de revenus modestes, doivent financer des projets publics, ce qui justifie qu'ils soient organisés sous la forme d'un monopole d'Etat ;

- le jeu « privé », organisé dans des casinos dont l'implantation est autorisée au cas par cas et s'adressant à un segment de population a priori plus fortuné, peut, pour sa part, être une simple activité commerciale.

Que l'argent du plus grand nombre retourne au plus grand nombre par l'intermédiaire de l'Etat est un principe sain. Or, il sera mis à mal par l'ouverture du jeu sur internet. De plus, on ne peut plus parler de jeu dans un cercle privé ou limité, quand tout individu disposant d'un ordinateur peut participer : les jeux en ligne ont la particularité d'atteindre une grande part de la population, y compris les personnes disposant de faibles revenus. Par ailleurs, il est illusoire d'espérer interdire l'implantation des opérateurs privés, dont les sites sont d'ores et déjà accessibles à tous sur internet. On peut au mieux essayer de les réguler.

Du point de vue de la santé, l'influence du jeu en ligne sur l'approche actuelle du jeu se fera également sentir. L'exemple américain laisse entendre que le poids économique des jeux en ligne rattrapera très rapidement celui des jeux actuels. Cela signifie concrètement que c'est sur ce modèle qu'évolueront les autres. Or, les jeux en ligne sont, pour la grande majorité d'entre eux, des jeux d'émotion, dont l'attraction repose sur les sensations fortes qu'ils procurent, si possible dans l'immédiateté sur le modèle des machines à sous, par opposition aux jeux de rêve comme le Loto. Ce sont les jeux les plus addictifs. Ils sont donc particulièrement dangereux pour la santé mentale.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a ensuite indiqué que, face à ce danger, le projet de loi prévoit deux types de limites.

Les premières sont les interdictions classiques : interdiction pour les mineurs, même émancipés, interdiction du jeu à crédit, interdiction des personnes signalées, sur le modèle des interdits de casinos, et possibilité de s'auto-interdire.

Le deuxième type de limite relève de ce qui est appelé le « jeu responsable ». Il s'agit d'obligations incombant aux opérateurs, élaborées sur la base des pratiques qui se sont développées de manière assez empirique ces dernières années. En 1996 a ainsi été mis en place le comité consultatif pour la mise en oeuvre de la politique d'encadrement des jeux et du jeu responsable (Cojer), mais dont les compétences se limitent à la seule Française des jeux. A la même époque, le PMU s'est lui aussi engagé dans une politique de prévention du jeu dit problématique. Cependant, à côté d'un engagement réel des opérateurs publics pour limiter les effets néfastes des produits qu'ils diffusent, il existe aussi des pratiques plus contestables et non évaluées : elles risquent de servir d'alibi plus que de véritable outil de prévention.

Le projet de loi oblige chaque opérateur à ouvrir un compte individuel pour chaque client et à y faire apparaître en continu les gains et pertes réels, c'est-à-dire cumulés. A partir de ces comptes, des dispositifs de détection du jeu pathologique seront mis en place, des messages d'alerte seront diffusés et les internautes seront informés des possibilités d'accès à des services de conseil et d'orientation téléphoniques. Cependant, tant que ces dispositifs ne sont pas réellement évalués, la prudence doit rester de mise.

Le texte adopté par la commission des finances apporte, dans le champ de la santé, des précisions bienvenues. Tout d'abord, le projet de loi crée une instance, le comité consultatif des jeux, dont les compétences s'étendent à l'ensemble des jeux, en ligne ou non, et le Cojer lui est intégré. Cela signifie que les problématiques sociales et sanitaires seront prises en compte dans le contrôle des jeux, avec une vision d'ensemble. Le contrôle des dispositifs de prévention mis en place par les opérateurs sera confié à ce comité. Par ailleurs, plusieurs précisions ont été apportées au dispositif voté par l'Assemblée nationale en matière de protection des personnes fragiles.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a cependant estimé qu'il est nécessaire d'aller plus loin, notamment pour clarifier les dispositions proposées et augmenter le nombre de freins institutionnels à la pulsion de jouer. Ces freins s'avèrent particulièrement efficaces : on constate, en effet, que depuis l'entrée en vigueur de la loi interdisant de fumer dans les lieux publics, la nécessité pour les joueurs de sortir de la salle de jeu des casinos pour fumer a fait baisser le chiffre d'affaires de ces établissements de près de 30 %. Rompre, ne serait-ce qu'un moment, l'emprise du jeu suffit souvent à permettre le retour de la réflexion et à retrouver un comportement plus sensé.

Les mesures qu'il proposera peuvent paraître lourdes à mettre en place mais elles sont proportionnées au bouleversement du monde du jeu que la France va connaître avec la mise en oeuvre du projet de loi. Les jeux de hasard et d'argent ne sont pas des loisirs comme les autres. Ils ne doivent donc pas être traités comme tels.

Mme Catherine Procaccia s'est interrogée sur l'efficacité des dispositifs de régulation prévus dans le projet de loi : les joueurs en ligne restant chez eux, tout contrôle est rendu difficile. Par ailleurs, on constate que ce ne sont pas forcément des populations aisées qui se rendent dans les casinos, mais souvent des personnes âgées. Enfin, quel est le champ d'application exact du projet de loi : les opérateurs extracommunautaires sont-ils également concernés ?

M. Jean-Pierre Godefroy a considéré que l'ouverture des jeux de hasard est très inquiétante, en raison des troubles d'enfermement et d'addiction constatés. Les casinos, notamment ceux qui proposent des machines à sous, suscitent déjà des phénomènes de ce type, puisque des personnes, souvent de milieu modeste, se pressent le matin, dès l'ouverture, dans l'espoir qu'ils auront plus de chance à ce moment-là de la journée. Enfin, alors que les casinos sont assujettis à des taxes, dont une fraction revient aux collectivités territoriales, quelle sera la taxation de ces jeux en ligne ?

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a rappelé que les jeux en ligne existent d'ores et déjà. Ce texte a donc pour objet de définir les conditions d'ouverture du marché et des modalités de régulation. En outre, il s'agit d'offrir aux joueurs pathologiques les moyens de se faire aider à sortir de cette addiction, ce qui suppose la mise en place, en concertation avec les opérateurs agréés, de moyens techniques pour empêcher les sites illégaux de continuer leur activité en France.

Pour ce qui concerne la fréquentation des casinos, elle est surtout le fait de personnes qui ont du temps et qui, souvent, s'y rendent pour tromper leur ennui. Le projet de loi ne vise pas ce type de population.

La taxation des jeux est naturellement un des aspects centraux du texte, qui l'allège globalement tout en élargissant son assiette aux nouveaux jeux autorisés. Il en résultera que la part des sommes engagées revenant aux joueurs sera inférieure, toutes choses égales par ailleurs, à celle qui pourrait être gagnée sur des sites illégaux, du fait qu'ils ne seront pas assujettis à cette imposition, ce qui peut poser quelques difficultés pour lutter contre ces opérateurs.

M. Bruno Gilles s'est inquiété de la protection des mineurs face à ces jeux en ligne. La problématique est d'ailleurs assez proche de celle qui a concouru à la mise en place de garde-fous contre la pornographie qui pourrait être accessible aux enfants et aux adolescents via internet. En l'espèce, les opérateurs avaient participé aux efforts publics, par exemple en proposant systématiquement aux internautes un outil de contrôle parental d'accès. En ce qui concerne les jeux en ligne, l'efficacité technique est limitée, alors qu'il est indispensable de protéger les jeunes.

M. Gilbert Barbier s'est interrogé sur la définition des pathologies du jeu, car de nombreux cas très différents peuvent se présenter. Cet éventail de situations est difficile à réglementer, d'où l'importance d'une enquête sérieuse de la part de l'observatoire des drogues et toxicomanies.

Mme Colette Giudicelli a constaté que les personnes qui se rendent dans les casinos ont l'espoir d'obtenir des gains et d'augmenter ainsi leurs revenus ; il s'agit certes de personnes âgées, mais aussi souvent de personnes pauvres ou démunies. Par ailleurs, alors que tout le monde ne jouera pas forcément à son domicile, mais éventuellement à partir d'un cybercafé ou d'un centre communal d'initiation à l'informatique, comment pourra-t-on s'assurer que ce seront bien les internautes qui paieront leurs mises ?

M. Yves Daudigny a souligné l'attraction qu'exercent les jeux dans la société, par exemple ceux de grattage ; on constate le même phénomène lorsqu'une commune ou une association locale organise un loto : les gens s'y pressent longtemps à l'avance pour être sûrs d'avoir une place. Le projet de loi, qui certes résulte de contraintes européennes et tente d'organiser une certaine régulation, constitue en définitive une libéralisation du système, par l'ouverture à des groupes privés. N'aurait-il pas été possible de s'appuyer sur les opérateurs historiques ? Par ailleurs, comment seront financés les dispositifs de régulation, dont l'efficacité est de toute façon incertaine ? Enfin, la protection des mineurs doit être assurée et la simple exigence d'ouvrir au préalable un compte chez l'opérateur agréé ne paraît pas suffisante pour y parvenir.

Tout en reconnaissant la difficulté technique d'y parvenir, en raison des caractéristiques du réseau internet, Mme Anne-Marie Payet a proposé de limiter la publicité pour les jeux de hasard et d'argent, car on sait qu'elle est une puissante incitation, dans les départements d'outre-mer mais aussi en métropole, et leur abus conduit trop de familles vers le surendettement.

M. Claude Jeannerot a tout d'abord souligné que les jeux en ligne sont promis à un bel avenir car ils sont facilement et immédiatement accessibles. Dans ces conditions, quelles peuvent être les garanties techniques pour interdire effectivement les sites illégaux ? Par ailleurs, ce texte serait l'occasion de repenser l'ensemble du système de taxation sur les jeux qui apportent aujourd'hui des revenus importants à certaines communes : une augmentation de la CSG pourrait, par exemple, contribuer à la réduction des déficits sociaux.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a déclaré partager le souci de la protection des mineurs, qui doit être la préoccupation centrale des politiques publiques et que le texte propose d'ailleurs d'améliorer. On sait qu'aujourd'hui, les enfants restent plus habiles que leurs parents dans l'utilisation des nouvelles technologies, mais les choses vont peu à peu changer au fur et à mesure que ces enfants grandiront et deviendront eux-mêmes parents.

La définition d'un jeu pathologique a été peu à peu adoptée par les instances internationales et les associations de psychiatrie : il s'agit d'une pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu regroupant au moins cinq critères au sein d'une liste qui en compte dix, parmi lesquels le besoin de jouer avec des sommes d'argent croissantes pour atteindre l'état d'excitation désiré, l'engagement d'efforts répétés mais infructueux pour contrôler, réduire ou arrêter la pratique du jeu, une agitation ou irritabilité lors des tentatives de réduction ou d'arrêt de la pratique du jeu ou encore le mensonge pour dissimuler à ses proches, à son milieu professionnel ou à ses médecins l'ampleur réelle des habitudes de jeu. Il ne s'agit donc pas d'imposer des règles morales ou de supprimer totalement la liberté de jouer, mais plutôt d'aider ceux qui en ont une pratique excessive.

Dans cet esprit, la prévention n'est pas suffisante ; il est important de consacrer une partie des sommes prélevées sur le jeu pour soutenir les structures qui aident les joueurs pathologiques. L'exemple du tabac est à cet égard éclairant : ce ne sont pas les seules campagnes de prévention qui ont permis de diminuer la consommation, mais principalement le relèvement des prix.

Par ailleurs, les joueurs devront être enregistrés au préalable sur les sites agréés et utiliser des cartes de paiement. Il serait à cet égard utile d'autoriser l'utilisation de cartes prépayées afin d'interrompre le cycle de jeu une fois le crédit dépensé.

En ce qui concerne la publicité, le texte contient un certain nombre de mesures restrictives, notamment en termes de créneaux horaires, mais elles ne sont pas aisées à mettre en place sur internet.

Il a également estimé que les monopoles existants ne sont pas toujours exempts de critiques : ils ont par exemple développé certains jeux qui posent des problèmes d'addiction, comme le Rapido.

La question des moyens techniques de l'autorité de régulation est essentielle ; elle conditionne le succès de la réforme. Il faut espérer que les opérateurs légaux soutiendront les actions publiques en la matière ; ils y auront un intérêt direct.

A M. Yves Daudigny qui s'enquérait de la prise en charge des coûts de cette régulation, M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a précisé qu'elle sera supportée par les opérateurs et que les structures de prévention seront agréées par le comité consultatif des jeux.

A l'issue de ce débat, la commission a examiné les amendements présentés par son rapporteur.

Après l'article 1er A, M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a présenté un amendement tendant à définir les jeux de hasard.

Mme Catherine Procaccia a estimé la définition des jeux de hasard ici proposée très large, dès lors qu'elle met sur le même plan les jeux gratuits et les jeux payants.

Mme Françoise Henneron a relevé que de nombreux jeux sont proposés en permanence à la télévision, auxquels on participe par des appels téléphoniques surtaxés, ce qui est également un problème.

M. Gilbert Barbier s'est demandé si cette définition est susceptible d'englober le jeu, particulièrement en vogue aujourd'hui, du poker en ligne qui ne fait pas appel qu'au hasard.

Mme Patricia Schillinger a souhaité disposer d'une liste de jeux de hasard qui seraient inclus dans une telle définition.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a justifié son amendement par le fait que le projet de loi vise, dans son intitulé, les jeux d'argent et de hasard en ligne mais sans définir ces derniers.

La commission a alors adopté l'amendement.

A l'article 1er (missions générales de l'Etat, champ de l'ouverture à la concurrence et création d'un comité consultatif des jeux), elle a adopté un amendement pour inclure le jeu excessif dans la politique de prévention.

A l'article 4 bis (encadrement de la publicité en faveur d'un opérateur de jeux d'argent et de hasard), le rapporteur pour avis a proposé d'inclure une mise en garde contre le jeu excessif dans les communications commerciales en faveur d'un opérateur. A la question de M. Claude Jeannerot sur l'utilité de distinguer le jeu « excessif » et le jeu « pathologique », il a précisé que cela correspond aux définitions retenues par l'Inserm dans l'étude qu'il y a consacrée.

La commission a alors adopté l'amendement.

A l'article 12 (obligations d'information sur les modalités d'accès et d'inscription au site internet et les moyens d'identification des joueurs), M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a présenté un amendement, dont il a souligné l'importance, sur lequel le Gouvernement est réservé et qui vise à attribuer à chaque joueur un numéro unique, utilisé par tous les opérateurs pour l'ouverture d'un compte. Ce procédé, déjà utilisé dans plusieurs pays, permet d'identifier rapidement les joueurs excessifs ou pathologiques.

A la question de Mmes Sylvie Desmarescaux et Patricia Schillinger sur la compatibilité d'une telle mesure avec la loi Informatique et libertés, M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a répondu que la procédure du décret en Conseil d'Etat permettra de s'assurer de la conformité du dispositif avec le respect de la vie privée.

Mme Sylvie Desmarescaux a ensuite voulu connaître les conséquences pour le joueur de la création du numéro unique.

Mme Christiane Demontès a souhaité avoir des précisions sur les raisons qui conduisent le Gouvernement à être réservé sur la création de ce dispositif.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a précisé que le Gouvernement oppose des arguments liés, d'une part, au délai supplémentaire que nécessiterait la mise en place d'un numéro unique, d'autre part, à des difficultés techniques. Or, ces arguments ne sont pas rédhibitoires : la loi pourrait parfaitement entrer en vigueur tandis que ce numéro unique serait mis en place ultérieurement, les opérateurs demandant à leurs clients déjà inscrits de renseigner cette information dans la base de données. Le but de cet amendement est bien de renforcer la capacité de l'autorité de régulation à proposer rapidement une aide aux joueurs excessifs ou pathologiques.

La commission a alors adopté l'amendement.

Sur le même article, le rapporteur pour avis a ensuite présenté un amendement offrant la possibilité d'utiliser des cartes prépayées pour jouer en ligne.

Mme Catherine Procaccia a observé que la possibilité d'utiliser des cartes prépayées n'empêcherait pas l'ouverture de multiples comptes et qu'elle aura des difficultés à s'appliquer sur les sites étrangers.

Mme Sylvie Desmarescaux s'est déclarée favorable à l'amendement, qui crée une méthode de prévention efficace. Des dispositifs du même type ont été mis en place dans son département, par exemple pour permettre aux ménages de contrôler leurs dépenses de chauffage en prenant mieux conscience de leurs habitudes de consommation.

M. Claude Jeannerot a déclaré soutenir l'objectif poursuivi par l'amendement tout en craignant l'efficacité limitée du système envisagé.

Prenant l'exemple des cabines téléphoniques publiques, utilisées par de nombreuses personnes au moyen de cartes prépayées pour appeler à l'étranger afin de contrôler la durée de la communication, Mme Raymonde Le Texier s'est déclarée très favorable à l'amendement.

M. Yves Daudigny a fait valoir l'intérêt de cette méthode : elle permet de lutter contre la volonté permanente du joueur de « se refaire » qui constitue la racine du problème. Le vrai joueur croit toujours que le coup suivant sera le gagnant, ce qui annihile sa capacité d'autocontrôle.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a précisé que sa proposition est une possibilité supplémentaire, non une obligation de recourir uniquement à ce mode de paiement. Elle vise un public conscient du problème d'addiction ou des limites de ses capacités financières, qui souhaite réguler ses propres dépenses. Les réserves du Gouvernement ou des opérateurs sont, là aussi, peu pertinentes : d'une part, les cartes prépayées ne rendent pas le jeu anonyme puisque le joueur devra toujours s'identifier, d'autre part, les risques évoqués de blanchiment d'argent sont limités et les réseaux mafieux n'attendent pas cette modalité pour opérer leurs trafics.

Répondant à Mme Catherine Procaccia, M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a confirmé que les opérateurs seront tenus de proposer au joueur de limiter le montant qu'il souhaite investir, même lorsqu'il utilise une carte de crédit, et qu'ils devront afficher sur l'écran le montant cumulé de ses pertes.

La commission alors adopté l'amendement.

A l'article 40 (aménagement des prélèvements sociaux sur les paris hippiques et sportifs et les jeux de cercle en ligne), le rapporteur pour avis a présenté deux amendements :

- le premier propose de diminuer la part du produit des prélèvements consacrée aux campagnes de l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), pour affecter le surplus aux actions de soins. A une question de Mme Annie Jarraud-Vergnolle, M. Nicolas About, rapporteur pour avis, a estimé que consacrer 5 millions d'euros aux campagnes de prévention devrait être suffisant et que, par construction, la somme ainsi dégagée serait affectée à l'assurance maladie ;

- le second vise à préciser que le produit des prélèvements affecté aux régimes obligatoires d'assurance maladie doit permettre la prise en charge des joueurs pathologiques.

La commission a adopté ces deux amendements puis a donné un avis favorable à l'adoption des articles dont elle s'est saisie pour avis.

Nomination d'un rapporteur

Puis la commission a désigné M. Paul Blanc rapporteur de la proposition de loi n° 191 (2009-2010) déposée par lui-même et plusieurs de ses collègues, tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap.

Organisme extraparlementaire - Désignation d'un candidat

La commission a enfin proposé à la nomination du Sénat Mme Christiane Kammermann pour siéger comme titulaire au sein de la commission permanente pour l'emploi et la formation professionnelle des Français de l'étranger.

Jeudi 28 janvier 2010

- Présidence conjointe de Mme Muguette Dini, présidente, et de M. Alain Vasselle, président de la Mecss, puis de Mme Annie David, vice-présidente -

Retraites - Présentation du rapport du conseil d'orientation des retraites par MM. Raphaël Hadas-Lebel, président, Yves Guégano, secrétaire général et Mme Selma Mahfouz, secrétaire générale adjointe

La commission, en commun avec la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), a entendu M. Raphaël Hadas-Lebel, président, accompagné de M. Yves Guégano, secrétaire général, et de Mme Selma Mahfouz, secrétaire générale adjointe, sur la présentation du rapport du conseil d'orientation des retraites (Cor) attendu en application de l'article 75 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

Mme Muguette Dini, présidente, a rappelé que le Parlement, à l'initiative de Dominique Leclerc, rapporteur du Sénat pour les comptes de la branche vieillesse de la sécurité sociale, avait prévu dans l'article 75 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 l'élaboration, par le Cor, d'un rapport consacré aux modalités d'un éventuel passage à un système de retraites par points ou en comptes notionnels. Elle a précisé que la Mecss a décidé de s'impliquer dans la préparation du rendez-vous de 2010 sur les retraites et conduira un cycle d'auditions sur ce sujet au cours des prochaines semaines.

M. Raphaël Hadas-Lebel, président du Cor, a tout d'abord souligné que le Cor établit pour la première fois un rapport à la demande du Parlement et qu'il faut y voir une illustration du renforcement des pouvoirs des assemblées. Organisme de débat et de délibération, le Cor est composé de parlementaires, de représentants des organisations syndicales et patronales, d'experts indépendants, enfin de fonctionnaires en charge des retraites au sein des administrations. Il est un lieu mensuel d'échanges, sur la base de dossiers transmis aux membres, et publie périodiquement des rapports sur des questions spécifiques.

Le rapport établi à la demande du Parlement sur les modalités techniques du passage éventuel à un régime de retraite par points ou en comptes notionnels est distinct des travaux qu'entreprendra le Cor en vue de la préparation du rendez-vous de 2010 sur les retraites, dont la date et les modalités seront fixées le 15 février prochain. Le Cor effectuera en particulier un travail de mise à jour de ses projections faites en 2007 relatives aux besoins de financement du système de retraite à l'horizon 2050.

Le rapport approuvé par le Cor la veille, soit le 27 janvier, se décompose en trois parties respectivement consacrées aux caractéristiques du système de retraite actuel, à la comparaison des systèmes par annuités, par points ou par comptes notionnels, enfin, aux modalités techniques de remplacement du régime actuel par un autre système.

Le système de retraite français est l'aboutissement d'un processus historique et politique qui a conduit à l'émergence d'un ensemble complexe constitué d'une multiplicité de régimes fonctionnant selon des paramètres très divers. On compte en France plus d'une vingtaine de régimes de base, en ne prenant en compte que les plus importants, et un grand nombre de régimes complémentaires obligatoires fonctionnant en répartition. En outre, la loi de 2003 a encouragé le développement de l'épargne retraite. A la multiplicité des régimes s'ajoutent des règles d'acquisition et de valorisation des droits à retraite différentes, principalement entre régimes de base et régimes complémentaires, et une diversité encore plus grande des paramètres de calcul de la pension. Tandis que la plupart des régimes de base sont des régimes en annuités, à l'exception de ceux des professions libérales et des non-salariés agricoles, les régimes complémentaires sont tous des régimes en points. Les paramètres de calcul des pensions, en particulier le salaire de référence, les âges de départ, le taux de liquidation, sont très divers d'un régime à l'autre. Dans ces conditions, le calcul du montant des pensions est complexe, chaque retraite étant la somme des droits acquis dans les régimes de base et les régimes complémentaires auxquels chacun a cotisé.

La loi de 2003 a cependant engagé un rapprochement des règles de calcul des pensions dans les régimes de base, notamment en alignant les durées d'assurance requises et en indexant l'ensemble des pensions sur les prix.

Le système de retraite français permet aujourd'hui aux retraités d'avoir un niveau de vie moyen proche de celui des actifs. Alors qu'il existait un écart très important entre le niveau de vie des actifs et celui des retraités jusqu'en 1970, cet écart s'est progressivement résorbé. En 2004, le montant de la retraite totale tous régimes pour l'ensemble des retraités s'établissait à 1 288 euros par mois en moyenne (1 617 euros pour les hommes, 1 011 euros pour les femmes en incluant les pensions de réversion). L'écart important de montant de retraite subsistant entre hommes et femmes justifie le maintien de mesures en faveur des femmes au titre des droits familiaux. Si les décisions des juridictions européennes ont contraint la France à modifier les règles relatives aux majorations de durée d'assurance (MDA), la solution choisie dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 paraît équilibrée.

S'il demeure des situations individuelles très difficiles, le taux de pauvreté des retraités, qui s'établit à 9 %, est inférieur à celui des actifs, qui atteint 13 %. Actuellement encore, les générations qui arrivent à la retraite bénéficient de pensions plus élevées que celles précédemment perçues par les personnes qui décèdent, de sorte que le niveau de vie des retraités continue à s'améliorer.

La situation moyenne des retraités est par ailleurs affectée par les mécanismes de redistribution. Il existe une redistribution implicite qui résulte des règles de calcul des droits, dont les effets ne sont pas clairs et qui ne favorisent pas nécessairement les plus petites retraites. Ainsi, la prise en compte des vingt-cinq meilleures années pour le calcul du salaire de référence favorise dans certains cas les retraites élevées. Par ailleurs, la prise en compte de périodes validées non cotisées, notamment au titre du chômage, les droits familiaux et le minimum contributif permettent une redistribution explicite entre les années, qui représente un cinquième du montant total des retraites.

La réforme de 2003 a posé les bases du pilotage du système de retraite en faisant de la durée d'assurance la principale variable d'ajustement, des rendez-vous périodiques devant permettre de réexaminer régulièrement la situation. Ainsi, le rendez-vous de 2008 a conduit à allonger d'un trimestre par an la durée d'assurance entre 2008 et 2012. Ce rendez-vous a suscité des appréciations contrastées dans la mesure où il n'a pas permis d'examiner l'ensemble des problèmes, ce qui explique qu'une nouvelle étape soit nécessaire en 2010.

Malgré les progrès dans le pilotage du système, l'équilibre financier n'a pas pu être atteint puisqu'on assiste à une dégradation structurelle des comptes de l'assurance vieillesse de l'ordre de 1 à 1,5 milliard d'euros par an, à laquelle se sont ajoutés les effets de la crise économique qui a réduit considérablement le niveau des recettes. Ainsi, le déficit de la branche vieillesse du régime général de la sécurité sociale est passé de 5,6 milliards en 2008 à 8,2 milliards en 2009 et pourrait atteindre 10,7 milliards en 2010.

Enfin, la France se caractérise par un certain retard en matière d'emploi des seniors, même si quelques progrès modestes ont pu être constatés au cours des dernières années. La loi qui contraint les entreprises à engager des négociations sur ce sujet commence à produire des effets.

Pour comparer les différents systèmes de retraite, il convient de rappeler les principales caractéristiques de chacun d'entre eux :

- dans les régimes en annuités, la pension est calculée en prenant en compte le salaire de référence, la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein, enfin, un taux d'annuité qui représente le montant de pension acquis chaque année validée. La pension ne dépend aucunement du montant des cotisations versées ;

- dans un régime en points, le montant des cotisations versées joue un rôle essentiel. L'ensemble des cotisations de chaque assuré est transformé en points et la pension est calculée en multipliant le nombre de points par la valeur de service du point fixée chaque année ;

- enfin, dans un régime en comptes notionnels, chaque salarié est titulaire d'un compte individuel et les cotisations versées forment un capital virtuel. Ce capital est dit « virtuel » car le régime fonctionne en répartition et les cotisations versées sont immédiatement utilisées pour financer les pensions des retraités. Le capital, s'il n'est pas placé, fait l'objet d'une revalorisation annuelle. Dans ce système, le montant de la pension est égal au montant du capital multiplié par un coefficient de conversion calculé de telle sorte que le total du montant des pensions d'une génération soit égal au total des cotisations versées par cette génération.

Dans les systèmes en points ou en comptes notionnels, plus la retraite est prise tôt et moins la pension est élevée : les pensions sont donc directement liées au montant des cotisations versées. La Suède a adopté, en 1998, un système de comptes notionnels sur la base d'un consensus entre les grandes forces politiques du pays. La mise en place de ce nouveau régime a été facilitée par l'existence d'importantes réserves financières qui ont permis d'équilibrer le système dès le départ. En 2001, la réforme a été complétée par la mise en place de dispositifs complémentaires permettant un rééquilibrage en cas de choc économique ou démographique. Toutefois, dans le contexte de la récente crise économique, le gouvernement suédois a été conduit à modifier les règles d'équilibrage pour éviter que celles-ci aient des effets trop importants sur le niveau des pensions.

Quelques éléments de comparaison des trois systèmes peuvent être mentionnés. Les régimes en points et en comptes notionnels sont fondés sur une logique de contributivité, ce qui n'est pas le cas du régime en annuités. Le système en comptes notionnels est souvent vanté pour sa capacité d'autorégulation. Les paramètres utilisés sont tellement contraints que le système tend à l'équilibre financier sur le long terme, même si cet équilibre n'est pas assuré à tout moment. Les systèmes en points et en comptes notionnels sont plus lisibles pour les assurés que les systèmes en annuités puisque le montant de la pension est directement lié au montant des cotisations. Ces systèmes encouragent la prolongation d'activité. En revanche, toutes les techniques de calcul de retraite permettent d'intégrer des mécanismes de solidarité. Il est en effet possible d'ajouter des points ou du capital virtuel au nom d'éléments de solidarité, mais il est alors nécessaire de préciser qui en assure le financement. Par ailleurs, le régime en comptes notionnels ne prévoit aucune mutualisation intergénérationnelle et ne laisse que peu de place à un véritable pilotage par les gestionnaires. A l'inverse, les systèmes en annuités permettent une plus grande souplesse de gestion, au risque que les décisions indispensables ne soient pas prises ou soient remises en cause. Ainsi, la réforme de 2003 prévoyait un transfert de cotisations de l'assurance chômage vers l'assurance vieillesse qui n'a finalement pas été réalisé.

En tout état de cause, quelle que soit la technique de calcul de la retraite, toute évolution repose sur trois leviers essentiels : le niveau des ressources, le niveau des pensions, l'âge effectif de départ à la retraite.

En définitive, il est parfaitement possible techniquement de changer de régime de retraite et tous les systèmes étudiés permettent d'intégrer les préoccupations de solidarité. Un tel changement de système ne poserait pas de difficultés juridiques majeures dès lors que les droits à la retraite ne sont acquis qu'à la liquidation de la pension et que la Cour européenne des droits de l'homme admet que le législateur peut réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général. La décision de mettre en oeuvre un nouveau système de retraite repose donc sur des choix politiques plus que sur des considérations techniques. Une telle mutation, si elle était décidée, devrait être soigneusement préparée et impliquerait de disposer de données parfaitement fiables pour reconstituer l'ensemble des historiques de carrière. Un effort de formation des gestionnaires et une bonne coopération entre les régimes actuels seraient également nécessaires.

Cette réforme ne pourrait se concevoir que si elle était appliquée à une vaste échelle. A cet égard, deux hypothèses sont notamment envisageables : le nouveau système pourrait être appliqué soit à tous les régimes de base, qu'il s'agisse de ceux des salariés du privé ou de ceux des fonctionnaires, soit à l'ensemble des salariés du secteur privé en prenant en compte les régimes de base et les régimes complémentaires. Cette seconde option suppose de s'interroger au préalable sur le système de gouvernance à mettre en oeuvre dès lors que les régimes complémentaires sont aujourd'hui gérés par les partenaires sociaux.

En ce qui concerne la transition entre l'ancien système et le nouveau, plusieurs possibilités s'ouvrent aux autorités. Une application de la réforme aux seuls nouveaux entrants sur le marché du travail étalerait sa mise en oeuvre sur plusieurs décennies. A l'inverse, aucun pays, sinon la Lettonie, n'a choisi de modifier son système sans aucune période de transition. Si les autorités retenaient le principe d'une réforme progressive, deux modalités alternatives pourraient être envisagées. La Suède et la Pologne ont choisi d'affilier simultanément les générations de transition à l'ancien et au nouveau système, afin de reconstituer leurs droits en fin de carrière, le poids du nouveau système étant de plus en plus important au fil du temps. A l'inverse, l'Italie a prévu une affiliation successive des générations de transition dans l'ancien et le nouveau système, le montant de la pension résultant de la somme des droits acquis dans chaque régime.

Enfin, pour opérer un choix entre les systèmes et élaborer une architecture, les responsables politiques devraient définir des priorités entre les différents objectifs qui peuvent être assignés à un système de retraite : pérennité financière, lisibilité, droits des assurés, solidarité intergénérationnelle et intragénérationnelle, cohérence avec d'autres objectifs économiques.

Mme Muguette Dini, présidente, a rappelé que la Mecss a consacré un rapport d'information au système des comptes notionnels intitulé : « Réformer la protection sociale : les leçons du modèle suédois ».

M. Dominique Leclerc a salué la très grande qualité du travail établi par le Cor et s'est félicité du haut niveau des débats en son sein. Une telle institution est particulièrement nécessaire pour éclairer les choix effectués par les autorités politiques dans le domaine des retraites. Ainsi, le mécanisme de prise en compte des longues carrières dans la réforme de 2003 a été arrêté sans que le Gouvernement et le Parlement disposent d'estimations précises sur le coût de ce dispositif qui a, en définitive, provoqué un important déséquilibre des régimes et donné lieu à quelques pratiques contestables de validation de périodes d'assurance. Les éclairages apportés par le Cor doivent permettre au législateur de se prononcer en toute connaissance de cause.

Si les expériences conduites dans certains pays sont difficilement transposables dans d'autres Etats ayant une culture et un corps social différents, elles doivent au moins permettre de s'interroger sur les évolutions nécessaires du système.

En tout état de cause, il y a désormais urgence à mettre fin à un système dans lequel la résorption des déséquilibres financiers considérables du système de retraite est renvoyée aux générations futures qui risquent de devoir supporter le poids de l'absence de décisions courageuses. Par ailleurs, le système de retraite est particulièrement inégalitaire entre les différentes composantes de la société et il sera inévitable d'apporter des réponses à cette situation. Enfin, les conséquences du vieillissement de la population doivent désormais être appréhendées globalement en prenant en considération non seulement la question des retraites mais aussi celle de la dépendance et de l'augmentation du nombre de personnes souffrant simultanément de plusieurs pathologies graves. La France va devoir se prononcer sur le montant de l'effort qu'elle est prête à consentir pour faire face au défi du vieillissement et sur la répartition de cette enveloppe au sein de la population.

M. Alain Gournac a souhaité avoir des précisions sur les principales différences entre le régime de retraite des salariés du privé et celui des fonctionnaires. Il s'est en outre interrogé sur le taux français d'emploi des seniors.

M. Raphaël Hadas-Lebel a précisé que le salaire de référence pris en compte pour le calcul de la pension des fonctionnaires est celui des six derniers mois d'activité hors primes alors que le régime général des salariés du privé prend en compte les vingt-cinq meilleures années d'activité. Pour tenir compte de l'absence de prise en compte des primes, un régime additionnel a été créé dans la fonction publique. Le régime de retraite des fonctionnaires est équilibré par une contribution du budget de l'Etat, en sa qualité d'employeur, qui représente aujourd'hui environ 60 % du montant des pensions versées.

A propos de l'emploi des seniors, les statistiques de l'Union européenne montrent que 38,5 % des Français, âgés de cinquante-cinq à soixante-quatre ans, exercent encore une activité alors que la moyenne européenne est supérieure à 40 %. Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, l'Union européenne avait fixé un objectif de taux d'emploi des seniors de 50 % en 2010 qui ne sera pas atteint. Dans une approche plus fine des catégories d'âge, la tranche des cinquante-cinq - cinquante-neuf ans affiche en France un taux d'emploi légèrement inférieur à la moyenne européenne ; il est en revanche supérieur à cette moyenne pour la tranche cinquante - cinquante-neuf ans, ce qui conduit fréquemment les représentants du patronat à estimer qu'un recul de l'âge légal de départ à la retraite permettrait d'améliorer le taux d'emploi des seniors.

Mme Françoise Henneron, évoquant la situation d'une personne qui a commencé à travailler à seize ans et exerce encore une activité à soixante-quatre ans, a demandé s'il ne serait pas possible, au titre de la solidarité intergénérationnelle, qu'elle puisse transmettre à ses enfants, entrés sur le marché du travail à un âge plus avancé qu'elle, ses droits à retraite acquis après qu'elle a atteint la durée d'assurance requise pour bénéficier d'une pension à taux plein.

M. Raphaël Hadas-Lebel a indiqué que la retraite est un droit strictement individuel et que le seul cas de transmission est celui de la pension de réversion en faveur du conjoint. Une personne qui a acquis des droits supérieurs à ses besoins peut faire des donations en numéraire à ses enfants mais en aucun cas transférer ses propres droits.

M. Yves Guégano, secrétaire général du Cor, a précisé que dans le système en annuités français, certaines cotisations versées ne procurent pas de droits supplémentaires pour l'assuré, ce qui n'est pas le cas dans les régimes en points ou en comptes notionnels, dans lesquels toute cotisation se traduit par un droit supplémentaire. Par ailleurs, la pension de réversion, très développée dans le système français, n'existe pas dans d'autres pays européens, notamment en Allemagne.

Mme Annie David, revenant sur les trois principaux leviers de pilotage du système de retraite -  niveau des ressources, niveau des pensions, âge effectif de départ - a souhaité savoir si ces paramètres permettent de prendre en compte l'âge d'entrée dans le monde du travail. En effet, certaines personnes peuvent avoir acquis les droits nécessaires pour bénéficier d'une pension à taux plein avant d'atteindre l'âge légal de départ à la retraite : c'est le cas lorsque l'on commence à travailler à l'âge de dix-huit ans et que les quarante et une annuités de cotisation sont validées avant l'âge de soixante ans.

M. Raphaël Hadas-Lebel a souligné que les trois leviers qu'il a mentionnés sont ceux qui permettent de piloter le système de retraite et d'assurer son équilibrage. Si, mécaniquement, un régime de retraite est plus facile à équilibrer lorsque les assurés partent plus tard à la retraite, cela n'interdit pas de prévoir des mécanismes spécifiques pour les personnes entrées de manière précoce sur le marché du travail. Ainsi, la loi de 2003 a prévu un dispositif particulier réservé aux assurés ayant effectué de longues carrières parce qu'ils étaient entrés très tôt dans le monde du travail. Cette mesure, tout à fait équitable, a représenté un coût de 2 milliards d'euros environ. La question de la prise en compte des carrières longues risque d'être moins prégnante à l'avenir, compte tenu de l'instauration en 1953 de l'obligation scolaire jusqu'à seize ans. En outre, il convient de garder à l'esprit que l'espérance de vie ne cesse de progresser et que, chaque année, à l'âge de soixante ans, tout individu voit son espérance de vie allongée d'un demi-trimestre, ce qui contribue à justifier une augmentation de l'âge de départ effectif. Naturellement, un report progressif de l'âge effectif de départ à la retraite implique parallèlement de définir des postes plus particulièrement adaptés aux salariés les plus âgés.

M. René Teulade a d'abord rappelé le rôle fondamental du Cor qui, par ses études, assure l'expertise du système de retraite et formule des propositions en vue de son évolution. Il a ensuite insisté sur la dimension politique du passage d'un régime en annuités à un régime par points ou en comptes notionnels. Il ne s'agit pas seulement d'une question d'ordre technique : cette opération nécessite au préalable des choix politiques qui ont trait notamment à l'architecture du système de retraite, aux objectifs que l'on souhaite atteindre en priorité (pérennité financière, équité entre les générations et degré de redistribution), ainsi qu'au calendrier et au mode de transition pour passer d'un système à l'autre. Quelle que soit l'option retenue, une chose est sûre : le maintien du système par répartition n'est pas négociable. Mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, celui-ci a en effet permis au plus grand nombre de disposer d'une retraite décente. C'est un acquis social majeur qui doit être préservé. M. René Teulade a enfin soulevé la question de l'abondement du fonds de réserve des retraites (FRR) que le rapport du Cor ne traite pas.

M. Guy Fischer s'est étonné des conclusions du Cor sur la parité de niveau de vie entre les actifs et les retraités. Comment peut-on arriver à un tel constat alors que de plus en plus de retraités voient leur pouvoir d'achat diminuer et se trouvent dans une situation de grande précarité ? S'agissant des régimes par points ou en comptes notionnels, le rapport ne fait pas état de la place qu'ils réservent à l'épargne retraite par capitalisation. Ces dernières années, le système par répartition français a été dénaturé par l'introduction de plans d'épargne salariale comme le Perco (plan d'épargne pour la retraite collectif) qui ne cessent de prendre de l'ampleur. Par ailleurs, le principe d'indexation des pensions sur les prix -et non plus sur les salaires-, mis en place par les réformes de 1993 et de 2003, a entraîné une dégradation du taux de remplacement. Enfin, on peut craindre que le régime des fonctionnaires soit désormais remis en cause, compte tenu des critiques récurrentes dont il fait l'objet en raison de la règle de prise en compte des six derniers mois d'activité pour le calcul du salaire de référence.

M. Raphaël Hadas-Lebel a précisé que le rapport mentionne bien la situation du fonds de réserve des retraites, dont la performance a été durement affectée par la crise économique et financière. Ses réserves s'établissent actuellement à environ 28 milliards d'euros. La question centrale est de savoir à quoi elles vont servir. Lors de la création du fonds en 1999, il a été décidé de sanctuariser ses ressources jusqu'en 2020, puis de les utiliser pour prendre en charge une partie des dépenses des régimes de base du secteur privé.

M. René Teulade a rappelé qu'à l'époque, il avait proposé d'alimenter le fonds par la cession d'actifs des entreprises nationalisées non soumises à la concurrence. Cette solution n'a malheureusement jamais été retenue.

Sur la question du niveau de vie des retraités, M. Raphaël Hadas-Lebel a d'abord insisté sur le fait que les chiffres avancés dans le rapport sont des moyennes. Par définition, les moyennes ne permettent pas d'appréhender les situations particulières qui, dans le cas des retraités, peuvent être socialement très difficiles. Il faut aussi rappeler que le niveau de vie intègre les revenus du patrimoine qui, on le sait, sont plus importants chez les retraités que chez les actifs. La taille du foyer joue également : le niveau de vie d'une personne retraitée vivant en couple n'est pas comparable à celui d'une femme active élevant trois enfants. Concernant le régime des fonctionnaires, il est évident que la règle des six derniers mois fera partie des sujets en débat lors du rendez-vous de cette année. Celui-ci devra surtout être l'occasion de poser la question suivante : quelle part du Pib veut-on consacrer aux retraites ? Aujourd'hui, les retraites représentent un peu plus de 12 % du Pib ; leur poids devrait atteindre plus de 13 % en 2020. Parallèlement, d'autres dépenses vont continuer à progresser comme les dépenses de santé et de dépendance. Dès lors, il faudra inévitablement faire des choix.

S'interrogeant sur les moyens d'assurer la pérennité financière du système de retraite, Mme Christiane Demontès a demandé s'il est possible de faire appel à d'autres recettes que les cotisations sociales. Elle a ensuite estimé que la question de l'uniformisation des régimes de retraite, longtemps taboue, mérite aujourd'hui d'être posée. Bien sûr, la multiplicité des régimes est le fruit de l'histoire sociale et de choix collectifs qu'il convient de ne pas oublier. Mais force est de constater que la société a évolué et que le maintien de règles spécifiques pour certains régimes de retraite n'est plus nécessairement justifié. Par ailleurs, ce mouvement d'harmonisation progressive ne peut être réalisé sans un travail préalable de concertation et un minimum de consensus social. Tout passage en force sur ce sujet risquerait d'attiser les tensions sociales.

M. Jacky Le Menn a tout d'abord souhaité savoir si la subvention d'équilibre versée par l'Etat pour le régime des fonctionnaires concerne les trois fonctions publiques ou uniquement la fonction publique d'Etat. Il a également demandé à être informé de la situation financière actuelle de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL). S'agissant du régime complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques, le calcul des pensions repose-t-il bien sur la technique des points ? Enfin, dans le cadre des transferts de personnels de l'Etat vers les collectivités territoriales consécutifs à la décentralisation, comment est organisé le financement des pensions des fonctionnaires concernés ?

Sur l'équilibre financier des régimes de retraite, M. Raphaël Hadas-Lebel a estimé que l'augmentation des cotisations sociales risquerait de compromettre la compétitivité des entreprises françaises, déjà confrontées à des taux de prélèvements obligatoires élevés. Pour dégager des marges de manoeuvre supplémentaires, d'autres types de recettes sont envisageables comme la TVA sociale, qui suscite régulièrement des débats, ou les transferts de cotisations au sein de la protection sociale (par exemple, le transfert de cotisations chômage vers les cotisations retraite). Toutefois, il est logique que le financement des retraites reste prioritairement fondé sur les cotisations sociales assises sur les salaires car les pensions sont, en quelque sorte, des « salaires différés ». En ce qui concerne l'uniformisation des régimes, il semble légitime que les différentes règles soient progressivement harmonisées au niveau du premier pilier, c'est-à-dire des régimes de base. En revanche, certaines spécificités pourraient être maintenues au niveau du deuxième pilier, à savoir les régimes complémentaires. M. Raphaël Hadas-Lebel a ensuite reconnu que le passage d'un système de retraite à un autre ne peut se faire dans l'urgence, sans un débat public et des négociations préalables. Une telle réforme nécessite un fort consensus social, comme il y en a eu en Suède lors du passage aux comptes notionnels.

S'agissant de la subvention d'équilibre de l'Etat, il est entendu que celle-ci ne concerne que le financement des pensions des fonctionnaires de l'Etat. Les retraites des agents territoriaux et hospitaliers relèvent, de leur côté, de la responsabilité de la CNRACL dont la situation financière est actuellement à l'équilibre. Par ailleurs, le régime complémentaire des agents non titulaires de la fonction publique utilise effectivement la technique des points comme le font l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et l'association des régimes de retraite complémentaire (Arrco) dans le secteur privé. Quant à la question des transferts de charges dans le cadre de la décentralisation, il s'agit là d'un débat récurrent. Il serait logique que l'arrivée de nouveaux assurés à la CNRACL s'accompagne d'un transfert de financement équivalent car la caisse devra, à terme, couvrir les charges de pension de ces personnels transférés.

M. Jean Desessard a souhaité avoir des précisions sur les modes de transition vers un système par points ou en comptes notionnels. Dans le cas d'une transition progressive, les assurés sont-ils affiliés à la fois à l'ancien et au nouveau régime ? Tout en rappelant l'importance du débat sur la pénibilité, il a demandé si la question de l'employabilité ne mérite pas, elle aussi, d'être posée. Enfin, il a dit persister à ne pas comprendre pourquoi l'on encourage les actifs à travailler plus longtemps alors que beaucoup d'entre eux ne trouvent même pas d'emploi.

M. Yves Daudigny a insisté sur le fait que la comparaison des règles entre le régime général et le régime des fonctionnaires est une question extrêmement sensible. Existe-t-il des études montrant que les retraites servies par ces deux régimes sont de niveaux très différents ? Par ailleurs, dans un régime en comptes notionnels, étant donné que l'assuré accumule un capital sur un compte tout au long de sa carrière, ce système n'est-il pas à rapprocher d'un régime par capitalisation individuelle ? En outre, que faut-il comprendre par le terme « génération » lorsqu'on parle de l'équilibre financier du régime en comptes notionnels ?

M. Raphaël Hadas-Lebel a expliqué que la transition progressive d'un régime vers un autre peut s'effectuer selon deux modes. Dans le premier, il y a affiliation simultanée à l'ancien et au nouveau régime ; c'est la méthode empruntée par la Suède et la Pologne. Dans le second, il y a affiliation successive à l'ancien puis au nouveau régime ; c'est l'option choisie par l'Italie.

M. Yves Guégano a ajouté que la France a déjà expérimenté l'affiliation successive en 1973 lors de la réforme du régime social des indépendants (RSI).

Sur la question centrale de la pénibilité, M. Raphaël Hadas-Lebel a indiqué que le Cor a réalisé une étude montrant que tous les problèmes liés à la pénibilité du travail ne peuvent être résolus par le système de retraite. Celui-ci ne doit tenir compte de la pénibilité que lorsque l'exercice d'un travail pénible a des conséquences sur l'espérance de vie de la personne qui l'exerce. Pour éviter que des catégories entières de métiers ne soient reconnues comme pénibles, il faut déterminer les types d'activité - le travail de nuit, par exemple- qui ont des répercussions sur l'espérance de vie. Une définition trop générale de la pénibilité risquerait d'entraîner certaines dérives.

Mme Selma Mahfouz, secrétaire générale adjointe du Cor, a indiqué que l'employabilité est une problématique parallèle à celle de la pénibilité. Cette notion désigne la capacité d'une personne à s'adapter à un nouvel emploi.

M. Raphaël Hadas-Lebel a estimé que l'employabilité renvoie au problème de l'emploi des seniors. Pour améliorer le taux d'emploi des cinquante-cinq-soixante-quatre ans et atteindre les objectifs fixés par l'Union européenne, il est nécessaire de revoir l'organisation du travail au sein des entreprises en mettant en place des types d'activité adaptés aux seniors (tutorat, conseil...). C'est finalement toute la gestion des compétences et des carrières qu'il faut réformer.

Puis, il a admis que la comparaison public/privé en matière de retraite est particulièrement délicate. Une étude de l'Insee, mentionnée dans le rapport, montre que si les pensions des fonctionnaires étaient calculées sur la base des règles en vigueur dans le régime général, elles diminueraient de l'ordre de 10 % à 20 %. Pour les syndicats de fonctionnaires, les règles spécifiques de calcul de leurs pensions sont la juste compensation de carrières moins évolutives que dans le privé.

Enfin, M. Raphaël Hadas-Lebel a insisté sur le fait que le régime en comptes notionnels fonctionne bien par répartition et non par capitalisation. Le capital virtuel accumulé par chaque assuré n'est pas placé sur les marchés financiers mais est revalorisé chaque année selon un indice fixé par les gestionnaires du régime. L'évolution de cet indice doit refléter au mieux le rendement implicite que le régime en répartition est capable d'offrir sans remettre en cause son équilibre financier sur le long terme (soit, le Pib, la masse salariale ou le salaire moyen). Si la technique des comptes notionnels a assurément une capacité d'autorégulation, elle n'est pas pour autant synonyme d'équilibre financier à court terme. En particulier, face à un choc démographique, un régime en comptes notionnels pourrait présenter des déséquilibres significatifs pendant une période relativement longue, car l'égalité par génération - ensemble des personnes nées la même année - entre la masse des cotisations et la masse des pensions ne signifie pas l'égalité instantanée (à une date donnée) entre la masse des cotisations et la masse des pensions.